Mujin est le plus grand Nexus de la péninsule coréenne sur deux critères : sa taille et son anormalité. L'anormalité de Mujin semble être toujours en relation avec la brume et sa nature la plus évidente est l'isolation. De ce fait, même si l'activité anormale y est forte, la plupart des événements anormaux se déroulant à Mujin ne sont pas une menace pour l'intégrité du Voile et se limite à des expériences personnelles. Il semble aussi que le Nexus soit lié à la chute périodique du niveau local de Hume à Mujin.
- Dr Seonwu Anan, Recherches sur les caractéristiques de Mujin en tant que Nexus
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31 octobre
Mujin en Jeolla du Sud en République de Corée
Il n'est pas rare pour une ville côtière d'être envahie par la brume, mais le cas de Mujin était légèrement différent. Elle ne changeait sa densité que de brouillard à brume et de brume à brouillard. Elle n'a jamais réellement quitté entièrement Mujin. On ne l'appelle pas le port de la brume pour rien.
Certains visiteurs disent que si la brume n'avait pas été là, le tourisme et l'industrie de Mujin se porteraient bien mieux. C'était sans aucun doute l'indéniable vérité. À Mujin, chaque point de vue avait perdu de son sublime dans la brume, chaque idée de valeur s'était ternie dans la brume et toute passion flamboyante disparaissait dans la brume. La brume avait isolé cette région de l'extérieur et Mujin s'y était juste vaguement installé sans dynamisme ou inspiration, comme étouffée par la brume. Comme un chef-d'œuvre de la littérature l'avait décrite comme ayant "l'odeur de cadavres pourrissants", Mujin est un endroit à la manière d'une mare stagnante. La raison de mon plaisir à avoir quitté Mujin dans mon enfance pour aller étudier était la libération de cette foutue région, de cette foutue brume.
Cependant, alors que je vieillissais, je revins à Mujin en tant que membre de la société. Mujin avait l'air différent du point de vue d'un Agent de Terrain de la Fondation. La petite province de la ville semblait somnoler de lassitude à cause de la brume. Malgré tout, en tant que zone anormale la plus importante de la péninsule coréenne, la ville était le foyer de toutes les personnes souffrant du vœu d'outrepasser l'irréalité et de s'accrocher à la réalité. Ils n'avaient juste pas la force d'aller de l'avant. Le dégoût que j'ai de ma ville natale a presque été effacé le temps que j'y ai travaillé. Non, maintenant je ressentais un étrange attachement en plus de la sympathie que j'avais.
À la fin du mois d'octobre, un jour d'automne, je faisais ma patrouille habituelle à vélo sur les routes. Le Nx-64 était un endroit au nombre incalculable d'événements et d'objets anormaux, mais c'était aussi là où habitent des gens n'ayant aucune connaissance du Voile. C'est pour cela que nous devions rester sous couverture. Comme tous les Agents de Terrain, j'étais moi-même sous couverture. Un jour je suis un étudiant en reconversion à l'Université de Mujin, un autre jour je suis un policier au commissariat de Seomyeon et un autre jour je suis gardien au port de Mujin… À ce moment j'étais vendeur dans une petite compagnie d'assurances et ma tâche était d'arpenter et de trouver tout symptôme anormal dans la zone sud de Mujin.
C'était en début d'après-midi, la brume cachait déjà la lumière du soleil et les lampadaires peinaient à remplir leur rôle. J'allumai la lampe à LED nécessaire à ceux errant dans la purée de pois de Mujin et appuyai sur une pédale, assis sur le cadre en métal, le casque sur la tête. J'aimais travailler à vélo. Cela me laissait couvrir de plus grande zones par rapport à la marche en me donnant plus d'informations par rapport à la voiture.
Je passai par les maisons et les magasins couverts de mousse proches de l'aéroport de Mujin et entrai sur la petite route côtière. Sur le côté droit de la route se trouvait une digue face à la baie de Gwangyang. Alors que je suivais la route, je trouvai une jetée dirigée vers la mer à l'extérieur de la digue. Les habitants à proximité ne connaissaient que très peu cette jetée. Évidemment. La Fondation l'avait confinée en tant que SCP-521-KO.
SCP-521-KO était une jetée inutile mais fonctionnelle qui faisait se perdre dans la brume toute personne sur cette dernière et les rendait incapables de sortir. C'était une anomalie très connue dont tous les membres du personnel travaillant à Mujin avaient entendu parler. Cependant, à Mujin, tout le monde se perdait au moins une fois, même si ce n'était pas ici.
