Joey l'Taré s'élance vers les cieux
Navion

clang

Clang

CLANG

CLANG

Le son du métal résonnait comme les cloches d'une cathédrale à travers la petite ville de Vulture Gulch.

Ce n'était pas vraiment inhabituel. Le métal était altéré, moulé et battu jour et nuit dans le bourg empoisonné du désert, par des hommes et des femmes qui avaient oublié comment dormir et ne connaissaient qu'une seule chose : le progrès.

Ils ne savaient pas ce que le mot "progrès" signifiait, ni comment il s'écrivait, mais ils le poursuivaient tout de même sans relâche.

CLANG !

Et l'un de ces hommes, le maire, travaillait dur.

Il n'avait pas besoin de marteau. Il n'avait pas besoin de plan, ni d'entraînement, ni d'aucune réelle connaissance. Il façonnait l'acier avec son cœur, sachant que ce qu'il faisait était bien et nécessaire.

Mais plus concrètement, il le façonnait avec ses poings.

CLANG !

Joey l'Taré frappait une plaque d'acier, la déformant avec efficacité. Et il la frappa encore. Et encore. Il battait le métal contre le support de structure, le soudant en place, non pas avec du feu, mais par la force physique pure. Il travaillait à froid, ce qui lui permettait de conserver la structure cristalline et de maintenir la force du métal sans avoir besoin de trempage ou de recuit.

Il ne comprenait aucun de ces concepts. Il pensait juste que ça ne faisait aucun sens de travailler le métal avec des outils quand ses poings faisaient tout aussi bien.

CLANG !

Il frappait encore, et chacune de ses phalanges envoyait voler des étincelles. Le métal ployait. Prenait forme. Devenait quelque chose qu'il comprenait aussi clairement que tout homme comprend son dieu.

Il avait attendu très longtemps avant de traîner ces pièces dans la cour. Il avait pensé pendant de longues heures, avant de presser tout rivet en place à mains nues. Il pesait ses options et considérait le chemin qu'il devait emprunter avant de lever chaque poutre et montant.

Et il avait observé le ciel, durant de nombreux jours.

Il avait peur. Joey avait toujours peur de quelque chose, parce qu'il était un homme qui pensait sur de longues périodes de temps. Les hommes qui pensent cultivent leurs craintes comme un fermier prend soin de ses récoltes.

Mais bien que Joey fut effrayé, confus et stupide, il savait qu'il était tout cela. Et il refusait de laisser ces choses l'arrêter, bien qu'il pouvait les sentir s'accumuler dans son esprit telles de la vase.

Joey s’arrêta. Il était temps de fumer.

Il tira ses lunettes de protection par-dessus la visière de sa casquette et les posa sur son front. Il tira un paquet de cigarettes de la poche intérieure de son blouson d'aviateur en cuir brun. Elles étaient étiquetées "Tombes Entrouvertes" et arboraient une image d'un squelette souriant sur le devant.

Il en sortit trois du paquet et les alluma avec un chalumeau.

Joey tira une grande latte, puis laissa la fumer s'écouler par le trou où son nez se situait auparavant. Il soupira. L'homme mort savait que s'il ne se concentrait pas en frappant le métal, il allait se remettre à penser. Mais il était fatigué. Il avait travaillé pendant quatre mois, jour et nuit. C'était la troisième pause qu'il prenait.

"Joey !"

Un monstre colossal arriva depuis l'autre bout de la cour. Haut de 2,40 mètres et pesant près d'une demie-tonne, un visage déchiré, décomposé et des muscles qui bombaient sous sa peau comme des câbles de pont. Il portait des lambeaux de tissus mal assortis, assemblés pour ressembler à des vêtement normaux. Aucun pantalon ni aucune chemise ne pourrait s'adapter à sa carrure de béhémoth. Cette bête était souvent vue en ville, déchirant des voitures d'un seul mouvement de ses mains massives et démolissant des bâtiments sans même un grognement.

