Rendre Portland Plus Étrange

Août 1970

Alors que l'Agent Josephine Creed s'asseyait sous un pin dans le Parc National Milo McIver en Oregon, elle vint à réaliser qu'elle détestait son affectation actuelle. Porter une tenue civile au cours d'une opération de terrain était une chose, mais la teinture, les pattes d'éléphant et les fleurs tressées dans ses cheveux lui donnaient envie de frapper quelqu'un. Puis de le frapper à nouveau. Elle soupira, puis regarda autour d'elle. Le festival de musique Vortex I suivait son cours partout autour d'elle, emplissant ses yeux et ses oreilles des images et des sons que la scène locale de rock and roll avait à offrir.

"Qu'est ce que je fous là, bordel ?" se demanda Creed.

Elle connaissait déjà la réponse. Près d'une année plus tôt, pendant Woodstock, plusieurs anartistes avaient causé de nombreuses perturbations. Des acides mélangés à un composant qui vous fait voir vos vies dans un univers parallèle à des savons qui fait luire votre peau dans des couleurs diverses aux motifs délavés, la totalité du festival était un ramassis complet de brèches du voile. Au moins trois émeutes avaient eu lieu durant les représentations, et dans un cas une scène entière était descendue en enfer, le groupe et tout le reste. C'était une bonne chose que l'utilisation de drogues soit généralisée ici, et que les drogues choisies affectent la mémoire, parce que suffisamment d'amnésiques avaient été administrés pour effacer la mémoire d'une petite ville. Cette fois-ci cependant, la Fondation était préparée au pire. Des dizaines d'agents de terrain comme elle étaient éparpillés sur le site, avec des sprays d'amnésiques et d'autres combines dans leurs manches pour étouffer toute activité anormale dès qu'ils en trouveraient.

Le son d'une frénésie d'applaudissement et d'acclamations sortit Creed de ses réflexions. Levant les yeux, elle regarda le Portland Zoo Electric Band finir son set et commencer à quitter la scène pour la prochaine représentation. Elle applaudit tièdement tout en balayant du regard la foule à la recherche d'un contact qui aurait dû la rencontrer une heure et demie plus tôt. Une sorte de hippie nommé Phineas. Il lui avait été dit qu'il avait les moyens de lui permettre de changer littéralement la manière dont elle voyait l'univers. Elle continuait de croiser les doigts pour une saisie légitime, et pas juste un autre colporteur de substances de Classe I programmées.

"C'est toi Cherry ?" La voix d'un homme vint de derrière Creed. Tournant la tête, elle vit un homme graisseux aux longs cheveux nattés la scrutant de l'autre côté de l'arbre. Bien que le reste de son corps soit sale, les dents visibles sous son rictus étaient immaculées.

"J'en déduis que tu es Phineas ?" demanda-t-elle.

"C'est moi." Il continua de sourire. "Marco dit que tu cherchais quelques fournitures spéciales pour améliorer ton expérience durant les concerts. Il dit que tu as passé son test."

"Évidemment," répondit Creed dans un sourire, et se mit sur ses pieds. "Bien que je ne savais pas que j'étais testée à cet instant."

"Personne ne le sait," gloussa Phineas. C'est ce qui le rend si palpitant. Enfin bref, tu es prête ?"

"Dès que tu le seras." Creed retourna une perle spécifique de son bracelet, envoyant au QG le signal qu'elle était au cours d'une saisie potentielle. Un petit tintement mental vint à l’arrière de sa tête quand le QG confirma la réception de son statut.

"Immédiatement." Phineas fit demi-tour et commença à s'éloigner de la foule. "Suis-moi."

"Attends, quoi ?" demanda Creed. "On doit partir ? Pourquoi ?"

