"Mais qu'est ce qu'on fout là putain ?
-Je sais pas, mais je sens qu'on va bientôt le découvrir."
La pièce où se trouvaient les deux hommes semblait se situer au sous-sol, comme en témoignait la légère humidité qui suintait des murs en béton. Une table où reposaient deux verres, une bouteille de bourbon allemand et un ordinateur portable, une troisième chaise ainsi qu'un néon pendouillant tristement du plafond constituaient en tout et pour tout l'ameublement de l'endroit.
Les deux hommes étaient assis et attachés sur deux chaises qui se tournaient le dos. En face de l'un d'eux se trouvait la seule issue de la salle, une petite porte en bois.
Un homme entra.
"Bien le bonjour, messieurs… ?"
Les deux prisonniers ne pipèrent mot.
"Ne vous sentez pas obligés de me révéler votre nom. On m'a toujours dit qu'il valait mieux se détacher le plus possible de ses… clients, mais voyez-vous, j'aime discuter et connaître vos noms me rendrait la tâche plus facile. Mais tant pis, je me contenterai de Monsieur et Jeune Homme."
L'homme qui parlait avait une cinquantaine d'années. Il avait des cheveux poivre et sel, des yeux pétillants, une peau glabre et un léger accent allemand.
Il grimaça. Il avait un horrible sourire carnassier.
"Que nous voulez-vous ? souffla le vieil homme d'une voix rauque.
-Ah, je vois que vous aussi avez des origines allemandes ! Je suis né dans le Land de Mecklembourg, mais j'ai toujours vécu en Autriche. J'ai toujours grand plaisir de converser avec l'un de mes compatriotes."
L'homme s'approcha de la table.
"Un verre de bourbon, Jeune Homme ? demanda-t-il tout en versant la boisson dans les deux verres. Je me permets de ne pas vous en servir, Monsieur. L'alcool est mauvais à votre âge, et puis je n'ai que deux verres. À votre santé !"
Il porta le verre à la bouche du Jeune Homme, afin que celui-ci boive une gorgée de l'alcool.
"C'est une vieille bouteille. Je la tiens de la cave de mon père. Il fabriquait d'assez bons alcools."
L'homme prit la chaise et s'installa sur le côté des deux prisonniers, de façon à ce qu'ils doivent tous les deux tourner la tête pour l'apercevoir.
"Je manque à toutes mes obligations. Je me prénomme M. Waltz. On me prête bien d'autres noms, mais je préfère éviter de vous les divulguer. Il ne sont ni très justes ni très flatteurs."
Il y eut un silence.
"Je comprends que vous puissiez vous demander pourquoi vous êtes retenus dans cette cave, sans que vous n'ayez rien demandé, et que vous puissiez plus encore vous demander ce que je fais ici. Voyez-vous, les gens m'emploient pour faire parler d'autres gens. C'est mon travail. Il est plutôt bien payé, et bien que je n'y prenne pas spécialement du plaisir, je suis plutôt doué là-dedans. Il me semble que vous êtes retenus par des sortes d'athées extrémistes qui pensent que vous n'existez pas. Je trouve cela assez ridicule qu'ils veuillent vous faire parler alors que vous n'existez pas, mais bon, je ne vous apprends rien sur le syndrome de Filbuson. Rappelez-moi, qu'êtes vous capables de faire de si extraordinaire ?"
Le Jeune Homme prit la parole en premier :
"Je… je suis capable de faire apparaître divers petits objets. Des épingles, des crayons, ce genre de choses.
-Moi, j-je peux modeler mes bras et mes jambes afin de les faire sensiblement grossir ou rétrécir, continua le vieil homme dans un soupir.
-Très impressionnant ! Vous vous êtes sans doute rendu compte que vous ne pouviez pas utiliser vos anormalités dans cette pièce. Elle est protégée par un bidule anormal, qu'ils ont retrouvé en Afrique du Nord. J'ai du mal à comprendre cette rhétorique qui consiste en même temps à récuser l'existence de l'anormalité et dans le même temps se protéger contre elle. Je suppose que c'est l'exacte définition de se voiler la face, comme vous dites chez vous."
Waltz se leva pour se placer devant le Jeune Homme.
"Hm, I think the truth drug is beginning to work, now. We're going to speak English, Young Man. The gentleman behind you doesn't speak English. You are going to tell me what you know about your group of anomalous friends. Everything. Where they live, where they meet. Who oversees you."1
Le garçon fondit en larmes.
"I, I don't kn-know what are you talking about, I…
-Come on. You have no choice.
-I-I don't w-want to !
-You can't resist.
-Everything is, gnnn, everything is in his left leg ! cria le Jeune Homme en s'effondrant."2
Le sourire du tortionnaire s'élargit. Il sortit un couteau de chasse de sa poche tout en s'approchant par derrière du vieil homme. D'un coup, il bondit sur sa jambe gauche et l'entailla profondément. Le vieil homme hurla.
Au milieu de l'enchevêtrement de sang, de tendons et de muscles, il aperçut une petite clé USB. Le sourire de Waltz continuait à s'élargir.
"Très intelligent. Enfin quelqu'un qui sait se servir de ses talents convenablement ! Heureusement que votre ami me l'a dit, je vous avoue ne pas y avoir pensé."
Il se dirigea vers la table, alluma l'ordinateur en veille et inséra la clé. Une liste de fichiers apparut. Des listes de noms, de lieux. Et au milieu de tout cela, quelque chose qui attira l'attention de M. Waltz. Un acronyme.
"Je vais garder ça pour moi, murmura-t-il."
Il se retourna vers ses deux prisonniers. Monsieur continuait de gémir tout en tentant vainement de calmer le flot de sang qui sortait de sa blessure. Le Jeune Homme pleurait doucement. Waltz se racla la gorge. Les deux homme le regardèrent.
Le sourire de M. Waltz continuait de s'élargir.
"Vous savez, je n'ai pas pour habitude de tuer dans des lieux sacrés, ni à un enterrement. Question de principes."
Son sourire avait maintenant atteint son point culminant, barrant d'une longue courbe la moitié de son visage.
"J'ai une mauvaise nouvelle pour vous. Nous ne sommes ni dans un lieu sacré, ni à un enterrement."