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“D-O-R-I-A-N : ᚛ᚇᚑᚏᚔᚐᚅ᚜”

Assis en tailleur, Fabrice vérifiait la graphie sur sa feuille, ses notes à la main. Luc, le chef de patrouille, lui lança un regard approbateur alors que Dorian, penché sur son épaule, peinait à cacher son excitation.

« Voila ! Ça s’écrit comme ça ! »

Des étoiles dans les yeux, le jeune aspirant n’arrivait pas à les décoller de la feuille.

« Alors, c’est mon nom en langage secret des scouts ?

— C’est pas un langage secret, c’est de l’ogham, un truc anglais.

— Pas anglais, gaélique, précisa Nicolas.

— Oui, mais personne ne le parle, en dehors des scouts, hein ?

— Même en dehors de la troupe, pour être honnête…

— Alors c’est un langage secret des scouts !

— C’est aujourd’hui que tu deviens un vrai castor, nobard ! »

C’était la règle. Chaque membre de la troupe devait, lors de son 3e raid, trouver le plus bel arbre possible et y graver son nom.

À peine Fabrice eut-il le temps d’arracher la feuille de son carnet que Dorian s’en empara pour partir courir dans la forêt, suivi par Pacôme.

« Je sais déjà lequel ! »

Luc jeta un coup d'œil amusé à son second, qui s’agaçait déjà de l’empressement du plus jeune en rangeant son stylo. Nicolas, aussi calme qu’à son habitude, attendait les deux plus vieux.

« Non mais je te jure…

— Comprend-le, il nous a tanné tout l’été avec ça, c’est le grand jour pour lui… »

Fabrice soupira. Il n'avait jamais compris l’engouement que certains de ses camarades pouvaient déployer à la tâche. Faut dire que contrairement à lui, eux avaient choisi de venir après tout. Il voulut lancer une pique, mais devant l'enthousiasme générale de la patrouille, il ravala finalement son aigreur. Inutile de gâcher l’ambiance.

Ils se mirent en route, suivant le cadet qui les faisait pourtant clairement retourner sur leurs pas. Au bout d’un moment, au loin, ils virent Pacôme, sur un rocher, qui leur faisait des grands gestes :

« Ici ! Ici ! On a trouvé ! »

Un grand noyer écrasait la patrouille de toute sa hauteur. Dorian, un grand sourire au lèvre, le montra du doigt.

« C’est lui que j'ai choisi !

— T’es sûr ?

— Oui !

— Pourquoi celui-là ?

— Parce qu’il est grand ! Et qu’il donne des noix, elles sont super bonnes ! »

Luc haussa les épaules. Ce n’était pas un si mauvais argumentaire.

« D’accord. »

Il sortit une petite hachette de son sac et la tendit au nobard.

« Tu te souviens de ce que je t’ai dit sur la sécurité, sur comment placer tes doigts ?

— Oui !

— Et tu sais que si tu te blesses, ça ne comptera pas, hein ?

— Oui ! »

Pendant quelques minutes, prudemment, Dorian gratta le bois pour y graver les symboles sur la feuille. Il avait choisi de l’écrire un peu plus haut, pour faire croire qu’il était plus grand, mais la position le dérangeait pour écrire. Il devait presque être sur la pointe des pieds.

Il finit par s’écarter du noyer et s’essuya le front, l’air satisfait, avant de contempler son œuvre.

Pacôme lançait un regard à Luc, qui lui indiqua son approbation. Celui-ci gonfla alors ses poumons et, laissant éclater sa joie, la laissa résonner, hurlant du plus fort qu’il pouvait le slogan de la patrouille.

« Castors, agiles et forts !

— Castors, agiles et forts !

— Castors, agiles et forts !

— Castors, agiles et forts !

— Castors, agiles et forts ! »

Le petit Dorian avait les larmes aux yeux, il était maintenant vraiment de la patrouille.

Alors que Pacôme et Nicolas se jetaient sur lui en grandes accolades, Luc sortit son téléphone, pour prendre l'œuvre en photo.

« Tu l’envoies à la maîtrise ? demanda Fabrice.

— Plus tard, j’ai pas de réseau, mais déjà, la photo. »

C’était une belle journée.



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