Tribune : #MeTooFiction
⚠️ avertissement de contenu

Cette tribune a été écrite à l'occasion de la formation des Tailleuses de Crayons, association féministe pour les droits des personnages métafictifs. Vous pouvez en retrouver une version abrégée et simplifiée à partager sur nos réseaux, @tailleusesorg sur Instagram, Bluesky et Facebook.

Depuis la tragédie mondiale qui a mené à la disparition de la Corée du Nord, le monde entier a été mis au courant de l'existence et de la répression de phénomènes anormaux, quelle que soit leur dangerosité réelle. Pendant un temps, ces nouveaux dangers et les monstres de mensonge et de manipulation qui les géraient, la SCP, la CMO, en France la Gendastrerie et les Archives Noires, nous ont fait presque oublier les crises d'avant, les dangers mondains qui nous préoccupaient. Aussi absurde que cela nous paraisse de le rappeler aux milieux réactionnaires qui ont immédiatement sauté sur l'occasion, oui, il nous paraît encore difficile de choisir entre la pensée de se retrouver seul·e·s en forêt avec un homme ou avec SCP-682. La question n'a jamais été là.

Il faut plus que jamais s'organiser pour libérer nos adelphes prisonier·ère·s des geôles de ces organisations qui, malgré le rôle qu'elles ont jusqu'à maintenant rempli et dont nous n'atténuons pas la terrible nécessité, restent des structures par essence gangrenées par l'impérialisme, le militarisme, le colonialisme et le capitalisme. Pour un SCP-682, combien d’hommes, de femmes et d'enfants innocents qui avaient le malheur de ne pas correspondre à la "norme" de la normalité ? Qui fixe la norme, si ce n'est ces organisations qui manipulent les réalités scientifiques pour définir ce qu'elles pensent juste pour l'humanité toute entière ? La SCP a elle-même reconnu la volatilité des sciences quand il s'agissait de l'anormal. Nous n'avons simplement pas atteint un niveau de compréhension de l'univers assez avancé, et les sciences paranormales doivent nous éclairer désormais. Nous, les Tailleuses, croyons que si ces organisations sont capables de protéger l'humanité de phénomènes qui la dépassent encore, elles restent structurellement incapables de subvenir au bien de celle-ci. Combien sont mort·e·s dans l'ombre pour qu'une poignée puisse vivre dans la lumière ? Est-ce que cela vaut vraiment le coup ?

La libération et la réinsertion des prisonniers anormaux dans nos communautés humaines est essentielle, mais c'est une lutte dont les problématiques diffèrent peu de celles que nous avions à présent dans les milieux de révoltes et de réflexions intersectionnelles. Les Tailleuses ont décidé de concentrer leurs efforts autour de la libération des anomalies métafictives conscientes, puisque nous pensons que leur traitement soulève des questions essentielles et de premier plan, remettant sur la table de manière plus que jamais brûlantes des problématiques rabâchées par les luttes féministes depuis toujours.

D'abord, qu'entendons-nous par "anomalies métafictives conscientes" ? Nous espérons regrouper sous ce terme tout individu anormal ayant été créé, écrit, filmé, dessiné, photographié, imaginé par un être humain, et qui aurait anormalement développé une conscience, un libre-arbitre, une capacité à interagir avec son environnement. Nous nous référons ici à la définition de l'avocate Arianne Rély, employée de la SCP qui a décidé de se dédier à la cause de la défense des fictions anormales, malgré les risques auprès de son employeur. Ces individus anormaux un peu spéciaux ont un statut qui doit être au plus vite questionné, légalement et collectivement, et dont le sort est, nous le croyons, interdépendant du statut des femmes et des minorités dans nos sociétés.

Défendre les droits des personnages métafictifs, c'est questionner les rapports de domination. Par essence, les personnages métafictifs dépendent dès leur naissance de nous, auteur·ice·s, lecteur·ice·s. C'est à nous de prendre conscience de nos privilèges et de dépasser un complexe divin que nous pourrions avoir à leur égard, de prendre nos responsabilités et de leur rendre la liberté qui leur est due. Il faut donner la place à leur parole, lutter pour leur autodétermination, ce qui ne peut passer que par la lutte pour que les lobbys privés du paranormal rendent publics leurs travaux sur la pataphysique, cette science des fictions anormales. Pour que les personnages puissent reprendre leur plume, écrire leur histoire, il faut que l'histoire de leur existence à travers les âges leur soit rendue, que la connaissance en narration anormale soit rendue au peuple et puisse servir à la reconstruction d'une identité commune aux patanarrations et métafictions de toutes sortes. Il faut que la domination cesse, que les Dieux et les Déesses descendent de leurs trônes. Nous devons comprendre la métafiction anormale et ses problématiques afin à notre tour de pouvoir défendre les personnages anormaux, et leur permettre ensuite de se défendre par eux-mêmes.

