« Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : "Parce que c’était lui, parce que c’était moi". »
- Michel de Montaigne
Kalia Bertrand, une jeune femme de vingt-huit ans, des cheveux châtains mi-longs, des yeux d'un bleu profond, un teint clair et des lèvres timides, était étendue sur le gazon d'un parc, observant les étoiles dans la nuit noire. Seuls points étincelants parmi l'obscurité du lieu, à l'écart de toute urbanisation, l'instant paraissait magique. Rien ne vint troubler cette tranquillité.
Alors Kalia repensa à sa journée, habituelle pour un lundi. Elle avait rejoint ses collègues dans les laboratoires de la start-up, avait rangé quelques papiers avant de se mettre au travail. Elle y travaillait depuis déjà deux ans, après avoir terminé ses études. Elle s'y plaisait.
Un long soupir de joie vint se glisser dans ce silence. Puis, fermant les yeux, elle s'endormit. Elle savait qu'il n'était pas préférable de dormir ici, que son appartement était plus confortable, plus chaleureux et qu'elle aurait dû coucher là-bas. Mais rien n'y faisait, la beauté du lieu, la douceur du moment, tout concordait. Elle était heureuse.
*
Alison Gautier était allée à ces fêtes qu'organisaient les étudiants chaque soir ou presque. C'était une belle femme blonde, de vingt-six ans, en dernière année de doctorat en droit. Comme à son habitude, elle rejoignit le verre d'alcool le plus proche et s'empressa de consommer la boisson. Elle dansa avec quelques hommes, avant de se rappeler que le lendemain, elle devait se lever à huit heures.
Elle se dirigea alors vers la sortie avant que l'une de ses amies, une certaine Mathilde, ne l'interpelle :
"Tu viens jeudi à la soirée de Mathéo ? Il déménage ce week-end. Il organise ça chez lui comme fête d'adieux.
- Oui, avec plaisir, répondit Alison.
- Génial, je passerai te prendre en voiture devant chez toi vers dix-neuf heures. Bonne nuit, à jeudi."
Les deux femmes échangèrent un sourire d'amitié avant de se quitter pour la soirée. Le lendemain, les deux étudiantes se reverraient pour une conférence sur le droit international à la faculté à dix heures.
Alison rentra à son appartement, après quinze bonnes minutes de marche. Elle s'allongea sur son lit, songeant à cette soirée chez Mathéo. Puis elle repensa au lendemain, à la conférence, aux six heures de sommeil qui lui restaient avant de devoir se lever à nouveau, et à cette journée qui fut banale.
*
Kalia se réveilla sur la pelouse du parc, après une brève inspection des lieux, elle se remémora les événements de la veille, là où elle avait inconsciemment décidé de dormir. Elle laissa s'échapper un "Merde !" avant de se précipiter à son appartement, situé à quelques centaines de mètres de l'entrée du parc.
Elle se doucha, se prépara pour une nouvelle journée, enfila des affaires propres et songea une fois de plus aux étoiles de la veille. Elle brossait nerveusement ses cheveux lorsqu'elle regarda l'heure pour la première fois : 10 h.
Elle avait déjà trente minutes de retard sur ses horaires habituelles, et était encore chez elle. Il lui restait à prendre le tramway et à se rendre aux locaux de la start-up.
Quelques dizaines de minutes s'étaient écoulées, et Kalia était enfin arrivée sur les lieux, n'ayant pas échappé à quelques remarques désagréables de la part de ses collègues. Ils étaient cinq dans l'équipe de recherche. Ils travaillaient conjointement sur la recherche et le développement de pièces industrielles pour les accélérateurs de particules ; misant tout sur l'optimisation des composants afin de proposer d'ici quatre années une solution fructueuse.
Kalia était la tête pensante du groupe. Elle savait parfaitement tout ce qu'il fallait connaître sur la petite entreprise, mais aussi sur la physique quantique et l'ingénierie physique. Elle avait très largement contribué au progrès de cette start-up et comptait bien continuer ainsi. Sans elle, l'équipe n'était rien. À vrai dire, c'était son prototype qui intéressait toute l'équipe. Elle l'avait développé en une dizaine de mois et en était plus que fière.
C'est alors que M. Lucas, fondateur de la start-up, celui qui avait tout parié sur l'équipe, rejoignit le groupe. Il n'avait rien remarqué du retard de Kalia et s'approchait d'elle à pas rapides. L'interpelant :
"Bonjour Kalia, vous avez bien dormi ?"
