La pierre ne parlait pas. Les secrets indicibles se camouflaient dans leurs souvenirs; on pouvait s’imaginer que chaque rocher, chaque brique pouvait témoigner ou même aiguiller sur la traque. Mais elle était muette, cette pierre. Et si cette main gantée qui y sentait tous les reliefs du bout de doigts tentait de lui extorquer toutes les informations qu’il pouvait, il se doutait que cette tentative mènerait à un échec. Les pierres ne parlaient pas, il fallait s’y faire.
Michael Astor n’en était pas à sa première expédition. C’était ce que se disait Stephen quand il regardait son supérieur, arme à la main, touchant les murs comme si les traits de ce dernier sauraient lui dire l’heure. Stephen avait toujours eu du mal à s’intégrer, d’abord à la British Army, et maintenant dans cette escouade particulière qu’il venait tout juste de rejoindre. À peine plus jeune que Michael, il le dépassait pourtant de quelques centimètres, et si son physique particulier lui avait offert sa place à la FIM Delta 4, il savait ne pas se reposer sur ses acquis.
Toujours apprendre, toujours évoluer. C’était un peu son motto. Stephen suivait son supérieur, tentant de rester concentré pour l’une de ses premières missions: pourtant, il n’arrivait pas à s’empêcher de penser à sa mère, dans ces moments-là. C’était pour elle qu’il faisait tout ça, au final, et son parfum si particulier et les friandises qu’elle s’efforçait à lui faire quand il visitait sa maison, malgré ses trente ans passés.
– Le protocole Danflamme est en vigueur, soldats. Comme on a dit lors du briefing, cela implique une immersion totale du site Yod. dit Astor, omettant volontairement la gravité d’un tel protocole.
L’unité resta muette, rigoureusement attachée aux règles. Stephen avait plein de questions, pourtant, mais ce n’était plus le temps des questions. En fait, maintenant qu’il y pensait, il n’y avait pas une seule fois où il avait eu l’envie, ou l’occasion, de poser des questions, depuis qu’il avait rejoint cette unité. Ça ne devait pas être le genre de l’équipe, tout simplement. Il laissa son regard se perdre contre ses confrères. Ils n’avaient jamais vraiment l’air bavard. Ou amical. Tout ce professionnalisme avait tendance à mettre un peu de pression à Stephen, qui préférait les ambiances familiales. Là, c’était juste l’angoisse.
Ils avaient été appelés tôt, ce matin. Ils avaient reçu un premier briefing, qui précisait qu’une créature adaptable, SCP-062-FR avait muté, causant l’actionnement, par pur sécurité, du protocole Danflamme. De ce qu’il avait appris ces dernières années, il n’y avait pas vraiment de quoi s’inquiéter tant que ça: c’était un peu son truc, à cette chose, de muter. Mais on ne désobéissait pas, à la FIM-Delta 4, car ils étaient tous entraînés à ne pas sous-estimer l’intelligence des différents prédateurs. La ruse, c’était l’arme principale lors d’une chasse.
– On manque de temps pour analyser la situation, donc on va “descendre” là-bas. Question de précaution, vous connaissez la procédure. continua Astor, en posant son arme contre sa hanche pour libérer l’espace devant lui.
Il enclencha un levier, laissant lentement, mais sûrement, la porte ronde devant eux s’ouvrir. Stephen avait toujours été émerveillé par la technologie, et être membre, maintenant, d’une unité à la pointe de cette dernière, c’était à la fois une expérience enrichissante et étrangement effrayante. Le pouvoir de vie ou de mort, sur des créatures ou des humains, c’était un sentiment qui faisait trembler son index contre la gâchette.
Non, Stephen, t’es un professionnel, Stephen. Il n’y a aucune raison de paniquer, Stephen. Aucune.
La porte s’ouvrit finalement, laissant apparaître l'intérieur du submersible qu’ils allaient prendre pour rejoindre le site Yod.
Stephen non plus n’en était pas à son dernier safari. Il se rassurait, caressant le flanc de son fusil d’assaut. Sa montre pouvait agir comme sonar, dans son sac, il avait de quoi traquer et tuer n’importe quoi. Il s’était toujours imaginé les submersibles comme plus ouverts: il n’y avait pas de petit hublot, et il n’avait le droit à aucun regard sur la faune et la flore sous-marine. Juste un mur en fonte. Après quelques minutes, une secousse percuta le sous-marin, mais personne ne s’inquiéta: le submersible ne faisait que s’amarrer au site Yod. Ils passèrent par la même porte que par laquelle ils étaient rentrés, toujours dans un silence catholique. L’ambiance était vraiment à chier.
Ils firent un premier pas au sein du site, Astor allumant le premier une lampe torche, découvrant un sol attaqué par le sel. C’était dur de croire que c’était vivant, quand on le voyait comme ça. Stephen regardait autour de lui, attentif, alors que quelques dorades vinrent accueillir les intrus. Stephen, malgré toutes les technologies qu’il cachait dans son sac tactique, et toutes les bonnes qualités qu’il avait hérité de sa mère, ne parlait toujours pas le poisson, alors il les dégagea d’un coup de main rapide. La radio crépitait dans ses oreilles,-dans les oreilles de tout le monde en fait-, mais personne ne parlait, toujours. Il inspecta les lieux, s’armant à son tour de sa propre lampe torche pour dégager des couloirs différents crustacés et poissons d’eau douce. Comme prévue, l’équipe s’était séparée. Ils avaient des radios pour communiquer de tout incident ou toute découverte: c’était le meilleur moyen de trouver une trace du prédateur.