Il fit signe à Joey et sourit avec des dents ressemblant à un rang de pierres tombales moisies.

C'était Génial, l'un des types les plus gentils que Joey avait rencontré.

Génial dit, "Salut Joey ! Sur quoi tu bosses ?"

Génial était visiblement très excité de voir Joey et de lui parler. Génial était toujours excité de faire quoi que ce soit, surtout si ça impliquait l'un de ses amis. Qui était tout le monde.

Joey répondit, "La même chose qu'hier."

Génial continuait de sourire et acquiesça avec enthousiasme. "Ouais. Ouais, et c'quoi déjà ? J'ai oublié."

"Ça s'appelle un "avion". C'est une voiture qui va dans le ciel."

C'était la septième fois que Joey devait expliquer à Génial ce qu'il faisait, et à chaque fois il réagissait de la même manière.

Il mit les mains sur sa tête et écarquilla les yeux.

"Joey. Joey, woah. C'est genre … Joey j'sais même pas. C'est genre … T'es un supergénie, Joey."

Joey sourit et secoua la tête. "Non, Génial. L'Patron m'a dit comment faire. C'est lui le génie. Moi j'travaille juste, comme toi."

Génial rit. "Mais là j'travaille pas ! J'suis en train de glander !"

Joey acquiesça. "Moi aussi. Mais juste un peu. Puis retour au boulot."

Génial eut soudainement l'air confus. Son sourire disparut. Sa voix, qui avait le timbre d'un parpaing jeté dans une broyeuse à bois, devint plaintive et diminuée. "Mais Joey. Joey, si tu fais une voiture qui va dans l'ciel … tu vas partir. Genre, partir partir. Joey, j'veux pas qu'tu partes. T'es mon ami."

Joey hocha la tête. Il s'éleva et tapota le bras enflé de Génial. "T'es mon ami aussi, Génial. Mais je dois partir. On doit faire ce que l'Patron a dit. Il prend soin de nous. Je reviendrai. Et quand je l'ferai, j'aurai probablement un tas d'histoires. T'aimes mes histoires."

Génial se mit à nouveau à sourire, et acquiesça. "Ouais. Genre, oh ! Oh ! Genre celle que tu nous a lu, oh. Celle sur le p'tit garçon qui va dans une école et qui apprend comment faire de la magie et il se fait des amis et ils font de la magie. J'l'aime beaucoup celle-là. La magie c'est vraiment métal."

Joey acquiesça une nouvelle fois. "Et l'métal est vraiment magique".

Les yeux du titan s'écarquillèrent, et il s'immobilisa. Puis il s'inclina en avant et attrapa Joey par les épaules, collant leurs têtes, lui permettant de regarder Joey droit dans les yeux.

"Joey c'est la chose la plus intelligente que j'ai entendu. Je t'aime Joey."

Il donna ensuite à Joey le plus gros câlin qui ai jamais existé.


Beaucoup de personnes avaient parlé à Joey de ce qu'il faisait. Il avait travaillé longtemps, presqu'un an, et avait naturellement provoqué beaucoup d'engouement. La plupart des gens étaient convaincus que Joey faisait un truc vraiment métal, et qu'il devrait continuer à le faire. D'autres, comme Paulie, qui était un peu un connard, pensaient que Joey gaspillait son temps.

Et Joey pensait qu'il était possible que ce soit le cas. Mais il s'en fichait.

Un jour, il réalisa qu'il n'avait pas dormi en 9 mois.

Il était très fatigué. L'avion était presque terminé. Il rassemblait des provisions, il mettait les choses ensemble et durant tout ce temps, il se sentait changer. Joey, comme le reste de ses frères et sœurs, ne sentait plus vraiment. Mais Joey percevait un je-ne-sais-quoi. Quelque chose de différent. C'était à l'intérieur de lui, dans sa poitrine, dans ses bras et ses jambes. C'était comme quand il avait essayé de faire une salade de batteries, mais agréable plutôt que douloureux.

