Chapitre Premier
Audrey était une jeune chercheuse affectée au Site-Beth, dans le Moyen-Orient, en plein sur la frontière Irako-Saoudienne. Les derniers mois étaient très durs pour tout le monde sur le site, ce qui provoqua une distribution massive de vacances pour la majorité du personnel, dont elle. Tout un mois de temps libre où elle pourrait rentrer au pays et oublier pendant un moment qu'elle était engagée par une organisation secrète semi-gouvernementale chargée d'enfermer et d'étudier les pires abominations qui se cachaient dans notre monde.
Le plan était de franchir la frontière en voiture, conduire jusqu'à la grande ville la plus proche et rejoindre l'aéroport du coin et s'envoler directement pour la France. Tout était réservé et payé, elle lui restait quatre bonnes heures pour arriver jusqu'à l’aéroport. Tout allait pour le mieux.
Depuis presque une heure, Audrey conduisait au milieu d'une petite route poussiéreuse complètement exposée au soleil brûlant d'une campagne désertique. Elle n'avait pour seule compagnie qu'une radio diffusant une musique générique oubliable ainsi qu'une interminable muraille de cactus et de pierre jaune claire. Rien qui ne puisse la protéger du soleil. Elle pouvait apercevoir l'air onduler au loin à cause de la chaleur, qui lui donnait l'impression qu'il y avait une étendue d'eau sur la longue route de terre.
Maintenant qu'elle venait de pénétrer dans un goulot d'étranglement, écrasée entre deux flancs de falaise, le véhicule de la chercheuse était complètement bloqué dans le sable de la route, les roues retenues par d'énormes racines noires.
Complètement immobilisée, elle n'avait pour seule solution que d'appeler de l'aide.
Toujours largement en avance, elle avait surement le temps de se défaire de… quoi que ces choses puissent être. Audrey déverrouilla son smartphone et tomba sur la dernière conversation par SMS qu'elle avait eu avec son collègue et proche ami Cédric, juste avant qu'elle ne quitte le site il y a plus d'une heure.
Cédric : 🦆
Audrey : 🦆
Cédric : 🦆 🦆
Audrey : "Arrête de m'envoyer des canards je vais conduire là 😒"
Cédric : "J'aurais le droit d'en envoyer quand tu seras à l'aéroport ? 😊"
Audrey : "Ouais mais pas dans l'avion sinon ton forfait risque de faire le grand saut, et je t'en parle même pas quand je serais rentrée dans le Jura mdr 😄"
Cédric : "dans ce cas je dois compenser pour le mois à venir 😈"
Audrey : "n'y pense-même pas 😠"
Cédric : 🦆 🦆 🦆 🦆🦆 🦆🦆 🦆
Audrey : "😒 Bon allez je te laisse 😄"
Cédric : " amuse-toi bien ! 🦆"
Cette omniprésence des canards était une blague entre eux qui durait depuis des années entre eux. Sur leurs bureau ? Canards. Motifs sur les pulls ? Canards. Choix de plat à la cantine ? Canard. Ce petit jeu lui redonnait souvent du cœur à l'ouvrage. C'était leur petite signature secrète. En laissant échapper un sourire amusé, elle composait le numéro de Cédric pour qu'il vienne la dépanner, ou au moins relayer son appel.
"T'es déjà arrivée ?" Lui demanda Cédric avec naïveté depuis l'autre bout du fil.
La chercheuse avait à peine commencé une tentative d'explication qu'elle s'arrêta net.
"Allô ?" Il ne savait pas si le réseau venait de les lâcher ou si elle était complètement silencieuse. La réponse devint rapidement évidente quand Audrey se fit entendre de nouveau.
"C'était rien. Désolé, ça rend un peu parano de se retrouver toute seule ici. Y'a rien que des rochers et du sable. Je suis coincée entre deux falaises c'est un peu oppressant."
"T'en fais pas, contente-toi de m'envoyer tes co-" Il se fit couper la parole.
