Le Pornographe

« Maître Rély, pouvez-vous répéter ?

– En vertu des faits énoncés et des documents présentés, j'affirme que la personne morale ici représentée par monsieur Martignan a constitué ces deux derniers mois sur ce vinyle un délit de maltraitance animale. »


Depuis l'ouverture de la Division, Arianne Rély n'avait que peu de réussites à son tableau. Au mieux, elle parvenait à limiter le pillage des trésors de la Fondation, mais malgré de nombreuses tentatives, jamais une anomalie n'avait fait le chemin inverse, jamais il n'avait été possible de ramener par des voies légales les créations à la Fondation. Elle s'était longuement interrogée sur la possibilité pour l'état français de légiférer sur ce domaine, d'ailleurs quelques jurisprudences commençaient à voir le jour. Cependant, aucune loi prescriptive n'avait encore pu être établie quant à la possession et l'utilisation des anomalies par des particuliers ou même par l'état. Et ce n'était pas faute d'essayer : la loi Ruffin avait tenté tant bien que mal de définir un cadre aux anomalies humanoïdes dans le domaine professionnel, sans succès franc si ce n'est l'ouverture d'une cellule spécialisée au Prud'hommes. Cependant, cela ne concernait que les individus ayant fait preuve d'anormalité après obtention d'un état civil, ce qui n'intéressait guère les pataphysiciens.

Elle essayait d'oublier le travail, posée dans le canapé. Un martini à la main, Arianne était rentrée chez son petit frère pour la fin de semaine, son appartement ayant subi un dégât des eaux. Mal rangé, pas assez lumineux, empli de vinyles, de cadavres de bouteilles et d'une odeur de tabac froid, le logement de Nathan Rély ressemblait exactement à ce qu'on aurait pu attendre d'un étudiant en musicologie. Bien que ce dernier avait accepté de limiter ses fêtes et soirées tant qu'il hébergeait sa sœur, il avait beaucoup de mal à adopter un comportement propice au travail et avait, sans doute par oubli, invité une amie à lui pour passer la soirée. Bon gré mal gré, l'avocate s'était retrouvée presque vingt ans en arrière, à boire des coups sur un canapé trop mou, exactement celui qui avait vu sa jeunesse à elle. Fort heureusement, Nathan avait de bien meilleurs goûts musicaux que ses amis de l'époque. Entendant le disque toucher à sa fin, l'étudiant se leva pour remplacer immédiatement la musique que diffusait une collection hétéroclite mais fonctionnelle d'amplis et d'enceintes.

« Un peu de Brassens, ça vous ira ? demanda Nathan en posant le disque noir sous le diamant.

– Tu sais déjà que j'aime beaucoup Brassens, enfin, c'est moi qui te l'ai fait découvrir ! renchérit sa sœur, entre amusement, exaspération et fatigue.

– Oui… oui oui ça me va, rétorqua la jeune invitée d'une voix timide.

– Tout va bien Isma ? questionna un Nathan un peu étonné.

– Aucun souci ! rétorqua la jeune maghrébine. Je suis juste dans mes pensées.

– Pas la peine d'avoir peur de ma sœur tu sais. Elle a beau être vieille elle ne-

– Nathan !

– Quoi ? C'est pas de ma faute si t'as quarante piges ! »

Pendant que les Rély se disputaient devant leur différence d'âge importante, Isma laissait son regard vagabonder dans l'appartement. Elle était déjà venue dans des endroits similaires pour des tournages, l'odeur lui rappelait celle des studios de ses patrons, mais c'était cette voix tristement familière qui sortait du vinyle, cette voix qui lui donnait des sueurs froides et lui rappelait l'odeur des hommes, les flashs, les cris…

« Et sinon Isma, que fais-tu dans la vie ? demanda Arianne dont l'altercation était finie depuis quelque temps. Tu es étudiante toi aussi ?

– Qu… Quoi ? répondit-elle, arrachée à ses pensées. Oh, oui ! Excusez-moi, j'étais ailleurs. Oui, totalement, je suis une camarade de master de Nathan.

– Enfin, tu étais… On te voit plus trop en cours, tout va bien ?

– Oh, oui ! Je suis encore les cours tu sais. Mais j'ai mon travail qui m'occupe pas mal ces temps-ci, je dois aider ma mère à s'occuper de la famille.

– Tu as un job étudiant Isma ? Où ça ? J'ai le fils d'un collègue qui travaille à McDonalds, il songe à revoir son contrat pour partir chez Ambrose Grand Public, la chaîne de fast-food, raconta Arianne d'un soupir. C'est usant de travailler pendant ses études.

– Non, ce n'est pas tout à fait ça… marmonna Isma en se tortillant sur le canapé, mal à l'aise.

