Il était une fois... l'Espace
cnam

27.11.57
292 Rue Saint-Martin, Paris, 3ème Arr.


I.

« Quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au-dessus de sa tête. »


— Félicité ma bonne sœur, que vous dit Loulou ?

Lucien de Rubempré attendait, inquiet, la réponse providentielle de Félicité. Celui qui jadis vivait une vie de rêve en tant que rédacteur de critiques douteuses mais grassement payées, maniant les vérités variables au profit de ses finances et de son statut personnel, et ayant fait payer le prix de ses mensonge à celle qu'il aimait, victime de ses illusions perdues, chérissait aujourd'hui la vérité plus que tout au monde. Pendant ce temps, Charlotte Guillard observait, circonspecte, la situation. S'attendait-elle à cela en demandant à visiter les Fonds Anormaux du Conservatoire des Arts et Métiers ? Certes les Archives Noires l'avait prévenue : "Toute professeure et membre d'une organisation anormale que vous êtes, l'accès à l'entrée de nos salles techniques ne vous ouvre pas automatiquement les portes de nos inventaires." Des mots cryptiques qu'elle comprenait mieux maintenant.
— Madame Guillard, dit la bonne sœur aux yeux blancs immaculés sous son linceul ébène, votre cœur est-il simple ?
— Je… Je pense que oui.

Charlotte regarda du coin de l’œil l'archiviste De Rubempré, agent des Archives Noires, celui qui il y a quelques minutes lui expliquait comment les Fonds Anormaux fonctionnaient : "Ce ne sont que des formalités, un moyen de nous assurer que seuls les organisations étrangères en accord avec nos principes accèdent à des inventaires dont les techniques, mises entre de mauvaises mains, font courir un grand risque pour notre pays. Vous allez d'abord passer par ce que j'appelle la succursale de la Sincérité et discuter avec ma collègue, Félicité. Ne faites pas attention au perroquet géant auréolé de lumière divine derrière elle."
— Loulou demande la raison de votre venue, reprit Félicité.
— Bien… comme vous le savez, le voyage de la Terre à la Lune a bien eu lieu en 1870 mais Michel Ardan n'a jamais dévoilé la technique qui lui a permis d'entrer dans l'espace vivant. Nous savons juste une chose : c'est arrivé trois ans après le passage de l'astéroïde B-612.
— Jusqu'ici nous sommes d'accord, répondit De Rubempré.
— La catastrophe qu'a provoqué cet astéroïde, continua Charlotte, fut le prétexte pour l'envoi de l'équipe franco-américaine dans l'espace. Mais nous avons découvert de nouveaux éléments concernant l'exploration spatiale, et une autre hypothèse s'est présentée à nous : si la catastrophe de l'astéroïde B-612 et le voyage sur la lune étaient liés autrement ?
— Qu'entendez-vous par là ? Lui demanda Lucien.
— Et si la catastrophe de l'astéroïde n'était que l'effet collatéral de l’échec d'un premier tir, caché aux yeux de tous ?

De Rubempré, d'abord dubitatif, semblait maintenant intrigué par l'hypothèse de la professeure. Sous son linceul, la bonne sœur Félicité coupa la discussion :
— Et quelle est votre véritable volonté ? Dit-elle en pointant l'entrée fermée des Fonds Anormaux. Que souhaitez-vous faire des informations se cachant derrière cette porte ?
— Si je viens aujourd'hui, lui répondit lentement Charlotte en choisissant chacun de ses mots, c'est pour permettre à mon organisation d'éviter de nouvelles catastrophes, que l'un ou l'autre des deux blocs est susceptible de commettre maintenant que nous pensons avoir touché au secret d'Ardan. Ils sont au courant, et comme avec la puissance nucléaire, c'est une question de temps avant qu'ils ne s'en servent pour imposer leurs idées. Nous voulons soit rendre cette découverte plus positive, un moyen rare pour les blocs de l'Est et de L'Ouest de collaborer et de réduire les tensions, soit la neutraliser complétement. Nous ne sommes pas bienveillants, mais nous sécurisons, nous confinons et nous… et nous nous assurons que le public ne sache rien des dangers qui les guettent.

II.

« Alors le Lépreux l'étreignit ; et ses yeux tout à coup prirent une clarté d'étoiles. Julien monta vers les espaces bleus, face à face avec Notre Seigneur Jésus, qui l'emportait dans le ciel. »


La porte des Fonds s'ouvrit de l’intérieur, poussée par un vieillard à la barbe tombante et vêtu d'une soutane trouée. Le vieillard édenté souriant de toutes ses dents tendit sa main vers Charlotte, l'invitant à visiter les Fonds qu'elle convoitait tant.
— Professeure, lui annonça Lucien, je vous présente Julien Lhospitalier. Je vous laisse entre de bonnes mains.