"Attends Cédric…" Dit Audrey d'une voix plus basse. Son absence de réponse face aux questions de Cédric laissaient penser qu'elle avait retiré son téléphone de son oreille.
Quelques secondes plus tard, l'ami à l'autre bout du fil n'entendait rien de plus que les sons de quelqu'un qui court sur des roches calcaires ainsi que la respiration bruyante d'une chercheuse qui semblait courir à s'en couper la respiration.
Plusieurs longues secondes d'une Audrey qui semblait avoir arrêté de courir et dont entendait que la respiration bruyante et essoufflée. Cédric entendit enfin une série de chocs et de grésillements, caractéristique du téléphone qui tombe au sol en restant décroché. Il demanda plusieurs fois ce qui se passait, inquiet pour la sécurité de sa meilleure amie, puis réalisa qu'il n'y avait plus aucun son. Le signal était perdu.
Le chercheur restait à fixer son téléphone éteint, désemparé.
Chapitre Deuxième
Tout d'abord, Audrey crut être morte. Aussi, le fait que sa perception lui revienne fut très déstabilisant. Elle était tellement faible qu'elle n'avait même pas la force d'ouvrir le yeux, mais elle arrivait encore à sentir les mains qui la soulevaient, les ballottements d'une large épaule sur laquelle elle était posée, et la solidité d'une lourde chaîne attachée autour de ses poignets. Sans pouvoir lutter davantage, elle retomba dans les ténèbres de l'inconscience.
Elle finit enfin par se réveiller, et il était évident que de nombreuses heures avaient passées. Elle le sentait grâce à ses crampes et son estomac qui grondait. Elle sentait également que l'air autour d'elle était froid, humide et lourd, exactement le genre d'air que l'on trouvait dans les profondes cavernes et les souterrains mal entretenus. Rapidement, ses yeux perçurent les flammes de longues bougies en vieille cire parsemées partout dans le lieu. Alors que sa vision s’éclaircissait, la rouquine réalisa qu'elle était au fond d'un gigantesque ossuaire. L'endroit semblait très ancien et était presque complètement constitué d'ossements humains. Les murs se construisaient de plusieurs rangées de crânes pour la base, de fémurs alignés horizontalement pour le centre et se terminaient par de larges voûtes dont les colonnes étaient des crânes imbriqués ensemble et dont les creux était une fusion de petits ossements divers. Si jamais il y avait une structure en pierre, elle n'était pas visible. À défaut de place, certains endroits du sol étaient couverts d'ossements négligés, parfois en piles entières.
Il y avait de larges renfoncements à intervalles réguliers, dans lesquels se tenaient debout de larges squelettes humains, certains nus, d'autres couverts de voiles, parfois de bougies encore fumantes.
L'endroit était très silencieux. On entendait que le bruit de l'air qui circulait dans les lointains corridors, témoignant de l'immensité du lieu. Il devait y avoir des millions de dépouilles à travers d’innombrables kilomètres de galerie.
Elle remarqua que devant elle se tenait un homme. Long manteau noir, gros ventre, courte barbe blanche et chapeau feutré. L'homme avait de petits yeux profonds, un regard qui, malgré la situation actuelle, était plein de gentillesse et bienveillance. Ces yeux rendaient Audrey encore plus confuse qu'elle ne l'était déjà.
Derrière l'homme se trouvaient deux silhouettes de très grande taille, un de chaque côté. Chacun faisait au moins trois grosses têtes de plus que le vieil homme, qui était déjà plus grand que la moyenne. Les deux silhouettes étaient couvertes de voiles, tissus, et diverses capes, ce qui couvrait une bonne partie de leur corps, à l'exception des mains. Le tout tenait ensemble par de nombreux bracelets, colliers et bijoux dorés qui venaient alourdir la tenue. Malgré leur taille remarquable, ces deux personnes semblaient particulièrement maigres.
