Le 16 juin 1963, une équipe d'agents de la Fondation tenta et échoua à reconfiner SCP-2030 en fuite à Berlin-Ouest. L'extrait suivant est tiré du débriefing du chef d'équipe Louis Franklin. L'interrogatoire a été conduit le 18 juin 1963, par le chef de l'antenne de Berlin Marcel Gunther.
[Note : Certaines désignations peuvent ne plus être exactes.]
[Début de l'Extrait]
Interrogateur : Très bien Franklin, nous avons parlé en détail de l'évasion de SCP-2030 de son installation de confinement à Oslo et de sa poursuite subséquente conduite par ton équipe d'enquête de terrain. Maintenant, pourrais-tu donner davantage de contexte sur la rencontre à Berlin-Ouest ?
Franklin : Nous venions d'arriver en ville le matin du seize quand les Renseignements nous ont informés d'une rencontre prévue entre l'Agent Antonov, du KGB, et un employé de la Fondation se préparant à passer à l'ennemi. Le seul problème était que ce supposé transfuge avait été listé comme mort au combat assez récemment — et si vous avez lu le dossier sur vingt-trente, vous comprenez pourquoi cela a déclenché des alarmes.
Notre équipe était à moitié américaine et à moitié allemande — un groupe local. Nous nous sommes mis en route le soir du seize pour mettre un terme à la rencontre et attraper la chose. Antonov avait arrangé la rencontre dans un bar à Charlottenberg — un endroit petit et calme. Harrison s'était garé de l'autre côté de la rue dans la berline avec Michaels et Manteuffel. Tegelmann, Conley et Roberts surveillaient l'entrée de derrière avec le fusil automatique. Ludwig et moi filions Antonov à pied. Ce n'est que lorsqu'il a atteint la porte du bar que nous avons pu l'observer en détail et avons réalisé à quel point il devait être inexpérimenté.
Interrogateur : Qu'est-ce qui t'a donné cette impression ?
F : Il était habillé comme s'il n'y connaissait rien. Pas de gants ou de lunettes protectrices, pas d'attaché-case pour un masque à gaz ou un kit médico-légal — des basiques, que personne ayant déjà travaillé avec de la parascience auparavant n'oublierait avant de partir sur le terrain. Mais il est rentré dans ce bar comme s'il était le roi du monde — cela nous a montré, au moins, qu'il n'avait aucune idée de ce dans quoi il se jetait.
Interrogateur : Qu'avez-vous fait après son entrée dans le bâtiment ?
F : Ludwig et moi avons contacté les deux autres équipes après l'entrée d'Antonov — aucun signe de notre skip, donc nous nous sommes postés en bas de la rue et avons attendu pendant à peu près une demie-heure. Personne n'est entré ou sorti durant ce temps.
Tout d'un coup, Harrison est parti en faisant crisser les pneus- il avait vu quelques voitures de la Polizei arriver dans la rue sirènes hurlantes et a décollé en vitesse. Je me suis dit que les Américains avaient peut-être informé les Allemands de notre opération, donc nous nous sommes tirés également. Malheureusement, cela veut dire que personne ne surveillait la porte de devant. Plusieurs minutes ont passé avant que l'on soit sûrs que les flics ne venaient pas pour nous. Nous suspections que vingt-trente avait attendu une ouverture pour entrer dans le bar, donc Ludwig et moi avons décidé d'enquêter sur cette hypothèse à pied, tandis qu'Harrison était encore en train de battre en retraite.
Interrogateur : Vous avez été au contact de l'entité sans vos renforts en place ?
F : Nous n'étions au début pas sûrs qu'elle était là, mais je ne voulais pas donner une chance à notre skip de se terrer quelque part - ce qu'il ferait, si nous perdions sa trace.
Interrogateur : Je comprends. Qu'avez-vous trouvé lors de votre reconnaissance ?
F : Tout était plutôt normal ; deux femmes accoudées à un comptoir dégueulasse, des ouvriers ivres hurlant sur un jeu de cartes quelconque dans un coin. Au centre, recroquevillé au-dessus d'une table bancale sous la fenêtre de devant aux volets fermés, notre homme du KGB, en grande conversation avec l'Agent Hockaday.
Interrogateur : Hockaday a été déclaré décédé après la brèche d'Oslo, c'est cela ?
F : Tué lors de la brèche initiale — et ensuite vingt-trente a traîné son corps cahin-caha à travers la moitié de l'Europe.
Interrogateur : Mais pourquoi Hockaday ? Et d'ailleurs, pourquoi la créature voyageait vers l'est ?
F : Bon sang, Gunther, c'est ton antenne, tu sais qu'on pourrait jamais le suivre au-delà du mur. L'Allemagne de l'Est pourrait lui donner un refuge. La chose a dû appeler les contacts d'Hockaday dans la Stasi et arranger une défection — peut-être même qu'elle leur a dit ce qu'elle était.