Les Fonds Anormaux, ou Fonds des Techniques Anormales, se décomposaient en plusieurs dizaines de pièces séparées par des entrées battantes, que Julien semblait connaitre par cœur à force d'y naviguer. Dans chaque pièce des dizaines de bibelots de couleurs et matériaux différents, plus ou moins gros, plus ou moins complexes, attendaient sagement sur leur piédestal.
— Alors comme cela vous vous intéressez à l'exploration spatiale, lui dit le vieillard tout en la conduisant de portes en portes. Moi aussi, j'aimerai atteindre les cymes les plus hautes pour toucher le divin.
— Notre objectif est plus prosaïque mais nous avons la même finalité, répondit Charlotte en tentant de suivre le rythme étonnamment soutenu de l'ermite. Vous semblez aguerri à l'exploration de ces inventaires. Vous devez travailler ici depuis plus longtemps que n'importe qui, votre connaissance est précieuse…
— Pourtant je ne suis ici que depuis quelques temps.
— Ah bon, que faisiez-vous avant cela ?
— Je tuais toutes les anomalies à ma portée, figées et vivantes, conscientes et inconscientes. J'ai travaillé pour tout le monde, sûrement pour votre organisation.
— Eh bien… réagit Charlotte, quelque peu décontenancée par cet aveu. Pourquoi donc avez-vous arrêté de tuer ?
— Une anomalie m'a maudite, elle m'a juré la mort de ma famille par mes propres mains. J'ai fui cette malédiction, en vain. Un jour, par un excès de confiance, j'ai accepté une dernière requête. Je ne sais pas si vous connaissez cette cité mystérieuse située à la fois en Amérique du Nord et aux Royaume-Uni, moi non plus. Pourtant je viens de là-bas, comme ma famille qui n'est plus.
— C'est une bien cruelle manière d'apprendre que l'on est soi-même une anomalie.
— N'est-ce pas. Je protège maintenant les anormalités de ce Fond et guide les invités intéressés par l'histoire de ces objets.

Julien s'arrêta enfin dans une pièce remplie d'objets dorés et éclatants, faits de cuivre ou de zinc, disposant de plusieurs articulations pour être tournés et retournés.
— Nous sommes arrivés dans l'inventaire "Verne.1870", lui dit-il en lui tendant la fiche du Legs des Archives Noires, numéro d'inventaire 531. Libre à vous de consulter les éléments présents et à l'occasion de me poser vos questions.

legsAN

Legs 531/1, 531/2, 531/5, 531/12, 531/17, 531/31

Legs des Archives Noires, n° d'inventaire 531

Composé de 42 éléments sur 98 estimés. Retrouvé par l'Unité des Affaires Non-Classées du FBI dans la réserve du Gun Club désaffecté de Baltimore, États-Unis d'Amérique, en 1910. A vraisemblablement été utilisé durant le tir du Columbiad et l'envoi de Michel Ardan, du capitaine Nicholl et d'Impey Barbicane sur la lune en 1870. Construit en Allemagne par l'ingénieur Barbicane d'après la mention gravée sur chaque élément, aucun plan n'est retrouvé ni sur le site, ni dans les archives États-uniennes. Aucune mention également des sigles thaumaturgiques retrouvés sur les instruments et des traces d'Æthers à l’intérieur du télescope Cassegrain (Leg 531/12) et de la Jumelle de Nicour (Leg 531/17).

Envoyé pour analyse en Allemagne en 1913, tout l'inventaire a été malencontreusement perdu durant la première guerre. En 1931, Les Archives Noires rachètent partiellement l'inventaire lors d'une enchère organisée à Peenemünde par Montana, Croft & Dantès. Le reste des éléments (56) a été préempté par la république de Weimar.

État de conservation exceptionnel, en partie grâce à des rituels thaumaturgiques protecteurs.
L'ensemble de l'inventaire se décompose ainsi :

- 531/1 : Globe céleste ciblant sa propre localisation.

- 531/2 : Héliostat Silbermann générateur d'Æthers Fulmineux.

Charlotte consultait doctement chaque élément de l'inventaire foisonnant. Petit à petit elle étoffait sa théorie, mais rapidement de nouvelles questions s'imposaient. Trop d'éléments, trop peu de temps. Elle s'adressa au responsable des Fonds :
— Monsieur Lhospitalier, vous a t'on donné plus d'informations sur ma venue ?
— Je sais ce qu'il faut savoir pour vous aider madame Guillard, répondit celui-ci comme s'il attendait cette question.
— Pour être franche, nos investigations nous ont mené entre le Danemark et la Suède, dans une petite île connue exclusivement pour avoir abrité l'un des plus grands observatoire d'Europe de la Renaissance, conçu par un astronome alchimiste du nom de Tycho Brahé. Ces outils astronomiques correspondent parfaitement à la description que Tycho Brahé fait des objets de son observatoire anormal. Avez-vous des éléments concernant ce personnage ? Nos recherches s'arrêtent à des travaux incomplets qui pourraient être la clef de cette affaire.

Julien réfléchit quelques instants, l'air et le ton grave.
— Nous avons peut-être ce qu'il vous faut. Mannaëi ? Cria-t-il en espérant qu'on le retrouve dans ce dédale de salles.

Quelques instants plus tard, un jeune homme essoufflé poussa le battant d'une des entrées.
— Tu peux chercher l'élément dont nous avons parlé tantôt, lui indiqua Julien.
— Bien, répondit le jeune homme en nage avant de repartir aussitôt.
— Ainsi donc vous aviez prévu ma réaction, souffla les lèvres fermées Charlotte qui se retenait depuis son arrivée dans ces archives composés de personnages aussi irréels, comme écrits à l'avance. Tout ceci n'est-il qu'une mise en scène ?
— Madame, coupa Julien, je vous ai conté mon histoire et mon lien avec les anomalies. Sachez que ce que vous vous apprêter à découvrir ne m'enchante pas. Il y a des points de l'histoire française que nous préférerions laisser dans nos archives, et cet élément en fait partie.
— Que me racontez-vous là…

« Tout à coup, un bruit de pas se répercuta dans les couloirs. »

III.

« La tête entra. »

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