C'est cependant en observant leurs mains, qui tenaient des vieilles lames de tailles et formes variées, qu'Audrey remarqua un détail majeur : leurs mains n'avaient pas le moindre muscle, rien qu'une sorte de racine noire qui maintenait les os ensemble. Cependant, il y avait pire. Par les trous du tissu usé, elle distingua une étrange forme osseuse au niveau de leur bassin. Il lui fallut un instant pour réaliser qu'il s'agissait d'une deuxième paire de bras, croisés discrètement en dessous des tissus et tenant une deuxième paire de lames identiques à celles que leurs autres bras brandissaient.
Calmement et en prenant son temps, l'homme en manteau noir prit la parole, d'une voix claire mais douce.
"Bonsoir, Madame. Veuillez pardonner la brutalité des moyens que mes associés ont employé."
Audrey ne comprenait pas pourquoi il faisait tant de manières. Ce n'était pas un comportement normal dans une telle situation.
"… Qu'est-ce que vous voulez ?" Répondit sèchement la chercheuse, cherchant à ne pas baisser sa garde.
"Moi, rien de particulier. Je suis là pour vous aider, en réalité. En revanche, mes employeurs, eux, se sont montrés très spécifiques à votre sujet. Je ne sais ni quel est votre rôle précis sur leur échiquier ni ce qui leur cause une telle obsession avec vous en particulier, mais je ne cherche pas de réponse. Je ne suis qu'un pion à leurs yeux et je m'en contente."
"Vous pourriez être plus clair ?"
L'homme au chapeau feutré semblait s'attendre à cette demande et parut légèrement embêté.
"Oui, je comprends parfaitement et c'est une demande légitime." Il retira son chapeau et son manteau, pour finalement soulever son t-shirt gris, révélant sur son torse une marque au fer rouge qui avait une forme particulière. Audrey la reconnu instantanément. Un large cercle avec cinq pointes qui rentraient dedans par le bas en faisant un éventail, puis qui s'ouvraient en cinq courbes parallèles une fois à l'intérieur. Le symbole représentait vaguement une vertèbre humaine en coupe, stylisé pour évoquer une flamme. C'est une insigne. Une sorte de blason, ou de sceau. Un cachet macabre encré dans la chair comme dans l'âme.
"Vous l'avez déjà vu, n'est-ce pas ?" Demanda le vieil homme au chapeau.
"Oui. Dans mes rêves. Parfois dans des livres et dans des vidéos."
"Je vois. Mes employeurs n'arrivent pas à faire la différence entre le monde physique et ceux de notre esprit. Ils n'arrivent pas non plus à différencier le monde réel et les mondes fictifs. Tout est réel pour eux."
Le vieil homme remit ses vêtements et eut un regard presque compatissant pour la jeune rouquine. Cette dernière était sans voix et jeta un regard rapide aux deux squelettes difformes couverts de fripes. Ces choses ne pouvaient être que le travail d'entités supérieures.
"Qui sont vos employeurs ?"
"Je ne peux malheuresement pas vous le dire, mais vous les rencontrerez en temps voulu, si tel est leur souhait."
Le vieil homme, presque fatigué par le poids de sa culpabilité, prenait le temps de s’asseoir à côté de la chercheuse prisonnière. "Je suis désolé de devoir servir leurs desseins de cette manière mais mes options sont limitées à présent."
Audrey prit une expression partagée entre curiosité scientifique et attirance morbide. "Comment avez-vous pu vous mettre au service de pareilles entités ?"
L'homme soupira et regarda directement dans les yeux de la jeune femme. Il savait que la blesser ou la réduire au silence était inutile, compte tenu de ce qui l'attendait.
