"Centre de contrôle 7-2-5 au capitaine de l'Élie-Monnier, est-ce que vous me recevez ? Terminé."
"Je vous reçois, répondit le capitaine. Je suis arrivé sur le site de la mission. Quelle est la suite des opérations ? Terminé."
"Sous votre bateau, à un peu moins d'un kilomètre de profondeur, se trouve SCP-057-FR. En raison de sa découverte récente, nous ne disposons encore que de très peu d'informations à son sujet. Vous allez plonger avec votre sous-marin et recueillir le maximum de renseignements sur les routines et habitudes de ses instances. Ne vous approchez pas trop près et par pitié, soyez prudent. Terminé."
"Vous me connaissez, je suis un modèle de précaution. Je vous rappelle quand je suis revenu de plongée. Terminé."
L'homme dans la force de l'âge, le visage émacié, les yeux perçants et les cheveux en bataille, raccrocha le combiné de la radio et sortit de la cabine. Il réfléchit un moment tout en balayant du regard l'avant de son aviso allemand modèle 1946, la pointe de ce que la Fondation pouvait offrir au capitaine. Celui-ci préférait toujours les navires germaniques malgré les grands progrès effectués par la marine britannique. La mer calme venait doucement lécher la coque gris clair du bateau. Elle était la seule chose visible à l'horizon.
Il émergea brusquement de sa rêverie quand son second le héla de la poupe du bateau :
"Cap'taine ! Venez voir."
L'homme commença à se diriger vers l'arrière de l'aviso, tout en demandant à son assistant ce qui se passait.
"Cap'taine, le sous-marin est prêt à plonger. Écoutez cap'taine… faites attention, ok ? J'ai entendu les haut-gradés. Ils ont aucune idée de ce que c'est. N'allez pas vous fourrer dans le pétrin."
Le capitaine eut un rire bref, puis rassura son subordonné :
"Toujours aussi prévenant, Phil. Ne t'inquiètes pas, j'ai l'habitude de ce genre de mission. Contente-toi d'être prêt lorsque je reviendrai."
Le commandant fit une accolade à son second, puis descendit dans les entrailles de sa machine.
"Fred, Marcel, lancez la manœuvre d'appareillage ! Maintenez le quai d'amarrage prêt en cas d'imprévu !"
Les deux marins acquiescèrent, et le sous-marin plongea.
"Qu'est-ce que c'est que ça ?" murmura le capitaine dans un souffle d'admiration.
Le panorama qui s'étendait devant ses yeux était en effet à couper le souffle. De gigantesques tours de basalte, toutes en courbes et en rondeurs, s'élevaient dans les cieux aqueux, semblant surveiller de leurs hauteurs le formidable fourmillement de ces centaines de calmars s'affairant aux quatre coins de la cité, déplaçant de la nourriture, creusant la roche, patrouillant les collines de sable, semblant tous œuvrer en cœur pour le bien de leur ville sous-marine. Le capitaine ne pouvait voir où se finissait ces constructions fantasques, sorties tout droit du cerveau d'un architecte ou génial, ou fou.
L'homme voulut s'approcher plus près, examiner en détail l'organisation des céphalopodes, lorsqu'il aperçut des calmars plus imposants que les autres se dirigeant vers lui. Pris d'inquiétude, il commença la manœuvre de surface :
"Oh non non non, c'est pas le moment de me lâcher ! Pas maintenant !"
La commande ne répondait plus.
Les calmars arrivaient au contact du sous-marin, commençant à l'enrouler de leurs tentacules.
"Ok ok ok, calme-toi, calme-toi. On va tirer un coup sec, et tout va bien se passer."
Il se dégagea de son siège, s'accroupit et tira de toute sa force. La manette se dégagea et permit la remontée du nez de l'appareil. Le capitaine amena ensuite les moteurs à leur maximum. Leur force de poussée permit à l'appareil de s'extirper des tentacules de plus en plus intrusives des gros bras de la colonie, entraînant le submersible vers la surface.
Le sous-marin jaillit des profondeurs dans une formidable gerbe d'eau.
Les marins affolés s'agitaient sur le pont, tentant tant bien que mal de se rapprocher de l'appareil, quand le capitaine sortit par l'écoutille, tout sourire, et leur cria :
"Vous voyez, tout s'est passé pour le mieux !"
"….on arrive dans quelques minutes. Terminé."
"Très bien commandant. Restez à quai en arrivant, une équipe est en route pour vous ramener au site le plus proche, elle est seulement en retard de quelques minutes en raison complications techniques. Là-bas, écrivez au plus vite un rapport complet sur vos plongées et envoyez-le nous. Terminé."
"Entendu. À la prochaine. Terminé."
Le capitaine raccrocha et sortit de la cabine en se frottant les yeux. Ces derniers jours de voyage n'avaient pas suffi à l'homme pour rattraper tout son sommeil de retard. Il avait dû analyser des échantillons, regrouper ses notes, tout en continuant de s'occuper de son navire.
Il rejoignit son second dans la pièce commune. Celui-ci été en train de boire une bière en lisant les comptes-rendu d'explorations.
"-Salut cap'taine. Bien dormi ? Que dit la radio ?
- Déjà à la bière, Phil ? Pas grand-chose, ils vont venir nous chercher dans l'après midi. Il faut juste qu'on reste à quai et qu'on les attende.
-Cap'taine ? Je peux vous parler de quelque chose ?
-Je t'écoute.
-Écoutez cap'taine… vous croyez vraiment que vous allez tenir longtemps comme ça ? Je veux dire, regardez-vous… vous tenez à peine debout, votre corps ne suit plus et une de vos dernières plongées a failli vous coûter la vie. Vous pensez pas qu'il serait temps de lever le pied ?
-Hahahaha, tu es hilarant Phil. J'ai encore de beaux jours devant moi. Et puis tu sais, je veux pas faire ce métier toute ma vie. J'aimerais bien, je sais pas, peut-être partir en exploration, les filmer. Je sais, ça paraît fou…"
Il y eut un instant de silence, qui fut finalement troublé par l'arrivée d'un pas inquiet de l'un des matelots.
"-Qu'y a t-il Fred ?
-Capitaine, sur le quai…. venez voir."
Les trois hommes sortirent de la cabine pour venir se placer à la proue de l'aviso. Sur le quai où s'amarrait habituellement le bateau, une douzaine de journalistes attendaient, et commencèrent à s'agiter lorsqu'ils virent le navire approcher.
"-Qu'est-ce que c'est que ces conneries ! s'exclama le capitaine, comment sont-ils au courant de notre sortie ? C'était censé être top-secret !"
Le bateau arriva au bord du quai, et les journalistes commençaient à crier leur question au commandant. Le brouhaha s'éleva, et le capitaine fut obligé de crier pour les faire taire. La foule pour un instant calmée, seules ressortaient quelques questions, qui fixeraient à jamais le destin de l'homme à qui elles étaient adressées :
"-Commandant Cousteau, comment s'est passée cette sortie en mer ?
-Qu'avez vous découvert lors de vos plongées ?
-Monsieur Cousteau, quels sont les termes de votre contrat avec le gouvernement ?"