Il décida de dormir un moment. Il arrêterait alors d'être fatigué, et il pourrait plus penser à tout ce que ça signifiait, où il allait et pourquoi. Peut-être que ses rêves pouvaient l'aider à calmer son esprit agité.

Il retourna chez lui, qui consistait en un coffre fort d'une banque détruite. Les citoyens de Vulture Gulch ne comprenaient pas l'argent, mais ils comprenaient qu'on devait probablement mettre des choses de très grande valeur derrière une grande porte en acier, et avaient donc décidé que Joey devait dormir ici. Ils insistaient sur le fait que Joey était important, ignorant ses protestations.

Il s'allongea sur son matelas fait de pneus déchiquetés et de rembourrage automobile déchiré. Il alluma sa veilleuse chalumeau pour repousser l'obscurité de l'intérieur du coffre. Puis il s'endormit, la tête lourde, pleine de pensées putréfiées par le doute.


Joey se retrouve dans un endroit familier.

Le désert s'étend tout autour de lui, grand et vide. Il peut compter le nombre de choses qui se trouvent ici sans même utiliser ses doigts.

Un, il y a le sol, fait de terres et de poussières oranges chaudes. Il maintient Joey et l'empêche de tomber, de retourner d'où il est venu.

Deux, il y a le vent, invisible mais ressenti par sa peau mort-vivante, doux et pressant. Il apporte la promesse de vastes étendues, des murmures d'endroits très, très lointains, et demande à Joey s'il aimerait les voir.

Trois, il y a le ciel, colossal et inconnu, bleu et royal. Le domaine des mystères, cette vaste étendue au sein de laquelle Joey savait qu'il y avait des choses de grande importance.

Quatre, il y a le soleil, chaud et brillant, le dirigeant incontesté. Le roi du ciel. Il est ici bien plus grand et chaud que quand Joey est réveillé, un fourneau et une fonderie massif, où toutes les choses ont été créées.

Et cinq, il y a Joey. Petit, moche, stupide et mort. Un épouvantail grossier, grand et fin. Habillé comme Joey l'était toujours, à la fois dans son esprit et à l'extérieur : bottes de moto marrons, jean usé, t-shirt des Ramones délavé, casquette verte de l'armée avec ses lunettes de protection posées sur la visière, et sa veste d'aviateur en cuir écaillé, au col de laine effiloché et aminci. Une sombre caricature. Un prétendant osseux. Une chose ruinée que la plupart des gens sur cette Terre n'oseraient même pas appeler une "personne".

Joey n'a aucune conception des gens en dehors de ceux qu'il a connu. Mais il a vu des images, sur des cartes postales brûlées et des guides de voyage d'un vieux magasin de souvenir, et il a entendu les histoires quand les équipes de ferrailleurs revenaient encore de leurs excursions où ils volaient et terrorisaient ces gens. Ces personnes cultivées qui construisaient des choses et s'aimaient les uns les autres et avaient des familles et des travails. Des êtres doux, roses et marrons, avec leurs propres rêves. Joey, comme le reste de ses semblables, est vert-gris, sec et tanné, rugueux. Et il sait que chaque fois qu'une de ces personnes de l'extérieur voyaient l'un des siens, s'ils ne portaient pas des longues blouses blanches ou d'épaisses armures noires, ils étaient terrifiés.

Le maire de Vulture Gulch est assis en tailleur dans la terre. Il peut sentir un flot glacé, des vagues gluantes déferlent autour et à l'intérieur de lui. Il est sûr que quand il partira, il pourrait rencontrer des gens doux de l'extérieur. Et il est sûr qu'ils auront peur de lui. Ce qui rend Joey très triste. Il ne voulait pas faire peur. Il voulait se faire des amis et être gentil. Il voulait apprendre et connaître des histoires qu'il pourrait raconter à ses frères et sœurs, et voir combien il peut aider tout le monde quand il fait vraiment, vraiment de son mieux.