"Toute ma vie j'ai cru en Dieu et j'ai été un fervent catholique. Je serais devenu prêtre si je n'avais pas voulu fonder une famille. Toute ma vie j'ai été guidé par Dieu. J'ai passé une vie tranquille avec un travail tranquille, auprès de ma femme et de ma fille. Quand la maladie a emporté ma fille dès sont plus jeune âge, ma femme ne pas l'a supporté et a mis fin à ses jours. je me suis alors retrouvé seul au monde. Je ne pouvais pas accepter que Dieu me mette face à un tel destin alors je l'ai rejeté. J'ai abandonné la foi et j'ai rejeté la bible. C'est peu après cela que mes employeurs se sont dévoilés à moi. D'abord dans les recoins sombres, dans mon sommeil et dans l'alcool, puis directement devant moi. Ils m'ont dit qu'ils existent hors de notre monde, au-delà des lois de l'espace et du temps, hors de la réalité, hors des lois de la vie et de la nature. Ils m'ont dit que la mort n'existe pas vraiment, et qu'ils savaient où étaient ma famille et qu'ils pouvaient m'emmener à leurs côtés si je les aidais à accomplir leurs objectifs. Ils m'ont fourni toutes les preuves que je voulais pour appuyer leurs dires, alors j'ai accepté de les servir."
Après ce monologue, les deux humains se fixaient sans savoir quoi ajouter. Audrey se fit couper la parole par le vieil homme quand elle tenta de répondre.
"Ils prendront votre cerveau, mais vous en aurez plus besoin ne vous en faites pas." Un nouveau silence gêné. "Tout ira bien je peux vous l'assurer. Vous ne mourrez pas. La mort est une illusion." L'homme lui donnait un dernier regard plein de compassion, puis se tournait vers les deux difformités osseuses couvertes de voiles "Vous pouvez commencer. J'ai fini avec elle."
Les deux squelettes difformes couverts de tissus se mirent à bouger, le premier s'en alla ailleurs et l'autre détachant Audrey pour la saisir fermement entre ses deux mains squelettiques, coinçant son cou entre ses deux lames courbées sorties d'un autre âge.
La grande silhouette osseuse libéra la chercheuse pour la saisir par le cuir chevelu et la tenir au bord d'une profonde fosse dont le fond était parsemé d'ossements de toutes époques.
"Je vous en supplie je vous ai rien fait !" Cria désormais la rouquine en s'adressant au vieil homme, au bord des larmes.
L'homme ne répondit rien et cacha son regard sous son chapeau feutré, ne préférant pas assister à ce qu'il avait déjà trop vu.
Audrey essaya tant bien que mal de faire lâcher prise au monstre osseux, le frappant de toute ses quelques forces restantes. Malheureusement, la créature ne semblait même pas en tenir compte, ses os aussi solides que glacés.
Sans faire la moindre cérémonie, le squelette dépliait sa deuxième paire de bras inférieurs pour planter deux de ses quatre lames en plein dans le ventre de la jeune femme, la transperçant de part en part dans un flot de sang dont les giclées semblaient faire réagir les ossements au fond de la fosse, s'animant comme un lit de restes macabres, claquants et grinçants au contact du liquide rouge foncé. Audrey n'avait pas pu comprendre ce qui venait de se passer que le monstre lui trancha ensuite la gorge avec ses deux autres bras, pour finalement dégager ses lames de la chair mutilée et jeter la rouquine dans la fosse comme on jette une carcasse de viande périmée dans une poubelle.
Les restes depuis longtemps putréfiés se mettaient à se masser autour de la jeune femme comme des vautours affamés, saisissant et tirant leur proie au fond de la fosse jusqu'à ce qu'elle soit complètement ensevelie par l'amas osseux. Audrey ne put pas lutter ni même bouger ou crier. Elle ne sentait rien d'autre que l'emprise de la mort, froide et douce, lui saisir l'esprit et lui insuffler une irrésistible fatigue. Trop vite pour s'en rendre compte, elle s'endormit définitivement alors que la masse d'os la recouvrait totalement.
Le vieil homme n'osa même pas regarder dans la fosse et s'en alla, la tête basse et le regard abattu, suivi des deux cadavres enveloppés de draps. Aucun mot n'était prononcé par le vieillard, il n'en avait plus la volonté.
Chapitre Troisième
Cédric n'avait pas arrêté d'enquêter depuis des mois. Depuis qu'il avait reçu l'appel d'Audrey, il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour la retrouver. Entendre sa meilleure amie se faire agresser à l'autre bout du fil, sans rien pouvoir faire, c'est déjà suffisant pour se sentir impuissant, mais en plus, il ne réussissait pas à faire avancer l'enquête.
