Les Chiens De l'Apocalypse

J'ai toujours préféré les chiens aux êtres humains. Plus loyaux, plus logiques, plus intègres. Des bêtes, oui, mais de nobles bêtes. Elles le sont toutes à leur manière. La lionne tuerait pour ses petits, le poisson survit aux caprices des eaux, la mante religieuse règne sur son minuscule royaume fait de fleurs et de brins d'herbes, et les chiens… Les chiens pensent collectif. Les chiens ont une meute.

Les chiens tueraient pour elle.


1913, Bosnie-Herzégovine :

Il a vingt ans. Vingt ans seulement, comme la plupart des blanc becs que cette guerre féroce a amené en Bosnie-Herzégovine. Pourtant il ne reste pas avec les jeunes recrues. Il n'a pas cet air un peu paumé qu'affichent les bleus en permanence. C'est un homme qui a déjà réussi à se faire un nom dans le milieu des mercenaires. Un homme que l'on regarde avec curiosité, avec respect, avec crainte parfois.

On le dit élevé par les loups. On le dit à moitié sorcier. On le dit capable de réaliser des miracles sur les bêtes. On dit aussi qu'il ne serait pas tout à fait au clair dans sa tête. Qu'il aurait injecté à ses chiens une partie de son propre ADN, pour les rapprocher de lui, les rendre comme lui, membres de sa famille.

Sur le champ de bataille, sa meute arrache les membres de leurs ennemis comme si c'était des petits fours. Ils obéissent au doigt, à l'œil, au geste comme au mot, à l'instinct. Comme une machine bien huilée de crocs, de dents, de griffes et de muscles qui se jetterait sur vous pour vous déchiqueter en petit morceau.

Mais sur le chemin de retour au camp ? Leurs traits s'adoucissent, leurs yeux se font plus brillants, leur queue bat légèrement le rythme, leur pas se fait plus pressant. Comme s'ils avaient hâte d'être à la maison.

C'est complètement surréaliste de voir ces créatures cauchemardesques se jeter sur leur maître en couinant comme des nouveaux nés, jouant comme des chiots auprès de leur mère.


Ils sont tout ce que j'ai jamais eu. Tout ce que j'aurai jamais. Ce sont des amis, des frères et des sœurs.

Ce sont comme mes enfants.


1913, Bosnie-Herzégovine :

« Je vous en supplie. Ils sont tous ce que j'ai. Je vous en supplie. »

Le Maître des Bêtes est, chose surprenant, en train de supplier. Pas pour sa propre vie. Pas pour celle d'un de ses collègues.

Pour celle d'une de ses chiennes.

« Ta bestiole m'a arraché la main, répond la voix de l'autre côté de la barricade. En ce qui me concerne, elle peut crever la gueule ouverte. »

On le tire par l'épaule, légèrement. C'est une autre recrue. Avant de partir pour sauver son chien laissé sur le champ de bataille, le Maître des Bêtes a attrapé le premier bleu qui passait, comme renfort. Un type complètement vert et sans expérience, rouquin aux yeux bleus, très joli garçon.

« Il ne nous laissera pas passer, lui annonce ce dernier. On ne peut plus rien pour ton chien. C'est déjà un miracle qu'il ne nous arrose pas de balles à l'heure qu'il est. »

Sa voix est très haut perchée, encore jeune. Pourtant il a à peu près le même âge que le Maître des Bêtes, et son visage porte les marques d'une vie entière, qui contraste avec son apparence plus enfantine. Quand il parle, il sonne comme un enfant.

C'est peut-être ce qui motive le mercenaire en face à sortir la tête de sa cachette, pour les observer. Le Maître des Bêtes est confronté à un homme à la peau sombre, aux yeux sombres, aux cheveux sombres. Il reconnaît ces traits. Il les a déjà affrontés sur le champ de bataille.

L'homme hausse un sourcil :

« … Vous avez quel âge ? Vous paraissez… jeunes. »

Aucun des deux intéressés ne répond. Le Maître des Bêtes ne se sent pas bien.

« S'il vous plaît. Ces chiens sont ma seule famille, je ne peux pas… S'il vous plaît. »

Il pleure. Le Maître des Bêtes, l'homme le plus froid et distant qu'il soit, pleure comme un nourrisson pour récupérer sa chienne. Il a conscience des regards hébétés que lui lance l'homme de la barricade, ceux mal à l'aise de son compagnon. Il n'en a cure.
Tout ce qu'il veut, c'est récupérer son animal.