"Cet endroit est infesté de Costards, ma sœur," commenta Phineas par-dessus son épaule. "Je ne suis pas suffisamment stupide pour apporter quoi que ce soit ici en grandes quantités quand Trois Ports est à un bond, un saut et un plongeon d'ici. Viens. Si on ne se dépêche pas tu n'auras pas ton traitement avant le prochain show. Tu en auras besoin."

Les deux se faufilèrent entre les différentes foules, un spectateur occasionnel faisant un signe de tête à Phineas quand ils passaient. Rapidement, ils arrivèrent au bord opposé de la clairière, Phineas les conduisant à un sapin de douglas. Il s'arrêta et hocha la tête avec satisfaction face à l'arbre, puis fit demi-tour vers Creed.

"Très bien Cherry," dit-il, "On y est. Passe devant, tourne cinq fois dans le sens des aiguilles d'une montre autour de ce bad boy puis frappe le tronc sept fois."

"Pourquoi…" Creed leva un sourcil confus.

"Tu ne sais vraiment pas, pas vrai ?" commenta Phineas dans un rictus. "Oh mec, ce sera ta première fois. T'es partie pour une invitation."

"De quoi tu parles ?"

"Tu vas voir," gloussa Phineas, faisant un geste du bras pour lui dire de continuer. "Vas-y. Fais le tournage et le frappage."

Creed haussa les épaules, soupira, puis commença à faire comme il lui avait été demandé. Aussitôt qu'elle eut achevé la septième frappe, elle sentit un vent se précipiter sur elle et sa vision vira au noir, suivi d'un blanc brillant. Creed cligna des yeux : elle se trouvait à présent face à une ombre tri-dimensionnelle de l'arbre. Le soleil estival avait été remplacé par des nuages gris et de la pluie. En reprenant son souffle, elle regarda autour d'elle pour voir qu'elle était dans un grand parc, entouré des bâtiments d'une grande ville. Il y eut un bruit mat et Phineas apparut à ses côtés.

"Bienvenue, ma sœur," dit-il dans un rire, "à Trois Portlands."

"Putain de merde…" fut tout ce que Creed parvint à répondre alors que sa tête oscillait pour se remettre du changement de cadre.

La ville elle-même était immense. Un mélange d'architecture de la côte ouest, de la côte est et européenne parsemait l'horizon, ponctué par les ombres de bâtiments de Portland qu'elle reconnaissait. Un crachin constant tombait d'un ciel encombré de nuages. Ce n'est qu'après un examen attentif qu'elle put voir que les gouttes de pluie elles-mêmes évoluaient en de nombreux motifs psychédéliques en tombant, donnant au ciel une robe de couleurs époustouflantes. Dans le parc où elle se tenait, des centaines de personnes s'étaient réunies autour d'estrades en bois où des hologrammes des différents shows du Vortex I étaient diffusés, certains n'ayant pas encore eu lieu, leur musique imprégnant le parc et la ville derrière. Malgré les multiples shows joués en même temps, leurs sons ne se mélangeaient pas. Tout ce qu'il fallait était se concentrer sur une chanson qu'on voulait entendre pour que le reste s'estompe de vos oreilles. Creed retourna une perle différente de son bracelet, une qui indiquait la découverte d'une anomalie majeure, mais ne reçut pas le tintement mental indiquant que le QG avait reçu son signal.

"Où on est bon sang ?"

"Comme je disais," répondit Phineas, "on est à Trois Portlands."

"Qu'est-ce qu'un Trois Portland bon sang ?"

"L'espace où Portland en Oregon, Portland dans le Maine, et l'île de Portland au Royaume-Uni se fondent en un tout magnifique," expliqua Phineas. "Pense à ça comme une sorte de… dimension alternative… Une cité existant à l'extérieur du monde banal. Une ville très reculée. Du coup, ce n'est pas tout le temps aussi bien aménagé. Ils ont vraiment mis le paquet pour le Vortex. Bon sang, t'aurais vu la fête qu'ils avaient mise en place pour Woodstock."

"Depuis combien de temps ça existe ?"