Cette dernière n'eut le temps que d'acquiescer d'un mouvement de tête avant que son interlocuteur ne poursuive son monologue.
"J'aimerais vous parler dans le couloir, poursuivit-il, en indiquant la direction à prendre d'un geste bref.
- Dites-moi tout, répondit nerveusement la jeune femme.
- C'est un peu délicat… enchaîna l'homme d'une trentaine d'années. Mon jeune frère organise une fête pour son déménagement. Il m'a proposé de venir mais tous les autres invités sont accompagnés… sauf moi.
- Je vois. Vous voulez que je vienne avec vous ?
- À vrai dire, je n'ai pas beaucoup d'autres connaissances et vous êtes la meilleure de l'équipe de recherche. Alors cela me serait d'un grand honneur que de vous voir m'accompagner. Bien évidemment, en qualité de collègue. Ne nous y méprenons pas…"
Il avait prononcé cette dernière phrase d'un ton presque sarcastique, laissant deviner une arrière pensée malsaine. Ce qui concordait avec le scintillement dans ses yeux lorsqu'il observait la jeune doctorante.
Cela dit, cette dernière accepta naïvement l'invitation de son supérieur, avec un air de satisfaction ; sûrement celle d'avoir la chance de représenter tant d'espoir pour cet homme, celle de pouvoir prochainement sortir à une fête, rencontrer des personnes de son âge, et même peut-être d'avoir une aventure avec l'une d'elles. Le lendemain, elle irait acheter une robe noire - sa couleur favorite - puisqu'elle n'en avait encore jamais possédé.
*
Alison avait passé la matinée à écouter des conférenciers parler de droit international, de suffrage universel, de liberté d'expression, de justice, de peines de prison, d'histoire, et bien plus encore.
Après cette longue demi-journée, elle s'assit à une des chaises de la cafétéria de sa faculté. Feuilletant un livre sur le droit des femmes, elle savoura un repas froid, seule. Mathilde vint s'asseoir à la même table, avec un sandwich au thon à la main.
"Bon alors t'es prête pour jeudi ? Il y aura plein de beaux gosses alors mets ta plus belle robe.
- J'espère aussi qu'il y aura de belles filles.
- Ouais c'est vrai que t'aime bien aussi toi. Bah je pense, les mecs ne viennent pas seuls."
La discussion continua, à propos des hommes, à propos des femmes, à propos des robes, à propos des costumes et des smokings. Si bien que les deux femmes ne virent pas le temps passer, et ne s'aperçurent de l'heure qu'une fois la cafétéria vidée. Alison s'en alla, afin de poursuivre des recherches pour sa thèse à la bibliothèque. Quant à Mathilde, elle se rendit chez elle pour continuer à étudier seule.
Quelques heures plus tard, Alison rentra chez elle, épuisée après tant de recherches ; sans oublier l'heure de coucher de la veille. Elle se fit à manger un plat à réchauffer au four à micro-ondes puis lut son livre de chevet avant d'aller se coucher. Elle se voyait déjà porter sa robe rouge corail le soir de la fête, éblouissant tout le monde autour d'elle de sa beauté fatale. Elle repensa à Mathéo, qu'elle avait déjà vu il y a quelques années mais qui avait bifurqué dans une autre filière qu'elle après leur licence de droit. Mathilde elle, avait maintenu une relation avec lui, après avoir été en couple avec lui pendant près de deux années.
*
La veille de la fête, Kalia gribouillait pensivement sur son bloc-notes. Se disant qu'elle aurait pu faire les beaux-arts si elle avait été un peu plus douée, elle acheva sa création : un chaton au crayon à papier. Elle sortit de sa chambre, enfila un short et se rendit à son cours de tennis. Sur la route, elle repensa à sa discussion avec son patron. Aurait-elle dû prétexter une occupation ce jeudi soir ? Elle qui était si timide. Et était-ce une occasion pour M. Lucas de se rapprocher d'elle ? Elle n'avait pas envie de ce type de relation. Pas avec son patron.