Alors que l'épais brouillard recouvrait la côte, la jetée montrait sa silhouette sporadiquement. La vieille jetée couverte de mousse était à la base une œuvre d'art et, même sans son anormalité, semblait étrange. Je ralentis face au petit poste de garde sur le côté de la jetée et m'y arrêtai.
"On dirait que tu es venu te perdre ici." blagua l'agent de sécurité en poste avec entrain.
"Oui, je pense que je vais aller directement en ville sans passer par le Site. Je peux te demander un peu de café ?"
Je descendis de mon vélo en m'appuyant contre le mur et il répondit.
"C'est la première fois que quelqu'un vient ici depuis des jours et ce n'est que pour une tasse de café ? Dommage qu'on n'en ait plus. Tiens, prends plutôt ça."
L'agent de sécurité me tendit une pomme.
"Wow, elle est brillante."
"Ma femme n'a pris que les plus grosses. Si j'avais su que tu venais je l'aurais pelée… hmmm…"
"Non, non. Je me sens presque mal de l'accepter."
"Tu es comme mon fils, fais-toi plaisir et prends-la."
"Eh bien… merci beaucoup. Je vais la déguster. Merci."
Je mordis dans la pomme que l'agent de sécurité m'avait donné. Alors que mes incisives se plantèrent dans la peau rouge légèrement striée de jaune, l'intérieur jaune était apparu. La pomme était juteuse à souhait d'un nectar sucré, exactement comme devait être une pomme cueillie en pleine saison. Je m'essuyai le jus de la bouche avec la manche et saluai le gardien. La pomme à la main, j'enfourchai à nouveau le vélo.
Sur la route, alors que je traversais la brise humide du littoral, je vis de grands arbres et de hauts bâtiments. Même si le soleil n'était pas encore couché, les lampadaires s'allumèrent à l'unisson dans une tentative de chasser le brouillard cachant la lumière du soleil. Sur ma gauche, au bout de la longue rue Yeosun, le panneau "Mujin" se montra.
La ville de Mujin était un endroit spécial pour la région avec sa population de centaines de milliers d'âmes. Depuis longtemps sa mairie et son centre commercial étaient en centre-ville, auxquels s'étaient ajouté la gare et le port. Le centre-ville de Mujin était toujours bondé par des gens venus y travailler ou y habiter.
J'arrêtai mon vélo face à une supérette où je m'arrêtais toujours et croquai à nouveau la pomme. Puis, je commençai à m'étouffer avec un morceau de pomme que je mâchais. La sensation de ce morceau roulant dans ma gorge et bloquant mon œsophage était exceptionnellement vive. Je toussai et m'étouffai. Heureusement, le morceau de pomme n'était pas trop bloqué. Il se dégagea rapidement et je pus respirer à nouveau.
Je pris une bouffée d'air et m'étirai quand tout à coup, le clignotement d'un lampadaire me fit remarquer en dessous de ce dernier le nom "Supermarché Eupseong" du coin de l'œil. C'était un petit magasin difficilement désignable comme un supermarché, mais plutôt comme une grande supérette. Ce genre de magasin se faisait discret dans l'urbanisation, mais c'était toujours une source essentielle d'informations, l'endroit étant souvent visité par les plus âgés. Je sortis la béquille du vélo, posai le sac et mon casque sur la selle et entrai dans le Supermarché Eupseong en ajustant mon uniforme. Sur deux portes coulissantes en verre se trouvaient de vieux tracts de l'époque où le système d'adresse changeait avec le nom des rues et de vieilles pubs pour de la bière, puis le carillon de la porte sonna. La vieille propriétaire du magasin tenait la boutique, assise au comptoir et me dit en souriant :
"Wow ! T'es si pressé de manger ? Fais gaffe, j'ai pas de médoc pour le mal de bide."
"Haha, cette pomme est trop bonne. Vous n'avez rien de spécial ?"
"Nan, que dalle. Ça a pas changé depuis la dernière fois. Enfin, on a les pommes là-bas. Tu veux pas les goûter ? Elles sont de Daegu. Elles sont jolies et très bonnes…"
"Oh, c'est presque l'heure du dîner. Eh bien, celle-là devrait faire l'affaire. Et même si ce n'est pas bon pour mes yeux il n'y aura rien d'autre que le brouillard à voir."
