Jakeob Aldon fixait les comédiens hétéroclites de la Tragédie du Roi Pendu osciller d'avant en arrière. Presque une douzaine d'anartistes pendaient à des nœuds coulants dont les cordes s'étendaient jusqu'aux poutrelles du plafond de l'entrepôt. Le choc initial était encore présent, bien qu'atténué par la réalisation que l'être n'était pas le Roi Pendu. C'était juste un frimeur en argile. Un frimeur qui était capable de forcer tant de personnes, qui avaient vraisemblablement réussi à se forger une résistance à divers types de magie, à se pendre. Sans toute la préparation que requérait le Roi. Aldon déglutit lourdement, comme Hollywood le lui avait appris.
"Hé ben bordel, on y est," murmura-t-elle.
Felix siffla une série de jurons peu utiles tandis que ses bras semblaient imploser dans sa poitrine. Finnegan examina la scène silencieusement avant de hocher la tête, pensif.
"Des suggestions, Critique ?"
Felix cessa de gigoter. Il réfléchit un instant puis demanda, "Le tuer ?"
"Oh oui, laisse-moi sortir mon gros pistolet déicide."
"Vous en avez un ?"
"NON !"
"Oh. Parce que ça aurait été extrêmement utile, vu la situation dans laquelle nous sommes présentement."
Aldon décida d'arrêter là la conversation pour le bien de sa santé mentale. Ce qui était une bonne chose, puisque son petit éclat avait attiré l'attention de l'entité. Cette dernière inclina la tête avant de la faire repartir brusquement dans l'autre sens bien plus loin qu'un cou humain ne le permettrait. Elle se dirigea vers eux à grands pas, laissant désormais des fragments d'argile et de la poussière derrière elle plutôt que des empreintes de pas d'argile à moitié détrempée. Lorsqu'elle se trouva assez près pour les écraser, elle s'arrêta. L'anneau au centre de sa poitrine se transforma en bouche, que l'entité utilisa promptement.
"Rebonjour, Découpeur ! Je vois que tu as amené des amis avec toi." Elle se baissa pour regarder Aldon et Finnegan avec ses yeux inexistants. "Vous voulez prendre part dans la seconde représentation ? Enfin bon. Le Critique ne s'est pas encore montré, donc je suppose que la première n'était peut-être qu'une répétition."
"Je suis pas très bonne actrice," répondit Aldon après avoir jeté un coup d'œil à Felix. "Ça te dérange pas si je regarde juste ?"
Le commentaire de l'actrice sembla faire réfléchir l'entité. Des lèvres dans l'anneau s'entrechoquèrent pour se reséparer sous forme de paupières. Avec son nouvel œil, la sculpture examina Aldon de près, tout particulièrement son visage et sa poitrine, avant qu'elle ne recule et que la bouche se reforme.
"Non, bien sûr. C'est toujours bien d'avoir une plus grande audience. Laissez-moi rassembler les comédiens, ça ne devrait pas prendre plus de quelques minutes."
Aldon acquiesça et salua poliment tandis que l'entité repartait, son cerveau tournant à plein régime. Elle la vit extraire presque vingt anartistes de leurs sièges avant de retourner d'un pas lourd sur scène, où le rideau se tira sur eux. Pendant tout ce temps, elle se demanda comment elle était supposée tuer ce maudit truc.
Son regard se posa sur Felix. "Pourquoi ce truc pense-t-il que tu es toujours le Découpeur ?"
"Cette argile qu'on t'a fait utiliser ? Nous l'avons trouvée dans l'atelier de L'Ancien Sculpteur. Apparemment, c'était de l'argile sur laquelle il avait laissé l'empreinte de son esprit. Quand il essayait d'assassiner L'Ancien Critique."
"Fantabuleux. Du coup, pourquoi il est en train de tuer ces types ?"
"Lorsqu'il a commencé à parler, Sandra a reconnu sa voix. Elle a sorti un pistolet et a commencé à tirer, mais… tu vois, il est blindé de magie. Donc il a commencé à jouer une pièce pour que Le Critique vienne, euh… la critiquer."
"OK, OK, OK," dit Aldon. Ses yeux s'agitaient en tous sens tandis qu'elle cherchait quelque chose qui puisse servir dans l'entrepôt. Il n'y avait vraiment pas grand-chose de possible, à part peut-être balancer une des "fenêtres" magiques sur lui. Qui sait, peut-être que la magie qu'elles contenaient le blesserait, mais si l'impact physique ne lui faisait rien. Il allait lui falloir combattre le feu par le feu, la magie pour détruire la magie. Elle se tourna vers Finnegan pour réfléchir à ce qu'ils avaient amené.
"Eh bien, en voilà un regard effrayant," dit Finnegan.
Vaguement consciente d'une puissante sensation de tiraillement au coin de sa bouche, Aldon regarda son coloc droit dans les yeux. Cela le fit se redresser légèrement.
"J'ai une idée," dit-elle.
"Oh. C'est ce regard-là."