– Allez, tu peux le dire à ma sœur tu sais. Elle est avocate, elle en voit passer des trucs. »

Visiblement incommodée, Isma n'osait plus regarder les deux adelphes dans les yeux. Après quelques secondes, comme pour briser la glace, Nathan lâcha :

« Elle vend des photos de charme sur Onlyfans. Mais je te jure que c'est une fille bien hein ! Ya pas de mal à-

– Je sais bien Nathan enfin, on n'est plus au Moyen Âge. C'était ça qui te gênait, Isma ?

– Pitié, on peut changer de disque ? Je… s'étrangla Isma.

– Pas de soucis, changeons de sujet, si ça te va mieux, coupa la quadragénaire.

– Mais non pas ça, la musique ! rétorqua la jolie maghrébine. J'en peux plus de Brassens, avec le- »

Se rendant compte de ce qu'elle venait d'échapper, Isma s'interrompit, une main sur la bouche. Elle se leva, comme pour partir.

« Avec le quoi ? demanda Nathan d'une voix inquiète en lui attrapant le bras. Tu as changé de métier ?

– Et bien, j'avais vraiment besoin d'argent, pour me payer mon tatouage sentient et puis pour rembourser des dettes de ma mère. En plus, Kader rentre lui aussi en école, les frais sont chers et… Bref, j'ai été contactée par des gens qui m'ont promis de l'argent.

– Comment ça ? fit Maître Rély, inquisitrice, les yeux plissés.

– Des gens, qui m'ont remarquée sur les réseaux. Ils m'ont dit qu'à mon âge, beaucoup de filles faisaient comme moi pour payer leurs études, mais que moi j'avais quelque chose de plus. On m'a parlé d'un emploi moins demandant, beaucoup plus payé, j'ai dit oui moi, je savais pas !

– Attends, c'est vraiment ce que je crois ? bégaya Nathan, interloqué.

– … Oui. J'ai tourné des scènes de cul. Sauf que je voulais pas que ma famille tombe dessus. Surtout mes petits frères, la plupart n'ont pas dix-huit ans mais traînent déjà partout sur Internet alors… Ils m'ont promis qu'un antimème ciblé sur ma famille avait été foutu dans le jingle au début, mais j'ai peur qu'ils l'enlèvent. Et puis, les tournages s'accumulent, je suis moins payée que promis…

– Très bien Isma, quand tu rentres chez toi, tu m'envoies ton contrat de travail, d'accord ? répliqua Arianne de son ton le plus rassurant. J'ai déjà eu à faire à des producteurs de porno véreux durant mes études, je peux t'aider. Tu saurais m'en dire plus ?

– Ce sont des marseillais qui m'ont contacté, le studio s'appelle "Caldeira". »

À ce mot, Maître Rély fut parcourue d'un frisson. Caldeira avait toujours eu un rapport très particulier au consentement, notamment du fait de leur pied gauche dans l'anormal et de leur pied droit dans le trafic sexuel. Cependant, quelque chose clochait.
Quel rapport avec Brassens ?

« Mais quel rapport avec Brassens ? demanda Nathan, comme lié en pensée à sa sœur.

– … Non, rien, aucun, éluda Isma d'un revers de la main.

– Voyons Isma, tenta de la rassurer le jeune homme, tu nous as déjà presque tout raconté. En plus, franchement, on t'a pas jugé !

– Non, mais… Enfin c'est trop bizarre ce qui se passe, céda finalement l'intéressée.

– De quoi ? fit l'avocate, qui ne touchait presque plus le canapé tant elle était penchée en avant d'intérêt.

– Et bien, pour plein de raisons, financières bien sûr mais aussi, créatives comme ils disent, on n'a pas de réalisateur sur place. À la place, on obéit tous à… à… »

La voix se brisa dans un mélange de rire et de sanglot, une absurdité cristallisée.

« On obéit à un vinyle de Georges Brassens qui nous dicte nos actions », lâcha-t-elle d'une traite, comme pour mieux le conjurer.


L'air était véritablement unique dans ce bureau. Embaumé de vieille colle et de papier, une légère odeur de renfermé et de pulls ancestraux, le tout plongé dans la fraîcheur caractéristique d'une grotte : les locaux de la Division des Droits d'Auteur avaient hérité de son passé pataphysicien et ressemblaient plus à une annexe de bibliothèque antique qu'à un bureau de Département. Poussant la porte d'un geste plus déterminé qu'à l'accoutumée, Arianne Rély faisait résonner ses talons sur le carrelage marron, interrompant seulement ce claquement régulier pour y substituer le grincement de la porte de bois, récupérée des anciens bureaux et simplement repeinte, une trace blanche à côté de "Droits" indiquant le peu de soin apporté à l'œuvre.

« Ici, le Droit c'est moi », se murmura-t-elle à elle-même comme pour se fortifier.