"Ah bon ? Ah oui, c'est vrai. Regarde-les au moins."
Nous discutions joyeusement en blaguant. Je souris et acquiesçai à sa réponse puis m'avançai vers l'étalage, faisant semblant de regarder les alentours. Elle commençait à s'assoupir alors que je sortais de son champ de vision. Il semblait que personne ne venait. Je supposais qu'il n'y avait rien à gagner ce jour-là. J'allais manger le reste de ma pomme en réfléchissant à ma prochaine destination. Sûrement à cause du fait que je m'étais étouffé avec, je fus prudent en amenant la pomme à ma bouche.
Je croquai dans la pomme à côté de la partie déjà croquée. Le troisième morceau entra dans ma bouche, laissant s'échapper son arôme. Dans ce goût sucré se faufila soudainement de l'acidité avant de disparaître, me faisant froncer les yeux, puis j'ouvris les yeux avec un sentiment inquiétant que quelque chose n'allait pas. Je me levai, ma jambe tremblante me soutenant encore du vertige m'ayant presque fait perdre conscience.
Je me frottai les yeux et me concentrai à nouveau, ressentant une drôle de sensation ne pouvant être expliquée avec des mots, mais je la sentais clairement, quelque chose était devenu étrange et inhabituel. Cette subtile inquiétude, elle était partout à Mujin, qui permettait aux gens de comprendre ce qui pouvait arriver dans cette ville anormale, avait disparu. La lumière éclairant ce petit magasin brillait d'une couleur différente. Sans le gris foncé, la clarté et les couleurs vives avaient pris cette place. Comme si quelqu'un venant d'un film du vingtième siècle était devenu réel.
"Il m'est arrivé quoi ?"
La pomme fraîchement mordue s'échappa de mes mains et tomba au sol. Le son de son roulement était si clair à mes oreilles. Sans le remarquer, je suivis la pomme des yeux. La pomme roula et s'arrêta alors qu'elle avait atteint l'entrée. Je m'avançai inévitablement vers la porte. Mais pas pour prendre la pomme. Je me frottai les yeux encore et encore jusqu'à ce qu'ils soient devenus rouges. Quand bien même, je ne pus croire ce que je vis.
La brume avait disparu.
Je ne pouvais pas trouver la brume qui était toujours là, même pas une once.
"Qu'est-il arrivé à cet endroit ?"
Ma voix était tremblante alors que je murmurais. De ce que je savais, Mujin n'avait jamais été aussi claire depuis les 70 dernières années où elle fut sous la surveillance de la Fondation. La brume était la caractéristique de base la plus importante décrivant Mujin. Mais le ciel que je regardais à ce moment n'avait rien, pas de brouillard, pas même un nuage. C'était un ciel clair d'automne si facilement visible à l'extérieur de Mujin. Le soleil se levait, souriant au-dessus des bâtiments les plus bas. Les lampadaires allumés l'instant d'avant s'étaient endormis, comme s'il n'y avait rien à faire à cette heure de la journée.
Je pris la pomme que j'avais fait tomber, la mis dans la poche de ma veste et m'avançai vers le comptoir. La propriétaire se réveilla, probablement car j'avais dérangé ses allées et venues.
"M'dame, m'dame !"
"J'ai pas perdu l'ouïe, qu'est-ce que tu fais à gueuler comme ça ?"
"Regardez dehors ! La brume a disparu !"
"Oh, qu'y a-t-il de si important avec le ciel dégagé ?"
"Vous n'êtes pas surprise ? La brume a quitté Mujin !"
"Mujin…? Qu'est-ce ?"
"…Hein ?"
Une voix confuse sortit de ma bouche. La propriétaire me regardait avec inquiétude comme si elle ne comprenait pas ce que je disais.
"Ha… haha, m'dame, quelle bonne blague."
"Pourquoi enquiquinez-vous une vieille dame ? Vous ne devriez pas faire ça !"
"M'dame, Mujin ! Vous êtes née et vivez à Mujin. Comment vous ne pouvez pas connaître Mujin, c'est en Jeolla du Sud !"
"De quoi parlez-vous ? Je suis de Suncheon."
"Quoi ? Non mais, je veux dire que même si vous êtes de Suncheon, ici c'est Mujin !"
"Vous allez bien ? Quelque chose ne va pas ? C'est Gwangyang ici !"