Son cours de tennis lui permit de se vider les idées et de canaliser son énergie. À la suite de celui-ci, elle rentra prendre une douche puis mangea une salade. Enfin, elle alla se coucher. Le réveil indiquait déjà vingt heures. Finalement, elle avait changé d'avis, et se dit que ce ne pourrait qu'être bénéfique pour elle. Le lendemain, elle serait rayonnante à cette soirée. Elle serait une fille géniale, avec plein de ressources, dont un doctorat sur les équations de Navier-Stokes, six ans de pratique de tennis, un poste dans la start-up du frère de celui à qui on fête le départ et divers attributs physiques - bien qu'elle doutait toujours de ces derniers et ne misait que peu dessus.
En attendant cette opportunité de faire impression, non seulement à ces gens, mais surtout à son patron, elle lisait une revue de physique sur les particules quantiques. Elle aurait pu l'écrire elle-même, mais l'avouer aurait relevé d'une pure flatterie de l'ego. Elle savait de quoi elle était capable : fabriquer à la perfection des composants d'accélérateurs de particules. Cependant, la start-up ne lui offrait pas suffisamment de potentiel, de par le budget serré, le peu de matériel et de logiciels high-tech ; et surtout elle n'avait pas suffisamment de reconnaissance dans le domaine pour faire partie des "grands scientifiques". Cependant, elle avait tout à fait l'étoffe pour. Quoi qu'il en soit, elle reprit sa lecture.
Le sommeil la prit aux alentours de neuf heures, horaire raisonnable.
*
À quelques heures de la fête, Kalia recroisa M. Lucas, de son prénom Benoît, qui lui confirma l'heure de début. Terminant son travail en avance, elle se rendit à dix-neuf heures à son appartement. Elle enfila sa robe noire, se maquilla sommairement d'un mascara noir, et rouge à lèvre rouge bordeaux. Elle se coiffa d'une pince à cheveux et mit son plus beau collier, hérité de sa grand-mère maternelle. Elle repensa à sa famille, qu'elle avait quittée pour ses études puis qu'elle ne voyait que peu, étant éloignée de plusieurs centaines de kilomètres. Elle avait bien un téléphone, et eux de même mais le temps ainsi que la motivation lui manquait. Elle n'avait jamais vraiment apprécié ses parents. Non pas que ces derniers furent violents ou particulièrement désagréables, mais parce qu'ils avaient toujours été très protecteurs. Au point qu'elle n'eut le droit de côtoyer des personnes de son âge qu'à partir du lycée, et ce à raison d'une sortie par semaine. Elle n'avait jamais eu de relation amoureuse. Elle rêvait cependant étant petite de trouver son prince charmant, de l'épouser et de fonder une famille, mais avait changé d'objectif de vie depuis longtemps. Cette époque était révolue, et maintenant, seul son travail, et ses quelques collègues qui constituaient une forme d'amitié par défaut, comptait pour elle. Elle voulait "réussir sa vie" comme tout le monde, sans pour autant être madame tout le monde.
Une fois cette réflexion achevée, elle referma l'écrin du collier et l'attacha soigneusement. Elle se regarda admirativement dans le miroir, rit de sa propre beauté, se lançant à elle-même des regards séducteurs, puis enfila ses chaussures. Elle rejoignit bientôt M. Lucas qui était venu la chercher devant chez elle.
*
Mathilde et Alison arrivèrent devant l'immeuble dans lequel résidait leur ancien camarade de classe et ami. Elles étaient resplendissantes, dans des robes respectivement blanche et rouge, lesquelles étaient impeccables. Alison repassa un coup de rouge sur ses lèvres avant de pénétrer dans le bâtiment.
Mathilde l'accompagna devant la porte puis sonna. Celle-ci s'ouvrit sur un jeune homme de l'âge d'Alison, aux cheveux bruns courts et coiffés en épis. Un smoking impeccablement noir venait contraster avec la chemise blanche immaculée revêtue en haut. Un large sourire suivi d'un "Bienvenue les filles, entrez !" invita les deux amies à accéder à la fête.
Cette dernière se constituait de jeunes adultes âgés entre vingt et trente ans environ, dansant sur des musiques festives et buvant des boissons alcoolisées en tout genre.
Les deux amies restèrent côte à côte afin de trouver des connaissances. Discutant avec Mathéo, Alison rappela aux deux amis de bons souvenirs en licence de droit, et Mathilde raconta des détails croustillants sur sa relation avec Mathéo à sa meilleure amie. Les deux ex-amants s'étaient séparés à l'amiable, et ne regrettaient en rien cette relation. "Ça doit être mieux ainsi" pensa Alison, avant de rejoindre la table de la salle à manger sur laquelle étaient disposés les alcools. Mathilde avait tout de même apporté une tarte aux fraises à Mathéo, sorte de gage de leur amitié partagée, et formalité d'un invité à une fête.