La soirée n'avait pas été de tout repos. De manière totalement impromptue, elle avait découvert une anomalie narrative d'un type tout particulier, sans doute Cervantes. Et il fallait faire vite : plus le temps traînait, plus les chances de voir cette dernière s'échapper augmentait. Enfin, qui aurait pu croire qu'on se serve d'un tel objet dans ce genre de circonstances ? Dans le couloir, Rély pensait à ce qui arriverait une fois l'anomalie retrouvée. Comment l'arracher à des mains quasi-mafieuses, d'une manière légale qui plus est ? Pas question d'envisager un vol ou même du chantage, la Division des Droits d'Auteurs en était proprement incapable.

« Oh oh oh ! lança de son air inimitable Pierre Ménard, toujours entre fatigue et sympathie. Vous me semblez bien active ce matin, qu'est-ce qui agite tant de papier dans votre bureau ?

– Hier soir en discutant avec une jeune étudiante, je suis tombée sur une anomalie narrative, raconta-t-elle en se penchant pour allumer son ordinateur, aspirant immédiatement l'attention du docteur. Au vu de son propriétaire, je vais sans doute devoir effacer plusieurs fois mon historique, mais il y a moyen de trouver un vice.

– Mais enfin, Maître Rély, racontez-moi donc ! fit l'universitaire en attrapant sa propre chaise pour la placer dans le bureau d'Arianne, excité comme une puce. Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qu'elle fait ? Où ? Comm-

– Calmez-vous, docteur. Je ne voudrais pas que vous me claquiez entre les doigts, surtout que l'anomalie risque de… enfin je ne sais pas si vous allez apprécier travailler dessus.

– Mais enfin, pourquoi tant de mystère ? s'éprit Ménard. Qu'est-ce que c'est que ces calembredaines ?

– Il s'agirait a priori d'un vinyle de Georges Brassens, expliqua-t-elle en tapant son mot de passe. Pas de contact direct, c'est au travers d'un témoignage que j'en ai entendu parler.

– Vous êtes certaine qu'il ne s'agit pas d'un effet mémétique ou d'autre chose contenu dans le tourne-disque, dans ce cas ?

– Certaine, au vu de son métier. Comment appelez-vous ces anomalies conscientes, déjà ?

– Cervantes, Maître, répondit du tac-au-tac le pataphysicien. Il s'agit de la Classe Cervantes. Mais dites m'en plus voyons, cesse de circonvolutions !

– Une gamine dans la promo de mon petit frère, qui doit payer ses études avec ce qu'elle a trouvé. Elle tourne des films pour adultes ; le réalisateur sur le tournoi n'est autre que Georges Brassens à travers un vinyle. »

Cela faisait beaucoup d'informations d'un coup pour Pierre Ménard, qui se rejeta dans le fond de sa chaise, une expression d'incrédulité lettrée sur le visage. Il ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, comme pour formuler une question. Un célèbre générique à la batterie, achevé de la sonorité d'un clic, l'extirpa brutalement de sa gage de pierre. Un autre agent passa même la tête par la porte, incrédule d'avoir bien entendu ce qu'il avait entendu.

« Oui, bon, je vais mettre un casque, ajouta Arianne Rély entre gène et exaspération en fouillant dans son sac.

– M… Madame Rély, qu'est-ce que vous faites ? bégaya un peu incrédule Pierre Ménard.

– J'ai récupéré les références des scènes auprès de ma source, et j'allais tenter de voir si l'on entend quelque chose. Vous aviez autre chose à proposer ?

– Et… et bien… Vous avez une idée plus précise de l'anomalie que "un vinyle de Brassens" ?

– Aucune, fit la jeune femme d'un signe de la tête. Pour autant, je ne pense pas que ma source puisse fournir plus d'informations, d'autant que ça n'a pas été évident pour elle.

– Alors il faudrait peut-être commencer par ça Arianne, fit une voix plus grasse depuis l'encadrure de la porte. Vous êtes peut-être une bonne avocate, mais la recherche d'anomalies ça n'est pas encore votre expertise !

– Alors que me conseillez-vous, monsieur Haddock ? répond d'un ton acerbe l'avocate.

– Tout d'abord, on cherche la forme non anormale, pour repérer la signature de l'œuvre. Que ce soit du style, des personnages, du grain, des intonations, une colorimétrie, toutes les œuvres de fiction ont au moins un élément caractéristique, du moins qui limite la recherche. Ensuite, on procède à partir de cet élément, mais ne mettons pas le sommaire avant les chapitres. Donc, vous disiez Georges Brassens, mmhh ? Connais très peu, je préfère le rock. Mais les anomalies narratives ne font jamais totalement n'importe quoi, surtout les Cervantes. Discographie ?

– Je sors ça, fit Rély en pianotant sur le clavier. Les copains d'abord, Gare au gorille, La non-demande en mariage-

– Titre intéressant. On note, continuez.