Elle exprimait sa colère comme si elle entendait des absurdités totales. Je perdis le fil de mes pensées et regardais fixement son visage. Je fus confus pendant un long moment, faisant passer sa colère à l'inquiétude, me demandant si j'allais bien. Je me redressai sans un mot. Ma tête était trop pleine d'informations pour en déduire quoi que ce soit. Peu importe à quel point j'y pensais, ce n'était pas logique que cette propriétaire ou qui que ce soit ne connaisse pas Mujin.
Quelque chose me vint à l'esprit. Je sortis du magasin tel un diable de sa boîte et regardai les affiches collées sur la porte. Dans cette masse de publicités se trouvait un vieil autocollant informatif sur le changement de système d'adresse que la mairie avait mis en place il y avait au moins dix ans.
'Veuillez utiliser le système d'adresse selon la rue. La nouvelle adresse de ce bâtiment est 29 Eupseong 1, Gwangyang'
Je regardais l'autocollant en vain. J'étais à Gwangyang. Cette note sur cette vitre me l'affirmait. J'étais à Mujin l'instant d'avant, mais j'étais à présent à Gwangyang. Hier, cette vieille dame était de Mujin et disait à présent qu'elle était de Suncheon. Je n'était pas à Mujin. Désormais j'étais à, j'étais à—
"—Où suis-je ?"
Je récupérai rapidement mon casque et l'enfilai. J'enlevai le cadenas en vitesse, tirai le vélo du râtelier et sautai sur la selle, appuyant sur la pédale. Il n'y avait pas de brouillard, il n'y avait donc aucune raison d'allumer les lumières. Si ce que je pensais était ce qui était arrivé, j'étais dans la modification de la réalité la plus importante ayant eu lieu dans ma carrière à la Fondation, non, dans ma vie. Ce n'était pas un problème sur lequel un agent de terrain puisse agir de son propre chef et même si ça l'était je n'avais aucune idée de quoi faire. Ce que je devais faire était de rapporter ça à l'administration pour que le site entier puisse s'en occuper. Je conduisis à vélo vers le sud en appuyant sur le bouton d'appel afin de communiquer via mon oreillette. La seule chose répondant était un bruit blanc de radio sonnant comme les vagues la mer. La disparition de la brume avait-elle eu des effets dans la zone ? Peu importe ce que c'était, la seule chose que je pouvais faire était de retourner au Site-64K.
Certains univers alternatifs sont très proches du nôtre et la réalité qu'ils possèdent n'a que quelques différences locales mineures. Nous avons décidé d'appeler ces univers alternatifs "Multi Réalité". Certains d'entre eux ont le même Centre que notre univers mais d'autres se sont développé à partir d'un Centre totalement différent. Ces univers peuvent interagir, se connecter et s'emboîter avec notre univers. Si la réalité locale est très basse, ces connexions peuvent avoir lieu momentanément sans intervention extérieure. Si le consensus de la réalité de notre univers s'effondre par un Scénario de Classe-XK, ces multi-réalités peuvent être un refuge.
- Dr Tristan Bailey, Sortie : Recherches sur la Multi-Réalité Alternable
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Cela ne m'avait pas pris trop de temps pour quitter la ville et rejoindre la route principale. Le panneau "Vous quittez la ville de Gwangyang. Au revoir." passa à ma droite, se moquant de moi. J'avais presque perdu l'énergie contrôlant mes jambes mais je ne pouvais pas m'arrêter. Je bougeais les jambes sans arrêt pour faire avancer le vélo. La chaîne couinait tout du long. J'arrivai à la route de Yeosu depuis celle d'Indoek en traversant l'intersection Hodu, puis me dirigeai vers la péninsule de Yeosu. Le district administratif de Mujin devait se trouver à 8 km de là, mais il n'y avait aucune trace de Mujin sur le panneau affichant "Yeosu 1 km".
Le ciel à l'ouest commençait à se teindre de couleurs rougeâtres. Lorsque Mujin était dans la brume, le coucher du soleil se diffusait dans cette dernière, donnant à tout le ciel une teinte rouge, était une vue incroyable. Mais le ciel de ce jour tombait dans les teintes bleues foncées, que le côté ouest soit couleur de feu ou non. Ce n'était pas très attrayant, même si les lampadaires sur les côtés commençaient à s'allumer. Ce que j'avais besoin de récupérer était quelque chose d'autre.