Un temps de silence passe. Puis le mercenaire d'en face lâche un long, long juron.

« Putain. J'ai l'impression d'avoir fait pleuré un gosse, peut-on l'entendre murmurer. »

Puis plus fort.

« Va chercher ton putain de chien. De toute façon, amoché comme il est, il ne pourra plus jamais poursuivre ni attaquer qui que ce soit. »

Le Maître des Bêtes marmonne des remerciements. Lui-même n'y croit pas. Son compagnon non plus.
Quelqu'un sur le champ de bataille a un cœur. Ils sont assez chanceux pour être dans le camp opposé.

Trois jours plus tard, sur le champ de bataille, les cinq bêtes encore en état de combattre du Maître se jettent sur leur prochaine cible. Elles le malmènent, le dévorent, le défigurent. Après quelques minutes de jeux, leur chef donne le signe qu'il faut laisser leur proie tranquille. Le Maître s'approche.

C'est amusant, quelque part. Il ne l'avait pas reconnu, pas avant que son corps ne soit défiguré et déchiré par ses chiens. C'est le mercenaire de la barricade, celui à qui il manquait une main.
C'était le mercenaire de la barricade. Et lui manque davantage qu'une simple main maintenant.

Comme par hasard, le regard du Maître oblique vers la gauche. Il y voit la recrue qui l'avait accompagné ce jour là, le seul homme vivant à l'avoir vu pleurer. Il peut lire dans ses yeux comme dans un livre. Lui aussi a reconnu le mercenaire de la barricade dans ce cadavre sans forme ni os que les bêtes laissent derrière elles.

« Si tu racontes quoi que ce soit sur moi et ce qu'il s'est passé la dernière fois, lui lance le Maître des Bêtes, tu subiras le même sort. »

Il ne cille pas. Il n'est pas impressionné. Pour bien montrer qu'il ne plaisante pas, le chef de meute appuie sa menace en lançant son nom au vent :

« N'oublie pas, Antaine. »

Avant de tourner les talons et de s'abandonner de nouveau à la fureur aveugle des combats.

Il a six chiens.
Ils sont sept dans la meute.


Mais même les liens familiaux peuvent s'effilocher et disparaître.

Même eux ne peuvent rien face à la mort.


1916, Sibérie :

Peut-être fut-ce le fruit d'une punition divine, d'une revanche orchestrée par un fantôme. La chienne qui avait arraché la main du mercenaire de la barricade partit la première.

On avait fait appel à ses services pour renverser le tsar, soutenir la révolution. Tant qu'il était payé, cela lui allait. Lui et ses chiens parcouraient les étendues glacées à la recherche des gardes et agents anormaux que le souverain russe dissimulait dans le froid sibérien.

Il ne se pardonnerait jamais d'avoir emmené l'infirme avec lui. De ne pas l'avoir laissée à la maison.

Une fois n'était pas coutume, la meute fuyait. Derrière eux, la tempête de neige grondait, les poursuivant à une vitesse qui n'était pas commune. Ce n'était pas tant le blizzard qu'il craignait. C'était ce qui s'y dissimulait.

Malgré tous ses efforts, la chienne boiteuse ne put tenir le rythme. Ses semblables filaient à la vitesse du vent, le Maître des Bêtes sur le dos de l'alpha, et elle traînait en arrière. Avec la distance, ses mouvements devenaient chaotiques, son souffle court, elle prenait du retard.

Le Maître hurla son nom dans le vide lorsqu'elle fut avalée par les volutes blanches et violemment agitées derrière eux. Il continua d'hurler son nom des jours plus tard, lorsqu'il ratissa toute la toundra à sa recherche.

Avalée par la tempête, il n'en trouva que la queue.

Ils furent cinq chiens à repartir avec le Maître.


1925, Tchécoslovaquie :

C'était un accident de travail. Cela aurait pu arriver à n'importe lequel de ses chiens, n'importe lequel des hommes présents ici. L'un des dangers du métier, c'était la mort. Tout le monde savait cela.

Ils étaient en infériorité numérique, technologique. Ceux d'en face avaient été pourvus de bien meilleures armes, avec lesquelles ses chiens ne pouvaient rivaliser. La retraite était la seule solution, tant pis pour la paye.

Lui, ses chiens et ses associés fuyaient sous les tirs goguenards des protecteurs de la forteresse qu'ils n'avaient pas réussi à prendre.