"Tu m'as eu." Phineas haussa les épaules. "Toujours, peut-être ?"

Creed fixa Phineas bouche bée. Elle avait tellement de questions, mais aucun mot ne remontait de sa gorge.

"Tu as besoin d'un peu de temps, je peux le voir." Phineas eut un rictus. "Mais ça ne te dérange pas si on prend ce temps en marchant ? Mon appartement est à, genre, trois blocs après la sortie du parc."

"Tu habites ici ?"

"C'est une ville… beaucoup de gens vivent ici. Tous types de gens en fait. Des artistes, des écrivains, des magiciens, des musiciens. Tu sais. Des gens cool. Sérieusement cependant, on devrait vraiment y aller…"

"B-bien… évidemment…" Creed fit un geste à Phineas pour qu'il montre le chemin. Sans perdre un instant, il la conduisit à l'extérieur du parc et dans la ville en elle-même. Malgré la distance du parc qui augmentait, le son de la musique du Vortex I résonnait comme s'ils étaient toujours aux premières loges.

Alors qu'ils traçaient tous deux leur chemin au travers des rues bondées de la ville, Creed se sentait de plus en plus comme du fretin dans un bassin de requins. Autour d'elle, des anartistes achetaient des fournitures ouvertement, la magie était utilisée librement, et les anahumains de toutes formes et tailles se baladaient. Le monde anormal inondait ses sens et elle craignait qu'ils ne détectent bientôt sa profession et ne s'effondrent sur elle comme une avalanche. Mais la catastrophe n'arriva jamais, et la seule chose avec laquelle Creed fut bombardée était le sourire occasionnel d'un passant, et les petits gloussements amusés de Phineas.

"Nous y sommes," dit finalement Phineas, s'arrêtant face à un grand bâtiment couvert d'une fine couche de mousse et de posters de concerts en alternance. "Home sweet home."

Creed fut conduite en haut de quelques marches dans un studio. À l'intérieur, la grande majorité de l'espacé était dominée par des établis recouverts d'un vaste amoncellement d'appareils mécaniques à moitié finis, et diverses sculptures et œuvres d'art. Des assiettes sales, des mugs de thé à moitié bus, des tomes poussiéreux, et une quantité impressionnante de disques vinyles remplissaient les espaces intermédiaires.

"Désolé pour le bazar," répondit Phineas en se dirigeant vers un des établis et commençant à creuser dans les piles de caleçons. Creed prit le temps d'étudier la ménagerie d'expositions artistiques, ses yeux se posant finalement sur ce qui ressemblait à une sorte de serpent mécanique.

"Attends…" Creed fronça les sourcils. "Je me rappelle avoir entendu parler de ces trucs. Genre deux personnes dehors à l'est les utilisaient en tant qu'animaux de compagnie. Ils les avaient achetés à quelqu'un appelé Tick Tock. Attends, c'est toi Tick Tock ?"

"En chair et en os," répondit Phineas, continuant de creuser dans les caleçons. "J'ai dû arrêter d'en fabriquer après que les Costards ont commencé à emmerder les gens pour les avoir. Bien que pour être honnête, c'était une saloperie à fabriquer. J'ai failli perdre quelques membres une fois ou deux. Aha !" Il sortit une petite pipette et la tint dans les airs.

"C'est ce pourquoi tu as déménagé ici ? Les Costards."

"Une raison, ouais." Phineas haussa les épaules. "Pour autant que je sache, les Costards ne connaissent pas cet endroit. Tu ne peux pas te faire choper pour suivre tes rêves ici. En plus, si je merde ici, les personnes normales ne seront pas blessées. C'est un bon plan selon moi."

Il lui tendit alors la pipette. Creed l'examina attentivement. Le verre brun foncé était étiqueté avec la photo d'une colombe, et semblait être rempli de sable.