Supplique pour être enterré à la plage de Sète, La mauvaise réputation, articula plus fortement Arianne Rély avant de soupirer en voyant le dernier titre. Et, évidemment, Le Pornographe

– Bingo ! renchérit l'agent de la Force d'Intervention Narrative Delta-01, penché au-dessus de son directeur encore un peu étonné. Pardon pour la cendre, monsieur Ménard. Bien, maintenant il faut trouver une version vinyle, de préférence pas une compilation. Ce genre d'œuvre est moins sujette à l'anormal, plus stable.

– Je… Je dois avoir un exemplaire de la première édition du disque chez moi, balbutia Pierre Ménard en esquivant la cigarette de l'agent.

– Mais pourquoi ne l'avez-vous pas dit avant ? cria presque d'étonnement ce dernier.

– Parce que vous ne m'en avez pas donné le temps, agent Haddock ! rouspéta le directeur de la Division des Droits d'Auteur.

– Monsieur Ménard, y a-t-il moyen d'aller chercher ce disque ? De l'enregistrer ? pressa l'avocate, encore en effervescence de l'affaire.

– Tout de suite ? questionna le vieil universitaire, quelque peu interloqué.

– Oui tout de suite ! répondit du tac au tac Arianne. Venez, je vous accompagne. »

Les rues de Paris, recouvertes d'un léger filet d'eau dû à la pluie, avaient quelque chose de particulier. Particulièrement à la Villette, où la Division des Droits d'Auteur s'était installée, dans une cruelle ironie du sort, en face des locaux de la SACEM. En passant devant le Conservatoire National, la femme de loi ne put s'empêcher de penser à toutes les anomalies potentielles en son sein. Instruments sans joueur, partitions rebelles, litanies étranges aux propriétés mémétiques et autres concerto plieur de réalité, Arianne Rély était devenue en peu de temps une véritable agente de la Fondation, prête à chercher l'anormal dans chaque recoin, chaque histoire, chaque fait divers.

Enfin, pas tout à fait. Cette affaire le démontrait : elle n'avait pas encore les codes et les règles du métier. Arianne ne put retenir un regard vers le grand docteur à côté d'elle, essuyant les larmes de pluie sur ses carreaux. Depuis combien de temps était-il à la Fondation ? Comment, mais surtout pourquoi un individu tel que lui était-il devenu un des pataphysiciens les plus reconnus du monde ? Surtout à une époque où la pataphysique est une science proprement dissimulée, confinée derrière des murs et des étagères dans des Sites secrets ? Quel était le secret de Pierre Ménard ?

« À votre droite, Maître Rély, indiqua d'une voix claire mais sans dureté ce dernier.

– Oui ? répliqua-t-elle d'un air étonné, à peine extirpée de ses pensées.

– Nous prenons le métro pour se rendre chez moi.

– Ah ? Mais vous n'avez pas de voiture ? s'enquit l'avocate, incrédule.

– Dans Paris ? C'est folie que ceci ! ria légèrement Ménard de tout son haut. D'autant plus que quelle meilleure inspiration du vivant et de la créativité que l'inérrarable, le fantastique, le mythique réseau Métropolitain de la ville lumière ? Direction Place d'Italie. »

Arianne Rély n'était pas une vraie parisienne. Venue à la capitale pour ses études, elle y était restée avec son embauche à la Fondation SCP mais n'avait jamais réellement tenté de s'y intégrer. La foule, la taille, l'histoire de Paris l'avaient toujours écrasée et soufflé ses volontés de s'intégrer au titan francilien. Elle descendit machinalement les marches du métro et, tout en se rendant à la borne pour acheter un ticket, elle ne pouvait s'arrêter de penser à Isma. À travailler dans l'anormal, on en oublie souvent la cruauté du quotidien et du système dont elle était en marge. L'odeur des hommes. Cette expression lui revint en un frisson en passant les portiques, Pierre Ménard à sa droite.

Sur le quai, le métro était un peu étrange. Jaune, plus petit que d'habitude, les portes ouvertes. Cependant, Arianne ne prêta pas immédiatement attention à cette étrangeté, son attention absorbée par un groupe de quatre jeunes, en train de frotter les mosaïques sur le mur. D'abord juste étonnée, elle devint blême en voyant les formes et les couleurs se mouvoir, le mur devenir mou.

« Vite, vite, ils vont nous chopp- »

La fin de la phrase de la jeune fille fut dévorée par un hurlement d'acier monstrueux. Venue des rails, une gerbe d'étincelle éblouit tous les usagers sur le quai, dont certains se jetèrent à terre. Ménard émit un cri sec et plus aigu que sa voix habituelle que l'avocate n'aurait jamais deviné. Lorsque la lumière revint à la normale, un second wagon s'était presque écrasé dans le premier, une vingtaine d'agents de police lourdement équipés se jetant sur les quatre jeunes. L'un d'eux disparut dans le mur, mais les trois autres furent interceptés par l'arme terrible mais efficace du plaquage musclé contre le sol du métro.

