L'œil de la tempête

« Papa, j'arrive pas à dormir. »

Ce n'était certainement pas la première fois que James avait du mal à fermer l'œil la nuit, une situation qui avait parfois tendance à exaspérer son père lorsque celui-ci se voyait contraint de passer ses nuits déjà courtes à conforter et veiller sur son fils afin qu'il puisse enfin trouver le sommeil. Mais ce soir-là, James avait de bonnes raisons de ne pas arriver à dormir seul.

Pour un enfant de 7 ans, le mélange de sons provoqué par le fracas du vent venant s'abattre sur les murs et les fenêtres, le sifflement de l'air s'infiltrant dans les moindres interstices et le bruit des torrents de pluie tombant sur le toit de sa maison était déjà suffisant pour provoquer des frissons. Mais dans le cas d'un enfant de la Nouvelle-Union Californienne entendant cela pour la première fois, c'était tout simplement terrifiant. C'était en effet la première fois que l'état de la côte pacifique subissait un tel climat. La région n'était évidemment pas étrangère aux bourrasques et occasionnelles trombes d'eau mais la tempête qui s'apprêtait à ravager la ville de Los Angeles et ses alentours était une véritable première pour les citoyens californiens.

Ne voyant toujours pas son père arriver, le jeune garçon appela une nouvelle fois celui-ci, haussant la voix afin de s'assurer qu'il soit entendu.

« Papa, viens m'aider à faire dodo s'il te plait ! »

Mais encore une fois, James ne reçut pour réponse que le bruit du vent à sa fenêtre et de l'eau s'écoulant dans les canalisations sous son lit. Au bout de quelques minutes, il décida de prendre son courage à deux mains et de quitter le confort de son lit afin d'aller trouver son père lui-même, puisque celui-ci ne semblait pas près d'arriver. Alors, vêtu seulement de son pyjama et armé d'un bougeoir, le jeune garçon sortit de sa chambre.

Il s'avança timidement dans le long couloir du premier étage, chacun de ses pas faisant grincer le vieux parquet et lui glaçant les pieds. James n'avait jamais eu peur de sa maison, il avait déjà joué dans chacune des pièces de celle-ci et y vivait depuis qu'il était né, il y était attaché et s'y était toujours senti en sécurité. Pourtant, dans ce couloir uniquement éclairé par la faible lueur de sa bougie, tout lui paraissait terrifiant. Les murs autour de lui semblaient s'allonger sans fin dans toutes les directions finissant en de sombres abysses où pouvaient se cacher toutes sortes de monstres, les meubles qui lui étaient pourtant familiers avaient l'air plus imposants, leurs ombres prenant des formes étranges venant intimider le garçon et la tempête à l'extérieur produisait des vents toujours plus violents, toujours plus menaçants.

Cependant, ces visions de cauchemar n'étaient pas suffisantes pour l'arrêter. Après tout, une fois aux côtés de son père, celui-ci le protégerait des monstres et de la tempête. Il se dirigea donc lentement vers la chambre de son père, et toqua à la porte.

« Papa, est-ce que t'es là ? »

Pas de réponse. À première vue, aucune lumière ne semblait allumée dans la pièce… cela voulait peut-être dire que son père dormait déjà pensa-t-il, il allait donc devoir le réveiller. Il agrippa la poignée de porte et entra dans la pièce.

La chambre de son père était à peine plus grande que la sienne et pourtant il pouvait à peine en éclairer les contours. La pièce était rudimentaire, comportant un lavabo, un bureau sur lequel étaient empilés divers livres et documents, une étagère à laquelle était accrochée une casquette de capitaine et, ce qui intéressait James, un lit double où était supposé dormir son père. Mais après s'être rapproché, il était clair aux yeux du garçon que le lit en face de lui était tout simplement vide. Ce qu'il ne remarqua pas en revanche, furent les traces d'un rouge cramoisi parsemant le sol de la chambre, du lit jusqu'à la porte.

C'est alors qu'il entendit un bruit sourd venant de dessus, immédiatement suivi par le tremblement de l'entièreté de la bâtisse, comme si quelque chose venait de s'écraser sur le toit. James perdit l'équilibre et laissa accidentellement tomber son bougeoir, plongeant la pièce dans l'obscurité. Il était désormais seul dans le noir complet et pire encore, mêlés aux bruits de l'orage venaient s'ajouter ceux de mâchoire venir du grenier juste au-dessus de lui.

James n'avait beau être qu'un enfant, il savait parfaitement ce que signifiaient ces bruits. Comme tout jeune californien, il avait entendu les histoires à propos des monstres à aileron venus des profondeurs de la mer et surtout, il savait qu'il n'aurait absolument aucune chance de venir à bout d'un potentiel squale.

Tremblant comme une feuille, il rassembla le reste de courage qu'il avait et sortit précipitamment de la chambre. Il fallait qu'il prévienne son père, il fallait qu'il prévienne quelqu'un, n'importe qui, qu'un requin s'attaquait à sa maison. Il se précipita dans l'escalier aussi vite qu'il le put en tâtonnant autour de lui afin de se repérer dans l'obscurité, manquant de trébucher à plusieurs reprises.

Arrivé en bas, il remarqua qu'une petite lampe à huile était allumée au bout du salon mais surtout il remarqua la silhouette de son père installé dans un fauteuil, un verre devant lui. James se rua immédiatement vers lui, les larmes aux yeux, tandis que les bruits de mâchoires se faisaient de plus en plus insistants.

« À l'aide papa, c'est…. c'est les requins qui… »

Avant qu'il ait pu finir sa phrase, il arriva suffisamment proche de la lampe pour enfin s'apercevoir que des traces rouges étaient présentes tout autour du fauteuil. Mais surtout pour apercevoir l'entité au torse humanoïde et bassin sélacien qui semblait se repaître des jambes de son père.

James s'immobilisa sur place, mais il était déjà trop tard, la créature monstrueuse se releva lentement, le toisant de ses yeux inhumains, elle l'avait repéré. Son corps réagit pour lui, instinctivement, le faisant courir le plus vite possible vers la porte de la maison, le squale l'imitant aussitôt.

Il eut à peine le temps de sortir et de se cacher derrière une poubelle que la porte d'entrée vola en éclats, laissant sortir l'hybride de la maison. La créature chercha rapidement des signes de James autour de l'habitation, forçant celui-ci à se faire le plus discret possible malgré son souffle haletant et la douleur des bourrasques de vents lui fouettant le visage.

Au bout de quelques minutes, le monstre sélacien disparut dans une rue adjacente, probablement en quête d'une nouvelle proie, laissant le garçon seul dehors, terrifié mais en vie. La pression retombée, James éclata en sanglots.

Il avait survécu… du moins c'est ce qu'il pensait. Jusqu'à ce qu'il comprît ce qu'était cette forme au loin qui semblait se rapprocher depuis la côte, qu'il comprit pourquoi ces sélaciens avaient atterri sur sa maison. La tempête qui approchait au loin n'avait rien d'ordinaire.

C'était une immense tempête de requins.

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