"Il deviendra liquide quand tu utiliseras la pipette. Deux gouttes dans chaque œil. Tu verras chaque version possible de n'importe quelle représentation que tu regardes en même temps, eeeeeeeeet tu seras capable de les comprendre aussi. Dis juste le mot "Pied de Poule" à haute voix quand tu voudras que les effets s'arrêtent." Il eut alors un rictus, ses dents immaculés reflétant la lumière du studio. "Tu es partie pour un moment hallucinant. Crois-moi, c'est le meilleur moyen d'assister à un concert. Tu pourras entendre toutes les chansons."

Creed acquiesça et plaça la bouteille dans sa poche. Normalement à ce moment, elle dégainerait son arme et procéderait à l'arrestation, mais étant donné sa situation actuelle, cette action semblait peu judicieuse.

"Merci," dit-elle.

"Aucun problème, ma sœur," répliqua-t-il. "Mais tu ferais mieux d'y aller si tu veux arriver au prochain show. Tu peux sortir de la manière dont tu es rentrée. Frappe juste sept fois et puis cinq tours dans le sens inverse des aiguilles d'une montre autour de l'arbre."

"Tu ne viens pas ?"

"J'ai quelques trucs à attraper avec de revenir dans le monde réel. Tu t'en sortiras. Si t'as besoin d'aide, attrape quelqu'un dans le parc, il saura comment t'aider."

"Merci pour tout donc…" Creed acquiesça. "Cet endroit est plutôt reculé. Je vais, euh, probablement être de retour plus tôt que tard."

"Personne ne reste loin d'ici très longtemps. Profite du spectacle, Cherry."

Sans ajouter un mot, Creed se retrouva de retour dans les rues de la ville, la pluie psychédélique continuant de bruiner sur les têtes des passants occupés. Elle fit tout ce qu'elle pouvait faire pour éviter de courir vers la sortie. Ça allait être la plus grosse découverte de la Fondation depuis la Bibliothèque des Vagabonds. Elle resta calme et conserva son sang-froid en disparaissant dans le flux du trafic piéton, réémergeant au bord du parc. Là, un homme dans long manteau brun attendait son arrivée. Les yeux de Creed s'écarquillèrent alors qu'il souriait et lui adressait un signe de la tête.

"Heeeeeeeeey skipper," dit-il avant de commencer à mettre la main dans son manteau.

Creed n'attendit pas de voir ce qu'il allait en sortir, choisissant à la place de dégainer le pistolet dissimulé sur elle et de tirer avant de détaler dans la rue. Regardant au-dessus de son épaule, elle put voir qu'elle avait manqué son tir, et avait touché un arbre du parc, la foule du public du concert criant de confusion au son du tir de pistolet. L'homme au long manteau avait plongé sur le côté, et se remettait sur ses pieds pour partir en chasse après elle.

Elle zigzagua dans les rues bondées, prévoyant de faire le tour de l'autre côté du parc, puis foncer vers l'arbre qui contenait sa sortie. Alors qu'elle tournait au coin, un autre homme dans un manteau brun lui bondit dessus depuis un porche. Creed l'attrapa par le revers et, utilisant son élan contre lui, le retourna et le lança dans le chariot rempli de fleurs d'un vendeur dans une rue proche. Alors qu'il s'écrasait dans l'étal, les pétales de fleurs se transformèrent en colibris et s'envolèrent. Creed aurait fixé les petites créatures d'émerveillement, mais était trop occupé à courir plus loin dans la rue vers un tramway, le premier homme en long manteau derrière elle. Avec les derniers sursauts de vitesse, Creed attrapa la plateforme arrière du tramway, et se hissa à bord.

"Hey !" Le contrôleur lui cria dessus alors qu'elle jouait des coudes dans les voitures bondées. "Hey vous avez besoin d'un ticket, vous ne pouvez pas juste saut-"

Creed pointa le canon de son pistolet sur lui et l'homme se tut, levant les mains en reddition.