Joey voulait rester maire. Il n'avait jamais demandé à être maire, mais il aidait les gens à mieux comprendre les choses chaque jour, comme il imaginait faire un véritable maire. Il leur lit des choses pour qu'ils puissent mieux travailler et devenir plus heureux. S'il venait à partir, il ne pourrait plus les aider. S'il partait, il leur manquerait, et ils lui manqueraient. Ils seraient tristes, et lui aussi. Il les abandonnerait, tout ça pour qu'il puisse poursuivre cet étrange désir qu'il ne peut comprendre, pour qu'il puisse partir dans une aventure qui pourrait finir dans la déception ou la frustration. Ou bien, bien pire.

Les vagues de vase s'accumulent autour de Joey, transformant la terre chaude et sèche où il était assis en une boue moite et visqueuse. Le soleil faiblit, et il commence à sentir le froid. Le froid, d'une salive humide et collante venant d'une grande bête que Joey n'avait jamais rencontré et ne pouvait imaginer, mais il la ressentait tout de même. Quelque chose de mauvais. Quelque chose … d'horrible.

"Bien le bonjour, Joey."

Joey lève les yeux, et voit deux choses de plus en ce lieu qui, fut un temps, était chaud et lumineux.

L'un ressemble à quelque chose que Joey a déjà vu. Un lézard. Mais celui-là est bleu et énorme et se tient sur deux jambes musclées. Il a une armure de métal sur des parties du corps et des choses qui ressemblent à des armes attachés sur son dos et ses cotés. L'un de ses yeux est en métal et rouge, mais l'autre est marron, doux, et regarde directement Joey.

L'autre est aussi une sorte de lézard, mais aussi énorme que le premier. Celui-là est rouge et a d'énormes ailes se finissant par des griffes. Sur sa tête épineuse affublée d'une collerette se trouve un chapeau pointu avec des étoiles brillantes dans le tissu, et il tient dans ses griffes un long bâton de bois et un livre épais.

Ces deux lézards sont géants. Ils ont des crocs et des griffes acérés. Et tout deux regardent directement Joey.

Le bleu tourne sa tête vers le rouge et dit, "Mon dieu. Je pense qu'il est effrayé."

Le rouge hoche la tête une fois et répond d'un boom silencieux, "Pauvre homme. Regarde tout ce bazar. Je ne pense pas que cet endroit soit habituellement comme cela ; en aucune manière cette crasse ne lui ressemble. Je suspecte une fourberie, Palsinnor."

Le lézard géant bleu penche sa tête vers le bas, près de celle de Joey. Joey est terrifié et veut bouger, mais il ne peut pas. Il est froid et gelé et peut sentir toutes ses craintes et ses doutes grouillant et se multipliant en lui. Il ne peut plus voir le soleil.

L'énorme tête bleue approche les écailles lisses de sa joue contre celle de Joey. Et Joey entend une voix douce, puissante dans son oreille. Une voix évoquant la chaleur et le repos.

"Sois en paix, enfant. Sois en paix. Je sais que tu as peur. Je sais. Mais nous n'allons pas te faire de mal. Nous voulons seulement te parler un court instant. Tu ne nous connais pas, mais nous te connaissons, et nous t'aimons. Renonce à tes craintes et entend nos voix."

La tête se retire, et Joey voit que le ciel a changé. Le soleil n'est plus, remplacé par une explosion d'étoiles à travers le ciel, adoucissant l'indigo profond alors que Joey observe. La vase est partie, et Joey est assis sur une terre riche, douce, verdoyante d'herbe et de fleurs qui semblent se propager sur le sol environnant à partir des deux nouveaux arrivants.

Joey ne se sent plus froid, mais frais. Pas gluant, mais propre et rafraîchi.