« Gendastrerie Nationale, la station est fermée ! beugla un des hommes avec un très fort accent du Sud-Ouest. Bordel, Patrick, contacte la RATP, on a une fuite dimensionnelle entre Toulouse et Paris. Ah, et préviens aussi Tisséo qu'on a retrouvé leurs wagons. Vous pensiez vous échapper, hein ?

– Je… je crois qu'on va prendre un taxi, Maître Rély », fit le chercheur en pataphysique d'une voix blanche, alors que résonnait la voix de la RATP dans le tunnel.

En raison d'une incivilité à : Porte de Pantin, la ligne 5 est interrompue de : Hoche à : Bobigny - Pablo Picasso pour une durée indéterminée.


En montant les marches de l'appartement du directeur, Rély s'imaginait dans un appartement rempli de livres et de rouleaux, peu éclairé, à la décoration antique et à la prédominante de bois, entre parquet et bibliothèques assorties, un tableau de grande facture au-dessus de la cheminée. Elle s'attendait à tomber sur des piles de Codex anciens, des liseuses par dizaine, des thèses de littérature comparées empilées sur la table à manger et toute sortes d'appareils pour visionner et écouter à peu près tout.

La porte ne grinça pas, mais le parquet accompagna l'arrivée des deux individus d'un craquement subtil. À l'intérieur de l'appartement haussmannien, on comptait plus de bibliothèques que de lumière. Il était proprement rempli de livres et de rouleaux, au milieu de la décoration antique et des étagères de bois. Des thèses de littérature comparées s'empilaient sur la table basse tandis qu'une salle obscure se découvrait derrière un rideau, accueillant une demi-douzaine de projecteurs et une collection impressionnante de CD, vinyles, platines et lecteurs en tout genre. Arianne laissa échapper un soupir, entre contentement et désespoir.

« Voilà chez moi, fit presque jovial Ménard en tendant les bras en avant. J'ai tendance à amener un peu de travail à la maison, mais bon vous devez savoir ce que c'est que d'avoir une passion. Je vous sers un verre, Maître Rély ?

– Juste de l'eau, monsieur Ménard. Et au fait, vous pouvez m'appeler Arianne, ou du moins ne pas rendre le "Maître" systématique, ajouta-t-elle avec un peu de circonspection.

– J'y penserai, Maître Rély, renchérit d'un sourire sincère le vieil universitaire en se dirigeant vers la cuisine.

– Vous vivez seul ici, Ménard ? lança l'avocate à travers le couloir.

– Oh je ne dirais pas ça, pour autant il est vrai qu'aucun autre humain n'habite ces lieux, répondit-il sur un ton affable.

– Je vois… hésita Rély qui ne voyait pas du tout. Vous… sentez la présence de votre ex-femme, ou quelque chose comme ça ? ajouta-t-elle sur un ton qui trahissait son inquiétude.

– Ex ? Mais voyons, elle est toujours ici ! Tenez ça », fit le chercheur en donnant le plateau avec les boissons à Arianne.

Tout à coup, un doute l'envahit. Et si Pierre Ménard était dangereux ? Et si c'était un fou, qui avait tué sa femme et gardait son corps ? Et si sous son air affable se cachait en vérité un psychopathe, l'ayant attiré ici pour subir la même cho-

« Toujours dans ma table de chevet. Maître Rély, si vous ne la connaissez pas, je vous présente Nadja. »

Une vieille édition Gallimard du livre d'André Breton apparut sous les yeux de la dernière arrivée de la Division. Interloquée, elle comprit tout à coup et rougit immédiatement de honte en repensant à sa théorie farfelue issue d'un mauvais film d'horreur.

« Oh ! Pardon, je, je vois. Oui, évidemment, vous êtes…

– Même pas. Cet ouvrage est parfaitement non anormal. Non, j'ai trouvé l'amour dans les livres bien avant la Fondation. Ahaha, allez, allons nous installer, je ramène Nadja à sa place », conclut Pierre en se rendant compte de l'absurdité de la phrase pour quiconque d'autre que lui.

Le canapé était mou, mais confortable. Cette partie de l'appartement, mieux éclairée, ressemblait moins à la grotte d'un ermite et bien plus à un appartement de grand standing, la fenêtre ouverte sur la place de la Bastille laissant les bruits de la ville entrer dans le décor. Un verre d'eau fraîche à la main, elle observait le grand académicien dans son environnement naturel, au cœur de son antre.