Une grenade à implosion atterrit sur leur flanc gauche. Un de ses chiens fut pris dans le champ de l'anomalie.

Au début, ce fut comme si l'on tentait de le compacter dans un tout petit espace. Puis le contre-coup frappa aussi vite que l'éclair.

La bouillie s'étala aux alentours sur un espace de plusieurs mètres. Le Maître des Bêtes en reçut sur le visage.

Quatre chiens survécurent à cette sombre défaite.


1936, Vatican :

Le Maître des Bêtes n'était pas un saint-homme, il n'était même pas religieux. Peut-être que cela l'aurait aidé pour cette mission, qui sait. Plusieurs animaux de compagnie en Italie avaient été placés sous le contrôle d'un ange déchu, et tuaient leur propriétaire.

S'il avait lu la Bible, peut-être aurait-il su que les démons savent s'insinuer partout, peu importe la protection, peu importe la grandeur d'âme.

L'un de ses chiens fut pris de folie. Ses yeux devinrent meurtriers. Il essaya de dévorer la meute, de dévorer le Maître. Hésitants à s'attaquer à l'un des leurs, les autres chiens ne firent que le repousser, le harceler.

Puis, après des heures de combat acharné, d'indécision, le Maître donna l'ordre, la mort dans l'âme.

La meute se jeta sur leur ancien compagnon et le mit en pièces. Même après avoir été ouvert, que ses intérieurs aient été exposés, la bête qui n'en était plus une continuait de vivre, uniquement animée par la fureur démoniaque d'une entité malfaisante.

Le Maître mit fin à ses jours en la plongeant dans de l'eau bénite. Alors ses soubresauts désordonnés cessèrent enfin.
Il pleura ce faisant.

Lorsqu'elle fut révélée au grand jour, l'entité fut anéantie de sa main, à coup de crucifix dans la figure.

Trois chiens quittèrent les lieux sans que leur âme ne soit mise en danger.


1954, Groenland :

« Je refuse, affirma-t-il avec violence à la femme qui se tenait devant lui. »

Cette dernière plissa les yeux. Elle était grande, la mine sombre. Très pâle, très imposante. Dégageait une impression tenace, indicible, qui évoquait le danger, le prédateur, la mort.
Le Maître n'aimait pas que les gens soient plus grands que lui. Plus menaçants que lui.

« J'ai besoin d'un pisteur. Je viens de la part de Primordial. Tu leur dois encore de l'argent suite au fiasco de Djibouti. Je ne pense pas que tu aies le choix. »

Hématite ne vouvoyait que rarement les gens, généralement ceux qui lui déplaisaient. Il ne s'offusqua donc pas de son tutoiement. Mais sa demande l'enrageait.

« Je ne "prête" pas mes chiens. Nous sommes une meute. Nous allons tous ensemble, partout. Ou nous n'y allons pas.
– L'opération requière de la discrétion. Je ne demande qu'un chien. J'en prendrai autant soin que possible.
– Ils n'obéissent qu'à moi. Il faudra m'emmener. »

La mercenaire anormale regarda l'alpha de la meute. Ce dernier se mit à grogner, un son d'alarme provenant du fond de ses tripes.
Elle répondit par un grondement d'égale puissance, une abomination issue du fond des âges. L'animal n'insista pas.

« Il m'obéira. Si tu le lui fais comprendre. Je sais qu'ils ont de l'ADN humain. Ils sont plus intelligents que de simples chiens. »

Il dut abandonner. Elle partit avec l'une de ses chienne.

Il refusa de quitter le Groenland tant qu'elle ne rentra pas. Ce qu'elle fit après plusieurs semaines.
Seule.

Lorsqu'il vit sa silhouette revenir vers la côte, sans aucun compagnon canin à ses côtés, il sut que quelque chose était arrivé.

« Où est-elle ? »

Son expression était indéfinissable, impénétrable. Elle prit quelques secondes avant de répondre.

« Nous étions coincées sous terre. Aucun être vivant à proximité. Nous avions toutes les deux faim, nous étions toutes les deux désespérées. »

Un début de culpabilité se peignait sur ses traits. Malgré cela, elle se lécha le coin de la lèvre avec la langue. Le Maître put voir ses crocs d'hémovore briller.

« J'ai gagné. Je suis désolée. Mais j'ai gagné. »

Le Maître des Bêtes ne dit rien.
Il se contenta de tourner les talons, et de quitter le Groenland.

