Je suis l’invité des dames de la mélasse.
Je peux mettre mes mains sur leurs cuisses nubiles et grasses. L’huile qui s’écoule de leurs pores fond ma chair en appeaux, et l’écho de leurs rires dans mes os fait un chant qui appelle les oiseaux. Ils se posent par dizaine sur les anses des tasses : alors, délicatement, les dames saisissent leur corps, le trempent dans le lait et en croquent la tête. Les gazouillis ne cessent pas pour autant.
Elles parlent des étoiles qui s’alignent en leur nom. Elles parlent de la sueur qui satine leur noble front. Parfois, l’une d’entre elles se penche par-dessus sa jatte, laissant couler de sa courbe généreuse quelques filets de mélasse et les choses qui y grouillent. Pour rehausser le goût. Elles boivent du thé et de l’encens : leur sang sans fer, anémié, sent bon les odeurs du café. C’est qu’elles se nourrissent de toutes formes de graines, ces créatures herbivores, de café ou de panacée, et aussi des graines qui poussent dans le ventre des mères. Je n’ai pas le droit de toucher aux petites mignonneries : chaque fois que je tends la main pour me saisir d’une friandise braillante, l’ombre d’une grande dame me réprimande comme un enfant. Je ne peux que boire, et boire est ce que je fais pour vivre.
Il n’y a pas d’eau sur la nappe échancrée, ça me manque, mais je n’ose pas réclamer. L’impolitesse n’a pas sa place à la table des dames suintantes, or mon âme désespère de jamais devoir quitter leur élégance mondaine. Au lieu de cela, je me désaltère avec ce que je peux, ce à quoi j’ai droit : la bousse du lait qu’on éclamousse, quelques gouttes d’acide qui pendent aux lèvres veinées, le pjus qui dégouline des lignes cicatrisées. Dans leur bonté immense, elles ne s’offensent pas lorsque je grimpe à même leur peau pour chercher la perle liquide qui comblera mon manque : je ne suis qu’un énième ver qui frétille dans leur mélasse.
Contrairement aux autres, mes mains et mes yeux m’aident à chercher la source de leur force de vie, l’endroit d’où s’écoule le nectar ocre et mielleux qui donne son nom aux dames de la mélasse. Bientôt, le sucre doux rongera mes orbites autant que mes muscles, et je serai un ver, à mon tour. Alors je fouille, je fouille, je plonge mes mains dans la gelée mauve et rosée, j’emplis mes poumons de lard à force de me noyer, dans l’espoir de trouver la fontaine d’abondance qui me permettra de vivre à leur grandeur, à leurs côtés. Je dois trouver la source.
Je ne trouve pas la source.
Je suis l’invithé des dames de la mélasse. Elles boivent mon essence et j’en suis fort ravi ; même si leur rencontre me mène aux confins de la folie.