Elle l'attrapa par le coude et le fit tourner sur lui-même pour commencer à farfouiller dans le sac. Everett se faufila hors du sac et se mit sur l'épaule de Finnegan, permettant à Aldon d'accéder librement aux divers golems élémentaires à l'intérieur. Elle les souleva et sourit aux petites créatures qui s'accrochaient à ses bras. Ils étaient apparemment désormais dix malgré le fait que Finnegan n'en avait bien placé que neuf dans le sac quand ils étaient à l'appartement.
"Sérieusement, vous sortez d'où ?" demanda-t-elle, plus pour elle-même que pour eux. Un coup d'œil dans le sac l'informa qu'il y avait significativement moins de CD que ce que Finnegan avait mis. "Je ne sais même pas quel élément certains de vous êtes."
Le nouveau golem agita les bras et se tapa sur la tête, puis tapa Carbone sur la tête. Bore hocha la tête et gratta Zinc, inscrivant le numéro 30 sur son dôme. Les autres les imitèrent jusqu'à ce qu'ils soient tous numérotés. Hydrogène, Bore, Carbone, Oxygène, Aluminium, Fer, Nickel, Cuivre, Zinc et Or la regardèrent tandis que Felix et Finnegan se dépêchaient de détacher les anartistes.
"Oh. Euh. Merci, Hydrogène. Bien vu." Elle promena son regard entre les autres tandis qu'ils libéraient de plus en plus d'anartistes. Ses yeux flottèrent vers la scène avant qu'elle ne baisse à nouveau les yeux vers les golems. "Du coup, euh, j'aimerais que vous vous transformiez en arme. Une épée, par exemple, ça devrait le faire."
Hydrogène, étant un brave petit gars intelligent, commença à pointer vers les autres et à faire des gestes élaborés avec ses mains. Le groupe de golems sauta sur le béton sous eux et commencèrent à le frapper, projetant des éclats d'eux-mêmes et du sol dans le processus. Hydrogène et Oxygène furent complètement amputés par leurs camarades, libérant de petites explosions d'énergie au passage lorsque leurs membres repassaient instantanément en phase gaz. On les nourrissait ensuite des morceaux cassés de béton. En mangeant, leurs membres repoussèrent et les deux golems crachèrent des petites boulettes de composés. Les boulettes furent ensuite passées de golem en golem jusqu'à ce qu'elles soient raffinées en morceaux de métal gris mat. Les golems extrayaient le calcium du béton, qui fut ensuite modelé pour donner naissance à un golem squelettique nommé Calcium. Son crâne était orné d'un 20 et il fit une petite danse pour célébrer sa naissance.
Aldon les regarda faire bouche bée. Elle avait remarqué que Bore, l'élément au numéro atomique le plus faible après Hydrogène, avait été un peu plus affûté que les autres. Ou plutôt moins idiot. Mais ça en était presque ridicule. Pendant ce temps, plusieurs rangées d'anartistes étaient libres, et les autres étaient libérées encore plus rapidement. Le rideau ne s'était pas encore levé.
Zinc et Fer se mirent à s'écraser sur Carbone, qui pressait son propre torse comme s'il était dans une camisole invisible. À chaque collision, Carbone semblait devenir de plus en plus maigre, jusqu'à ce qu'il finisse par éjecter un diamant de la taille du pouce d'Aldon sur le sol. Aldon fut impressionnée, et quelque part dans sa tête, elle se rappela que le diamant n'était qu'un allotrope du carbone. Puis Carbone mangea un peu d'agrégat qui restait du béton, grossit à nouveau, et ils réitérèrent le tout. Aldon se mit à rire comme une folle lorsqu'elle vit Or tailler des diamants en balles.
Bore, Nickel et Oxygène assemblaient désormais leurs corps en un pistolet à silex. Même leurs petits visages restaient sur la poignée et le bout du canon. Pendant ce temps, Oxygène était à moitié incrusté dans Bore et semblait mâcher de l'air, ses petits bras positionnés là où le chien de l'arme aurait dû se trouver. Aucun doute, c'était le mécanisme de tir. Aldon récupéra le pistolet golémique et donna à Bore balle après balle en diamant pour que Nickel puisse les recracher plus tard. Elle arma le pistolet, doigt sur la détente, et le petit membre-détente de Bore mit son doigt dans sa petite main.
"Oh merde, c'est génial," s'étouffa-t-elle, à bout de souffle après avoir tant ri. Le pistolet était lourd, même si elle n'était pas sûre de s'il était plus lourd qu'un vrai pistolet. Mais elle pouvait le soulever avec une main, et avec deux mains, elle pouvait maintenir relativement bien sa visée quand elle n'était pas occupée à rire.
Finnegan accourut à elle, lui aussi à bout de souffle, mais parce qu'il avait couru. "OK, tout le monde est libre. Tu as fini de réfléchir ou- où… où t'as dégoté un flingue, putain ?"