Alison sirotait un cocktail de tequila et de grenadine improvisé à l'aide des bouteilles mises à disposition, quand la porte d'entrée s'ouvrit sur une silhouette noire, élégante, aux formes féminines sensuelles mais sobres. Alison ouvrait grand ses yeux sur l'entrée de cette femme qu'elle ne connaissait pas encore. La silhouette laissa place à une personne resplendissante, suivie d'un grand homme, portrait craché de Mathéo si ce n'était quelques années supplémentaires, que personne ne manqua de saluer. Il embrassa celui que l'on devinait être son frère, tapotant amicalement son dos en l'enlaçant de ses bras. La jeune femme le suivait timidement, avec cet air d'ange venu découvrir la Terre et ne connaissant pas ses us et coutumes. Elle rendait la bise à ceux qui lui tendaient leurs joues, se présentant à chaque convive. Puis elle approcha de la cuisine, et de la table à côté de laquelle se situait Alison.
*
Kalia s'avança lentement vers Alison, lui rendant son sourire amical. Elle engagea la conversation :
"Salut, moi c'est Kalia.
- Salut. Je m'appelle Alison. Je suis venue avec Mathilde, on connaît Mathéo depuis quelques années. Et toi, t'es venue avec son frère, c'est ça ? interrogea Alison.
- Euh, oui mais on est pas ensemble ! Enfin pas en couple… rétorqua Kalia, d'un air gêné.
- Oh OK pas de soucis. Bref, tu veux que je te serve un verre ? On a de la tequila, du rhum, du whiskey … lista Alison, montrant les bouteilles les unes à la suite des autres.
- Oh non t'inquiète pas, je vais me servir de l'eau ou du jus de fruit. Je ne bois pas d'alcool.
- T'as bien raison. Il y a des jours où j'aurais préféré ne jamais commencer, enchaîna Alison."
La conversation continua, allant des études en droit, de celles en physique, de la start-up de Benoît Lucas, de Mathilde et Mathéo en licence, du parc, de la ville, des personnes à la fête, puis enfin de l'amour.
"Et donc t'es célibataire, repris Alison.
- Faut croire que oui. Et toi, t'a un mec ?
- Pourquoi un mec et pas une fille ? C'est vrai ça, tout le monde pense que c'est normal un gars et une fille mais finalement ça change quoi que ce soit deux mecs ou deux filles ?
- Oui c'est vrai. Je n'ai jamais eu personne dans ma vie…
- C'est bien dommage, une aussi jolie femme que toi devrait avoir quelqu'un. Surtout si elle est aussi intéressante, agréable et gentille que toi."
Ces derniers mots avaient fait rougir Kalia. Un sentiment de bonne humeur la traversa. Enfin quelqu'un s'intéressait à elle, et lui faisait des compliments. Elle ne s'était jamais sentie aussi importante. Alison lui fit remarquer qu'elle rougissait, portant une caresse à son visage.
L'espace d'un instant, le temps semblait s'être arrêté. Kalia perdit son regard dans les yeux noirs profonds d'Alison, tandis que cette dernière abandonna sa vue au bleu infini des iris de Kalia.
Puis le temps reprit son cours. La fête était bientôt achevée. Les deux femmes se donnèrent rendez-vous le lendemain, aux alentours de douze heures, à la pause méridienne afin de partager un repas à deux. La fin de soirée approchant, elles se dirent au revoir, paroles accompagnées d'une tendre bise. Puis Alison esquissa un sourire avant de quitter pour demain le doux visage de Kalia, qui lui rendit son sourire.
*
"Je t'avais dit que ma mère voulait m'appeler Alyssa à la base ?
- Non, mais c'est très joli."
Les deux femmes étaient assises à la table d'un restaurant italien, savourant un plat de délicieuses tagliatelles, à la tomate pour Alison et au pesto pour Kalia.
"C'est ton père qui l'a convaincue de changer pour Alison ?
- Même pas, c'est le sien. J'ai presque pas connu mon père. C'est peut-être mieux ainsi, supposait-elle en haussant les épaules.
