Introduction à la Cellule de Recherche pour le Déconfinement

1. Recontextualisation

Le vingtième siècle a été une des périodes les plus mouvementées pour la préservation du Voile et de la Fondation. À cette période, on a pu assister à un boom des anomalies manufacturées, ce qui mena conjointement et inévitablement à la Seconde Guerre Mondiale et la Septième Guerre Occulte, puis à la Guerre Froide. Paradoxalement, cette explosion parascientifique et cette fragilisation du Voile mena les organisations paranormales pour la préservation de la normalité à se renforcer, s’améliorer, jusqu’à atteindre leur plein potentiel. Cette période, qui commença véritablement à se mettre en place durant la Guerre Froide, sera retenue par les historiens de la question anormale comme "L'Âge d'Or de La Normalité"

C’est à cette époque que la première anomalie expliquée scientifiquement fut reclassifiée1. L’essor de la recherche pour la préservation du Voile avait mené la Fondation à améliorer ses connaissances en parasciences, et avait ainsi permis de reconsidérer une anomalie mineure comme réellement normale. Devant l’éventualité qu’un tel événement se reproduise, une cellule spécifique fut mise sur pied au sein du Département Scientifique2, avec pour but de se concentrer sur la recherche de procédés d'explication de l'anormal. La Cellule de Recherche pour le Déconfinement était née.

La Fondation a en effet été confrontée à un dilemme avec la course à l’armement paranormal. Certaines voix se sont faites entendre au sein de l’organisation, qui contestait le choix des missions qui freinaient le développement de l’humanité. Le débat fut houleux, car les opposant à la politique de confinement étaient divers. Il y avait aussi bien de fervents patriotes en quêtes de suprématie technique de leur pays que des humanistes profondément persuadés que lever le Voile serait chose bénéfique pour l’humanité toute entière. On reconsidérait les capacités de la société normale à accueillir l'étrange. Sur cette courte période, de nombreuses fuites d’informations et trahisons furent observées, jusqu’à ce que le Conseil O5 tranche : étant donné les dégâts causés par la Septième Guerre Occulte et la situation mondiale en cette période de développement anormal, il était clair que l’humanité n’avait pas le recul nécessaire pour se servir de l’anormal de façon productive et bénéfique.

Cependant, la possibilité de faire avancer l’humanité en convertissant l’anormal en la normale était alléchante, et c’est ainsi que la CRD vit le jour. Sans toutefois s’investir du pouvoir d’atteindre une telle utopie, elle a pu s’avérer utile à la Fondation à bien des égards.

2. Organisation et Missions

La Cellule de Recherche pour le Déconfinement est internationale. Tous ses membres sont répartis à travers les différentes branches de la Fondation. Les recherches de la CRD sont stockées et échangées sur un serveur spécifique, et font donc l’objet d’une collaboration internationale. Chaque branche dispose de son Chef de Projet, et l’entièreté de la CRD est sous la responsabilité d’un Superviseur de Recherche.3 Le Superviseur doit rendre un rapport régulier des recherches et accomplissements de la CRD au Conseil O5.

La CRD est principalement composée de chercheurs en parasciences, de théoriciens de l’anormalité, d’anthropologues, de philosophes, de psychologues et de spécialistes du confinement. Elle travaille conjointement avec de nombreuses divisions de la Fondation ainsi qu’avec plusieurs FIM, étant donné son besoin permanent d’avoir une vue globale de l’anormal. En 2011, une proposition non-aboutie concernant la création d’une Force d’Intervention Mobile dédiée fut émise, permettant de modifier favorablement le statut de la CRD. Cela aurait notamment pu lui permettre de se rendre sur le terrain et d’avoir une reconnaissance supérieure en tant que FIM, cependant la demande fut jugée inutile et d’intérêt moindre.

Il convient de faire un point sur les missions de la CRD. En effet, la Fondation n’a pas initialement pour but de déconfiner les anomalies après les avoir expliquées. Une anomalie, même comprise par la recherche parascientifique, peut rester un danger pour la population. Il a donc fallu que la CRD, lors de sa mise en place, soit soumise à une évaluation par le Haut Commandement et le Comité d'Éthique.

La CRD a pour mission principale de statuer sur la limite entre anormalité et normalité, par l’observation la plus complète possible de la réalité. Elle doit vérifier l'évolution de la question anormale dans le monde, dans le but de potentielles déclassifications. Elle doit chercher avant tout à comprendre le monde normal et anormal, sous toutes ses coutures. Enfin, elle étudie de potentiels procédés d’explication des anomalies, pour vérifier entre autres si celles-ci sont bien anormales.

