Kamikazer la Konnaissance

La réalité toussa chalamment lorsqu'une Voie se forma en bourdonnant dans les racines du chêne à l'extérieur de la maison des Birch. Finnegan tomba de l'arbre en titubant et envoya d'un coup de pied le filtre à air et la fiole d'ectoplasme complémentaire dans le trou, et les regarda s'étendre au-delà de l'infini avant de disparaître complètement avec un petit bruit sec. Il attrapa le panama d'une branche basse en prenant garde à ne pas le regarder ou y penser trop longtemps.

Après avoir poussé un soupir, il avança dans le vide et tomba dans le trou de lapin.

Finnegan arriva, ou plutôt glissa dans l'un des vestibules supérieurs de l'une des nombreuses branches de la Bibliothèque des Vagabonds. L'ectoplasme déborda lorsqu'il percuta le filtre, menaçant de se renverser. Un regard rapide aux alentours lui apprit que son entrée ne servait que de passerelle entre les deux "étages" de la Bibliothèque les plus proches.

Après avoir retrouvé ses repères, il se leva, trébucha, et s'avachit contre la balustrade pour regarder dans les autres halls depuis son pseudo-balcon. Un groupe d'individus autoritaires, qui, après pas mal de plissements d'yeux et de suppositions, suggérait qu'ils faisaient partie de l'Unité des Incidents Inhabituels du FBI, communiquait avec un autre groupe, des membres de la Main du Serpent.

La Main était, de ce qu'en comprenait Finnegan, un groupe d'individus qui n'étaient pas sur la même longueur d'onde et qui s'étaient rassemblés sous un nom qui rappelait un culte d'un film des années 80. Ils n'avaient aucun principe les unissant, aucun moyen de filtrer les indésirables puisque pour les rejoindre, il suffisait d'affirmer en être un membre, et aucun commandement mis à part les chefs autoproclamés des différentes cliques.

Cette clique en particulier ne semblait pas avoir dedit chef, puisqu'aucun d'eux en particulier ne communiquait avec le responsable de l'U2I. L'un d'eux s'avança assez longtemps pour prendre une boîte des mains de l'un des membres de l'U2I. Il semblait que les groupes continuaient à parler après cela, mais à cette distance, Finnegan n'entendait rien et il s'en désintéressa rapidement. Il avait de toute façon des affaires plus urgentes à régler.

Comme la migraine en forme d'humain qui se trouvait sur le balcon face au sien. Finnegan n'arrivait pas vraiment à distinguer à quoi il ressemblait, mais il faisait battre le sang dans ses tempes. Des aperçus de la Bibliothèque, pris de différents endroits, passèrent devant ses yeux avant d'être emportés. Sa vision se mit à tourner lorsqu'il détourna le regard, mais l'étendue du trou dans sa tête s'étendit lorsqu'il commença à associer le problème avec la Bibliothèque.

Il ne lui fallut que quelques instants cette fois, et Finnegan lâcha le chapeau. Une seule rangée de livres explosa en une énorme étagère, qui se déploya en une aile entière. Finnegan se pressa les tempes et se pencha contre la balustrade.

Lorsqu'il eut complètement repris conscience, il vit un groupe de figures autoritaires en contrebas, marchant en file indienne à travers un portail. Il réussit à peine à distinguer le logo de l'U2I sur l'une de leurs épaules avant que le dernier d'entre eux ne parte.

C'est alors qu'il réalisa qu'il n'avait aucune idée d'où il était. Il agrippa la balustrade et se pencha en avant, se tordant le cou pour voir étage sur étage d'étagères. Elles se repliaient les unes sur les autres et rebroussaient chemin, comme le cortex d'un être gigantesque. Son immensité manqua de le submerger, et il s'éloigna vivement de la balustrade.

Finnegan heurta quelqu'un en reculant, mais il prit son bras et l'aida à retrouver son équilibre. Il s'excusa promptement et le regarda-

Un trou noir s'enfonça dans son esprit aux mains d'une silhouette indistincte portant un casquette à visière en tweed. Les yeux coincés dans l'horizon des évènements, Finnegan ne put que le fixer. Le puits dans son esprit s'étendit et était devenu assez grand pour continuer à grossir sans que Finnegan ne tienne le chapeau. Les images de la maison des Birch s'évaporèrent, rapidement suivies par d'autres livres de la Bibliothèque. Un trou s'ouvrit dans sa représentation mentale du Bazar Total, et les échoppes et les marchands sombrèrent dans le gouffre béant. Il tenta de se frayer un chemin dans la foule mais la fissure dans le béton finit par le rattraper, et il tomba dans le néant.

* * *

Personne se trouvait sur le balcon quelques minutes plus tard. Deux Personnes, même.

Le plus récent des deux tâta le panama sur sa tête et le souleva pour pouvoir voir correctement. Une jeune femme d'origine asiatique avec un casquette à visière lui rendit son regard, non sans inquiétude.

