À vous qui vouliez que d'autres puissent vivre en paix,
Et qui maintenant en paix reposez à votre tour,
Je dédie cette lettre, qui, je l'espère, sera lue, un jour.
Bientôt, je vous rejoindrai, mais avant cela, il me reste quelques choses à mettre en ordre.
Voici mon testament. Mon leg à l'Humanité. Ainsi que mon histoire.
Je ne suis pas quelqu'un de remarquable. Il fut même un temps où j'étais désigné par un numéro. Néanmoins, grâce à cette banalité, cette irrépressible tendance à me rapprocher de la norme, je fis la connaissance de personnes similaires. Ou plutôt, ils vinrent à ma rencontre. Ils étaient comme des magiciens : ils me montrèrent des choses dépassant tout bonnement la compréhension humaine. La plupart de ces choses étaient étranges, certaines merveilleuses, et d'autres tout bonnement terrifiantes. Avec eux, le monde prenait des airs de chapeau à lapins. Ils me présentèrent le rôle qu'ils jouaient dans ce grand spectacle : s'assurer que les lapins restent dans le chapeau, et que le chapeau reste bien vissé sur leur propre tête afin que le public ne puisse pas comprendre l'astuce derrière tous ces tours.
Faute de meilleure occupation, je me joignis à eux et obtint une place dans la troupe. Peu à peu, ce fut à mon tour de veiller sur tout ce monde. J'ai rejoint un monde caché, où l'on oeuvre dans l'ombre. Ordonner, prévoir, inventer, et, parfois, mentir, interdire, punir. Mais, au fur et à mesure que le temps passait, la magie s'estompait progressivement pour laisser la place à un vide, une routine pénible, une habitude désagréable. À quoi bon continuer à berner le public si personne ne voit la beauté de la supercherie ? Et surtout, dans quel but ? Mes confrères d'antan partirent un à un, et il me fallut, malheureusement, m'assurer qu'ils gardent bien le silence. Personne ne révèle le secret d'un tour. Au final, il ne resta que moi. Bien sûr, le spectacle ne s'arrête jamais, et les places vacantes furent rapidement remplies. Mais la question se posait toujours.
Ainsi, un jour, je me suis envolé dans la nuit pour voyager. Découvrir, aller plus loin. J'ai tout laissé et j'ai disparu dans la nature. Oh, bien sûr, au début, j'ai dû me cacher pour ne pas subir le même sort que mes prédécesseurs, mais une fois que l'on sait de quoi est fait le filet, il est plus aisé de passer entre ses mailles. C'est vers cette époque que j'ai réalisé à quel point le temps m'échappait. Alors j'ai couru comme jamais je n'avais couru. J'ai vécu plus que n'importe qui, vu tout ce qui valait la peine d'être admiré, fait tout ce qui pouvait l'être. Étrangement, lorsque, enfin, le temps m'a rattrapé, et que j'ai dû arrêter de courir, essoufflé, et que j'ai jeté un regard en arrière sur toutes ces années, je fus envahi par une joie tranquille. Enfin, je comprenais pourquoi. Enfin, j'avais trouvé la réponse. La vie valait la peine d'être vécue. Et quelqu'un se devait de la protéger.
Alors je n'aspirai plus qu'à une chose : vivre calmement mes dernières années, loin de tout et de tous, en paix. Toute ma vie ne m'avait finalement servi qu'à m'assagir petit à petit en vue de ce moment. Mais bien évidemment, l'inéluctable vint frapper à ma porte. J'y étais préparé ; on ne peut tricher et espérer s'en tirer sans conséquence, et encore moins rester caché indéfiniment de ceux à qui l'on a tout appris. Mais la vérité était tout autre.
Ceux qui se tenaient à ma porte, vous l'avez deviné, sont la raison pour laquelle j'écris cette lettre. À côté d'eux, tout ce que nous avions entrepris jusque-là paraissait dérisoire, comme un tour de cartes de gamins. Si nous étions des magiciens, ils étaient des artistes, se jouant du sens commun avec leur seule volonté. Le seul fait d'avoir réussi à cacher leur existence à nos yeux en est la preuve. Ils me parlèrent longuement et je les écoutai. Ils me parlèrent de ce qui avait été, de ce qui était, et de ce qui pourrait être. Ils étaient convaincus, tout comme moi, que la paix était possible. J'appris qu'ils oeuvraient depuis des années dans ce but. Ils me présentèrent leur projet, et, une fois l'information assimilée, l'idée me frappa comme une évidence. Ironiquement, être capable de plier la réalité en origami n'est apparemment pas suffisant pour créer la paix. En ce bas monde, j'ai vite appris que toute chose a son prix, et ils ne tardèrent pas à me le rappeler. Alors, ils me firent une proposition, et me laissèrent seul.
C'est pourquoi, maintenant que ma décision est prise, j'écris. Je vais honorer ma part du contrat, à eux d'honorer la leur, à présent. Il ne me reste plus beaucoup de temps, je vais aller à l'essentiel.
Voici, Mesdames et Messieurs, ma décision.
Maintenant qu'il est temps pour moi de partir pour toujours,
Laissez-moi vous présenter mon dernier tour.
Avec des alchimistes, j'ai passé un marché
Qui, dans un sens, me permettra de perdurer.
En effet, sachez que la paix est un mélange subtil,
Et qu'à sa création mon âme sera utile.
Je sacrifie jusqu'à ma propre existence, tout mon être.
Je m'en vais rejoindre mes maîtres.
Dans une ultime pirouette, un dernier poème,
Je quitte, sans regret, la vie que j'aime.
Mais revenons au sujet,
Je vous lègue la paix.
Pour ceux qui la recherchent vraiment,
Le chemin sera brillant.
Le havre de paix à tous sera ouvert,
Quelque part par-delà les mers.
La paix, un fruit auquel je n'ai pas goûté,
Je vous la laisse si vous la voulez.
Il est temps pour moi, je crois,
De m'arrêter là.