L’agent regarda le mur de glace avec appréhension.
Il s’était formé subitement à cinq centimètres de son visage. Soit son adversaire était précis et voulait juste lui faire peur, soit il s’en fichait royalement que l’agent meure ou non, prisonnier d’un mur de glace. Être cryogénisé ne faisait pas partie du plan de carrière de l’agent Chang, qui recula prudemment et sortit son arme. Grand mal lui en prit ; un souffle de vent violent emporta l’arme au loin.
Il fit rapidement le point sur sa situation : il était désarmé, face à un adversaire hautement dangereux et un poil énervé et les renforts ne viendraient que dans une dizaine de minutes. Il fallait donc qu’il gagne du temps. Hélas, ses chances de survie s’amenuisaient à vue d’œil. Il n’avait donc plus qu’une seule chose à faire, une chose courageuse et insensée et…
« Je me rends», dit-il d’une voix ferme.
« Ferme »… Enfin… Sa voix ressemblait plus à un couinement de souris et ses mains levées piteusement au-dessus de la tête faisaient plus ressembler l’agent Chang à une pauvre fillette apeurée qu’à un agent confirmé et endurci de la Fondation SCP. Il se racla le fond de la gorge et voulut demander qui était son adversaire. Ce dernier ne lui en laissa pas le temps : « Qui êtes-vous et où sommes-nous ? »
La voix était celle d’un enfant. L’agent fut surpris, il n’avait pas encore pu voir le visage de son adversaire qui se cachait dans l’ombre d’un immeuble de la ville de Tokyo. Il eut du mal à traduire les dires de son adversaire, ce dernier s’exprimant dans un japonais ancien. L’agent Chang avait l’impression de s’être téléporté au Moyen-Âge. Il déglutit et répondit : « Je suis un agent de la Fondation SCP… »
Il s’arrêta net. Et puis quoi encore ? Il n’allait tout de même pas lui déballer toute sa vie de sa première couche au moment où la Fondation avait relevé une émission d’ondes anormale ! Son adversaire s’avança. L’agent baissa les yeux et se raidit : c’était bien un enfant. Il avait l’apparence d’un enfant d’à peine douze ans, sa tête était rasée et portait des tatouages représentant une flèche argentée. Ses habits étaient semblables à ceux d’un moine tibétain et en général, son apparence laissa penser à l’agent Chang que l’enfant venait de ce pays. Mais qu’est-ce qu’il foutait à Tokyo ?
L’enfant plissa ses grands yeux puis demanda :
« Qu’est-ce que la Fondation… CSP ?
- SCP, reprit l’agent, sécuriser, contenir, protéger. C’est notre devise.
- Ça m’a l’air d’être une noble tâche.
- En effet, répondit vite l’agent tout en se détendant un peu.
- Et où sommes-nous ? » demanda l’enfant tout en regardant avec appréhension autour de lui.
La ruelle sombre n’était pas très accueillante. Les hauts gratte-ciels étaient impressionnants pour qui ne connaissait pas bien la ville. L’agent commença à avoir un peu pitié de l’enfant. Un peu. Il ne fallait pas non plus exagérer, il avait quand même failli le tuer !
« Nous sommes à Tokyo, répondit l’agent d’une voix plus calme.
- C’est où ?
- … »
L’agent ne savait pas quoi répondre. Mais d’où sortait ce gosse qui ne savait même pas comment s’appelait la capitale de la troisième puissance mondiale ? La réponse lui vint en même temps qu’il se souvenait de l’ordre de mission de la Fondation : les ondes émises venaient de nulle part. Le garçon venait de nulle part. Une autre dimension peut-être ?
L’enfant leva les yeux vers les hautes tours et s’exclama :
« Je n’ai jamais vu de telles constructions, même nos monastères ne vont pas aussi hauts…
- Vous venez du Tibet, demanda-t-il bêtement.
- Je ne sais pas de quoi vous voulez parler. J’étais en train de méditer dans le temple de la Lune et de l’Océan, je me souviens que Katara me parlait et…
- Katara ?
- Une amie. »
L’agent vit que l’enfant rougissait. Il cacha un soupir d’exaspération, il n’était pas là pour entendre les histoires de cœur d’un enfant qui manipulait l’eau et l’air…
« Vous avez des pouvoirs, commença l’agent.