"Profitez de votre visite…" dit il avec un sourire nerveux, et s'écarta du chemin de Creed alors qu'elle se dirigeait vers la voiture avant. Il y eut un bruit sourd à l'arrière quand un des hommes en long manteau sauta à bord.

"Ouvrez la porte," dit-elle à la conductrice, exhibant son arme.

"M'dame je ne peux pas faire ça tant qu'on est en mouvement," répondit la conductrice, ses yeux alternant entre l'arme de Creed et les rails devant elle. "Si vous attendez que je m'arrête, je serais contente de-"

Click. Creed releva le chien de son pistolet.

"Ouvrez la porte !"

La conductrice acquiesça et tira le levier. Creed sauta rapidement hors de la voiture, improvisant une roulade afin d'éviter les complications de son atterrissage. Elle fit un signe de la main à l'homme au long manteau alors que le tramway continuait de glisser sur ses rails. Se relevant, elle fit le dernier sprint vers l'ombre de l'arbre qui l'attendait dans le parc.

Dès qu'elle arriva au pin noir, elle frappa dessus avec sa main en des coups sourds, comptant à haute voix chaque choc.

Bang. "Un !"
Bang. "Deux !"
Bang. "Trois !"
Bang. "Quatre !"
Bang. "Cinq !"
Bang. "Six !"
Bang. "Sept !"

Elle commença alors à faire son circuit dans le sens antihoraire autour de l'arbre et avait à peine achevé son quatrième tour quand elle fut taclée par derrière et envoyée sur l'herbe humide du parc.

"Bon sang, skipper !" Une voix familière cria. "On est de ton côté !"

Un badge fut pressé contre son visage.

Agent Fredrick Gibson
Federal Bureau of Investigation
Unité des Incidents Inhabituels
Division de Trois Portlands

"U2I…" murmura Creed. "Vous vous fichez de moi ? Vous êtes l'U2I ?"

Elle commença alors à rire. L'homme l'aida à se remettre sur ses pieds, menottant ses bras dans son dos, alors que son partenaire arrivait et exhibait son badge à la foule du public de concert qui s'était rassemblée autour pour voir le spectacle.

"Agent Tobias Wood. U2I. Circulez," dit-il. Avec des murmures et des haussements d'épaules, la foule se dispersa rapidement.

"Aller. Allons dans un endroit un peu plus privé," dit l'Agent Gibson. Wood acquiesça, et rapidement, Creed se retrouva conduite dans une petite clairière loin des scènes, où une table de pique-nique déserte les attendait. Elle prit un siège et regarda ses deux nouveaux amis.

"Je dois avouer, trouver deux U2Inutiles ici est probablement la plus grande surprise de la journée," commenta Creed, brisant le silence.

"Vous allez arrêter de nous appeler comme ça ?" répliqua Wood dans un froncement de sourcils. "Pour commencer, on t'a chopé, maigrichonne."

"Très bien." Creed haussa les épaules. "Bref, depuis combien de temps vous connaissez cet endroit ?"

"Le gouvernement fédéral opère ici depuis l'ère Hoover," répliqua Wood. "Je dirais bienvenue à la fête, mais les filles ont déjà jailli du gâteau, et tout le monde a eu une part."

"C'est chou," dit Creed. "Et vous ne nous avez jamais parlé d'une potentielle brèche massive du Voile parce que… ?"

"On n'avait pas à le faire", répondit Gibson. "Le fait que la Fondation ne découvre que maintenant cet endroit devrait vous indiquer à quel point il est auto-confiné. Généralement, cet endroit fonctionne sous les règles de Vegas. Ce qui se passe à Trois Portlands reste à Trois Portlands."

"Donc, quoi, vous allez m'arrêter ?" Creed leva un sourcil, et fit un geste de la tête vers ses poignets toujours menottés. "Êtes-vous prêts pour les répercussions de ce type d'action ?"