« Alors Maître Rély, parlez-moi un peu de cette anomalie, demanda ce dernier en s'enfonçant un peu dans son siège. J'avoue ne pas avoir tout saisi, au bureau. Vous dites que c'est un Cervantes de Georges Brassens, occupant manifestement la position de pornographe ?

– Tout porte à le croire pour le moment, monsieur Ménard. Enfin, tout ce que j'ai…

– Cette affaire vous touche, n'est-ce pas ? C'est la première fois depuis votre arrivée que je vous vois aussi proactive, aussi à l'avenant, dans la précipitation même. Pourtant, nous laissons régulièrement échapper des anomalies sans presque pouvoir rien y faire. Alors, qu'est-ce qui est différent cette fois ?

– Et bien… répondit l'avocate en prenant une grande inspiration. Ce sont globalement trois points. Le premier repose sur ce qui donne son nom à notre Division. Georges Brassens est mort célibataire et sans enfants ; par conséquent, ses droits extra-patrimoniaux ne se sont pas transmis et ainsi aucun descendant peu scrupuleux ne peut venir réclamer le vinyle au nom d'une quelconque prétention, pas plus que les majors au vu de l'âge de l'objet. C'est une excellente nouvelle puisque nos efforts ne reviendront pas dans les mains d'autres. »

Elle fit une pause pour boire un peu d'eau, réorganisant ses raisons de mener pareille entreprise.

« La seconde, c'est leur propriétaire actuel. D'après nos informations, Caldeira est une franchise anormale du monde du sexe, née dans les années 90 à Marseille. Depuis la Corée du Nord, Caldeira a suinté dans toutes les couches du sexe mainstream, de la pornographie au trafic d'humains. Parce que oui c'est bien ce qui me permet d'espérer une faute de leur part : depuis leur début, Caldeira est très clairement une organisation mafieuse aux pratiques douteuses voire franchement illégales et à la moralité plus que grise. J'espère trouver un abus d'une quelconque sorte, et pourquoi pas créer une jurisprudence quant à cette affaire.

– Et la troisième, Maître Rély ? Vous avez mentionné trois raisons, est-ce tout ?

– Monsieur Ménard, vous lisez bien mieux dans les livres conscients que les humains, soupira Rély en finissant son verre. J'ai eu de la peine pour la jeune étudiante qui a démarré tout ça. Après tout, elle est dans une situation complexe et fort peu envieuse, dont je ne peux pas la tirer. Pour autant, je ne sais pas, c'est comme si j'avais l'impression de, de lui faire justice, enfin-

– Maître Rély, l'interrompit le chercheur, l'air plus grave que d'habitude, avant de se raviser. Allons enregistrer ce disque, si vous le voulez bien.


En tout, c'était pas moins de sept cent heures de vidéo dans lesquelles on pouvait, plus ou moins distinctement, entendre la voix du chanteur et le crépitement du vinyle. Le plus souvent couvert par la musique ou des sons plus hétéroclites, l'analyse spectrale était cependant sans appel. Si la performance était impressionnante, certains détails versaient carrément dans le glauque.

Le premier était sur la plage temporelle sur laquelle on entendait cette anomalie. En effet, le tout premier film ne remontait pas à plus de deux mois, soit une moyenne de plus de dix heures par jour d'enregistrement. Ce rythme proprement inhumain pouvait parfois se ressentir dans le ton las, plus lourd que dans l'original, de Brassens dans les quelques occurrences où l'on pouvait l'entendre. À ce sens, une citation n'avait pas échappé à l'équipe en pataphysique, qui avait distinctement entendu entre deux râles :

« De chanter autant l'amour je suis las
Quand donc cette machine s'arrêtera ? »

Autre détail intriguant : depuis deux mois, les productions Caldeira, que ce soit pour leurs studios ou de commande, réalisaient un taux d'engagement record. Des statistiques augmentées de près de quarante pour cent, ça ne s'explique que difficilement par un meilleur scénario, surtout dans un porno ! Quelque chose se cachait dans la voix ou les conseils de l'enregistrement conscient, c'était certain. Mais comment le récupérer ? Comment agir sur un plan légal ou interventionnel pour obtenir le disque ? Ils n'avaient même pas de quoi avoir une porte propre, comment convaincre une Fondation en crise de dépêcher une FIM pour un vol dans les locaux d'une mafia anormale, sans même savoir où il était ?

