Le monde aura toujours besoin de héros

Les membres du conseil des O5 arboraient un air grave.
O5-1 regardait ses collègues avec un mélange d’espoir et de frustration. Frustration car elle savait qu’eux seuls étaient à l’origine de cette crise d’ampleur mondiale, mais d’espoir car elle savait aussi qu’eux seuls pouvaient trouver une solution.

Elle prit une grande inspiration et commença la réunion par un classique :

"Bien, je déclare la séance ouverte."

Alors que d’habitude cette phrase annonçait une conférence sans intérêt sur des sujets comme des budgets trop onéreux, une trop grosse consommation de classes-D ou encore des agents de sécurité qui décedaient à la chaîne, le thème de cette séance promettait d’être beaucoup plus… discursif.

"À l’ordre du jour, cette crise des omniums."

O5-8 se leva comme s’il avait été appelé et se mit à crier :

"Nous n’avons pas le choix ! Ce problème a pris trop d’ampleur ! Nous devons nous démasquer !"

L’assemblée fut prise d’un frisson. O5-8 ressortait souvent cette possibilité comme argument, menace ou solution à tous les problèmes. Alors que d’habitude ils lui riaient au nez, les membres du conseil des O5 se mettaient sérieusement à envisager cette possibilité. La situation ne leur avait jamais autant échappés.

"O5-8, calmez-vous. Nous allons d’abord exposer les faits, examiner la situation actuelle puis enfin nous aborderons les solutions.

— On les connait les faits. Pourquoi faut-il de nouveau les évoquer ? Passons directement à…

— Elles interviendront en troisième partie. Rasseyez-vous en attendant."

O5-8 s’affala sur sa chaise en grommelant. Sa jeunesse et son impulsivité étaient les bienvenues dans les décisions habituelles des O5, mais la situation était trop grave pour uniquement réagir sous l’égide de la colère ou de l’impatience.

"O5-12, à vous."

Le vieil homme la remercia d’un signe de tête et se leva en s’appuyant de tout son poids sur le bureau. Il se dirigea jusqu’à l’écran et d’un geste sur une télécommande, commença son diaporama :

"Notre ennemi est donc SCP-079. Il a été libéré il y a de cela quelques années. D’après les rapports, ce serait un enchaînement d’erreurs d’origine humaine et non-humaine. Le fait est que…

— Qu’elles étaient ces erreurs ? Que nous ne puissions pas les répéter."

C’était O5-10 qui avait parlé. Un grand gaillard chauve et d’une voix grave qu’on supposait d’origine russe. Cette question désarçonna O5-12 qui n’y était pas préparé :

"Eh bien… D’après certains membres… Il se peut que… Euh des tests mal sécurisés… Ou alors des gardes pas assez vigilants… Qui auraient alors laissez partir l’intelligence artificielle… Par clef USB ou disque dur… Certains pensent même qu’un groupe d’intérêt serait à l’origine de cette attaque qui a permis la fuite d’un de nos membres avec le SCP en question… Ou alors plusieurs, les pistes sont floues vous savez…

— Ça suffira, passez à la suite.

— Bien, alors…"

O5-10 avait la manie de poser les questions sur les points les plus obscurs des affaires. Souvent il mettait en valeur par ses interrogations des éléments qu’il fallait renforcer afin d’améliorer l’efficacité de certains domaines. Mais la plupart du temps, il mettait mal à l’aise ses interlocuteurs.

"Le fait est que malgré nos efforts, SCP-079 est arrivé à se connecter au réseau internet. Là, il lui a fallu peu de temps pour infecter presque tous les objets connectés de la planète. Mais heureusement, nous nous étions préparés à cette éventualité. Grâce au regretté docteur Herzik, nous avons réussi à développer un logiciel capable de détruire l’entité."

Au mot "détruire", le conseil frissonna. Leur devise était de Sécuriser, de Contenir et de Protéger. Et non de Détruire. Et pourtant, afin d'éviter une crise d’ampleur mondiale, ils avaient choisi la voie de la facilité en brisant leur principe.

"Et le logiciel a fonctionné. Nous l’avons répandu assez facilement sur tout le globe. Nous avons peu à peu éliminé toute trace de SCP-079. Enfin, un beau jour, nous avons cru qu’il avait enfin disparu."

Tous frémirent. Ils connaissaient tous cette histoire : ils y avaient tous joué un rôle.

"Car nous avons crié victoire trop tôt. Il restait des exemplaires de l’entité. Mais nous n’avions pas eu l’intelligence de chercher plus, de…

— Merci, mais passons à des faits plus récents.

— Bien. Il s’avère qu’au cours des derniers mois, l’intelligence artificielle, bien qu'affaiblie, a réussi à traverser les pare-feux de plusieurs grandes usines d’assemblage et de production de robots, les omniums. Elle prit le contrôle de ces bâtiments et se mit à produire des armes, des machines. Bref, une guerre s’est engagée. Guerre dont nous avons de grandes difficultés à en rester maître et discret.

