Lorsque pour la première fois mes yeux se posèrent sur ce tableau, je fus saisi d'une fascination à nulle autre pareille. Son aura mystérieuse, sa profondeur insaisissable et les symboliques qu'il recelait m'envoûtèrent instantanément. Contemplant l'œuvre, je ne pus m'empêcher de penser que Magritte était véritablement un génie.
Ce chef-d'œuvre vint à ma rencontre alors que je nettoyais le grenier d'une vieille amie chère à mes yeux. C'était une artiste plasticienne qui n'était autre que la fille d'André Breton. Lorsque je lui montrais ma trouvaille, elle pâlit et ferma brusquement les yeux.
Après quelques instants de silence, elle me mit en garde :
« Ce tableau maudit a été réalisé par Magritte pour René Crevel. Crevel l'a ensuite légué à mon père, peu avant sa mort. Mon père, troublé par un étrange malaise en sa présence, l'a longtemps caché où personne ne pourrait le trouver. Proche de ses derniers jours, il a décidé de me le confier, me faisant promettre de le cacher et de ne jamais le regarder. J'ai longtemps voulu le détruire, mais mon amour de l'art m'en empêche. »
Voulant s'en débarrasser et me considérant comme une personne digne de confiance, elle accepta de me le donner à condition que je promette de ne pas le regarder, de le mettre en lieu sûr ou de le détruire.
Je lui donnai ma parole et l'insérai dans la bâche qu'elle m'offrit. Nous continuâmes à discuter, évoquant tantôt des sujets artistiques, tantôt des préoccupations plus banales. Les minutes passèrent rapidement avant que je ne lui dise au revoir. Avant de partir, elle me prévint que si je succombais à la folie de rompre ma promesse, je ne devrai le regarder que quelques secondes et de loin. Enfin, elle m'assura que je pouvais l'appeler en cas de besoin.
Arrivé chez moi, je décidai de sortir le tableau de sa bâche pour l'accrocher au mur et l'observer en gardant en tête les consignes de mon amie. Hélas, je ne pus résister à la tentation d'examiner de plus près cette œuvre ensorcelante. Les minutes devinrent des heures, tandis que je me perdais dans ses détails. Bientôt, une sensation étrange m'envahit, comme si j'étais observé. Inquiet, je me retournai, mais il n'y avait personne.
Au fil des jours, je me surpris à converser avec les ombres au sol, à percevoir des murmures dans le silence de la nuit et à voir des yeux là où il n'y en avait pas. Le regard perçant du portrait semblait me suivre partout où je portais mon attention. Je passais des heures à scruter les détails du tableau, convaincu qu'il détenait des secrets qui m'étaient destinés.
Une nuit, une entité s'insinua dans mes songes. Cette apparition, sous l'aspect d'une ombre insaisissable, parée d'un chapeau et d'un long manteau, braquait sur moi ses prunelles incandescentes, d'un rouge terrifiant. Après une éternité de silence oppressant, cette entité, d’une voix qui semblait s'échapper des tréfonds des abysses, murmura ces mots lugubres :
« Mon enfant, tu es enchaîné par une malédiction. Ton âme est destinée à se perdre dans le labyrinthe tortueux de la folie. Bientôt, je serai ton maître, sauf si tu choisis de devenir mon peintre et de vendre les fruits de notre collaboration. Ainsi, tu resteras sous mon aile protectrice. »
Sa proposition éveilla en moi une sensation étrange, un appel que je sentais résonner avec mon âme d'artiste. Il y avait quelque chose dans cette requête qui me parlait, qui se connectait à une partie profonde et indicible de moi-même. N'ayant plus rien à perdre, j'accédai à sa requête, malgré mon manque de confiance envers cette chose.
Au premier rayon de l'aube, je m'immergeai dans l'œuvre, engendrant mes premières créations. Ayant eu une formation d'artiste peintre aux Beaux-Arts de Paris, ainsi qu'un cercle d'amis peuplé d'artistes, je n'eus aucun mal à trouver des acheteurs pour ces toiles, bien qu'elles fussent en rupture totale avec le style qui m'eut fait connaître dans le milieu de l'art, le Néo-futurisme.
Plusieurs lunes passèrent, cinq de mes réalisations se dispersèrent dans le monde, portant avec elles leur malédiction insidieuse. Alors que je m'attelais à un nouvel ouvrage, mon téléphone retentit. Au bout du fil, un collectionneur prêt à verser une somme astronomique, trois millions cinq cent mille euros, pour s'approprier une de mes toiles. La proposition était si alléchante que je n’hésitai pas une seconde à accepter.
