Prologue : In Principio Erat Verbum | In Memoria, Adytum
De Lovataar et du Trône
Je vais pour libérer le peuple.
Les mots de sa ŋäcämatse, son aimée. Ils étaient prononcés avec une telle détermination tranquille, alimentés par l'enfer enragé de sa colère et retenus par la force inarrêtable de sa volonté. Quand ils s'étaient assis l'un à côté de l'autre, toutes ces années, quand ils avaient parlé et débattu des jours durant, elle avait su dans dans son cœur qu'il avait raison.
Leur débat n'avait jamais porté sur qui avait raison. Si c'était de ça qu'ils avaient débattu, elle ne l'aurait jamais rejoint dans la poursuite de son rêve fou. Non, elle savait qu'il avait raison presque depuis le début. Au lieu de ça, ils avaient débattu des moyens par lesquels il pourrait accomplir sa vision.
Les Daeva avaient été un fléau pour la contrée. Leur cruauté et leur sadisme avait été insupportables dès le départ et la rapidité de leur chute témoigna de cette triste vérité. La réalité était que, pour que la terre refleurisse, pour que les gens survivent, les Daeva devaient tomber.
Lovataar surplombait seule le rempart, regardant la terre que Ion avait libérée, qu'il avait libérée. Où qu'il marche, la terre brûlait des feux de la révolution et les légions Daevites tombaient. Que ce soit par l'épée, le murmure ou la simple force de sa volonté, il avait mené les halkostänä à travers les terres des Daeva et les avait ramenés au peuple.
Maintenant, ici, dans la sainte ville d'Adí-üm, Ion avait mené les halkostänä au repos. Ici, il demeurerait quelques temps. Elle savait que ce ne serait pas pour toujours malgré les sages qui parlaient à voix basse du Kalmaktama, le sans-mort. Ça ne faisait pas partie du plan, ça ne faisait pas partie du futur que sa ŋäcämatse avait vu.
Une poussée de rage et de chagrin incontrôlables menaça de la saisir et elle tendit le bras pour poser la main sur la surface chaude du parapet. La forteresse-palais frémit à son contact, sentant d'une façon ou d'une autre la profondeur de son angoisse alors qu'elle s'élevait en elle. Elle pouvait sentir son désir de la réconforter, le grand léviathan lié à son cœur s'offrant pour la protéger et la servir.
Un léger soupir s'échappa de ses lèvres et elle caressa doucement le rempart, murmurant des mots apaisants au grand kiraak. Elle sentit son amour, la puissante conscience de sa raison d'être qui ondulait à travers sa surface alors qu'il retournait à son sommeil. Elle s'était laissée aller à ses rêveries et, si le palais avait senti son angoisse, d'autres l'avaient aussi pu.
"Il n'est pas encore l'heure du deuil, ma dame." La voix murmura des ombres qui s'étaient rassemblées près de l'entrée de son balcon et Lovataar leva les yeux pour voir Saarn en sortir et la saluer. Elle sourit à la petite fille et inclina la tête en signe de respect pour la tristesse qu'elle sentait résonner alentour.
"Je sais. Une partie de moi souhaite que je n'aie pas su, qu'il n'ait pas partagé cette partie de sa vision avec moi." Elle s'éloigna du bord et s'assit sur le banc que le palais avait formé pour elle. Saarn s'installa sur le sol à côté du banc, pliant ses jambes sous elle.
"Vous n'y auriez pas cru. Pas comme vous le faites. Il y a toujours un prix à payer, ma dame. Vous savez cela aussi bien que nous toutes."
Lovataar voulut contredire l'assassine. Son éclair naissant d'indignation à cette insinuation s'éteignit rapidement quand elle saisit le sous-texte autocritique des mots de l'autre femme. Elle s'interrompit un instant, rassemblant ses pensées, puis soupira en réponse.
"Bien sûr, tu as raison. Il y a toujours un prix. J'aimerais juste que…" Ses mots s'éteignirent alors qu'elle regardait les collines vallonnées qui s'étendaient autour du léviathan. Comment aurait-elle pu parler de son égoïsme à cette femme ? Comment aurait-elle pu exprimer la joie qu'elle avait ressentie en partageant l'espace avec son ŋäcämatse, en se partageant elle-même d'une manière que Saarn ne connaîtrait jamais ?