Si nous avions été plus lents, vingt-trente aurait été dans les temps et en dehors de notre portée - mais là, il se tenait assis devant nous, les mains étendues sur la table, tout près des paumes nues du Russkof. Le processus d'infection sent fortement l'orange — ça l'a trahi avant même que je vois le visage d'Hockaday. Mais avant que je ne puisse alerter nos renforts, Ludwig a mal évalué la situation.
Interrogateur : Mal évalué ?
F : Ludwig connaissait pas mal de gars du site d'Oslo, il était peut-être plus secoué qu'il ne le montrait. Nous étions constamment en mouvement depuis la brèche — environ soixante heures de poursuite avaient peut-être embrumé son jugement. Je ne sais pas et je n'ai jamais eu la chance de lui demander. Pour une raison quelconque, dès qu'il a identifié la chose il a sorti son automatique et a commencé à tirer.
Le corps d'Hockaday a été maltraité et ses vêtements ont été déchiquetés, mais les balles rondes ne font pas grand chose à la semi-peau de vingt-trente. La créature s'est transformée en une masse et s'est élancée à travers la pièce en direction de Ludwig, qui ressemblait à une couverture faite en porridge, couleur y compris. Elle a frappé Ludwig de plein fouet et il est tombé comme un sac de briques. Pendant ce temps, mes mains étaient occupées à empêcher notre ami soviétique de partir en courant en direction de la porte.
Conley et Roberts ont débarqué par la porte de derrière alors que je venais de maîtriser Antonov, et Tegelmann les suivait avec le BAR. Le QG nous avait donné des munitions particulières pour ce skip — munitions super-denses perforantes ; très expérimentales. Ses deux premiers tirs ont pénétré droit dans le manteau de vingt-trente et dans Ludwig ; c'est moche, mais on pouvait rien y faire. Percé, le skip a commencé à saigner en quelques secondes. Le combat en entier n'a pas duré plus de deux minutes.
Interrogateur : Attendez un instant. Votre rapport dit que vous avez transporté cet agent du KGB loin du site d'engagement et l'avez relâché ; sans me consulter, au passage. Pourquoi l'avez-vous laissé en vie ?
F : Nous l'avons interrogé pendant que Michaels et Stettin étouffaient l'affaire — stérilisation de l'endroit et distribution d'amnésiques. Antonov n'était pas en état de nous cacher des choses. Il ne savait plus où il était, il respirait bruyamment, ses paupières étaient bleu foncé — tous les symptômes d'un début d'infestation par vingt-trente, et les drogues du skip étaient encore bien présentes dans son système. "Je dois aller voir Carre," a-t-il dit en premier, avant même qu'on lui demande son nom. Carre, disait-il, Carre. Très important. Absolument critique. Ça ne fait pas de doute, puisqu'il y avait une photo de cet enfoiré cousue dans la couture de son manteau.
Interrogateur : Carre ?
F : John Carre. Un espion de la CIA qui jouait un double-jeu entre les Américains et les Russkofs. Il a aidé à piller le Site-20 en 59. Mais on dirait que le Kremlin s'était rendu compte de tout ça. Ce qui explique qu'Antonov ait été donné en pâture à notre skip.
Interrogateur : Vous pensez que la rencontre avait pour objectif de…
F : …D'exposer Carre à vingt-trente, oui — le sortir du jeu sans que les Américains sachent que leur couverture avait sauté. Un enfoiré du KGB a dû se dire qu'ils pourraient aussi avoir leur part du gâteau — boucher une fuite, et par là-même mettre la main sur une flaque changeforme reconnaissante pour la protection. Tout ce dont ils avaient besoin, c'était quelqu'un de sacrifiable comme Antonov pour faire passer la créature de l'autre côté du mur et la faire entrer en contact avec Carre ; ils pourraient ensuite le remplacer par le skip, au nez et à la barbe des Américains.
Interrogateur : Tu faisais partie de l'équipe qui a en première confiné l'entité, Franklin, donc je sais que tu sais de quoi elle est capable. En quoi la connaissance de la mission d'Antonov justifiait de relâcher SCP-2030 dans la nature sans échéance claire de récupération ?
F : Carre est un cas particulier. Il fouine dans nos opérations et n'a que très peu de scrupules à vendre nos secrets… les équipes étrangères essayent de le neutraliser depuis un moment maintenant. Si l'attraper nécessite de laisser partir la chose et de faire passer par pertes et profits Antonov et dieu sait combien d'autres bons petits communistes… eh bien, appelez ça une question de nécessité opérationnelle.
Interrogateur : Je vous demande d'être à disposition, dans le cas où la créature tenterait de revenir. Pendant ce temps, Tegelmann prendra le relais de la traque des anomalies d'Oslo restantes.
F : Vingt-trente ne va pas disparaître longtemps. Il reviendra de ce côté du mur lorsqu'il aura fait long feu de l'autre — et je doute que nos amis russes apprécieront sa "gratitude"…
[Fin de l'Extrait]