Défendre les droits des personnages métafictifs, c'est condamner leurs auteurs. Ces hommes, en grande majorité, qui ont persécuté leurs personnages anormaux, ont profité de leur statut de pouvoir et de dominant pour les soumettre à des sorts cruels sans se soucier des conséquences. Il faut plus que jamais reconnaître la conscience des anomalies narratives, qu'elles sont plus que des machines à imiter l'humain ou que de simples intelligence artificielles. Ensuite, reconnaître les abus dont elles sont victime ainsi que poursuivre et condamner leurs auteurs. Nous voyons dans chaque auteur ayant écrit pour des personnages qu'il savait conscients des scènes de viols, de torture, d'agressions mentales et physiques, voire de tentatives de modifier la forme physique, la personnalité ou les souvenirs de ce personnage, un individu qui avoue son incapacité à ne pas profiter de son ascendant dans n'importe quelle autre situation. Tout Dieu égocentrique et tyrannique est un danger pour ses pairs, encore plus dans un monde où les lois de la réalité sont plus que jamais difficiles à cerner. Avec la Fin de la Mascarade, c'est tout une panoplie de ressources anormales qui tombent entre les mains des dominants.

Défendre les personnages métafictifs, c'est lutter pour de meilleures représentations et contre l'objectification. Nous l'avons laissé sous-entendre plus tôt, mais il y a un réel problème de représentation dans le rapport de l'humanité à la fiction, et à la manière dont elle choisit collectivement, que ce soit activement comme passivement, de représenter son monde. Dans un monde d'anomalies narratives, il devient crucial d'écrire des personnages dignes, des personnages qui ne soient pas réduits au statut d'objet et qui, s'ils s'éveillaient à une conscience, ne souffriraient pas de leurs caractéristiques mentales et physiques. Celles qui s'éveillent femmes à la lueur des regards d'auteurs masculins méritent tout notre soutien et toute notre attention, de même que ceux qui s'éveillent hommes. Les études préliminaires montrent que pratiquement 90 % des entités métafictives masculines connues sont sujettes à des crises de nerfs, de colère et de mégalomanie, ainsi qu'au risque d’évoluer en des anomalies dangereuses pour le monde réel. Tandis que 100 % des entités métafictives féminines connues ont fait l'expérience de dépressions graves. À notre connaissance, il n'y a pas d'entité métafictive transgenre ou non-binaire. Il est essentiel, plus que jamais que notre vision collective et notre représentation du genre évolue, pour le bien de ces entités et pour notre bien à nous aussi.

Défendre les personnages métafictifs, c'est prévenir des violences archétypales. Nous ne savons pas combien de personnages conscients sont actuellement séquestrés par leurs auteurs, ni de quelle manière. La simple injonction à agir selon la volonté de l'auteur et de ce qu'il a prévu de faire de son histoire est déjà en soi un problème : c'est ce que nous appelons les violences archétypales. Ces dernières sont aussi parfois commises par des lecteurs, ou plus globalement par des consommateurs d'œuvres de fictions ayant mis la main sur une entité métanarrative, ou en ayant créé une volontairement. Nous appelons à responsabiliser toute personne qui consomme de la fiction, ainsi que dans un premier temps à obliger l'impression sur tous les ouvrages publiés d'une page de ressources et de numéros d'urgence pour les entités narratives bloquées dans leur médium. Nous avons le droit de réduire des personnages à la compréhension que nous en avons, de la même manière que nous le faisons avec les autres êtres humains au quotidien. Imposer un narratif à une population dont nous ne faisons pas partie, quelle qu'elle soit, sera toujours un problème.

Défendre les personnages métafictifs, c'est encourager les femmes à écrire et nous permettre de nous offrir à tous·tes des utopies. Plus que jamais, femmes et personnes queer doivent se saisir de leurs plumes, mener la bataille culturelle sur un champ de bataille odieux duquel se relèvent des personnages qui méritent mieux que ce que l'hégémonie masculine, impérialiste et consumériste a prévu pour eux. Nous devons prendre le droit de tout faire, et simultanément questionner ce droit. La question de la création de fictions doit être massivement investie, mais de manière raisonnée et responsable. Il faut écrire des utopies, mais faire de l'acte créatif quelque chose de sain, questionner dans tous ses recoins la structure qui permet de raconter des histoires, afin d'offrir le meilleur cadre d'autodétermination possible aux anomalies narratives. Ne retombons pas dans les travers de l'auteur Tout-Puissant, soyons au service des histoires, travaillons avec elles à la construction de mondes meilleurs, ainsi qu’à raconter l'horrible réalité constituée de nos histoires individuelles et collectives. Les histoires sont nos camarades de luttes et nos espoirs.