Une fois le travail achevé, je le recontactai. Il m'informa que notre rencontre se tiendrait le jour même à quinze heures, dans un parking souterrain. Malgré le lieu de rendez-vous et la méthode de paiement inhabituels, il m'assura que pour une telle transaction, il préférait une rencontre loin des regards indiscrets qu'une telle somme d'argent pourrait attirer.
C'est naïvement que je pris ma voiture et me dirigeai vers l'adresse indiquée, menant à un parking en bordure d'une forêt située à 1 heure de chez moi, proche d'un petit patelin perdu en Taured, sans concevoir l'idée qu'il s'agissait d'un guet-apens. Une fois garé, j'envoyai un message au collectionneur et sortis de mon véhicule. C'est alors que je vis deux fourgons noirs s'approcher de moi à une vitesse affolante et freiner brusquement. En quelques secondes, une dizaine d'hommes vêtus de tenues entièrement noires, similaires à celles du GIGN et arborant un logo inconnu à mes yeux, m'encerclèrent, leurs armes sophistiquées pointées sur moi. Ils me sommèrent de lever les mains.
Je me laissai faire sans résistance, ils me menottèrent et me conduisirent à l'arrière d'un de leurs fourgons, en direction d'un lieu nommé « Site-██████ ». Là-bas, je fus interrogé par ces hommes qui se présentaient comme membres d'une organisation du nom de Fondation SCP.
Après m'être confié à eux, ils m'escortèrent vers une cellule. Les jours qui suivirent furent marqués par un délire croissant, des épisodes psychotiques qui se faisaient de plus en plus fréquents.
Depuis, j'ai été abandonné par l'entité. Depuis, une solitude étouffante a grandi en moi. Depuis, cette solitude est une tempête emportant tout sur son passage, ne laissant que l'essence nauséabonde de mon être.
Je suis enchaîné dans une danse macabre, le regard inquisiteur, omniprésent, me hante et me torture. Il est comme un spectre qui flotte autour de moi, sa présence est éthérée mais insistante. Ma conscience, cette flamme jadis ardente, semble se consumer, se dissoudre dans le néant.
Comme si cela ne suffisait pas, mes geôliers m'imposent une pratique cruelle, ils me forcent à regarder et à décrire l'origine de ma douleur : le tableau. Il est comme un miroir, reflétant mes peurs, mes désirs, mon désespoir. Pourquoi m'exposent-ils à cette torture incessante ? Pourquoi me forcent-ils à contempler les abîmes du Pandémonium ? Les réponses à mes questions demeurent voilées dans le mystère. Je ne sais rien de ceux qui m'ont confiné et qui dictent ma vie dans cette prison. Cependant, je n'ai aucun doute sur leurs intentions : ils ne sont pas dignes de confiance.
Ce matin, une idée lumineuse a éclos en moi, un espoir ténu, risible mais tangible, qui s'étire au-delà du voile obscur de ma désolation. Je songe à reproduire le tableau, non avec de l'encre, mais avec mon propre sang. Ce geste sera une offrande, un don à l'entité qui m'a abandonné. Je crois, j'espère, que cette démarche attirera son attention. Je veux croire qu'il reviendra, qu'il brisera mes chaînes et me libérera de cet enfer.
Addendum :
SCP-099-02-B
a été découvert
sans vie dans sa
cellule, maculé d'hémoglobine,
en possession d'un
carnet et d'un
stylo, subtilisés
à un chercheur
de niveau 3 lors d'une
expérience avec SCP-099-02.
Il semble que SCP-099-02-B
ait lacéré les veines de son
avant-bras droit avec ses dents.
Au moment où SCP-099-02-B a
commencé à écrire dans le
carnet volé avec le stylo,
le système d’ouverture
de sa porte et les
caméras de sa cellule
se sont brusquement
coupés, empêchant toute
visibilité et accès à sa
zone de confinement. Le
courant est mystérieusement
revenu une heure plus tard.
Lorsque nos équipes médicales
sont entrées, elles ont découvert
que SCP-099-02-B ne donnait plus
aucun signe de vie. Sur le mur où
son cadavre reposait, une phrase écrite
avec son sang énonçait les mots suivants :
« L'Incantation du
Peintre Maudit
peut enfin être
menée à son terme. »