Lorsqu'on accède à la base de données de La Fondation, on peut plonger dans les dossiers des personnes portées disparues dans des circonstances anormales. On y trouve une très longue liste de personnes. D'innombrables noms et photographies qui se côtoient au milieu de données impersonnelles qui n'ont de sens que pour une poignée de personnes.
Ceux qui travaillaient dans des services de renseignement connaissaient très bien cette sensation que Cédric avait découvert il y a quelques mois. Ce que l'on ressentait quand on épluchait la liste des portés disparus : que des gens qui ne nous disaient rien, des gens qui pourraient très bien n'avoir jamais existé… puis on tombait sur l'unique visage familier et tout s'effondrait alors.
Cédric, ce petit chercheur anonyme, n'oubliait pas cette sensation tout comme il n'oubliait pas les longues soirées passées à chercher des informations au lieu de profiter du peu de repos qu'on lui accordait.
Au début, ses supérieurs refusèrent de lui confier directement l'affaire. Ils avaient déjà un service d'enquête après tout. Cependant, sa détermination au sujet de cette affaire avait motivé ses supérieurs à lui accorder des sujets de recherches différents. Eux-mêmes justifiés par des liens indirects avec l'affaire de la disparition d'Audrey. De cette façon, les uns pourraient enquêter en paix et les autres se rendraient utile à l'affaire sans interférer de trop.
Dans les semaines qui suivirent, des créatures ont attaqué les enquêteurs chargés de l'affaire. Il y avait un total de six agents, déployés en trois groupes de deux, chacun sur une piste différente. Les détails de leur enquête étaient maintenus confidentiels, mais Cédric savait qu'un groupe avait été déployé près du lieu de disparition, un autre à Paris et le dernier dans le Missouri, en Amérique.
Chaque groupe a été la cible d'assauts répétés par des entités inconnues, qui, selon les rapports, s'en prenaient à eux toutes les nuits.
L'équipe au Moyen-Orient a été la première à cesser de donner des signes d'activité. Ils ont été retrouvés décédés quelques heures après avoir effectué un appel téléphonique où l'on entend de multiples coups de feux ainsi qu'un des enquêteurs signalant que quelque chose était dans les murs. L'un serait supposément mort de suffocation après avoir été retrouvé dans une cloison, et l'autre serait mort au volant de sa voiture suite à une hémorragie provoquée par de multiples blessures profondes.
L'équipe envoyée à Paris a disparu soudainement, quatre jours après le décès de l'équipe au Moyen-Orient. Selon les notes d'enquête laissées derrière eux, ils supposaient que les catacombes de Paris avaient quelque chose à voir là-dedans et allaient y descendre pour en savoir plus. Cédric n'a jamais pu savoir ce qui leur était arrivé.
Enfin, les deux agents déployés dans le Missouri ont suivi une piste jusque dans la ville de Wildwood, à l'ouest de St. Louis. Environ une semaine et demie après avoir appris la disparition de l'équipe de Paris, ils ont envoyé un communiqué faisant part de leurs suspicions quant à la Lawler Ford Road, une route forestière laissée à l'abandon et d'environ 3,2 kilomètres, située près de la rivière de Meramec. Ils ont mentionné une quantité de humes anormalement basse ainsi que des locaux faisant part d’événements inexpliqués sur cette route, ladite étant même surnommée "Zombie Road" par certains locaux.
La nuit suivant la transmission de ce rapport, l'équipe aurait été attaquée par six entités anormales, poussant les agents à prendre la fuite en voiture en pleine nuit sur la route 109 en direction de l'échangeur vers la route Historic U.S 66. Il ont déclaré s'être arrêtés en cours de route suite aux dommages essuyés par leur véhicule, pour finalement se réfugier dans le Saint-Louis Community College, entrant par effraction dans l'établissement en plein milieu de la nuit. Ils ont alors tenté de perdre les entités dans le lieu, sans succès. Désespérés, ils se sont réfugiés dans la chambre froide où il auraient tendu un piège aux entités en inondant la chambre d'eau et de l'azote liquide stocké dans les réserves de classes de chimie. Ils auraient attiré les entités puis les y auraient enfermés jusqu'à ce qu'ils soient gelés sur place. Ce serait comme cela que les agents ont capturé les deux entités, où en tout cas c'est la version officielle de leur histoire.