3. Définitions

Le principal problème rencontré par la CRD est de déterminer la limite entre normalité et anormalité. Plusieurs définitions entrent en conflit. L’approche naturaliste voudrait que l’anormalité soit un phénomène qui déroge aux lois physico-chimiques connues, ce qui définirait une barrière assez claire, avec un fonctionnement binaire. Seulement, les parasciences ne sont pas ou peu compatibles avec les sciences. De nombreuses théories et modèles ont été proposés pour remédier à ce problème, sans vraiment avoir été vérifiés. Ruissellements chromatiques, rayonnements quantiques, ponts singuliers, ricochets dimensionnels et bien d’autres modèles aux noms farfelus, incapables de répondre à la grande question. Car si l’on était parvenu à un modèle fonctionnel et entièrement compréhensible, la question de l’anormal n’aurait rapidement plus lieu d’être.

Une seconde définition confère une approche plus philosophique et psychologique au problème. L’anormal et la normale seraient en fait une question de perception de la réalité. Cette thèse s’appuie sur le fait que rien d’autre ne différencie ces deux concepts que cette étiquette qu’on leur attribue. Les deux sont infiniment variés, complexes, peuvent être aussi dangereux que neutres ou bénéfiques, et ne sont finalement définis que par notre vision de la réalité. On pourrait ainsi expliquer des phénomènes en opérant un changement de paradigme, une évolution de la perception. Cette thèse, considérée par certains comme fantaisiste dans les années 40, a été depuis étayée par de nombreux travaux anthropologiques et pathologiques comme la découverte du syndrome de Filbuson, démontrant bien que le paradigme d’un être humain pouvait radicalement influer sur sa vision de la réalité physique.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la CRD doit composer avec ces deux principaux ensembles de définitions. En effet, en l’absence d’une éradication complète du concept de l’anormal, il faut concilier ces deux visions avec justesse. Une dernière théorie, peu reconnue par la communauté parascientifique, argumente en la faveur d’une vision binaire : l’anormalité serait le contraire de la normalité et rien de plus. C’est une théorie qui fonctionne seulement car elle règle son principal problème (à savoir le fait que des choses considérées comme anormales peuvent être reconsidérées comme normales avec le temps) en stipulant que notre compréhension de la limite est incomplète, imparfaite et biaisée par notre perception du monde. Ce dernier argument est un fait qui sert de base à la CRD : notre compréhension de la limite entre ces concepts est imparfaite voire impossible. En poussant plus loin pour certains, si cette distinction est impossible, c’est qu’il n’y en a peut-être pas au final.

Pour faire simple, il y a donc au sein de la CRD une Approche Naturaliste de l’Anormal, qui stipule que tout peut et va être expliqué par les sciences à un moment donné. L’Approche Perceptive de l’Anormal, elle, stipule que la limite n’est qu’une question de perception de la réalité. On distingue ensuite deux camps, définis respectivement par les Théories de l’Anormalité Hétérogène et Homogène, qui s’opposent sur la distinction exclusive ou inclusive de l’anormalité et de la normalité. La CRD, lorsqu’elle examine un cas, doit donc statuer en examinant toutes les possibilités, en considérant en priorité l’aspect scientifique de façon à préserver le Voile, tout en étant en accord avec les principes de la Fondation.

4. Procédés d’Explication

Une anomalie expliquée (abrégées en EX par la suite pour plus de concision) est une anomalie scientifiquement et rigoureusement expliquée, qui n’est plus considérée comme anormale au regard de la majeure partie de la société. Un EX n’est pas un objet neutralisé. Son caractère "anormal" est toujours présent à l’identique, ou à peu près à l’identique, car certaines anomalies font débats. Étudiées par la CRD, on notera certaines anomalies largement diffusées dans le monde qui sont toujours considérées comme anormales. Dans ce cas de figure, c’est le Département de la Censure et de la Désinformation qui se charge de l’objet.

Les objets d'études suivants sont des exemples d’anomalies qui, à un moment où un autre de l’histoire, ont été déclassifiées. Ne vous fiez cependant pas à l’évidence apparente de cette liste, ces phénomènes ont été sélectionnés pour le débat qu’elles ont suscité dans leur contexte :

  • Des pandémies comme la peste noire ;
  • Certains animaux comme l’ornithorynque ou le pangolin, sans compter de nombreux fossiles4 ;
  • Certaines avancées technologiques comme la fission nucléaire ou l’électricité5 ;
  • De nombreuses maladies rares tout comme des sexualités considérées comme déviantes ;

Il existe de nombreux motifs de passages de rapports en EX. Cela peut être, entre autres :

  • Un courant de pensée dépassé ;
  • Une avancée dans la recherche scientifique ;
  • Une documentation périmée6 ;

Comme vous vous en doutez, il existe une multitude de cas particuliers où les faits scientifiques, la perception et les priorités de la Fondation doivent être examinés et croisés pour arriver à une conclusion sur la nécessité de reclassifier une anomalie en EX. Une anomalie sera reclassifié EX si nous avons la certitude de sa normalité, et qu’elle ne présente aucun danger pour la préservation du Voile. Cela nous oblige parfois à étendre notre champ d’examen aux anomalies que le sujet serait capable de révéler indirectement s’il était introduit dans la société normale, d’autant plus quand il s’agit d’avancées techniques ou scientifiques. De part les mesures de précaution et d’observations prises, seulement 3 % des anomalies examinées par la CRD sont reclassifiées.

