Zaap 12 Jun 2017
Le vent soufflait avec insistance sur ses cheveux et sur sa voile. Les vagues venaient frapper avec douceur les flancs de son embarcation. Le soleil plongeait lentement dans l'océan lointain. Encore quelques minutes, et les vagues l'éteindraient. Le ciel était toujours enflammé par les derniers rayons, il n'y avait aucun nuage, seulement un somptueux dégradé allant de l'orange vers le noir en passant par un bleu des plus pur.
Le vieil homme était assis en équilibre sur la proue de son bateau, le torse nu, les pieds découverts, et l'esprit libéré. Il ne pensait plus qu'à une chose, c'était le cadeau d'adieu qu'il avait reçu lors de son départ. Rien ne le forçait à l'utiliser, rien ni personne. Ceux qui le lui avaient donné le savaient bien, mais ça n'était pas pour servir leurs intérêts qu'ils avaient fait ça, c'était uniquement pour lui.
L'astre lumineux s'enfonçait encore un peu plus dans les profondeurs de l'océan. L'orange du ciel disparaissait peu à peu pour laisser place à un violet sombre et rassurant. Les vagues se taisaient et laissaient entendre le doux son de la coque fendant l'eau devenue désormais aussi opaque que son avenir. Le monde semblait se taire pour laisser au vieillard le calme suffisant pour lui permettre de prendre sa décision.
Il fixait avec un regard interrogateur la pilule qui était en train de se décomposer dans son verre d'eau. Il se demandait si tout ça était vrai, s'il allait tout oublier. Il commençait même à se demander si "une façon d'oublier" n'était pas une métaphore aux yeux de ceux qui lui avaient donné cette pilule. Il n'en était pas à sa première erreur, peut-être avait-il mal compris, peut-être que tout ça n'était qu'une façade, peut-être qu'il allait mourir. La mort ne lui faisait plus peur. Personne ne se souciait de lui désormais. Il savait que c'était une étape inévitable. Il avait longtemps eu peur de la mort, il avait peur d'avoir des regrets, des choses qu'il n'avait pas pu faire, mais avec le temps, il avait fini par admettre que la mort ne laissait que peu de temps pour regretter.
Le ciel était désormais entièrement noir à l'exception d'une fine bande rouge à l'horizon. Un avenir léger était sur le point de se substituer au lourd passé de Guillaume. Le vent était calme. L'océan s'était tu. La flamme chancelante d'une lampe à pétrole posée près du vieillard oscillait entre l'extinction et la renaissance.
Le vieux scientifique sortit de sa poche son porte-feuilles. Il y avait son permis de conduire, une carte d'identité au nom de Fermat, et une photo d'enfant. Cette photo datait de quand il était encore gosse. Il l'avait toujours gardée pour se rappeler de cette époque où il n'avait aucune décision à prendre, cette époque où il pensait ce qu'il voulait quand il le voulait, sans jamais se soucier des conséquences. Il sortit un stylo de son autre poche puis dessina de la barbe et des rides au jeune garçon sur la photo.
Le ciel était désormais noir. Le vent se remit à souffler. Les vagues se remirent à frapper bruyamment la coque du navire. Guillaume se leva. Le soleil avait cédé sa place à la pleine lune. La flamme de la lampe finit par s'éteindre, laissant l'homme seul avec la lumière blanche de l'astre nocturne. Il se dirigea vers les commandes de son voilier.
Le noir l'apaisait. Il jeta la photo par-dessus bord. C'était désormais le début de quelque chose. Sans crainte, il prit le verre, puis le large…