Clignant des yeux, il tenta de comprendre sa situation. Il ne se souvenait de rien, du moins rien de spécifique à lui-même. De simples anecdotes et compétences verbales étaient tout ce qu'il restait, mais les souvenirs d'où et de comment il les avait apprises avaient disparu.

En se concentrant, il trouva des scories d'émotions, de pensées et de souvenirs coagulées en un amas solide au centre de son paysage mental. Quelque chose appelé un Finnegan palpitait à l'intérieur. Pénétrant dans son ancienne existence, Personne découvrit Finnegan dans un souvenir. Il était assis chez lui, seul, en train de travailler sur un projet audio ou quelque chose comme ça. Il était heureux.

Finnegan se releva lentement. Son pendant féminin inclina la tête et ils se fixèrent l'un l'autre pendant plusieurs secondes. Quelque chose dans l'air projeta des étincelles entre eux tandis que deux forces similaires entraient en collision frontale. Plus ils se regardaient longtemps dans les yeux, plus la friction devenait importante, et l'espace-temps ne gère pas très bien la réalité lorsqu'elle tente de s'ignorer elle-même.

Mais elle leva alors les yeux et les étincelles se dissipèrent, l'air s'engouffrant dans le vide tout en recommençant subitement à exister. Une paire de détonations mouillées se produisirent et la zone ne s'en porta pas plus mal, excepté une odeur de brûlé peu mémorable. Elle hocha la tête en direction de l'espace à sa gauche et s'éloigna.

"Merci ?" se hasarda-t-il à dire par-dessus son épaule.

Elle s'arrêta. Ouvrit sa bouche, comme pour dire quelque chose, secoua la tête, mais hésita à nouveau lorsqu'elle se tourna pour partir.

"Attendez, attendez." Personne se remit sur pied en s'aidant de la balustrade. "Où dois-je aller, désormais ?"

"Le Bibliothécaire en chef sait peut-être quelque chose, mais personne n'obtient de réponses juste en allant le voir."

Tournant les talons, Personne récupéra le filtre à air non loin de lui et se dirigea vers le bureau du Bibliothécaire en chef d'un pas assuré.


"Puis-je vous offrir un Twizzler ?"

Personne fixa le bol de bonbons d'un œil suspicieux, puis se tourna vers le serpent universel dans le gouffre face à lui. Il soupesa ses options avant de poser le filtre d'ectoplasme- il n'était toujours pas sûr de pourquoi il l'avait apporté avec lui. Il lui avait juste semblé important, d'une certaine façon. Il hocha la tête d'un air admiratif en direction du Bibliothécaire en chef et prit un bonbon.

"Tu es venu pour questionner la nature de ton existence."

"Quelque chose dans ces eaux-là," dit Personne avec le Twizzler pendu à sa bouche. "Je peux ressentir celui que j'étais, pousser et donner des petits coups dans les souvenirs, mais ils semblent… lointains."

"Je ne peux pas te dire qui tu seras, mais je peux parler de celui que tu étais," répondit Satan. "Notre multivers- car oui, il existe de nombreux multivers dans l'omnivers qui ne nous incluent pas- est construit à partir de treize réalités de base entrelacées avec un grand néant au centre d'elles."

Personne examina le bol de Twizzlers.

"Au sein de ces réalités de base se trouvent des milliers et des milliers d'univers uniques, avec de grandes similarités avec d'autres univers de différentes réalités de base. Chaque univers d'une réalité de base a un point commun bien spécifique qui le relie à la réalité de base. Parmi ces milliards d'univers, celui que tu étais autrefois se trouve dans 74 d'entre eux."

Personne faillit s'étouffer. "C'est tout ?"

"J'imagine que c'est 73, désormais. À chaque nouvelle itération de la réalité dans laquelle il naît, il la quitte ensuite environ vingt-cinq ans plus tard. Devines-tu pourquoi ?"

"Je de- je veux dire qu'il, Finnegan, devient Personne."

Personne n'était pas certain de savoir si les serpents pouvaient sourire ou non, mais il était prêt à parier que c'était ce que Satan fit en réponse. Ou qu'il riait dans sa barbe, au minimum. Quoi qu'il arrive, c'était déconcertant.

"Ou du moins, la Réalité essaye de le faire le devenir."

Quelque chose s'agita dans l'esprit de Personne. Le quelque chose en question, ou quelqu'un, ressemblait suspicieusement à un Finnegan. "Que voulez-vous dire par "essaye" ?"

"Ça ne… prend pas toujours, dirons-nous."

De vagues quasi-souvenirs de son esprit en train d'exploser emplirent son esprit. La pensée d'être poussé dans le néant entre les mondes remplit le vide résultant. Ça ne semblait pas fun.

"Comment pourrais-je m'assurer de rester en place ?" demanda Personne.

Quelque chose étincela derrière le pince-nez du serpent. "Personne ne le sait vraiment."

Avec un grand sourire, Personne se tourna et partit avec le filtre sous le bras.

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