"Pas arrêter, plutôt temporiser," ricana Wood. "Nous avons un protocole pour ce scénario précis établi depuis le milieu des années 60, quand le nombre de chariots et de canettes dans le Pacifique nord-ouest a commencé à augmenter. En ce moment, notre directeur est probablement au téléphone avec une de vos grosses huiles. Lui expliquant de quoi il en retourne."

"Oh, ils vont nous dire ce qu'il en retourne, n'est-ce pas ? Et pourquoi nous vous écouterions ?"

"Parce que si vous ne le faites pas, et traitez cet endroit comme vous le faites d'habitude, vous allez vous rendre le travail infiniment plus difficile," commenta Gibson.

"Je ne vous suis pas…"

"Vous êtes-vous déjà demandés pourquoi le Pacifique Nord-ouest est bien plus calme que d'autres sections des États-Unis en termes d'étrange et de mystérieux ?" soupira Gibson. "C'est parce que la majorité de cette activité est siphonnée ici. Pas besoin de risquer de faire de la magie et de la science folle dans le monde réel et de se retrouver skippé quand tu peux juste déménager dans un lieu où la pratique libre est légale et la norme. Si vous autres venez ici et tentez de confiner des trucs, toute cette activité se déversera en dehors à nouveau. Je vous le garantis. Vous ne ferez que rendre votre travail plus difficile."

L'agent Wood pressa deux doigts contre son oreille, puis regarda sa montre et tapota dessus. Gibson acquiesça et enleva les menottes de Creed. L'agent de la Fondation se massa les poignets en regardant les agents de l'U2I prendre congé.

"Enfin bref, suffisamment temporisé, le contact a été établi," lui cria Wood. "Profitez du reste du Vortex, d'accord skipper ? Essayez de choper la scène des Jacob's Ladder. Ils ne sont pas si mal."

Creed regarda Wood et Gibson s'évanouir dans la foule du parc. Elle soupira et se leva, se frayant un chemin jusqu'à l'ombre de l'arbre par lequel elle et Phineas étaient arrivés. Comme indiqué, elle toqua sept fois, puis fit cinq cercles dans le sens antihoraire. Elle sentit le vent se précipiter sur elle, et sa vision vira au blanc, puis sombra au noir.

Quand elle retrouva ses sens, elle se tenait sous le chaud soleil d'été, près du grand sapin de douglas dans le le Parc National Milo McIver. Ses collègues agents de terrain de la Fondation l'entouraient, chacun arborant une expression inquiète.

"Creed ? Que s'est-il passé ?" demanda l'Agent Stuart, enlevant ses lunettes roses en l'examinant à la recherche d'une blessure.

"Vous avez activé votre perle d'anomalie majeure. Est-ce que tout va bien ? Où est l'anomalie ?" questionna l'Agent Philips. Elle gardait une main sur son pulvérisateur d'amnésiques et un œil sur la foule.

"Vous avez complètement disparu ! Où étiez-vous partie bon sang ?" demanda l'Agent Ferrell. Sa tête oscillait de droite à gauche en regardant autour de l'arbre, comme si une grande découverte se cachait simplement derrière lui.

Elle leva un doigt en reprenant son souffle.

"Débriefing," parvint finalement à dire Creed. "J'ai besoin d'un débriefing. Maintenant !"


Novembre 1971

Les jours ensoleillés à Trois Portlands étaient rares et espacés. De la pluie qui se déverse aux simples nuages, le bleu pur du ciel devenait rarement visible pour les résidents de la ville. Plus rare encore cependant était le ciel qui s'éclaircissait au coucher du soleil, le soleil s'évanouissant dépeignant une toile vibrante de rouges, d'orange, de pourpres et de jaunes dans tout le ciel.

L'agent Josephine Creed était assise sur un banc du parc, regardant le soleil se coucher. Elle fredonnait un air pour elle-même quand un homme familier dans un long manteau brun s'assit à côté d'elle, tenant une mallette sur ses genoux.

