Introduction-Ep-1

Je vais faire partie d'une organisation secrète. Je fais partie d'une organisation secrète. Maman, ton fils fait partie d'une organisation secrète. C'est assez horrible de savoir que la plus grande fierté de ma vie sera à jamais un secret.
Mes mains se crispent sur le volant, alors que les bornes défilent sur la route déserte. Je jette un énième coup d’œil sur la carte étalée sur mon siège passager, et sans surprise après plus d'une demi heure de ligne droite : je suis toujours sur le bon chemin.
J'ai signé. J'ai signé, et je fais partie de la plus grande organisation secrète du monde. Si on y pense, je n'en sais rien, parce que si une autre organisation est encore plus secrète… La route. Je suis sur la bonne route?
Un coup d’œil. La carte. Le bon chemin.
Je sens dans mon estomac un vertige se former. Mon premier jour. Le premier du reste de ma vie. Finie, l'ingénierie. Je vais faire partie du rempart entre l'inconnu et l'Humanité. Je vais faire partie de la Fondation. Je ne peux retenir un rire nerveux. Je suis un agent secret. Je suis un… ingénieur secret.
Ça y est. Ça commence. Je vois au loin apparaître un grand barrage grillagé et barbelé devant lequel se découpe une silhouette. Alors que je me rapproche en ralentissant, les mains tremblantes d'excitation. Je m’arrête à la hauteur face à la grille coulissante, et fais descendre ma vitre latérale. Un homme d'une quarantaine d'années en uniforme de police, un sourire au lèvre, vient y installer ses deux bras nonchalants. Son accent du sud me réchauffe presque.
"Bonjour à vous mon bon m'ssieur! On s'est perdu? C't'une zone privée par ici, je vais d'voir vous d'mander d'partir ! Vous pouvez faire demi tour à contresens, pas de problème, y a jamais personne ici!"
Ses mouvements de bras m'indiquent la route d'où je viens. J'avale ma salive. C'est ici.
"- Je … Je suis là où je dois être.
- Braconnage?"
Je n'arrive pas à me concentrer. Le policier est trop sympathique pour que je sois professionnel. Allez John! Dis quelque chose de professionnel!
"Hein?"
Parfait. Tu gères, l'ingénieur secret. Parles plus jamais de la fierté de ta mère.
"Le braconnage! Ça peut monter facile à deux ans de prisons, savez? On a une faune là dedans… Rare, rare! Savez, on poste pas des policiers à tout les coins de forets, et celui là, des braconniers, il en attire!"
John, tu l'as appris par cœur. Tant pis pour la prononciation. Je m’éclaircis la gorge.
"Frustra probatur quod probatum non relevat."
C'est en vain que l'on prouve ce qui n'est pas pertinent. Le principe de mon nouveau travail. Mon mot de passe semble faire son effet, l'homme se relève, scrute méticuleusement l'horizon, et appuie son doigt contre son oreille, m'ignorant complètement.
"Sniper 2 et 8, retournez à la surveillance de la route. Code correct."
Plus d'accent du sud. Plus de vocabulaire déplorable. Plus de bonhomie. Mais apparemment, toujours le sniper 1, 3, 4, 5, 6, 7, peut-être plus… Il se repenche à ma vitre. Son sourire est toujours là. Je réalise doucement ce que je savais. Un collègue. Je serais peut être aussi classe, un jour.
"Papiers et accréditations, s'il vous plaît. Des armes dans la voiture?"
Je secoue la tête et avance lentement vers mon vide de poche, les manches retroussées. On m'a bien précisé de ne pas être brusque, et encore moins suspect. Je sors mes contrats, et mon accréditation temporaire, et les lui tends.
"- A vrai dire, je suis…
- Nouveau !" Il agite mon accréditation avant de s'y replonger. "Pas de doute ! John Martin? On m'a laissé quelque chose pour vous."
Je le vois s'éloigner vers le petit poste de garde. Je me rends soudainement compte que je ne sais rien de ce dans quoi je m'engage. Pitié. Pas une balle dans la tête. J'espère qu'on ne m'a pas laissé une balle dans la tête. Je regarde autour de moi. Un autre agent, que je n'avais même pas entendu approcher, et en train de regarder avec un miroir de recherche s'il n'y a pas une bombe sous ma voiture. Pas de bombe, alors pas de balle? L'autre agent revient, et me tend un rectangle plastifié.
"Votre badge! Accrochez le bien en évidence, surtout pour le deuxième contrôle qui va suivre. Clear?"
Je relève la tête à temps pour voir que la question s'adresse au démineur. Son signe de tête et son sourire me confirme ce que je savais, mais que j'avais hâte de partager : je ne suis pas un terroriste.
J'entends les crève-pneus s'abaisser, un garde fait coulisser la grille. Je sens monter en moi une vague d'adrénaline. Ma twingo me paraît aujourd'hui comme la plus excitante des montagnes russes. Dites le. Dites le moi, collègue.
Il me regarde dans les yeux et s'écarte de la voiture, un sourire au lèvre. Je ne sais pas pourquoi j'ai envie de l’appeler mon ami. Dites le.
"Eh bien John, je vous souhaite la bienvenue au Site Aleph !"1

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