- Ce ne sont pas des « pouvoirs », mais de la maîtrise. Je maîtrise l’eau et l’air.
- Deux des… quatre éléments ?
- Oui. D’ailleurs, dans le monde des esprits, là où j’étais censé aller pendant ma méditation, je ne peux pas utiliser ma maîtrise, j’en conclus que je n’y suis pas. Pourtant, ce monde est bien différent du mien. J’étais dans les tribus de l’eau du Nord, il fait plus froid là-bas…
- Vous venez d’un autre monde ? »
L’enfant le regarda avec terreur. Il commença à paniquer :
« Je… Je dois y retourner, ils ont besoin de moi, la Nation du Feu va tout détruire !
- Calmez-vous.
- Oui, vous avez raison. Je dois me calmer. Si je parviens à entrer dans l’état d’Avatar peut-être que…
- Attendez ! »
Trop tard. L’enfant s’assit et se mit à méditer. Il précisa juste :
« Vous voulez bien m’excuser pour ma conduite plus qu’impardonnable ? J’espère que je ne vous ai pas fait peur… Si vous pouvez surveiller les alentours en attendant que je m’en aille…
- Bien sûr, mentit l’agent. »
Il ne restait plus qu’une petite minute. La FIM allait lui tomber dessus et l’agent serait sauvé. Il n’osa cependant pas bouger pour récupérer son arme. Au bout d’une minute, l’agent se demanda ce que fabriquait la FIM. L’enfant fronça les sourcils puis se leva lentement, l’air complètement abattu :
« J’y arrive pas, se lamenta-t-il.
- De quoi ?
- L’état d’Avatar… J’ai l’impression que le monde des esprits est très loin.
- Il n’y en a pas ici.
- Comment ça ? »
L’enfant le regarda avec horreur. L’agent haussa les épaules, le monde s’en sortait bien sans ce « monde des esprits » : « Il n’y a pas non plus les quatre éléments. Les… choses sont constituées d’atomes, d’éléments chimiques qui sont liés entre eux… »
Bordel… Voilà qu’il commençait à faire un cours de physique-chimie à un gosse de douze ans au beau milieu d’une ruelle de Tokyo. La situation n’aurait pas pu être plus… singulière. L’enfant poussa un cri de terreur :
« J’arrive plus. J’y arrive plus !
- De quoi ? »
L’agent avait l’impression d’avoir déjà eu cette discussion quelques secondes plus tôt. L’enfant reprit :
« L’air… Il n’est plus là, je le sens plus…
- Bah techniquement si, puisqu’on arrive à respirer.
- Non mais je veux dire… je n’ai plus ma maîtrise. »
L’agent eut pitié pour l’enfant qui ne s’était pas rendu compte qu’il venait de donner un avantage certain à son adversaire. L’agent reprit tranquillement son arme, ayant la confirmation que l’enfant n’était plus un danger. Et comme il n’était plus un danger, l’agent rangea son arme.
La FIM en mettait du temps !
L’agent se tourna vers l’enfant qui tremblait de tout son être, en plein désarroi. Il gémit :
« Ils ne pourront pas gagner ! L’Avatar doit être là… Qu’est-ce que je peux faire…
- Comment vous appelez-vous ? »
L’enfant se tourna vers lui surpris puis répondit d’une petite voix : « Aang… »
On faisait moins le malin là…
Mais l’agent commençait vraiment à avoir de la compassion pour Aang. Il continua, attendant toujours la FIM :
« Et quel âge as-tu, Aang ?
- J’ai… cent-douze ans. »
Ah… Pas si enfant que ça… L’agent Chang le regarda avec suspicion. Aang s’expliqua, la voix tremblante :
« J’ai passé cent ans sous la glace. Je venais juste de me réveiller… La Nation du Feu va tout conquérir, je dois retourner là-bas !
- Et comment comptes-tu t’y prendre ? »
L’agent se rendit compte qu’il tutoyait l’enfant. Tant pis pour le professionnalisme…
Aang répondit :
« Je pensais rejoindre le monde des esprits mais je me rends compte que même mon corps est là, il n’est plus au temple ! Je… Pendant la méditation, j’ai entendu que Katara se battait contre Zuko… je vais pas pouvoir l’aider…
- Zuko, demanda-t-il.