"Agent Creed," dit-il en regardant lui aussi le ciel. "Bon retour à Portlands."

"Une personne que j'ai rencontrée lors de mon premier voyage ici disait que personne ne restait loin d'ici très longtemps," répondit Creed. "Contente de vous voir de nouveau aussi, Agent Gibson."

"Sages paroles." acquiesça Gibson en accord, ouvrant le couvercle sa mallette et regardant son contenu. "Donc vous autres allez finalement commencer à garder un œil sur le nord-ouest, hein ? Vous restez dans le coin pour un temps ?"

"Étant donné le risque que Trois Portlands se déverse en dehors dans le monde réel, nous avons estimé que c'était sage," dit Creed. "Vous l'avez apporté alors ?"

"Toutes les Voies cataloguées vers Trois Portlands, et où elles se connectent dans la réalité de base." Gibson lui tendit un livret non-marqué. "Si vous autres allez continuer à garder l’œil ouvert et faire en sorte que les bizarreries restent dans leur cage, cette information sera cruciale. Notez que nous ne vous dirons pas quelles sont les clefs. Vous n'avez pas besoin d'être capables d'ouvrir une porte pour voir qui y entre et qui en sort."

Creed acquiesça et plaça le livret dans son sac. Elle lui tendit ensuite une grande enveloppe scellée en retour. "Comme promis, cinq objets anormaux mineurs avec des propriétés anti-thaumaturgiques, l'un desquels s'avère être une figurine de Richard Nixon."

"Et elle fait quoi celle-là ?" demanda Gibson avec un gloussement en plaçant l'enveloppe dans sa mallette.

"Les thaumaturges en sa présence ne peuvent pas mentir."

"Habile."

"On dirait," dit Creed en riant avant de retourner son attention au coucher du soleil. "C'est amusant, Tom McCall a sponsorisé Vortex pour conduire les hippies à l'extérieur de Portland parce que Nixon allait assister à un rassemblement de la légion américaine. Puis Nixon finit par annuler son apparition. Si Nixon avait décidé de ne pas apparaître du tout dès le départ, le Vortex ne se serait pas déroulé, et nous n'aurions jamais découvert cet endroit. Donc, d'une certaine manière, vous pouvez blâmer le Président pour cette petite brèche."

"Tricky Dick récidive." Gibson rit également. Il plaça ensuite deux doigts sur son oreille et tapota sa montre. Il fronça les sourcils, puis se leva et se prépara à prendre congé. "Puisque vous et vos collègues allez probablement être ici pour un moment, je devrais vous donner un autre avertissement. Soyez prudente. Cet endroit s'accroche à vous. Vous ne voulez pas perdre contact avec la réalité parce que vous êtes perdue dans toutes ces merveilles."

"Vous êtes sérieux…" Creed leva un sourcil. "Wow…"

"Comme un cancer," répondit Gibson. Son sourire se transforma en grimace. "Trop de bonnes choses et tout ça part en jazz."

"Merci pour le conseil," dit Cred. "Il est apprécié."

"De rien," Gibson fit un petit salut. "Pas aussi U2Inutile après tout."

"Loin de là," gloussa Creed en regardant son contact disparaître.

Elle retourna son attention en direction du soleil couchant et prit une grande inspiration. L'odeur des sapins et du sel de mer emplit ses narines. Au loin, un groupe de personnes traversait le ciel sur des balais. À côté, deux jeunes hommes sympathiques faisaient un spectacle de magie pour un groupe d'enfants, des silhouettes fantastiques lumineuses et sonores dansaient autour pour l'amusement des petits. Une musique distante pouvait être entendue dans l'agitation des personnes de toutes sortes profitant de la lumière mourante.

"Je ne peux pas imaginer pourquoi quelqu'un voudrait rester ici," dit Creed à elle-même avec un léger sourire, puis commença son chemin de retour vers sa Voie. Elle devait revenir au nouveau site de la Fondation avec ses découvertes.

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