Les créatures capturées étaient de larges formes squelettiques équipés de larges armures forgées d'un métal sombre à l'aspect fondu, presque organique. Un métal qui suivait des formes faisant penser à des os soudés ensembles, ainsi que des algues et racines durcies.
Elles furent récupérées et envoyées au Site-Ghimel pour y être enfermées dans d'immenses blocs de glace, eux-mêmes stockés dans des chambres froides de l'aile réfrigérée du site. La Fondation savait comment les confiner efficacement car elle avait déjà capturé des entités similaires. Toutes des entités squelettiques similaires aux entités capturées, certaines calcinées, d'autres putréfiées, d'autres mal-formées à un degré presque malsain. Ces choses étaient difficiles à arrêter et encore plus à détruire. La Fondation les gardait toutes congelées car elles semblaient renforcées par la chaleur, ni n'avoir de besoin particulier.
Cédric ressortait d'une de ces chambres froides. Le chercheur solitaire parcourait les couloirs longs et froids du Site-Ghimel, qui semblaient sans fin. La Fondation n'avait jamais possédé qu'une centaine de ces entités.
Les lieux en eux-mêmes étaient très différents de l'aile chauffée de Ghimel.
L'aile réfrigérée était dédiée au confinement de toutes les entités vulnérables ou dépendantes du froid, l'aile chauffée ayant la fonction opposée. L'aile chauffée était très lumineuse, pleine de métal, plastique et vitres, le tout largement éclairé par des néons brûlants. L'aile réfrigéré, en revanche, était presque entièrement faite de béton nu, de lourdes portes en métal massif, et les seuls éléments de décoration étaient de larges tuyaux couverts de givre, quelques lignes de peinture aux murs pour se repérer, et de la neige artificielle au sol, qui se massait contre les murs. L'endroit était bien moins accueillant que l'aile chauffée. C'était si industriel et silencieux. Il n'y avait que le bruit de l'aération.
Le nouveau sujet d'étude de Cédric était d'arpenter les vastes souterrains et de s'assurer que tous les morts-vivants restaient sagement à leur place dans leur bloc de glace. Parfois, il devait en prendre un, de préférence parmi les plus récents, et le décongeler afin de l'étudier. Il effectuait tous les tests, puis recongelait la créature et la remettait à sa place.
Grâce aux tests, Cédric avait appris une certaine quantité de choses à leur sujet. Comme par exemple leurs capacités de régénération quasi-illimitées, leur très haute inflammabilité ou le fait qu'elles soient incapables de comprendre des technologies plus avancées que les équipements rudimentaires qu'ils possédaient déjà.
Aujourd'hui, il voulait tenter de se pencher sur une autre question : quel niveau de conscience possédaient ces créatures ? Pour commencer à étudier la chose, Cédric avait récupéré deux des six entités récemment capturées.
Il venait de déposer les deux blocs de glace rectangulaires dans des chambres de test séparées et commençait à les décongeler. Lentement, l'eau coulait dans une petite trappe d'évacuation et chaque partie libérée des squelettes s'animèrent une à une. La façon indifférente et impersonnelle dont les créatures se libéraient progressivement était presque dérangeante.
Dès lors que les deux formes squelettiques furent complètement réveillées, il put commencer son test.
La première entité était un squelette anormalement grand, qui faisait presque deux mètres cinquante et qui avait plusieurs crânes fixés sur sa nuque, comme si plusieurs têtes s'étaient regroupées en une boule compacte. La chose portait une très lourde armure qui avait un aspect antique tant elle était usée. Il était également muni d'un large collier en métal à pointes rouillées. Cet objet ressemblait aux colliers utilisés dans l'antiquité et la renaissance pour identifier et restreindre les esclaves.