- Le fils du Seigneur du Feu. Il… Enfin, je crois qu’il est contre nous même s’il m’a sauvé la vie… »
Une idée traversa l’esprit d’Aang. Son visage s’illumina puis s’assombrit aussitôt. « Je n’ai qu’un seul moyen de revenir là-bas. Je dois mourir… »
Une grimace de douleur tordit son jeune visage. L’agent sursauta de surprise :
« Mourir ?
- Oui. Pour me réincarner. Je vais devoir abandonner Katara et les autres mais au moins, je reviendrai dans quelques années… »
L’agent se dit qu’à tous les coups Aang allait lui demander de le tuer mais heureusement, il entendit le bruit familier de roues qui crissaient sur le bitume. Il reconnut à l’oreille le bruit familier du moteur d’un camion blindé de la Fondation. Quel timing…
L’enfant n’opposa aucune résistance, complètement abattu. L’agent Chang retrouva ses collègues et amis. Il les salua avec soulagement. L’un d’eux lui demanda :
« Alors ? Quels effets anormaux ?
- Il maîtrisait l’eau et l’air, il vient d’une autre dimension et pouvait contacter les esprits… A présent, c’est juste un gosse perdu, répondit-il. »
Il regarda avec tristesse l’enfant qui se voyait attribuer un numéro qu’il porterait toute sa vie. La vie de skip de la Fondation n’allait pas lui plaire. Il eut un pincement au cœur. Aang s’inquiétait pour ses amis et n’avait aucun moyen de les retrouver. L’agent Chang fit son rapport et n’oublia pas de noter que l’enfant aurait des tendances suicidaires. Une simple chambre de confinement suffirait.
Quelques semaines plus tard:
L’agent Chang regarda l’enfant qui était assis en tailleur contre le mur, dédaignant le lit assez confortable que lui avait fourni la Fondation. L’agent se demanda ce que l’enfant lui voulait :
« Qu’y a-t-il ? demanda l’agent.
- Je dois mourir. Vous êtes le seul qui peut le comprendre. Parfois, il faut savoir sacrifier sa propre vie ainsi que celles des autres pour sauver votre monde.
- Je le comprends.
- Si je reste ici, mon monde n’aura plus d’Avatar, l’équilibre sera rompu. Si je meurs, la nouvelle réincarnation de l’Avatar naîtra et sauvera le monde. Ou alors, si je meurs ici, peut-être que je retournerai là-bas…
- Et si tu ne retournes pas là-bas ? »
L’agent Chang savait pertinemment que l’équipe de scientifiques derrière la porte devait avoir retenu son souffle après qu’il ait tutoyé un skip. Il s’en fichait royalement. Aang réfléchit puis le regarda d’un air résolu :
« C’est un risque à prendre. Je vous en prie, délivrez-moi. Je vous assure que je ferai tout mon possible pour sauver mon monde. Vous pouvez sauver des centaines de milliers de vies, faites-le et vous aurez accompli votre mission… »
L’arme pesait lourd à sa ceinture. La Fondation lui faisait confiance, il était un agent de la sécurité loyal et totalement dévoué à la cause. Son cœur se déchira mais l’agent prit une décision.
Quelques jours plus tard:
Il ne se souvenait plus. Avait-il déjà eu un nom ? Un prénom ? Une identité même ? Rien de tout ça ?
Son monde se résumait à une chambre, une petite banquette, des bagarres avec ses compagnons d’infortune et à de l’orange…
Il n’aimait pas cette couleur mais il devait tout le temps la porter. Existait-il d’autres couleurs que le orange ?
Il l’ignorait.
Il ne savait pas grand-chose.
La seule chose qu’il savait c’était que les hommes armés qui ouvraient de temps à autre la porte et prenaient l’un d’entre eux régulièrement, l’appelaient par un drôle de nom :
« D-7425 »
C’était peut-être ça son nom après tout.
Les autres étaient souvent énervés et violents. Lui était toujours calme. Il ne savait pas pourquoi il était si calme, il était en paix avec lui-même.
Il avait juste le sentiment d’avoir accompli sa mission.