Introduction Au Bureau des Fonds Monétaires et des Taxations Volatiles

Un escalier de fer, un couloir étroit et obscur, au fond de ce couloir une porte, entrouverte d'où nous parviennent les accords d'une musique qui en ce lieu paraît irréelle…

« Allez-y, allez-y entrez ! Vous êtes en retard, en plus d'être particulièrement mal habillé. En même temps c'est votre premier jour, mmh ? Alors jetez-moi cette blouse dans l'incinérateur prévu à cet effet, et pour demain vous aurez fait recouper ce pantalon et cirer ces chaussures ! » s'écria l'homme barbu en costume trois pièces noir, cigarette au bec. Dans le bureau au fond du couloir, l'air était épais comme le son du vinyle qui tournait.

« Allez, cessez de trembler, installez-vous, ajouta-t-il en posant sa cigarette dans un cendrier de saphir. Avant toute chose, j'ai besoin que vous signiez ceci. Ne regardez pas le contrat, c'est sans importance. »

Le stylo était lourd et finement ouvragé. Un Mont Blanc, comme l'indiquait le blason sur le capuchon. La bille, d'un confort rare et distingué, déposait sur le papier blanc une encre du même ton que la cravate de l'étrange personnage.

« Parfait ! Maintenant passons aux choses sérieuses. Ne vous êtes-vous jamais demandé d'où sortait l'argent de la Fondation ? De ce qu'on faisait des quantités aberrantes de produits normaux qu'on crée ? De comment on arrive à se financer malgré notre ingérence crasse ? De si toutes nos entreprises-écran étaient rentables ? Probablement pas, mais c'est désormais ce qui va vous obséder.

Bienvenue au Bureau des Fonds Monétaires et des Taxations Volatiles, ou comme nous collègues les plus plaisantins aiment nous appeler, le BFMTV. Rassurez-vous, nous ne partageons avec la chaîne de télévision que le goût pour les cravates, l'argent et la cocaïne. Je plaisante pour la cocaïne. Mais j'ai quand même besoin de votre dossier médical et de toutes les addictions présentes ou passées qui vous concernent. Rien de grave, juste un moyen de pression comme un autre.

Revenons-en à votre présence dans mon bureau, d'ailleurs vous pliez le tapis avec le fauteuil. Merci. Vous êtes sans doute passé par une école de commerce, d'économie ou avez un passé dans la finance, c'est sûrement le Département de Gestion Comptable qui vous a transféré, ou alors vous êtes un agent de FIM. À vrai dire, je n'ai pas lu votre dossier, je ne m'occupe pas du recrutement. En bref, vous puez l'argent, vous avez le bagou, le sens des affaires. Et c'est une excellente nouvelle, parce que vous allez pouvoir allier votre plus grande passion avec votre métier : faire du fric pour la Fondation.

Nous ne sommes pas le Département de Gestion Comptable. Pas question de gérer les salaires, d'attribuer des budgets, de payer les gens. Non non non, nous ne payons jamais personne, nous générons du profit. Compter chaque centime, ne jamais rendre la monnaie, tordre chaque PCS, chaque protocole, chaque opération pour maximiser le bénéfice et réduire les coûts, traquer le filon financier dans chaque description, aller redresser nos couvertures pour les rendre rentables, racketter les Groupes d'Intérêt, voilà notre quotidien. Le dernier point est faux.

Pour cela, il y a besoin d'une victime et d'un mode opératoire. La finance, c'est comme le crime organisé, sauf que… Non, c'est comme le crime organisé. Nous avons plusieurs cibles, des plus évidentes aux plus complexes.

La première, et la plus terre-à-terre, c'est la partie Taxations Volatiles. Évidemment, la société n'a rien d'idéal, et la Fondation est soumise, notamment à travers ses entreprises-écrans, à ce racket officiel qu'est l'impôt. Il convient donc évidemment d'esquiver le fisc, avec panache et adresse évidemment. Pour le moment, vous semblez manquer du premier, » jeta d'un ton acide celui qui répondait au nom de Charles Borel.

« Mais revenons au principal. En dehors de l'acrobatie financière, la rentabilisation des procédures de confinement spéciales et des projets financiers représente une seconde manne sur laquelle se fixer. Bien sûr, nous ne sommes pas Marshall, Carter & Dark, on ne va pas vendre des anomalies, enfin pas directement.