Sous le ciel disparaissant, loin de moi, je pouvais voir le phare. Habituellement il aurait été allumé toute la journée, mais le phare était froid et sombre. Avec un sentiment d'inquiétude, je me hâtai vers le site à travers le carrefour. Je cherchais ma carte d'identité d'une main dans ma veste mais perdis le contrôle du guidon dans l'autre main. Le vélo tomba et roula au sol. Mes mains et mes genoux étaient éraflés mais je pouvais toujours bouger.
Supportant la douleur, je redressai mon vélo. À cause de la chute, les roues s'étaient voilées et je ne pouvais plus le monter. Je déplaçai le vélo hors de la route et continuai à pied. Lorsque je pus voir l'entrée du site, je réalisai que la barricade et les gardes armés n'étaient pas là. Je m'approchai et non seulement le gardien à l'entrée n'était pas là, mais personne d'autre ne semblait être présent. Quelque chose avait dû mal tourner.
Le grillage métallique et le panneau d'interdiction d'entrée autour du site semblaient être plus anciens que les originaux mais étaient toujours là. Dans un coin du grillage qui était en dessous de hauteur d'épaule se situait une entrée pour les voitures et les membres du personnel, fermée elle aussi avec un chaîne et un cadenas. Ce n'était pas là lorsque j'avais quitté le site ce matin, mais la chaîne était rouillée comme si elle avait été là depuis des décennies sans maintenance.
Je frappai la chaîne avec mon casque en main mais elle restait intègre, ne faisant voler qu'un peu de rouille. Merde, les vieilles chaînes dans les films semblaient faciles à casser… Je jetai le casque sur le côté et sortis une mallette accrochée à l'arrière du vélo. Alors que je l'ouvrais, je pus trouver les outils pour réparer le vélo sous le document d'assurance pour la couverture.
Je serrai et tordis la chaîne avec une clé anglaise et la chaîne grinça. Je forçai encore plus et elle ne put résister. La partie fortement abîmée cassa.
"Super."
Je retirai la chaîne et ouvris soigneusement le portail de la clôture. Le rez-de-chaussée était normalement caché par le hangar du phare, mais n'avait rien de spécial et rien de plus maintenant. Toutes les lumières des fenêtres étaient éteintes et donnaient l'impression qu'il n'y avait rien même en regardant partout. Essayant de me calmer de la confusion, je me dirigeai vers l'Aile-S. La porte n'était pas verrouillée. Je la poussai délicatement et elle s'ouvrit avec un grincement. L'intérieur du bâtiment était sombre, sans aucune lumière allumée. J'allumai la lampe torche trouvée dans les outils de réparation pour le vélo.
Il n'y avait personne à l'intérieur. Comme si ça avait toujours été le cas.
"… Qu'est-ce que… ?"
Je faillis tomber. La volonté de ramener mon corps fatigué jusqu'ici s'était effondrée. Cet endroit supposé être l'entrée du Site-64K était devenu un hangar vide et insignifiant.
"Hé ho. Hé ho ! … Y'a quelqu'un ?"
Je me déplaçais dans la grande pièce vide en criant comme si j'avais perdu l'esprit.
"Je suis là, c'est moi… ! Répondez s'il vous plaît !"
Mais personne ne répondit.
Je pouvais sentir mon souffle se raccourcir. Pas parce quelque chose clochait dans mon corps ou l'atmosphère. J'étais terrifié, réalisant que quelque chose de fondamental supportant mon existence avait failli. Je fouillais désespérément dans le hangar abandonné en vain. Il n'y avait aucun complexe souterrain ici, même pas une petite cave. Il ne restait plus personne, pas même un objet anormal. Le Site-64K, la Fondation n'existait pas ici.
Après trente minutes de fouilles inutiles dans le bâtiment, je perdis toute mon énergie et me mis à pleurer. Comme un enfant ayant perdu ses parents, je pleurais de chagrin. Une émotion durant plus longtemps lorsqu'elle prend forme, la tristesse ayant éclaté sous la forme de larmes continuait sans s'arrêter.
Alors que les larmes s'arrêtaient lentement, la confusion et la tristesse ne durèrent plus longtemps. À la place, seul le vide semblait s'être installé en moi. J'ouvris la porte et sortis de l'Aile-S, non, d'un bâtiment abandonné que je ne pouvais même plus appeler Aile-S. Le coucher du soleil était caché derrière les collines à l'ouest. Un nombre incalculable d'étoiles recouvrait le sombre ciel où la lumière du soleil avait disparu. C'était un ciel nocturne magnifique que je voyais difficilement à Mujin, mais je n'étais pas d'humeur contemplative.