"Vous aimeriez avoir un moyen d'être avec lui, même quand vous restez ici et qu'il doit partir au combat."
Bien sûr qu'elle savait. Peu de choses échappaient à la petite espionne observatrice, et rien n'échappait à tous ses yeux et oreilles. C'était son talent, de voir tout et de savoir plus. Elle ferma les yeux et opina simplement, tentant en vain de cacher les larmes qui menaçaient de tomber.
"Il est encore temps. Les mekhanites ne font que commencer à planter les graines du doute dans les Kourites et ils doivent encore envoyer des hérauts à Kemet. La colère du peuple de cette terre ancienne est lente à se réveiller, mais…" L'assassine leva une main fine la paume vers le haut avant de la refermer en un poing. "Ils finiront par y arriver." Elle secoua la tête.
"Nous sommes l'anathème des fidèles de Mekhane. Je peux comprendre leur haine de la Chair. Mais je pense que c'est la magie maîtrisée par les fidèles de Ptah que Ion craint le plus." Elle secoua la tête et agita la main comme pour écarter le sujet.
"Vous ne vouliez pas parler de politique, ma dame. Désolée d'avoir interrompu votre rêverie de la sorte."
Ce fut au tour de Lovataar de secouer la tête. "Non, mon amie. Nous servons tous de la manière la plus adaptée pour nous. Je ne te tiendrais pas rancune pour la façon dont ce service se traduit. Tu as cherché à me réconforter et je l'apprécie."
Elle s'étira et se laissa aller en arrière sur le banc. "Et tu as raison. Il reste du temps."
1Il se trouvait en ces temps-là que la contrée était en paix. L'hôte des Ozi̮rmok avait pris une bonne part des terres des Daevites et nul ne lui tenait tête. 2Ion avait pris sa place à la cité d'Adytum et y demeurait pour une période de prospérité.
3Ce fut alors qu'une grande tristesse envahit la Klavigar Lovataar et elle alla voir Ion et l'implora de lui accorder une bénédiction. 4"Ne déchaîne pas ton ire sur tes ennemis. 5Suspends ta main et éteins ta juste flamme, car ce chemin mène à la souffrance et à la mort."
6Alors, le cœur de Ion pencha, car il tenait Lovataar en grande affection. Il s'agenouilla devant elle et la prit dans ses bras et lui murmura des mots de réconfort. 7Son cœur était tranquille et, bien qu'elle sanglotât pour la prophétie qui devait encore se réaliser, sa résolution s'était renforcée.
8Ce fut au cours de cette période qu'elle entreprit de confectionner un présent pour son seigneur. Trente jours et trente nuits durant elle s'activa dans la douleur, tirant de son sein un fauteuil forgé d'une beauté si exquise que tous ceux qui posaient leur regard dessus en étaient émerveillés.
9Ce fut alors que les Kalmaktama célébrèrent la fête de sukanta, dont Ion avait décrété qu'elle serait à l'anniversaire de sa libération du peuple. 10Ce fut au dixième et dernier jour du grand festin que Lovataar présenta à Ion le fruit de son labeur. Elle avait tiré la matière de sa chair et y avait ajouté en décoration le lapis-lazuli le plus fin du royaume de Kemet et le jade de la lointaine Zhongguo. 11Avec Saarn, elle avait tissé un doux coussin pour en orner la surface afin que Ion s'y trouve à l'aise, et elles l'avaient formé de leurs propres mèches de corbeau pour qu'il continue de vivre avec leur amour.
12Et Ion regarda le présent et son cœur pencha à nouveau, car il savait la grande souffrance que Lovataar avait endurée pour la création d'un tel objet. Il commanda aux convives du grand festin d'observer le silence, et leur parla de son amour. 13Ce fut alors qu'il décréta que le siège voyagerait avec lui où qu'il aille, pour toujours lui rappeler qu'il ne commandait que par l'amour de ceux qui étaient commandés.
- L'Apogée de Kalmaktama, 3:1-13; Valkzaron Solomonari