En plein dans sa relecture des jurisprudences de l'anormal, Arianne Rély fut soudain interrompue par une notification sur son téléphone. Une vidéo, d'un numéro inconnu. D'abord circonspecte, son visage se transforma lorsque l'appareil vibra une fois de plus, révélant sur son écran « C'est Isma ». Déverrouillant son téléphone, elle tomba nez-à-nez avec un homme bien trop dévêtu. Après un geste de répulsion initiale, elle suivit le zoom dans l'arrière-plan. Une sorte de gramophone trônait sur un tabouret, manifestement en pleine dispute avec un colosse de bien deux mètres aux biceps saillants. Des menaces fusaient des deux côtés, la moitié en vers chantés et l'autre quasiment aboyée. Après quelques secondes, le gorille criait une injonction de « se remettre au travail », un long soupir émanant de l'appareil. Puis plus rien, la vidéo était terminée. C'était enfin la porte d'entrée : un élément incriminant, une preuve, même en vidéo dissimulée, d'un abus à l'encontre de l'anomalie. La machinerie dans la tête de Rély avait enfin trouvé son dernier rouage. Pris d'une illumination, elle cria presque dans le couloir :

« Haddock ! On a encore le mail de M. Gaillard ?

– Le président de la Fondation Brigitte Bardot ? Ouais, je crois bien, pourquoi ? »


« Maître Rély ! Maître Rély ! Madame Rély un instant je vous prie ! »

Des flash partout, un brouhaha. Littéralement comprimée contre la portière de la voiture d'Arianne Rély, une horde de journalistes tendaient leur micro vers l'avocate comme en signe de mendicité de l'information. Les écartant d'un revers de la main, elle tenta tant bien que mal de se tailler un chemin pour atteindre le Palais de Justice de l'Île de la Cité.

« Maître Rély, en quelles mesures les révélations sur cette affaire vous contrarient-elles ? »

Imperturbable, elle continuait d'avancer.

« Que pensez-vous des réactions du ministre du Travail M. François Ruffin ? »

« Pourquoi les associations de défenses animales se sont-elles emparées de l'affaire ? Qu'avez-vous à ajouter sur les déclarations de Rémi Gaillard ? »

« Quelle va être selon vous la stratégie de votre opposant Philippe Martigan ? »

Comme elle l'avait appris il y a plusieurs années de cela, elle se refusa à répondre à ces charognards de la justice. Cette dernière se rendait dans les tribunaux, pas dans du papier vendu trop cher à des gogos. D'autant plus que la ligne de défense très originale de l'accusation, à savoir la Fondation Brigitte Bardot, nécessitait de ne laisser absolument aucune avances aux avocats de Caldeira. Enfin, de leur avocat, sur ce coup. Philippe Martignan, un petit homme rond aux doigts couverts de chevalières, était le visage de l'organisation depuis qu'elle s'était révélée au grand public. Usant de techniques proches des Yakuza, les vendeurs de luxure avaient réussi à s'imposer auprès de l'opinion publique comme un groupe certes tendancieux, mais légal et peu crapuleux. Évidemment, les liens d'intérêt entre leur PDG Silvia Santini et le Ministère de l'Intérieur avaient fini de sceller la place de la franchise marseillaise dans la société française, en dépit de liens douteux avec des trafics d'humanoïdes en Europe de l'Est.

Martignan était déjà dans le tribunal quand Arianne passa ses portes. Entouré d'une demi-douzaine d'agents de sécurité, il faisait résonner son accent phocéen aux micros ravis d'une seconde troupe de percepteurs de rumeurs, à qui il racontait de toute sa verve le caractère grotesque d'un tel procès. De son côté, Rély était bien seule à devoir porter cette affaire sur ses jambes. Elle prit une grande inspiration, puis sans jeter un seul regard à la crapule en hermine, pénétra dans la salle d'audience.

« Silence, silence ! Maître Martignan, désirez-vous déclarer quelque chose, en l'absence de représentant physique de votre client ? »

Martignan, un sourire mauvais aux lèvres, se leva pour déclamer sa plaidoirie, déployant tout l'arsenal de la mauvaise foi. Voyons, comment ça de la maltraitance animale ? Qui était la victime, exactement ? Un vinyle ? Mais avec quelles preuves ? Non, tout ceci était grotesque, une tentative d'un humoriste raté, devenu président d'une association sans pouvoir, de faire un dernier tour de piste pour vampiriser un peu plus d'attention publique. D'ailleurs, qui était cette Arianne Rély, dont une partie des activités étaient inconnues ? Décidément, un procès d'un ridicule à n'en pas douter.

À la question du juge sur si oui ou non le client de Philippe Martignan était bien en possession d'un vinyle anormal de Georges Brassens, le personnage se fit moins grandiloquent. Quelques circonvolutions, un peu de bafouillement, l'avocat cherche ses mots, puis finit par avouer que oui, un certain disque semble ne pas exactement respecter la partition écrite dessus initialement. Les images révélées à la presse ? Bon, il n'a pas vérifié si l'acteur au premier plan tournait effectivement pour son client. Cependant, non seulement ces documents ne constituaient pas une preuve, mais en plus cela était très peu probable de la part d'individus aussi moraux et respectables que Caldeira !