- Oh, je suis désolée… et pourquoi tu dis ça ?
- Il frappait ma mère. Elle a fait deux tentatives de suicide puis une amie a contacté la police. Ils sont venus un soir. Ça l'a fait flipper et il est parti. J'avais à peine un an, je m'en souviens même plus…
- Je vois, ça a dû être dur pour ta mère et toi. Vous êtes des battantes toutes les deux.
- Merci."
Elle appréciait le commentaire, laissant une larme couler sur sa pommette droite. Était-ce une larme de tristesse, ou de bonheur ?
Kalia essuya cette dernière, en esquissant un sourire compréhensif et plein de compassion, pour cette jeune femme dont seulement deux années les séparaient, et qui pourtant semblait avoir en elle la peine d'une vie entière.
Notre belle brune admirait cette ténacité et cet affront face aux épreuves de la vie. Elle aimait aussi la personnalité d'Alison, appréciait son caractère d'apparence rebelle qui pourtant refermait la plus grande tendresse du monde, et une immense tristesse également.
Les deux femmes avaient fini leur repas, et s'apprêtaient chacune à retourner à leurs affaires respectives : la faculté de droit pour Alison, la start-up pour Kalia. Quand la première proposa à la seconde de la raccompagner. "Je dois juste passer chez moi avant, pour me changer, il fait chaud cet après-midi" expliqua la physicienne. L'autre accepta par courtoisie.
Arrivées à l'appartement, les deux femmes y entrèrent, occasion pour l'une de faire découvrir son lieu de vie, son univers, à l'autre. Une décoration sobre, moderne et sombre s'offrait à la vue d'Alison. Elles pénètrent dans la chambre.
"J'ai adoré ce déjeuner avec toi, engagea Alison, j'aime beaucoup quand on passe du temps toutes les deux.
- Merci, rougit Kalia, moi aussi j'ai aimé, c'était presque magique.
- Tu es belle, répliqua Alison tout en noyant son regard dans les yeux de celle qu'elle désirait tant à cette instant-ci.
- Toi aussi. Alison je crois bien que je t'aime."
Cette dernière resta suspendue à ses lèvres, puis se décida à incliner sa tête afin de déposer un tendre baiser sur celles de Kalia.
*
Deux jours plus tard, les deux femmes décidaient de se revoir, cette fois-ci chez Alison. Cette dernière avait préparé du thé à la menthe, des pâtisseries et des crêpes. Elles allaient partager l'après-midi ensemble, discuter de sujets aussi diversifiés que le dessin, la musique, la politique, et puis enfin l'amour. Elles partageaient le même point de vue sur la plupart des sujets. Kalia s'entendait tellement bien avec Alison, qui lui portait l'attention et l'affection dont elle avait toujours eu besoin. Cette dernière d'un autre côté, se laissait séduire par la tendresse de sa nouvelle petite copine.
Kalia repris :
"J'ai jamais aimé une femme… je ne sais pas vraiment quoi penser de tout ça.
- On a le droit de s'aimer, Kalia chérie. Et je t'aime.
- Je t'aime aussi. Ça paraît tellement fou et génial !
- Ça l'est. Grâce à toi. Merci beaucoup.
- Merci à toi, tu m'as apporté l'amour dont j'avais tant besoin."
Kalia s'était approché d'elle, et était maintenant dans ses bras, posant sa tête contre son épaule et la serrant contre elle. Elle sentait la chaleur d'Alison, sentait son odeur de roses fleuries, appréciait la douceur de sa peau, entendait les battements de son cœur, son souffle sur son visage, la caresse de ses cheveux et finalement cette sensation de bonheur et d'amour. Elle était heureuse à ce moment-là.
Avec le temps, les deux femmes prirent l’habitude de se voir le soir, après les cours. Puis elles se voyaient les week-ends, durant les vacances, passaient de plus en plus de temps ensemble et renforçaient de plus en plus leurs sentiments et leur lien affectif. Cela dura sept mois, avant que Kalia ne décide d’emménager chez Alison. Elle louait son appartement, ce qui ne posa pas de problème. Celui d’Alison était un peu trop à l’étroit pour les deux femmes, ce qui les poussa à en choisir un plus grand. Et c’est ainsi que les deux femmes débutèrent une nouvelle partie de leur vie, une vie à deux, une vie d’amour.