Cédric tenta de déclencher des réactions en s'adressant à la chose d'abord en français, puis en anglais et enfin en copte. La chose se contentait de tenter d'attaquer Cédric en frappant à la vitre, comme toutes les autres entités de précédents tests. Rapidement le squelette comprit qu'il y avait une vitre et chercha un moyen de la contourner. Quelques minutes plus tard, il comprit qu'il n'y arrivait pas dans la situation actuelle, et se mit donc à fixer Cédric à travers la vitre sans rien faire. En le suivant de la tête, du regard de ces orbites vides. Il tenta de faire réagir la créature, en lui montrant des images variées, en jouant des sons de toutes sortes, même en cherchant à déclencher les émotions les plus primaires à l'aide de déclencheurs universels, comme de la nourriture ou de la musique. Aucun n'eurent de succès, la chose ne faisait rien d'autre que fixer Cédric, ses crânes étant la seule chose qui bougeaient lorsque Cédric se déplaçait.
La seconde entité était un squelette bien plus bien petit que son camarade. Plus petit et bien plus fin que Cédric lui-même. De plus, celle-là n'était pas difforme. Taille et masse naturelle, pas de membres supplémentaires ou manquants. La créature était à l'autre bout de la pièce, faisant face à un coin, et portait une armure plus légère et nettement moins usée. Elle était également munie d'un collier en métal clouté, mais les pointes étaient bien plus courtes et arrondies. Lorsque Cédric se montra derrière la vitre d'observation, la chose se tourna et, dès qu'elle l'aperçu, effectua immédiatement un large bond en avant pour finalement s'écraser contre la vitre. La créature se releva rapidement mais au lieu d'enchaîner une série d'attaques contre la vitre, elle se figea dès qu'elle eut un aperçu plus clair du chercheur.
Cédric n'eut même pas le temps de commencer à noter les préliminaires administratifs sur sa feuille de test que le squelette commençait déjà à bouger de son propre chef. Celui-là fixait Cédric également, mais avec une gestuelle bien différente. Il posait ses mains contre les parois de la vitre et approcha sa tête, comme s'il était intéressé. Le chercheur, surpris, se préparait à prendre des notes quand la créature osseuse se remit à agir.
Elle décolla immédiatement ses mains de la vitre et saisit sa tête en se repliant sur elle-même, comme si la chose était prise d'une intense migraine. Cédric fixa la scène avec une attention qu'il n'avait pas eue depuis longtemps. Rapidement, le squelette attrapa sa tête et se contorsionna et ouvrit la mâchoire, comme s'il souffrait.
Au cours de ce qui semblait être une crise de douleur intense, la créature tenta à plusieurs reprises d'attaquer la vitre qui la séparait du chercheur en frappant et bondissant, mais elle se coupait systématiquement elle-même en plein élan, comme si elle cherchait à résister à quelque chose qui voulait la contrôler, ou à réprimer des pulsions primaires.
Après une bonne minute, le frêle squelette perdit l'équilibre et tomba à quatre pattes sur le sol de béton nu. La chose s'appuya sur les rebords de la cellule pour se relever, et, alors qu'elle était presque sur pieds, leva sa main et saisit une partie de son armure pour finalement détacher une de ses épaulières couvertes de pointes.
La chose osseuse plaça l'épaulière dans sa main et commença à utiliser une des longues pointes métalliques pour gratter sur la vitre. Elle mit plusieurs secondes pour tracer le premier trait et au bout de quelques minutes, l'entité avait réalisé une petite gravure sur la vitre, au niveau de la tête du chercheur.
L'incompréhension s'empara de lui. Il faisait défiler des centaines de théories en une fraction de seconde, et pourtant, la vérité transperça toutes les théories qu'il avait imaginées et vint le frapper en plein cœur. Les yeux de Cédric s'élargirent puis se mirent à trembler alors qu'il découvrait le dessin. Il venait de comprendre.
C'était un canard.