Plus que deux chiens sur le bateau du retour.


1961, Brésil :

Ils combattaient une enchanteresse, la Circé actuelle et son apprentie. Ses deux chiens essuyaient sortilège sur sortilège, mais le Maître avait été précautionneux, il les avait protégés avec grand soin. Circé fut égorgée proprement. Son apprentie, maintenant la nouvelle Circé, s'enfuit la queue entre les jambes. Il la laissa fuir. Le contrat ne la concernait pas. En outre, elle n'avait pas fait de mal à sa meute, il n'avait aucune raison de la poursuivre.

Pour le moment.

La malédiction frappa quelques jours plus tard. Pas lui, mais sa chienne, la dernière. Elle devint consumée par la faim, en permanence. Une faim insatiable, qui ne pouvait jamais se tarir. Elle se mit à dévorer tout ce qui passait à sa portée. Viande, vivante ou morte, vêtements, balles de fusil, revolvers, meubles.

Elle essaya de manger le Maître, l'Alpha. Sans y parvenir. Lorsque la crise était passée, elle se retranchait dans un coin, et geignait, de faim, de culpabilité. Elle quêtait les caresses du Maître. Il n'osait plus lui en donner. Il avait trop peur qu'elle n'essaye d'un coup de lui arracher les doigts pour s'en repaître.

Il n'avait pas le courage de l'abattre. Pas encore.

Un jour elle disparut dans la nature. Il se mit à sa recherche, et la trouva agonisante. Son ventre était plein à craquer. Elle souffrait d'une indigestion et d'empoisonnement. Mais elle avait encore faim.

Il lui colla une balle dans la tête. Elle partit immédiatement.

Le Maître et l'alpha restèrent seuls.


2014, France :

Ils sont restés si longtemps ensemble. Deux loups esseulés, s'acharnant à se maintenir l'un l'autre en vie. Le Maître des Bêtes a augmenté ses connaissances en génétique. Il expérimente depuis bien longtemps des traitements censés améliorer ses capacités, étendre la longévité de sa vie. Il fait de même avec son chien.

Aujourd'hui, le Maître des Bêtes a 100 ans. Son chien en a 95. Il a fondé sa propre entreprise de génétique, Modification B.E.S.T.I.A.L.E.S. Elle marche bien. Il n'a plus besoin d'être un mercenaire.

Quel dommage alors de se retrouver coincé entre deux feux.

L'Insurrection du Chaos a décidé d'attaquer l'un de ses sites, la Fondation n'a pas tardé à répliquer comme à chaque fois que se manifestaient leurs moutons noirs. Le Maître n'a peut-être plus pratiqué son art depuis longtemps, mais il reste un combattant dans l'âme. Ceux qui l'attaquent voient leurs têtes tomber.

Les agents de la Fondation sont nombreux aussi. Pas hostiles, mais agressifs. Quelque chose lui dit qu'ils ne le laisseront pas récupérer le contrôle de son infrastructure. Ou même partir.

Du mouvement sur la droite. Une flopée d'agents de l'Insurrection entrent dans la pièce, massacrant leurs ennemis, employés de la Fondation et du Maître confondus.

Et alors qu'il s'apprête à vendre chèrement sa vie, un miracle.
Sous la forme d'un chien blanc.

Le Maître des Bêtes a déjà entendu parler de cette légende. Un ancien chien de service qui reviendrait protéger les agents de la Fondation. Il voue beaucoup de respect à cette anomalie.

Encore plus maintenant qu'elle s'attaque aux envoyés de l'Insurrection.

Mais quelque chose ne va pas. Sur son flanc, il sent l'alpha se raidir, gronder. Il n'a pas le temps de le retenir.

Le chien bondit sur l'animal fantôme.

Le mercenaire ne peut rien faire d'autre que de le voir se faire proprement dépecer en légitime défense.

Et alors le Maître n'eut plus de meute.

Il ne prit pas le temps de pleurer sa perte. Son énergie, il la consacra à s'enfuir, à sortir du site. Il survécut aux agents de l'Insurrection. S'esquiva avant que ceux de la Fondation ne puisse lui "poser des questions". Il fila le long des routes, seul.

Mais pas les mains vides.

Il emmenait avec lui un unique récipient. Celui qui contenait la véritable raison d'être de son site attaqué, celui qui venait d'être détruit.

Quelques morceaux d'ADN.