L’ironie n’échappa pas à Stephen. Ils pourchassaient le prédateur ultime, enfin celui qui avait du moins le potentiel de le devenir, tout confiant. Prédateurs contre prédateur. Pourtant, cela faisait bien longtemps que Stephen rôdait tout seul, dans les couloirs du site Yod, le faisceau de sa lampe faisant fuir les crabes et les poissons. Il aurait bien aimé être accompagné du silence, pour qu’il puisse au moins réfléchir calmement, mais le bourdonnement incessant dans ces oreilles tonnait comme un rappel constant qu’il n’était pas seul.
Chaque brasse semblait plus lourde et difficile que la précédente: aucune nouvelle de Michael. Aucune nouvelle du reste de l’équipe. Peut-être qu’ils étaient morts, et Stephen n’en saurait rien. Par ailleurs, Stephen s’étonna du nombre assez anecdotique de cadavres ici bas. Il lui avait semblé entendre dire que tout protocole Danflamme impliquait un certain “rinçage” de population: la proportion du site expliquait aisément pourquoi tout le monde ne pouvait pas vraiment être évacué par bateau. Stephen lâcha un regard pour sa bonbonne d’air. Toujours pleine. C’était fou l’avancement de la technologie dans l’optimisation de ces machins, pas vrai ?
Stephen s’arrêta sur une porte, attaquée par le sel, recouverte de coquillages qui faisaient refléter le faisceau de sa lampe torche. Il sentit son ventre se tordre, alors qu’un bruit semblait taper contre le bas de la porte. Il s’y rapprocha, lentement, préparant son arme à lancer l’assaut. Le protocole insistait sur le fait qu’il aurait dû prévenir son équipe, mais Stephen se rassura en se disant que ce n’était probablement rien. Il posa sa main contre la porte, avant d’entendre un bruit derrière lui. Puis une ombre passa, éclairée vaguement par le mouvement de volte-face que Stephen avait fait en entendant de l’action. Il était toujours aussi vif, pourtant, il ne tira pas sur le champ. Il leva la tête, tentant de trouver un moyen d’identifier les lieux, lâchant pour la radio:
– La cible a été trouvée, elle se dirigeait vers … le secteur 2-C… Elle vient des bureaux 8-C, et elle se dirige vers le secteur 2-C.
Le secteur 2-C ? Des cellules, si Stephen se rappelait bien de la carte du “bâtiment”. À vrai dire, il y avait beaucoup de cellules, sur ce plan.
Il entama sa poursuite, écartant quelques crabes et méduses de la route, alors qu’une poignée de “Roger” venaient bousiller son audition entre deux grésillements. Il avait vu l’ombre clairement: mais il n’était pas tout à fait sûr de sa taille ou de sa corpulence: faisait-elle les deux mètres trente prévus ? Par contre, sa vitesse était, comme prévu, impressionnante. Des informations qu’il avait, elle devait avoir mangé, sinon elle l’aurait attaqué, après tout, ça expliquait peut-être pourquoi il restait si peu de cadavres, et, comme prévu, elle avait ajouté des branchies à son arsenal.
Stephen fronçait maintenant les sourcils, sous son casque: c’était du sérieux, et c’était un safari à leur hauteur. À sa hauteur. Il s’était toujours promis, depuis tout petit, de faire des grandes choses. C’est bon Stephen, c’est ton moment: tu vas sauver le monde.
L’équipe convergea vers le secteur 2-C, se retrouvant sans un mot. Ils étaient au complet, et personne, au vu du manque de messages dans la radio, n’avait croisé la créature sur le chemin. Certains semblaient éreintés. Stephen n’avait jamais vraiment eu de problème d’endurance, porté par son physique naturellement athlétique qu’il s’efforçait de pousser aux limites.
– Le signal est formel, SCP-062-FR se trouve dans ce secteur. fit Astor en sortant une tablette. Des informations d’en haut ? Ils ont fini de scanner les lieux ? Stephen regarda les informations, reconnaissant ce qu’il avait vu sur la carte du site Yod.
– Cellule 2-C-55. C’est au bout du couloir. dit-il pour son supérieur.
– Bien, Kerr.
Astor fit un mouvement de bras pour indiquer à tout le monde d’avancer. Stephen se posait des questions, mais il gardait le poing serré contre son arme; pourquoi l’entité voudrait s’enfermer lui-même à nouveau ? Il était connu que la créature était imprévisible, mais là, ça semblait tout à fait contre-productif. Stephen pointa du doigt la cellule dans laquelle était la chose lorsqu’il la repéra aux fils des dédales.
Tout semblait être plus silencieux, maintenant. Ils faisaient face à la porte de la cellule, alors qu’ils entendaient encore les mêmes bruits que Stephen avaient entendu face à l’autre porte. Chacun prépara son arme, la pression montant, petit à petit. Une brasse lente les rapprocha de la porte, et une pression faible contre cette dernière l’ouvra.
La créature avait évolué d’une manière peu prédictible. Le sol était jonché de vêtements et de traces de sang, alors qu’au centre de ces derniers, la créature responsable claquait des pinces en marchant en diagonale. L’évolution parfaite enfin atteinte pour SCP-062-FR, alors qu’elle pointait à un petit mètre d’envergure, et que ses petits yeux couverts de reste d’épiderme humain attestaient qu’il s’agissait bien d’elle.
– Un crabe ?