*
Puis la fin d'année arriva, ce fut déjà juin et Alison finissant son cursus était sur le point de devenir docteure. Kalia quant à elle finalisait avec l'équipe de chercheurs le prototype le plus prometteur de sa carrière, et de la start-up. Les deux femmes étaient épanouies par leur vie professionnelle, mais aussi et surtout par leur vie intime, cette relation qui était si belle.
Elles vivaient depuis maintenant trois mois sous le même toit et partageaient la majeure partie de leur temps à deux.
Un jour, Kalia rentrait d'une journée de travail et trouva Alison dans le salon. Cette dernière lisait un magazine de mode, allongée dans le canapé. Les deux femmes s'embrassèrent avant d'échanger quelques mots sur leur journée respective. Alison enchaîna sur un sujet différent :
"J'ai un examen de santé demain en fin d'après-midi. Ne t'étonne pas si je ne suis pas là quand tu rentreras, mon cœur.
- D'accord, c'est noté. C'est à propos de quoi, ce rendez-vous ?
- Oh, enchaîna Alison l'air gênée, trois fois rien, un contrôle de routine."
Elle n'osait qu'à peine regarder sa compagne et laissait paraître un léger sourire forcé. Kalia remarqua que quelque chose se cachait derrière cette déclaration, mais laissa passer comme si elle n'y avait pas prêté attention.
Le lendemain, comme prévu, Kalia était seule à l'appartement, lorsque Alison rentra de son rendez-vous. Elle avait l'air vide, calme et enfin troublée. Peu importait, les deux femmes s'enlacèrent en signe d'affection et de réconfort. Alison prétexta avoir passé une mauvaise journée.
*
Les jours qui suivirent furent différents, radicalement. Alison était plus froide, peu attentive aux signes d'affection de sa compagne, qui pourtant les lui montrait jour et nuit. Lorsque Kalia demandait à sa bien-aimée ce qui n'allait pas, elle lui répondait simplement qu'elle était fatiguée, qu'elle avait mal dormi ou passé une mauvaise journée. Ne voulant pas rentrer dans l'intimité de celle qu'elle aimait pourtant tant, elles en restaient généralement là.
Pourtant déjà, Alison montrait des signes de distances, repoussant parfois même les caresses de Kalia, ce qu'elle appréciait pourtant habituellement. Les tensions montèrent entre les deux femmes, si bien qu'un jour, Kalia décida d'en parler :
"Qu'est-ce qui ne va pas en ce moment, je trouve que tu as changé…
- Rien, je vais bien merci. C'est juste que…
- Que quoi mon cœur, qu'est-ce qui a changé ?
- Je… je ne sais plus. Tout cela est allé si vite, je pense que je ne suis pas prête. Je ne sais plus où j'en suis. Désolée.
- Je… je ne comprends pas. J'ai toujours tout fait pour te rendre heureuse, j'ai toujours voulu ton bonheur, tu ne peux pas me dire ces choses-là. Tu ne peux pas me laisser…"
Alison prit Kalia dans ses bras et les deux femmes laissèrent s'échapper quelques larmes, dont les plus grosses furent celles de la plus âgée. Alison redoutait ce moment, mais il était arrivé. À présent, les choses avaient changé, et elle devait l'assumer. Tout cela lui était dû. Elle en était la principale instigatrice. Elle murmura à l'oreille de celle avec qui elle avait partagé une part de sa vie des mots doux, un "je t'aime" de consolation, par défaut. Elles se laissèrent plusieurs jours pour réfléchir. Alison dormi sur le canapé.
*
Les plus grosses tensions débutèrent lorsque Kalia demanda des explications précises sur les événements de la veille à Alison. Cette dernière était incapable d'en fournir une seule valable. Le seul problème était elle, c'est ce qu'elle répéta en boucle. Et puis Kalia s'effondra en larmes. Elle refusa le câlin d'Alison, qui prit la décision de faire ses affaires et de laisser la pauvre femme seule.
"Je suis tellement désolée que ça se termine comme ça, mais rien n'est plus comme avant, je t'ai aimé Kalia. Mais tout ça est ma faute, j'ai tout gâché et je te demande pardon. Adieu mon cœur." furent les dernières paroles que Kalia entendit de celle qu'elle aimait pourtant encore plus que tout. Toutefois, elle laissa s'échapper un "Pourquoi tu fais ça ?! Je te déteste…" d'un ton plein de haine et pourtant emplis d'une tristesse infinie. La jeune femme était en pleurs, inconsolable.