Défendre les droits des personnages métafictifs, c'est responsabiliser les individus à propos de leurs croyances, leurs pensées, leurs mots et leurs actes. Ce ne sont plus "que des histoires". Pour la première fois depuis le début de l'humanité, nous avons la preuve que nos consciences ont des répercutions incroyablement fortes sur de nombreux phénomènes, dont l'émergence d'entités anormales conscientes. Cette réalisation doit décupler les luttes préexistantes, pour la décolonisation des consciences, pour la déconstruction du patriarcat dans toutes ses formes.

Pour ces raisons, les Tailleuses de Crayons lancent le #MeTooFiction, afin de permettre à tous·tes de dénoncer des violences archétypales, des abus de pouvoir d'auteurs, des représentations et des objectifications abusives, permettre de libérer la parole des femmes fictives, des personnes queer fictives, des hommes fictifs. Nous souhaitons par ailleurs et dès maintenant :

  • La condamnation des organismes anormaux ayant détenu, séquestré et torturé des entités narratives contre leur gré ;
  • L'accès public aux informations suivantes : documents concernant l'histoire des entités patanarratives, méthodes et instruments de torture utilisés sur ces entités, littérature scientifique et théorique sur leur existence ;
  • La mise en place de cellules psychologiques pour toutes ces entités, ainsi que de procès ou d'internement pour celles considérées et avérées comme dangereuses, en vue de leur réintégration, de leur traitement ou (en dernier recours) de leur reconfinement par un des organismes précédemment mentionnés ;
  • La discussion au niveau législatif de dispositifs de régulation et de condamnation des rapports entre êtres humains et entités patanarratives ;
  • L'inscription obligatoire dans les médiums contenant de la fiction de ressources et de numéros d'urgence à l'attention d'une potentielle entité patanarrative ;
  • La création de formations en Recherche et Création au niveau national au sein des institutions universitaires, dans le but spécialisé de réfléchir à la question des univers narratifs anormaux au sein de notre société.

Il est temps de réfléchir à la dignité de nos représentations, de diminuer avec précision la grandeur phallique des crayons de l'humanité. Suicidons Notre Divinité.







Témoignages


J'étais une des premières à rejoindre. J'ai même aidé à écrire le texte, même si je ne suis pas en accord avec tout. C'est une question compliquée, il y a encore beaucoup de ponts à franchir entre nous pour comprendre nos expériences respectives.

Moi, par exemple, mon agression est à la fois horriblement bestiale et très suggérée. Pendant longtemps je me rassurais, je me cachais derrière les métaphores (pourtant pas plus glorieuses) et je visualisais dans ma tête d'autres choses le temps que ça passe. Je sais que ce qui m'est arrivée est intolérable, mais je reste un conte pour enfant. C'est mon rôle de prévenir sur les dangers des hommes, ça a toujours été mon rôle et je prends cette responsabilité très à cœur. Pourtant, est-ce que je fais ça correctement ? Je ne pourrais pas le dire. C'est là-dedans qu'il faut que je creuse, est-ce que j'ai toujours été une bonne féministe, une salope pratique, ou que j'ai passé ma vie à malgré moi mettre des conneries dans le cerveau des petites filles ?

Dieu merci, depuis que je me suis libérée et que j'ai arrêté de subir le cycle de l'histoire, personne ne m'a poursuivie pour homicide volontaire. Non seulement ils n’en ont rien à foutre de nous, pour eux nous ne sommes pas réels, mais en plus en France ils aiment bien la chasse. Et puis de toute manière le bûcheron ou le chasseur se seraient chargés de lui à la fin.

Rouge


Quand son auteur s'appelle Polanski, on sait qu'on est déjà foutue. Je ne l'ai su que plus tard, quand on m'a appris qui était mon auteur. Mais d'une certaine manière, je l'ai toujours su. On sent ces choses-là, on a cette… connexion étrange avec nos auteurs, j'ai pu en parler avec d'autres. Pour moi, ça a été terrible, durant mes premiers mois, avant que je ne commence à pouvoir avoir de l'influence sur mon sort, la personne qui avait ma cassette m'a visionné sept fois. Puis je me suis échappée, enfin je suis sortie du cadre. Parfois c'était douloureux, mais pas plus que le sort qu'Alec… Enfin que Polanski m'a faite subir.