Les réponses du gros avocat au juge ne semblaient pas beaucoup convaincre l'assistance. Plus le temps passait, plus Martignan semblait s'embourber dans le déni des images qui avaient fait le tour de la France. Puis la parole passa à la partie civile.

« Merci, monsieur le juge, énonça Arianne d'une voix claire en se levant. Voyez, je tiens tout d'abord à rappeler les faits. Depuis exactement trente-six jours, de très nombreuses productions audiovisuelles impliquant un son similaire à celui d'un vinyle du Pornographe, par Georges Brasses, sont en ligne, en accès gratuit ou non. Après enquête, et comme vous pouvez le vérifier dans les documents transmis au dossier, le total de temps enregistré est de sept-cent-quatorze heures et vingt-deux minutes, soit une moyenne de plus de dix heures par jour. Évidemment, cela n'inclut pas – et ne peut pas inclure – le temps passé hors caméra par ce vinyle à tourner. Je n'ai pour le moment, bien entendu, prouvé ni la sentience du vinyle, ni son inconfort. »

Elle regarda Martignan dans les yeux, comme pour lui assurer la confiance qu'elle avait dans ses preuves.

« Cependant, Maître Martignan, il me semble que votre client souffre depuis deux mois qu'un grand turn-over n'est-ce pas ? À en croire les témoignages transmis au parquet, un élément perturbateur a fait renoncer certains acteurs et opérateurs sur les tournages. Je cite : "C'est terrifiant de travailler avec un tel objet, on croirait entendre parler un mort", "Je suis trop mal à l'aise, j'ai l'impression que mon grand-père me regarde baiser (sic)", "Ils passent tout le tournage à beugler sur le disque, pendant ses instructions il a fondu en larmes", je continue ? Manifestement, non seulement ce vinyle effectue ce que d'aucun qualifieraient d'un travail, mais en plus des cas de violence verbales, parfois physiques, sont réencensées par vos ex-collaborateurs. C'est un peu fâcheux, je ne le vous fait pas dire. D'autant que ce genre de pratiques, que ce soit l'utilisation à des fins lucratives d'animaux non enregistrés, les abus physiques et verbaux ainsi que le surmenage entre tous dans la qualification de la maltraitance animale.

– Maître Rély, interrompit le juge, j'ai peur de mal comprendre. Vous considérez que le droit animal s'applique à ce vinyle ? Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ? Il ne s'agit pas d'une entité vivante, ni humanoïde.

– Tout à fait votre honneur, acquiesça Arianne. Cependant, vous conviendrez de la sentience, si ce n'est de la conscience, du meuble considéré ?

– Tout à fait.

– Je vous remercie. Et bien, en vertu des jurisprudences présentées au début de l'année, et tout particulièrement l'affaire Michu, dans lequel ce même tribunal avait conclu à un cas de rétention illégale d'animal par la fourrière en dépit du fait que ce chat était cliniquement décédé et ne consistait plus qu'en ossements, bien que toujours capable de motion, le critère du vivant n'est pas recevable pour arbitrer ou non de la qualité d'animal anormal. Si je peux vous concéder un point, toutes les entités anormales jugées comme humanoïdes ou animales ont comme point commun d'être composés presque entièrement de matière organique. »

L'avocate prit un temps pour respirer, préparant son argument maître, mais également le plus capillotracté.

« Or, c'est bien ici tout le problème : nous parlons d'un vinyle. Composé obtenu à partir de pétrole, matière organique. Ce composé chimique, même après synthèse, est toujours étiqueté dans la catégorie des "composés organiques", bien qu'obtenu en partie grâce à du sel. Le fait que ces molécules soient issues d'une très ancienne dégradation est une question de degré avec le chat de madame Michu, pas de nature. En somme, j'affirme que, de part sa qualité de produit élaboré d'un cadavre, de sa sentience et de sa conscience, cette copie du Pornographe de Georges Brassens est soumise au droit des animaux.

– Maître Rély, pouvez-vous répéter ? »


Un véritable coup de tonnerre dans le droit français : le président de la FBB Rémi Gaillard se félicite d'une "grande victoire dans la protection animale anormale".

Le docteur Pierre Ménard baissa le journal à la Une racoleuse en entendant les talons sur le carrelage marron. Devant lui, une quadragénaire en tailleur, une pochette vinyle à la main, venait de pousser la porte d'un tout petit département de la Fondation SCP, installé en face des locaux de la SACEM. Elle souriait jusqu'aux oreilles, tenant la pochette sous son bras. Le timbre était encore sur le papier, on pouvait juste distinguer "Bardot" dépasser sous le tissu. Il savait parfaitement de quoi il en retournait et rendit son sourire à l'intéressée.

« Bien joué, Maître Rély, félicita Ménard en se levant. Vous l'avez mérité, ce Maître, cette fois. »

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