Le lézard rouge grogne, produisant une petite gerbe de feu de ses narines. "Je l'ai repoussé. Il n'est pas parti, mais je l'ai verrouillé. Il ne l’ennuiera plus pendant quelques temps. C'est le mieux que je puisse faire jusqu'à ce qu'il rassemble les pièces."

Le bleu acquiesce silencieusement. "Merci, Dathrun." Il regarde Joey, redressé, ses écailles de saphir et son armure polie étincelant sous la lumière des étoiles.

"Écoute-moi, Joey. Me comprends-tu ?"

Joey hoche silencieusement la tête, effrayé à l'idée d'avoir l'air stupide devant ces lézards très intelligents.

"Joey, tu ne dois pas laisser tes craintes te dépasser. Il est naturel d'avoir peur. Partir de soi-même est difficile, et le monde est rempli de choses étranges, effrayantes. Mais tu es spécial, et tu es aimé. Tu as un cœur bon et une âme aussi brillante que le soleil. Tu as tant de potentiel, enfant. Tu dois être courageux et croire en toi. Les tiens comptent sur toi pour voir de nombreuses choses, pour apprendre d'importantes leçons et les guider là où ils étaient censés être."

Joey fronce les sourcils. Il regarde le sol et dit, "Mais j'suis bête. J'suis vraiment bête. Je sais pas comment beaucoup de choses marchent, ou comment faire des trucs, où je devrais aller ou quoi faire. J'sais pas comment les aider."

Le lézard rouge dit, "Absurde, Joey. Ce sont tes frères et sœurs. Ce sont les Crânes d'Fer Noir de Vulture Gulch. Ne sont-ils pas heavy métal ? N'es-tu pas heavy métal ?"

Joey lève le regard et cligne des yeux. "J'veux dire, ils le sont, la plupart. J'sais pas si je le suis, vraiment."

"S'ils sont heavy métal, Joey, alors ils peuvent s'occuper d'eux-mêmes pendant que tu es parti. Ils sont forts, tout comme toi, et c'est en ça que tu dois avoir foi. Fais-leur confiance, ainsi qu'à toi-même."

Le bleu continue, "Tu en es plus que capable, Joey. Je sais que tu peux sentir la chaleur dans ta poitrine. Tu veux y aller. Voir. Découvrir. Tu ne peux rester ici et attendre que les années passent, à te demander ce que tout cela signifie. Tu dis que tu es bête. Mais de vastes connaissances ne sont pas nécessaires pour faire la bonne chose, pour être la meilleure personne que tu peux être. Et plus important encore, tu es conscient de tes limites. Tu sais combien tu ne sais pas. C'est de la sagesse, Joey, et tu dois bien l'utiliser. Ta curiosité, ta passion, ta sagesse et ta gentillesse te porteront si loin, ta famille et toi. Tout ce que tu as besoin de faire est de décider de faire le premier pas."

Le rouge grogne, "Utilise ta force. Tu es le maire de Vulture Gulch, et ce titre t'a été donné pour une raison. Les tiens sont capables, mais ils ont besoin d'une direction. Ils ont besoin que quelqu'un leur montre la voie, vers le bonheur et une vie qu'ils méritent. Ignore tes craintes. Ne doute pas. Tu es leur champion. Tu n'as pas choisi de l'être, mais tu l'es, et tu te tiens au bord de quelque chose de glorieux. Vas-y, Joey. Va, et gagne pour les tiens une place parmi les étoiles."

Le bleu se dresse. "Va, Joey. Nous savons que tu feras de ton mieux, et que tu y arriveras. Va, et découvre ce que le vaste monde te réserve."

Les plantes ont grandi d'un horizon à l'autre, apportant de douces odeurs et couleurs à ce qui fut une terre dévastée. Les étoiles brillent au dessus, chacune étant un joyau précieux et scintillant. Et Joey ressent un vieux sentiment, une fois encore.



"Va, Joey. Nous croyons en toi."





Joey se tient sur le grand terrain vacant au bout de Gold Street et soupire lourdement.