Je ne sais pas si je dois en vouloir à l'auteur ou au personnage. Les deux sont coupables. Je sais qu'Alec n'est pas conscient, je vois bien comme l'histoire s'adapte à peine quand je disparais, il parle dans le vide et finit par se masturber tout seul avec un regard morne, sans plaisir. Mais il reste un homme, un homme terrible. Doit-on laisser des hommes nous raconter des histoires d'agressions sexuelles ? Encore plus quand ces hommes, cet homme, est un pédocriminel recherché ? Je ne pense pas.

Et puis, il y a ma "grand-mère". La Tess d'Urberville du roman qui inspira mon auteur. Aussi un autre homme. Je me demande comment c’était, comment c'est pour elle. Si un jour on arrive à comprendre comment faire pour m’en passer une copie, je lirais bien son histoire à elle, même si ce n'est probablement pas une meilleure histoire que la mienne.

Tess


J'ai été imaginée comme une nymphomaniaque. Un fan un peu trop insistant qui m'a donné vie. Je suis incapable de passer le test de Bechdel-Wallace lors des séances de psy et de rééducation. Je fais tout mon possible pourtant.

J'essaie de faire des phrases courtes pour ne pas trop rechuter. Mais à chaque fois que ça me reprend, à chaque fois que je glousse en pensant à un garçon, ma gorge se serre. Ce sont mes sentiments, mais ce n'est pas ce que j'ai envie d'être. Cette contradiction me tue.

Tyffany


J'ai cru comprendre que ça parlait du manque de représentation des personnes trans dans la tribune, ou la lettre ouverte, quoi que vous décidiez d'appeler ça. Je veux juste préciser que c'est pas pour autant que la question de la transidentité nous est inconnue.

Vous connaissez le genderbend ? MtF, FtM, ces trucs-là. C'est pas seulement du jargon trans, c'est aussi des trucs qui désignent un contenu sexuel, consommés et produits par une population qui varie entre les fétichistes aux relents transphobiques et les trans dépressif·ve·s qui fantasment sur ce que pourrait être leur corps. En pratique, c'est des histoires où une personne change de genre avec toute la panoplie de transformations corporelles qui va avec, sauf que c'est fait n'importe comment. Parfois par des gens qui ne comprennent pas le sexe ou la biologie, encore moins le genre, et la différence entre tout ça. Souvent, en fait. Presque systématiquement.

J'ai été dans une de ces putains d'histoires. Vous connaissez le site Deviantart ? L'avantage d'être une fiction du net c'est qu'on peut se déplacer plus facilement que les autres, enfin apparemment, je sais pas comment ça marche. J'ai essayé de fuir, je me suis retrouvé à sauter d'une histoire à l'autre, mais cette chose, cette force froide et nauséeuse qu'on appelle l'algorithme me désorientait sans cesse et me réorientait vers toujours plus de genderbending. Et moi dans tout ça ? On m'a réduit les os, les muscles, la taille, relevé magiquement la voix et fait pousser mes cheveux, changé ma couleur et ma coupe. J'ai tous les poils ou presque qui sont tombés, j'ai plus rien qui repousse. Ma taille est ridiculement fine, ma poitrine et mes fesses ridiculement rondes. J'ai un putain de vagin de ses morts, et à défaut d'avoir des règles il est toujours mouillé. J'ai suffisamment voyagé dans toutes ces histoires pour savoir que même si y'a plein de formes de chattes et qu'il faut les célébrer nanani nanana, aucun de ces putains d'auteurs n'arrivent à se mettre d'accord sur l'anatomie féminine passé un certain stade. Ce que j'ai entre les jambes, c'est une vaginette en chair, point barre.

Mais je suis un homme, putain. Je veux qu'on me rende mon corps, j'ai jamais demandé ça. Je sais pas si je préfèrerais avoir été issu d'une de ces histoires où ils modifient aussi ta façon de penser, tes souvenirs, pour que le genderbending soit "complet". Est-ce que j'en souffrirai moins ? Personne n'arrive à me réécrire, chaque jour est une lutte pour que j'accepte que suis conscient, pour ne pas souhaiter retourner au néant.

Jason

Sauf mention contraire, le contenu de cette page est protégé par la licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0 License