Les jours passaient et la jeune Kalia était encore en pleurs. Elle mangeait une seule fois par jour, pleurant le reste du temps, et se forçant à dormir au moins trois heures. Elle n'avait ni la force de se lever plus de deux minutes, ni d'aller au travail, ni de sortir, ni de sourire…
Alison quant à elle ne donnait plus aucune nouvelle. Elle était introuvable à la faculté, ses amis ne la voyaient plus nulle part. Même Mathilde s'inquiétait, au point de ne plus en dormir non plus. Les jours passèrent encore et cela faisait une semaine. Une semaine que Kalia était inconsolable, une semaine que Alison était introuvable. Kalia se décida enfin à sortir. Elle pleurait toujours mais avait besoin de prendre l'air, d'aspirer une senteur nouvelle. Alors elle se rendit au parc de nuit, s'allongea dans l'herbe, ferma les yeux et s'endormit.
En rentrant le lendemain chez elle, elle remarqua qu'une lettre avait été déposée dans la boîte prévue à cet effet. Alors elle l'attrapa et, d'une main tremblante, l'ouvrit.
Il s'agissait d'un avis de licenciement. Elle ne s'était pas présentée à son travail depuis une semaine et ce sans justifier son absence. En regardant son téléphone, elle remarqua quarante-six appels manqués, dont la moitié provenait de son employeur. Celui-ci l'avait prévenue plusieurs fois en laissant des messages mais sa patience avait atteint une certaine limite. Il attendait des résultats très prochainement, et le projet avait déjà pris un retard considérable. Elle bénéficiait de quarante-huit heures pour se rendre au bureau et régulariser la situation. Elle n'était ni en état de sortir, ni de se rendre à son travail, ni de s'expliquer devant son patron. Elle n'avait plus aucune motivation, plus aucune volonté. Elle était abattue.
Elle ouvrit une deuxième lettre. Celle-ci était un avis du propriétaire de son appartement, dans lequel elle avait dû retourner depuis la rupture. Ce dernier était vide, elle n'avait pas eu la force de récupérer ses affaires à l'appartement commun. Mais elle devait tout de même le payer, et sans salaire, elle en serait incapable.
Elle s'assit sur la chaise unique de sa cuisine, et se mit à pleurer. Elle se remémora les belles années pendant lesquelles elle avait travaillé dans la bonne humeur avec ses collègues, ses études en physique, ses amis et ses proches. Ses parents qu'elle ne voyait plus et qu'elle avait finalement perdus de vue ces derniers mois. Puis elle repensa à Alison, celle qu'elle avait tant aimée, et qu'à présent elle détestait tant. Et pourtant elle l'aimait encore et espérait un retour de celle avec qui elle avait partagé les meilleurs moments de sa vie. C'est alors qu'elle remarqua la troisième lettre.
*
Chère Kalia,
Je suis désolée que tout se soit terminé ainsi. Je regrette amèrement chaque parole, chaque acte que j'ai pu commettre à ton encontre ces derniers jours. Je t'ai toujours aimée du plus profond de mon cœur et je t'aime encore, et pour toujours. Mais comprends-moi, il est plus facile d'oublier la personne que l'on déteste que celle que l'on aime. Et tout le monde finit par partir, même les gens bien, même ceux qui avaient promis de rester jusqu'au bout. Ou alors ils finissent par mourir.
À présent je te dois des explications, même si je pense que tu as compris ce qu'il s'est passé. Ce n'était pas un examen de routine. J'ai été diagnostiquée tardivement en phase terminale d'un cancer. Je n'avais aucune chance de m'en sortir. Je m'en veux tellement de ne rien t'avoir dit, mais c'était pour te préserver. J'aimais tellement ton sourire, il me faisait voyager dans les étoiles les plus brillantes…
À l'heure actuelle, je dois sûrement être partie à jamais pour ce monde-là. Pardonne-moi encore une fois. Mais si j'ai fait tout cela, c'était uniquement pour ne pas te faire souffrir. Je t'aimais Kalia, je n'ai toujours voulu que ton bonheur. Porte-toi bien, tiens le coup mon cœur, je crois en toi. Adieu.
