J'ai donné ma fille aux sanglots des flots
Moi la mère éplorée qui la voyait mariée
La voilà fiancée au grondement des eaux
Et je noie dans l'alcool ma peine et mon péché
Comme le fut ma chair, victime de nos maux
Comme le fut ma chair dans l'onde d'une déité.
J'ai donné mon âme parce qu'on me l'a demandée
Aujourd'hui le chagrin tue mon cœur meurtrier.
J'ai donné ma fille à la superstition
Moi le père faiblard qui la voulait heureuse
J'ai éteint de mes mains la flamme de ses passions
La pression de la foule rend mon âme peureuse
Et du fil du couteau qui traça le sillon
Je m'inflige la morsure d'une volonté pleureuse.
J'ai donné mon âme parce qu'on me l'a demandée
Aujourd'hui mon cadavre à mon mât se trouve noué.
J'ai donné ma sœur au crime de mes parents
Moi le frère cadet qui lui vouait mon respect
J'étais petit alors, encore trop ignorant
Et l'ai laissée devenir du repas premier mets
Sous couvert du conte d'un divin prince charmant
En échange des poissons que prennent mes filets.
J'ai donné mon âme parce qu'on me l'a demandée
De ma jeunesse et mon ignorance il fut abusé.
J'ai donné la Lefur à la rage et au sang
Moi la guide spirituelle d'un village en déclin
Par volonté sainte de sauver les paysans
Peut-être par jalousie aussi, œuvre du Malin
Sa jeunesse contrariait mon corps décadent
La fille aujourd'hui repose dans le fond marin.
J'ai donné mon âme par crainte et méchanceté
Je paye dans la mort le poids de ces péchés.
Le sacrifice donné nourrit mon existence
Moi le Tad-ar-pesked, le Père des poissons
J'ai reçu jusqu'au prix de leur précieuse enfance
Témoignage ultime d'une douce soumission
Qui les force à plier à ma moindre sentence
Je suis le juge dément de toutes leurs déviations.
Ils ont donné leur âme parce que je l'ai demandée
La jeune Ana Lefur m'a enfin rassasié.