Qu'était-il arrivé à Mujin et à moi-même ? Je ne pouvais pas organiser le bazar dans ma tête. Je me souvins de conférences à des séminaires pour les agents, mais cela ne servait à rien. Je fouillais dans ma tête à me donner une migraine. Je ne m'étais jamais senti aussi impuissant.
Alors que je franchissais le grillage, je réfléchissais encore et marchais sans m'en rendre compte. C'était une marche involontaire sans réelle destination. Je mis les mains dans les poches de ma veste. Je fus surpris par la texture humide à l'intérieur et sortis la main. C'était le reste de la pomme que j'avais abandonné quelques heures auparavant qui séchait.
La pomme me donna une idée. Évidemment il n'y avait aucune brume, aucune Fondation, ou même aucune anomalie ici. Mais peut-être que SCP-521-KO, la jetée ayant toujours été là, pouvait toujours être présent ? N'avait-elle pas envie de se moquer des touristes dans cette brume ? Le gardien ne me demanderait-il pas gentiment si j'avais fait un cauchemar ou autre ?
SCP-521-KO n'était pas très loin du site. Je pouvais sentir l'espoir infondé grandir en moi. Je pris la pomme et la lampe-torche puis courus en direction de la côte.
À nouveau, je restais dévasté. La vieille jetée couverte de mousse était la même qu'avant, mais il n'y avait pas de brouillard. Face à la jetée ne se tenait aucun gardien ou poste de garde. Ce n'était qu'une jetée, une jetée ordinaire et abandonnée comme beaucoup d'autres sur la côte.
Je ne pouvais pas l'accepter, alors je me mis à marcher sur la jetée. Il n'y avait aucune anomalie obstructive m'empêchant d'atteindre le bord. Avec la brise de la mer, le genou blessé par la chute à vélo me faisait souffrir. Cette douleur me rendait encore plus misérable. C'était une preuve solide que cette foutue situation était réelle.
Finalement, j'atteignis le bord de la jetée et lis les mots sur un panneau s'y trouvant.
"Attention. La jetée est glissante"
"…Ha, hahaha. …ahahahaha."
Je riais. Je me sentais vide. Il n'y avait pas de brume, aucune forme d'anomalie n'était présente depuis le début. Cela aurait été la seule explication possible à cette réalité absurde. La Fondation n'y existerait pas non plus. S'il n'y avait aucune anomalie, pourquoi la Fondation serait ici ?
"Hahahahahaha ! Hahaha… Haaaa ! Ha ! Ahhhhh ! Ahhh ! Ahhhhh !"
Les rires continuaient sans énergie et se changèrent en cris de rage. C'était le chagrin. J'avais abandonné mon nom et mon honneur pour garder la normalité de la race humaine et pourquoi avais-je eu besoin d'être jeté dans ce monde normal sans préparation ? Pourquoi aurais-je eu besoin de perdre tout ce que j'aimais ? Je hurlais et serrais la pomme dans la main avant de la lancer au loin. Elle n'alla pas si loin et tomba dans la mer. Cependant, je glissai sur la surface couverte de mousse et chutai de la jetée.
Je tombai dans l'océan et ne pus retenir ma respiration. Après une grande inspiration, l'eau salée s'infiltra dans ma bouche et mon nez. Je commençais à me noyer et à couler. La froide réalité me pesait et m'appuyait dessus, alors qu'elle me prenait la gorge, imbibant chacune de mes alvéoles de sa mort. Dans le peu de conscience qui me restait, j'aperçus quelque chose.
La brume, la brume vint à moi et couvrait ma vue. La brume sombre, humide et familière se répandit et me recouvrit.
Je pouvais voir la lumière onduler sur la surface de l'eau. Je n'avais aucune idée de quelle lumière il s'agissait, mais je conclus que c'était la lumière du phare.
Ma vision devenant floue, je fixai la lumière. Je pouvais voir les nombreuses silhouettes humaines. Elles avaient l'air d'être toutes aussi confuses et souffrantes. Je pouvais les ressentir. J'étais capable de savoir qui elles étaient.
La brume n'avait pas disparu, nous étions ceux exilés de la brume…