- Ta bien-aimée, Alison
*
Kalia était incapable de faire le moindre mouvement. Incapable de prononcer le moindre mot. Incapable d'avoir la moindre réaction. Puis elle se mit à trembler de plus en plus fort. La lettre tomba par terre. Puis elle éclata en sanglots. Son visage se tordit d'une douleur indescriptible, se crispa et se déforma en un mal profond et incurable. Elle sentait chaque partie de son corps hurler à l'intérieur, brûlant, et se déchirant. Puis elle s'allongea, continuant à pleurer sans s'arrêter. Bientôt une flaque de larmes emplissait les carreaux du sol de la cuisine. Et elle tremblait encore. Ses cheveux longs et bruns se mêlaient aux sanglots. Elle ferma les yeux pour retenir les pleurs, puis s'endormit, effondrée par l'émotion. Puis elle resta allongée des heures, des jours, se privant de manger, de boire, de tout. Elle pleurait toute la souffrance qu'elle renfermait depuis plusieurs mois, plusieurs années maintenant. Et elle pleurait la perte de celle qu'elle avait aimée plus que tout. Alors elle entreprit de mettre fin à toute cette souffrance inutile. Puis elle se rappela ce que lui avait demandé Alison, de rester forte.
Elle ne s'en sentait plus capable. Elle avait tout perdu. Il ne lui restait plus qu'à en finir. Elle devait le faire. Alors elle le fit. Dans un effort considérable, elle attrapa le couteau posé sur la table. Un rouge vif vint bientôt tinter les larmes translucides qui étincelaient sur les carreaux blancs. Puis elle se mit à chanter, attendant une fin certaine.
"Mama, take this badge from me.
I can't use it anymore.
It's getting dark, too dark to see.
Feels like…. I'm knockin' on… heaven's door…"
Elle prononça ces paroles dans un dernier soupir, avant de se laisser aller à la mort. Elle espérait ainsi, d'une façon ou d'une autre, rejoindre celle qu'elle aime. Ou du moins, mettre fin à ses souffrances. Puis elle ferma les yeux.
*
L'agent Carter pénétra dans l'appartement. Il saisit la femme à bout de bras et la porta jusqu'au rez-de-chaussée. Ici, son collègue, l'agent Wester l'attendait en voiture. Les deux hommes s'en allèrent jusqu'à une destination qui reste à ce jour inconnue.
Kalia se réveilla sur un lit d'hôpital, avec une douleur vive au poignet droit. Elle remarqua les menottes au gauche. Une femme d'une cinquantaine d'années l'observait dans un des coins de la chambre, assise sur un fauteuil puis se leva :
"Bonjour Kalia. Inutile de demander comment je vous connais, vous ne me connaissez pas. Je me présente : je suis la superviseure et docteure Sampson. Je suis là pour vous accompagner dans votre entrée dans votre nouvelle vie.
- Je… Je ne suis pas sûre de comprendre… je suis censée être morte.
- Nous vous avons sauvé. Après votre tentative, nos équipes vous ont stabilisée médicalement puis vous avez subi des soins intensifs pendant deux semaines sous coma artificiel.
- Et, Alison alors, vous l'avez sauvée ? s'exclama Kalia, les souvenirs lui revenant au compte-goutte.
- Je suis navrée, mais nous ne soignons pas les cancers métastasés en phase terminale à détection tardive ici. Et puis, je suis désolée de vous informer que votre amie n'avait que peu d'intérêts à nos yeux…
- Comment vous pouvez dire ça ! s'insurgea Kalia tout en se mettant à nouveau à pleurer.
- Je vais vous expliquer qui nous sommes et ce que nous attendons de vous. Mais vous devez avant tout comprendre que nous ne pouvons pas sauver tout le monde, et que vous avez des compétences en physique vraiment hors du commun.
- Je ne comprends pas ce que j'ai de si spécial…
- Vous avez conçu, et ce en un temps record, les prototypes le plus remarquables de ce siècle. Vous et eux, vous avez tant de potentiel que nous ne pouvions passer à côté de cette opportunité de vous sauver et de vous engager.
- M'engager dans quoi ?"
La docteure Sampson reprit alors son souffle, ce qui laissa à Kalia le temps de digérer les informations données et laissant sa question en suspens. Puis elle repris :
"Nous sommes la Fondation SCP, et nos objectifs sont de Sécuriser, Contenir et Protéger."