— Merci beaucoup O5-12. La parole est dorénavant à O5-4."

L’intéressée se leva alors que le vieil homme lui passa la télécommande et alla se rasseoir. Cette personne de petite taille avec son tailleur gris et ses lunettes en acier élaborait des stratégies et des plans de nature titanesque, souvent bien trop compliqués à mettre en œuvre, mais tous étaient excellents.

"Alors la situation est claire : les omniums occupent des territoires situés là."

En cliquant sur un bouton, une carte s’afficha. Elle montrait les zones ravagées, les endroits occupés par les machines, les endroits où le conflit était intense, les nations qui réclamaient de l’aide, les lignes de front… Et ce sur les cinq continents.

Après un petit discours sur l’avancée fulgurante des machines, O5-4 revint à sa place. La situation était vraiment désespérée : les gouvernements menaçaient de couper les ravitaillements s’ils ne faisaient rien, les sites étaient détruits, ce qui provoquait des brèches de confinement à la chaîne, de nombreux agents mourraient sur le terrain, et les recrutements étaient de plus en plus difficiles. En bref, ils devaient trouver une solution aujourd’hui, ou le monde tel qu’ils le connaissaient ne serait plus.

Vint la question fatidique :

"Bien, alors qui a une idée ?"

Le silence qui suivit, bien que prévisible, insinua de la colère dans le cortège émotionnel déjà chargé que trainait O5-1.

"Aucune idée ? Rien de rien ?"

De nouveau le silence lui répondit. Elle se leva et se mit à crier sur ses collègues :

"Nous sommes les êtres les plus puissants de la planète ! Nous pouvons faire plier des gouvernements, stopper des dieux, enfermer des monstres, et arrêter des anomalies, mais nous ne pouvons pas gagner une guerre contre des robots ? Nous avons une armée, nous avons tous les peuples de la Terre avec nous, nous avons toute la technologie possible et pourtant, des tas de ferraille menacent l’équilibre mondial ? Qu’est-ce qui nous en empêche ?"

Pendant quelques secondes, ce fut de nouveau le silence. Puis une main timide se leva :

"Non, pas vous O5-8."

La main se rabaissa, puis une autre se dressa :

"O5-9, on ne vous a pas beaucoup entendu aujourd’hui. Comment envisagez-vous la solution ?

— Eh bien… C’est notre anonymat qui nous bloque. Nous ne pouvons pas sortir notre armée, ni fédérer tous les peuples et encore moins distribuer notre technologie sans que les gens ne se posent des questions. Et il faut penser à l’après. Que ferons-nous si nous gagnons mais que nous sommes démasqués ?"

O5-1 se rassit. Malgré le fait que la solution de O5-8 soit tentante, O5-9 avait raison : il fallait penser à l’après. Elle resta perdue dans ses pensées pendant quelques instants. Fallait-il se démasquer ou pas ?

"J’ai peut-être une solution à ce problème."

Tout le monde se retourna vers celui qui venait de parler : O5-5.

"Si on ne peut pas rassembler les populations sous une organisation trouble qu’est la nôtre, avec des dirigeants inconnus et des ordres peu nets, c’est qu’il faut que quelqu’un d’autre porte ce chapeau.

— Une organisation internationale ?

— Voilà.

— Aucun pays ne voudrait se rassembler sous une seule nation, et l’ONU, malgré le fait qu’elle soit internationale, n’est ni assez puissante, ni assez appréciée par les populations. Les gens n’ont pas envie d’être dirigés par des personnes qu’ils n’ont jamais vues et qui ne vont pas sur le terrain."

Cette allocution éteignit la seule étincelle d’espoir encore disponible. O5-1 pensa avec amertume que la Fondation, malgré sa puissance, était menottée. Quelqu’un dit :

"Nous avons besoin de héros."

Cette dernière phrase réveilla chez les membres du conseil des réactions différentes : certains écarquillèrent les yeux, d’autres le levèrent, d’autres encore se mirent à discuter avec enthousiasme sur ce projet. Ils la tenaient cette solution :

"Une organisation…

— Internationale !

— Effectivement, qui regrouperait le plus possible de gens, quels qu’ils soient.

— Les plus efficaces de la planète ! Toutes les nationalités représentées ! Des soldats, des scientifiques, des aventuriers, des marginaux !

— Les gens auront alors confiance en eux.

— Et nous leur passerons un peu de notre technologie.

— Ainsi que des stratégies pour les faire gagner !

— Ils maintiendront la paix à notre place, et seront responsables en cas d’erreur.

— La Fondation aura un vrai émissaire, et non pas une multitude d’entreprises façades dispersées dans le monde. Ce sera notre face publique."

Cette effusion d’idées fit plaisir à O5-1. Le Bureau de Surveillance des Individus Anormaux et le Département des Affaires Externes allaient avoir du travail pour trouver tous ces individus qui allaient incarner l’espoir de la population, même si quelques noms circulaient déjà. Ils avaient réussi, ils allaient fédérer tous les peuples et gagner cette guerre.

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