Notre cible : les classes en dehors de la juridiction, les anomalies pas vraiment anormales, les rejets et produits de ces trucs. Et puis évidemment, tout ce qui est Éparque ou Gödel. Si vous vous demandez pourquoi il y en a si peu en confinement, et que les seules anomalies avec cette classe mériteraient une reclassification SEKT, ne cherchez pas : c'est nous. Le Bureau est évidemment à l'origine de certaines anomalies dans les procédures de confinement spéciales, comme par exemple là où on range les jarres de SCP-373-FR ou ce qu'on fait des épées de SCP-298-FR. Évidemment, si on se rend compte que les produits sont anormaux, on les neutralise avant la vente, pas question de vendre de l'anormalité ! Ahem.

Et normalement, dans vos habits mal coupés, avec votre tête de merlan frit, vous devez sûrement vous demandez "mais enfin, pourquoi un toxicologue est à la tête de ce machin ?" Et bien laisser moi vous éclairer. »

Charles Borel, qui entre temps s'était remis à fumer, sortit d'un tiroir de son bureau une plaquette de comprimés blanc. Il en manquait trois d'entre eux.

« Vous voyez ça ? C'est notre produit phare. Une version compactée d'un produit de la synthèse des amnésiques de Classe A. Bien moins efficace que les vrais, ils sont parfaitement non-anormaux, et on en produit des tonnes en même temps que les Classe A. La Fondation appelle ça officiellement les pseudo-amnésiques de Classe A*, mais dans la société civile on appelle ça le GHB. Un vrai carton. Plusieurs millions de bénéfices par an, sans aucun doute ma plus grande réussite au sein de la Fondation. Bien sûr, la production de drogues et de médicaments par nos département de recherches est un commerce lucratif, en plus d'occuper les labos quand ils n'ont pas d'anomalies à traiter, mais c'est loin d'être notre seul domaine d'activité, juste mon préféré avec la ratification sauvage des autres documents pour optimiser le profit.

Avec tout ça, vous devez vous demander qui sont nos ennemis. Non, ce ne sont pas Anderson. Non, ce n'est pas la Fabrique. Non, ce n'est pas Sanofi-Pasteur, ni même nos concurrents réguliers mes ex-employeurs Marshall, Carter & Dark. Non, notre véritable ennemi, celui qui vient sans cesse dans nos pattes nous empêcher de travailler, cet animal ingrat qui mord la main qui le nourrit, c'est le Comité d'Éthique. À partir de maintenant, apprenez à encore plus les détester que les Allemands en 45, parce que leur seul et unique but mesquin est de brider notre talent, limiter notre action, museler notre art.

Comme je l'ai déjà dit, il vous faudra une victime, ça c'est fait, mais aussi un mode opératoire. Et sur ce point, nous sommes des requins en eau trouble, des charognards du billet vert, des prédateurs au sourire Ultrabrite. Si vous voulez démarcher les gens, arnaquer des petites vieilles ou mettre des millions de personnes à la rue, il vous faudra l'art et la manière, le regard et le costume. Je n'ai pas fait s'écrouler Lehman-Brothers en chemise mal repassée, c'eut été impossible. Alors débrouillez-vous, payez des coach et des stylistes, allez demander à Hugo Boss si ça vous chante mais je veux vous voir à la fin de la semaine sapé comme Patrick Bateman avec le même état d'esprit ! »

Borel se leva de toute sa hauteur, un dossier dans la main. La fumée qui s'échappait de sa cigarette était lourde et nauséeuse, comme chargée des milles couleurs de son amertume.

« Bon, et maintenant signez-moi ça avant d'aller rejoindre votre bureau. On vous a préparé le champagne, et vous trouverez un petit plateau et ce qui va avec pour utiliser votre carte bleue, ou votre tout nouvelle carte de visite si vous préférez. Il y a aussi la liste des villas de fonction, choisissez celle que vous voulez, le personnel est compris. Après tout, on a bien le droit de se servir un peu, non ?

Par contre, dernière chose. Tant que nous sommes dans le sous-sol du Site-Aleph, je vous interdit de me demander ce que je fais de mes week-ends ou pourquoi j'ai une batte de baseball dans mon porte-parapluie, c'est clair ? Et arrêtez de fixer mon nez, j'ai l'impression qu'il m'en reste dans la moustache maintenant. »

« Oh, ça ? Mais c'est votre contrat de travail enfin ! Le premier truc, c'était votre renoncement à votre héritage pour m'en léguer la totalité. Heureusement que vous avez une assurance-vie grâce au Bureau des Fonds Monétaires et des Taxations Volatiles ! »

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