Mes chiens étaient parfaits. La science, la génétique et l'anormalité m'ont permis de mettre au monde des êtres comme nous n'en verrons jamais plus. J'ai pourtant longtemps cherché à leur créer un équivalent. Toutes les bêtes du monde connu, et inconnu, je les ai étudiées, modifiées, remaniées, disséquées.

Toutes, sauf l'homme.

Je veux créer l'être parfait. Je veux faire de l'homme quelque chose de meilleur, plus noble, bestial. Lui enlever cette cruauté ingrate qui est la sienne.

Mais je ne suis rien sans une meute. Rien sans eux.
Je dois d'abord leur rendre la vie.


Hier, Royaume-Uni :

« Ils sont magnifiques. »

Les yeux du Maître des Bêtes brillaient comme ceux d'un enfant. Sa voix tremblait de joie. Il ne pouvait détacher son regard de ses créations.

Six canidés, six chiots, de l'autre côté de la vitre.

« Oui, se borna à répondre son ingénieure en chef. »

Elle les trouvait hideux.

Il sentit sa réserve. Tourna la tête dans sa direction.

« Vous savez que votre avis compte pour moi, Grâce. »

Elle prit le temps de choisir ses mots.

« Je sais que vous avez pour habitude de créer les bêtes vous étant chères avec une portion de votre propre ADN. Cela ne me dérange pas. Mais je pense que vous vous êtes trop… investis dans ce projet. Littéralement. »

Il ne répondit pas.

« Ils sont plus humains que chiens, insista-t-elle encore une fois. Plus vous que canidés. Mais ils en gardent l'apparence. Je crains que cela ne s'avère trop troublants pour eux, Monsieur.
– Mes chiens de l'apocalypse. »

Il n'avait probablement rien écouté. Ou plutôt, choisit de l'ignorer. Ses yeux se fixèrent sur le premier chiot. Une chienne de couleur crème, à l'exception de la queue qui était brune, comme si on l'avait collée au reste du corps. Ses yeux étaient d'un gris glacial, froid.

« Blizzard. »

Puis un animal noir, tressaillant et tremblant sans cesse, le corps moucheté de petites taches rousses, rouges.

« Flétrissure. »

Le troisième canidé était une boule d'énergie brune, en mouvement perpétuel. L'un de ses yeux, vairons, était de travers, comme s'il n'arrivait pas à suivre.

« Folie. »

La chienne suivante était dépourvue de poil, un animal rosé, dont les veines ressortaient sous la peau translucide. Une curiosité digne d'un savant fou. Elle était la plupart du temps inerte, immobile, observant, attendant.

« Famine. »

Le cinquième animal était aussi une femelle, quoique plus classique. Massive et imposante, elle ne cessait de montrer les crocs et de grogner sur tout le monde. C'était le chiot alpha pour le moment, qui mettait à terre ses frères et sœurs quand elle le voulait, et décidait de ce qui lui revenait et de ce qu'elle laissait aux autres.

« Avarice. »

Enfin, le dernier canidé, un mâle à la fourrure blanche et immaculée. Très semblable à un berger suisse, en plus grossier, plus menaçant.

« Fantôme. Mes chiens de l'apocalypse. Chacun conçu sur l'un des sites que j'ai créés. Tous miens. »

Grâce se taisait. Elle savait à quel point c'était un moment important pour le Maître des Bêtes.

« Ma meute, souffla-t-il doucement. »


Aujourd'hui, Royaume-Uni :

Les alarmes résonnent dans les couloirs. Le site est parcouru par des dizaines de pieds affolés, battant au rythme de la peur.

Le Maître des Bêtes arrive sur les lieux. Dans la salle d'examen, plus aucun chien ne demeure.

« Que s'est-il passé ? demanda-t-il d'une voix simple, et bouillonnante d'une rage, d'une panique contenues.
– Je vous avais dit qu'ils étaient trop humains, souffla Grâce. Trop intelligents. Trop vous. Nous les avons sous-estimés.
– Dites-moi qu'on peut les récupérer.
– Ils ont disparu dans la nature. Je suis navrée Monsieur. Mais nous les avons perdus. »

La nouvelle lui arracha un cri incontrôlé, à mi-chemin entre le sanglot et le cri de rage. Il balaya d'un mouvement tout ce qu'il y avait sur le bureau d'à côté.

Les chiens de l'apocalypse avaient été lâchés sur le monde.

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