5. Faits anormaux

On entend souvent parler d’effets anormaux, cependant la CRD examine aussi un autre aspect du problème anormal, que l’on nomme les faits anormaux. Les faits anormaux sont des aspects d’une anomalies qui sont anormaux en soi sans avoir de conséquence directe sur leur environnement ou leur observation. Les anomalies faisant l’objet de faits anormaux sont exemptées d’office de reclassification en EX, parfois même d’observation par la CRD, car les faits anormaux ne sont souvent pas explicables puisqu’ils s’appuient sur de la logique pure et simple.

Mis en évidence par le Dr Morgane Clastre en 1992, les faits anormaux sont plus difficiles à déceler sans prendre un recul considérable. Grossièrement, on peu déceler les faits anormaux en observant une anomalie tout en considérant un par un que ses effets anormaux sont normaux, en se demandant au fur et à mesure ce qui peut encore être anormal. Cette méthode était utilisée pour toute observation d’anomalie bien avant la thèse du Dr Clastre, cependant elle fut la première à la creuser jusqu’à mettre en évidence ces faits anormaux.

Un exemple de fait anormal est celui des anomalies vivantes dites "singulières"7. Cela signifie qu’elles sont, à notre connaissance, des exceptions. En considérant qu’elles puissent être expliquées, il reste le fait qu’elles ne répondent pas à une évolution classique, échappant complètement aux théories évolutionnistes8. Finalement, le fait anormal est qu’elles ne soient présentes qu’en un seul exemplaire dans la nature. Cela empêche presque d’office qu’elles soient expliquées tant que d’autres exemplaires de la même espèce ne sont pas retrouvés.

Les faits anormaux sont difficiles à déceler. Certaines anomalies considérées normales durant une partie de l’histoire de l’humanité ont été décelées par des incohérences indirectes, des faits anormaux qui ont obligé la mise en place de couvertures par le DCD. Dans les années cinquante, la découverte et la recherche intensive d’incohérences historiques entre différents événements ont permis la découverte de plusieurs dizaines d’anomalies temporelles. Les faits anormaux sont donc des paramètres très importants à prendre en compte pour la CRD.

6. Paradoxes et Polémiques

Certains théoriciens de l’explication ont décidé à maintes reprises de se projeter dans le futur, et se sont heurtés à un problème massif. La CRD ayant pour but de trouver la limite la plus limpide entre la normalité et l’anormalité, elle ne peut cependant pas l’atteindre. En effet, sa simple existence démontre qu’il peut y avoir des erreurs, et qu’une définition claire et précise demanderait une omniscience absolue. La seule solution serait d’attester d’un consensus, qui serait forcément imparfait et contre-productif. Le statu quo est impossible, et la mission du CRD serait donc inutile, dans tous les cas un éternel recommencement.

Une seconde théorie avance que si nous sommes en mesure de faire évoluer notre compréhension du monde, et que l’explication existe et ne marche que dans un sens, nous serions hypothétiquement un jour capable d’expliquer n’importe quel phénomène. On parle bien d’éliminer le concept même d’anormalité. Notons cependant que la Fondation ne perdrait pas de son utilité, car le confinement de certains phénomènes n’est pas une option. Cependant l’élimination du concept d’anormalité, pour certains, serait aussi une élimination de la normalité. Si tout est normal, rien ne le serait réellement. Rétrospectivement pour ceux qui ont poussé la théorie plus loin, cela signifierait que ce que l’on considère comme normal serait en vérité aussi anormal que le reste.

La majorité se repose tout de même sur la possibilité qu’une partie importante du champ anormal ne serait tout simplement pas rationnelle et explicable par une méthode. Il y aurait donc plusieurs couches :

  • Un Anormal Brut, inexplicable quoi qu’on en dise ;
  • Un Anormal Factuel, inexplicable par toutes nos sciences et par rapport à notre réalité autrement que par des théories (anomalies interdimensionnelles ou singulières) ;
  • Un Anormal Rationnel, explicable, mesurable voire manipulable par les parasciences (taux de réalité, électro-thaumaturgie, rituels) ;

Ces considérations posent de nombreuses interrogations au sein de la Cellule de Recherche pour le Déconfinement. C’est pourquoi la priorité de la recherche est le déconfinement en accord avec la sécurité, la nécessité de confinement et la protection. La Fondation cherche avant tout à protéger l’humanité de ce qui pourrait lui porter atteinte, autant physiquement que sur ce qu’elle croit savoir. Elle n’a pas particulièrement l’intention de freiner son développement, même s’il est vrai que la question divise encore aujourd’hui.

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