Derrière lui se trouvent les résultats de son travail.

Un avion équipé de larges ailes imposantes, reposant sur de gros pneus, d'un gris lumineux et brillant sous le soleil du désert. Il est énorme. Il est hasardeux, sans peinture, désordonné et selon toute probabilité extrêmement dangereux. Il est inélégant, maladroit, difforme et une parodie flagrante de l'ingénierie aéronautique. Fabriqué à partir d'aluminium battu en forme par les propres mains de Joey, équipé de quatre propulseurs à hélice moulés avec soin à partir de la meilleur ferraille que le maire a pu trouver, ainsi que de puissants moteurs fabriqués à la main nuit blanche après nuit blanche. C'était un horrible monstre de Frankenstein fait de métal tordu et de rouille.

C'était aussi un avion. Et Joey n'avait jamais été aussi fier de quelque chose de toute sa vie.

Il y a quelque temps, il avait trouvé un livre dans la petite bibliothèque qui contenait des images d'avions. Il avait essayé de le concevoir aussi proche qu'il le pouvait de son image favorite, qui était étiquetée Forteresse Volante B-17. Il n'avait pas tout à fait réussi, mais il trouvait qu'il s'en était plutôt rapproché.

Il avait placé des réserves dans la baie de chargement et le cockpit. Une grosse moto noire, blindée, turbochargée et rigoureusement testée, afin qu'il puisse avoir quelque chose à conduire au sol. Six ou sept lance-flammes que Joey avait lui-même amélioré, ajoutant des lames de hache sur l'extrémité lourde, ainsi que des canons supplémentaires et une réserve de carburant pour une meilleure couverture et un meilleur poids. Il ne savait pas où il allait, mais il voulait être en sécurité quand il y serait.

Il y avait également une boîte de souvenirs, de babioles et de cadeaux que les habitants de Vulture Gulch lui avaient offert. Quelques conteneurs remplis de la meilleur soupe d'huile de Chef. Une boule de bowling que Génial trouvait hilarante pour une raison qu'il avait tenté d'expliquer, mais n'y arrivait pas parce qu'il riait trop à chaque fois qu'il la voyait. Une chaîne de cuivre avec un pendentif en forme de fleur de cactus, donné par Fleur pour ne pas qu'il l'oublie. Joey avait dit qu'il ne l'oublierait pas quoi qu'il arrive, mais n'était pas parvenu à expliquer pourquoi c'était le cas.

Ces gens et les autres, tous ces gens avec qui il avait grandi et appris, ceux qu'il aimait de tout son cœur, se tenaient devant lui, rassemblés en une petite foule. Le travail était arrêté pour la journée. Rendre des voitures super classe était classe, mais le maire s'envolant vers le ciel pour partir à l'aventure, pour ramener des histoires à raconter ?

C'était putain de métal.

Joey s'éclaircit la gorge et leur dit à tous, "J'sais pas vraiment quoi dire. J'sais à peu près jamais quoi dire, je crois. J'suis pas bon pour parler. Ou pour plein d'autres trucs."

"J'suis triste de partir. Et j'sais que vous êtes tous tristes aussi. Mais je pars pas pour toujours. J'vais partir et voir ce qu'il y a dehors. J'vais aller là bas, et j'vais essayer de comprendre. J'vais voir ce que l'Patron veut que je vois, et ce que je veux voir, et ce que je veux que vous voyez tous un jour. J'vais aller rencontrer le monde entier. Et j'sais pas quand est-ce que j'vais revenir. Mais quand ce sera le cas, je vous le promet, j'aurai des histoires incroyables à vous raconter."

"Construisez des trucs cools pendant que j'suis parti pour que je puisse les voir quand je reviens. Restez en sécurité, et soyez sympa les uns les autres. Au revoir. J'vous aime tous."

