La Valeur d'une Récompense

L'Étoile de la Fondation. Chacun voit dans cette distinction accordée par les O5 un message différent.

Pour les petits nouveaux, les agents de la sécurité junior, c'est la reconnaissance ultime, le but à atteindre. La preuve que nos supérieurs reconnaissent le travail acharné des gens qui mettent leur vie en jeu pour la protection du monde. La reconnaissance de la valeur de notre vie et de nos actions.

Pour les civils liés de près ou de loin à la Fondation, c'est un symbole d'espoir. Le fait de voir que la vie ne s'arrête pas après une opération difficile, et l'espoir de voir revenir un père ou un mari qui franchit le seuil de la porte pour aller travailler.

Pour les chercheurs qui bossent au plus près des Keters et autres joyeusetés, c'est un moyen de se rassurer… On regarde le garde assigné à notre expérimentation, on voit l'expérience apportée par une mission difficile, et on se dit qu'on peut compter sur ce vétéran en cas de problème.

Et pour le vétéran qui porte cette étoile vous allez me demander ? C'est la preuve qu'on a perdu quelque chose qui nous était cher. Les membres d'une FIM qui venaient manger à la maison tous les week-ends, la femme qui portait notre enfant, l'ami de toujours qui devait être son parrain…


Je regarde le portrait, accroché au mur. Mon portrait, sur lequel est attachée une étoile.
Cette étoile me nargue, tous les soirs. Elle me rappelle ce que j'ai perdu au cours de cette opération de récupération. C'est ironique n'est ce pas ? Qu'une récompense, censée montrer le respect que vous porte la Fondation, ne fasse que vous rappeler la froideur de votre environnement de travail… "Félicitations ! Vous avez renoncé à l'intégralité de votre bonheur pour sauver le monde (jusqu'à la prochaine brèche de confinement) !"

Vous vous demandez certainement pourquoi je n'ai pas eu le droit aux petites pilules magiques ? On croque dans le cachet et hop ! On oublie tout et on peut continuer à bosser l'esprit serein… Et bien, c'est parce que je suis un spécialiste du confinement. L'un des architectes de bon nombre de ces prisons dans lesquelles vous jetez vos Keters. L'ultime sauveur de l'humanité, le rempart suprême entre le monde et les horreurs qui essayent de le détruire. L'homme qui crée des prisons parce que c'est tellement plus efficace pour neutraliser une aberration qu'une destruction pure et simple.

Alors évidement, on nous refuse les amnésiques. En cas de brèche de confinement généralisée, de panne du système informatique, de l'improbable disparition de 99.9% de l’espèce humaine… C'est sur moi qu'on s'appuiera, moi qui connait suffisamment bien la plupart de ces saloperies pour avoir mis au point leurs procédures de confinement… Le savoir actuellement stocké dans mon cerveau est tellement important qu'il est acceptable de me laisser quelques souvenirs désagréables, séquelles nécessaires pour conserver les sacro-saintes procédures de confinement… Bon allez, mettons lui un psychologue sur le dos, pour éviter que ses démons ne le détruisent de l'intérieur.

… Et maintenant, vous vous demandez surement pourquoi je suis là, à déprimer sur mon canapé, à parler à un public imaginaire qui aurait suffisamment de temps à perdre pour écouter un dépressif se morfondre ? Bah, ça arrive de temps en temps, quand on doit confiner un humanoïde qui n'a rien demandé, qui ne veut qu'une chose : qu'on lui foute la paix… L'autre jour, je passais devant la cellule de 054, à qui on interdisait encore l'accès à l'eau sous prétexte d'expérience. Ouais, de la cruauté gratuite, motivée par un besoin scientifique de reconfirmer pour la vingtième fois le savoir acquis. Et grâce à qui ce genre d'acte héroïque est-il possible ? Grâce à bibi !

Je regarde les quatre bouteilles devant moi… Mes amnésiques personnels. Fabrication maison ! Mon petit préféré, c'est l'amnésique de classe A. Une petite liqueur d’absinthe de ma conception, suffisamment puissante pour vous faire oublier la journée en quelques verres… Je repense à mon dernier dossier… Envoyé au conseil des O5 le matin même… Vous ne pouvez même pas imaginer à quel point je me déteste pour avoir écrit cette procédure de confinement…

Je regarde ma dernière acquisition… Posée là, sur la table, à côté des bouteilles… Un amnésique de Classe Ω… Je repense à cette procédure… Au rapport SCP qui l'accompagne… Mon regard se fait insistant sur l'amnésique… Je m'imagine la vie de ce SCP que l'on va à jamais emprisonner en suivant mes instructions… Lui retirer le droit de vivre… Je repense à ma femme… À mes amis tombés dans une opération de reconfinement… Ma fille, qui n'a jamais eu la chance de fouler cette terre…


Allez, juste une fois, juste pour cette fois, un amnésique de Classe Ω…


Sur le bureau d'O5-2, un dossier. Une procédure de confinement, en attente du tampon de validation, simple formalité après la délibération d'il y a quelques heures. Accompagnant le dossier, deux documents. Le premier : une note, manuscrite, demandant à ce que la procédure porte le nom de son créateur, hommage au travail acharné de cette homme qui était déjà décoré de l'étoile de la Fondation. Le second : un rapport d'autopsie.

Nom : Peter Montauk
Age : 36 ans
Poste : Spécialiste du confinement
Cause du décès : Suicide par balle

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