La foule explosa en diverses acclamations. Certains, comme Génial, pleuraient. D'autres, comme Chef, hurlaient simplement vers le ciel, n'ayant pas les mots pour montrer leur excitation et leur fierté à leur maire et ami. D'autres encore entonnaient un chant, reprenant l'idée que quelqu'un avait eu peu de temps avant, quand le plan de Joey avait été découvert. Un nouveau nom pour leur maire. Ils le criaient encore et encore.

Un autre, sans être remarqué par le reste du groupe, regardait à peine et attendait.

Joey ne se retourna pas. Il escalada le ventre de l'avion par la trappe de la baie de bombardement et activa l'interrupteur pour la fermer. Ça fonctionnait. Il avait vérifié le système électrique plus de trois mille fois.

Il monta des escaliers juste assez épais pour supporter son poids, à travers quelques salles qu'il avait fabriquées pour tenir des trucs, le long de l'allée centrale. Il entra dans le cockpit.

Joey ne comprenait pas comment il savait qu'il pouvait faire voler cet avion. Mais il l'avait construit, et il savait.

Il actionna les interrupteurs et laissa l'énergie parcourir l'avion. Des petites lumières s'allumaient, de différentes couleurs, toutes issues d'une source différente. Une lumière en forme de sapin de noël située au-dessus d'une étiquette disant "OK TU PEUX VOLER MAINTENANT" clignota. Il y avait un gros interrupteur à cet endroit.

Joey l'activa. Il n'avait pas à prier, ou espérer. Il savait que ça allait fonctionner.

Les quatre énormes propulseurs toussèrent, puis rugirent, les hélices tournant et atteignant des vitesses si élevées que Joey ne pouvait même plus les voir par les caméras. Il regarda autour par les vitres du cockpit. Gold Street était, de manière inhabituelle, complètement vidée de voitures ou d'épaves. Et juste assez large.

Il desserra le frein, et l'énorme avion, le travail massif et absurde d'une année sans repos, gronda le long de Gold Street. Il vacillait, il vibrait, il craquait et se plaignait, mais il tint bon. Joey avait déversé toute sa détermination dans cette machine, et il pouvait sentir qu'elle voulait autant effleurer le ciel que lui. Ça allait marcher. Ça allait marcher.

Il se releva.

Le vent et l'air balayaient au-dessus et en dessous des grandes ailes de l'oiseau en acier, et il laissa la terre derrière lui. L'avion brisa les chaînes qui retenaient tout au sol et rugit de défiance contre la gravité. Il s'éleva, de plus en plus haut, les bâtiments et les ruines croulantes tombant en dessous.

Joey vit le mur que les hommes en blouse blanche avaient construit. Et pour la première fois de sa vie, il s'en fichait.

Celui qu'ils appelaient maintenant Joey Ailes d'Acier s'éleva au-dessus de tout et volait vers son destin.



Addendum 3885-03 : Le 2 mai 2018, un appareil volant de fortune non-identifié ressemblant visuellement à un B-17 Forteresse Volante de la Seconde Guerre mondiale a décollé de SCP-3885, utilisant la rue principale de la ville comme piste de décollage. Après enquête, il a été déterminé que les membres du personnel assignés au Sous-Site 3885 ont périodiquement remarqué ce véhicule au cours de sa construction par une seule instance de SCP-3885-01, mais ne sont pas intervenus, arguant de leurs doutes quant aux capacités mentales des instances de SCP-3885-01 pour construire avec succès un engin volant fonctionnel. Le personnel administratif du Sous-Site 3885 a fait l'objet de mesures disciplinaires officielles pour des accusations de négligences grossières menant directement à une brèche de confinement.

L'appareil volant en question a été observé en train de voler plein nord-est. Des éléments de récupération de la Fondation ont été déployé afin de reconfiner la ou les instances de SCP-3885-01 à bord.

Aucune autre instance de SCP-3885-01 au sein de SCP-3885 n'a coopéré avec le personnel d'investigation de la Fondation et, de ce fait, la destination de l'appareil et son objectif sont inconnus.






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