Aldon continua à glousser et désigna l'usine à balles à ses pieds. Finnegan les fixa d'un air vide avant de tourner son regard vers Aldon.
"OK, je m'attendais pas à ce qu'ils arrivent à faire ça."
"Surprise !" s'exclama Aldon en brandissant le pistolet.
"Bon, Felix fait bosser les cools sur un truc qui pourrait faire en sorte que la statue-" Sa phrase fut coupée court lorsqu'il tourna brusquement la tête en entendant le rideau se lever. "Merde."
Pendant quelques instants de flottement bizarres, les anartistes malchanceux sur la scène commencèrent à jouer. Leurs mouvements étaient brusques et leurs yeux vagabondaient, mais ils remplissaient les rôles qui leur avaient été assignés. Les anartistes rassemblés dans les bancs d'église retenaient collectivement leur souffle tandis qu'ils attendaient que le demi-dieu qu'ils avaient créé remarque qu'ils ne faisaient plus tellement attention à son œuvre.
Aldon ramassa quelques balles de plus à la hâte et en chargea autant qu'elle pouvait. Neuf balles en tout. Non loin d'elle, Finnegan trifouillait dans son sac. Il en sortit l'un des rares CD survivants et le plaça dans le gantelet. Il monta le volume à fond avant de hocher la tête, satisfait. Les anartistes se dépêchèrent de finir leur rituel du mieux qu'ils pouvaient. Ou du moins, certains le firent, puisque quelques-uns avaient fui dès le lever de rideau. Felix, il fallait le lui reconnaître, n'était pas de ceux-là. Sans doute parce qu'il était trop occupé à se cacher sous l'un des bancs.
"Hey, hey, hey. C'est quoi ce bordel ?" L'Ancien Sculpteur s'avança de derrière la scène d'un pas lourd. "Qui a dit que vous pouviez arrêter d'être des otages ?"
Vingt-sept mains se levèrent, vingt-sept doigts désignèrent Aldon et Finnegan. Vingt-sept connards ingrats. L'Ancien Sculpteur se dirigea vers Aldon pour la seconde fois, et cette fois, il se pencha légèrement pour se dresser au-dessus d'elle, menaçant. Une ligne s'ouvrit sur son visage d'argile jusqu'à révéler un large sourire. La gueule s'ouvrit en grand, révélant un abîme à l'intérieur de la sculpture. La peinture gicla, le papier se froissa, l'argile tomba lourdement et la puissance rugit à l'intérieur du gouffre béant. Puis la petite bouche sur son torse, qui était à peu près à la hauteur des yeux d'Aldon, s'ouvrit.
"Salut," dit-il, la voix pleine de venin.
"Adieu," dit-elle vivement. Aldon fourra le canon du pistolet golémique dans la bouche ouverte et pressa la détente. Bore sentit la poussée et donna un coup de pied à Oxygène, décrochant une pointe effilée de son corps. Elle s'étendit immédiatement en sa forme gazeuse, propulsant la balle de diamant hors de la bouche de Nickel. Oxygène commença à manger l'air autour de lui pour reformer le membre effilé pour le prochain tir.
Tout cet échange aurait été entièrement silencieux si L'Ancien Sculpteur n'avait pas commencé à crier à cause de sa nouvelle blessure par balle. Pendant un peu moins d'une seconde, Aldon pressa futilement la détente à cause du temps qu'il fallait à Oxygène pour reformer le mécanisme de tir. L'Ancien Sculpteur eut le temps de couper le canon avec ses dents, tuant probablement le pauvre Nickel au passage. Mais canon raccourci ou non, le pistolet fit tout de même feu, brisant les dents de céramique et logeant une balle quelque part dans l'argile. Ce qui ne servit qu'à faire plus crier L'Ancien Sculpteur.
Tout en se tordant encore du semblant de douleur que son corps d'argile lui permettait de ressentir, L'Ancien Sculpteur tenta de mordre Aldon avec sa gueule grinçante. Avant que les dents de céramique n'aient le temps de se refermer sur son cou, Finnegan poussa Aldon hors de leur portée. Il se servit de l'inertie de sa course pour lui envoyer une droite avec son poing recouvert de musique. L'argile endurcie réussit à absorber la majeure partie du coup, et combinée avec son énorme masse, le coup de poing ne fit guère d'effet.
"C'est quoi ce bordel ?" demanda L'Ancien Sculpteur avec ses deux bouches.
"Comment ça, "C'est quoi ce bordel", putain ?" rétorqua Aldon. Elle sentit le pistolet bouger légèrement dans sa main mais l'ignora pour l'instant. "C'est quoi ton putain de problème ?"
L'énorme bouche de sa tête se ferma, laissant dépasser sa lèvre inférieure. "Rien. Ferme-la."
Aldon le fixa d'un regard noir pendant quelques instants avant de lever des deux mains le pistolet, dont la taille du canon avait considérablement augmenté. Le membre sectionné d'Oxygène était considérablement plus gros pour compenser la taille de la balle, et le recul résultant faillit lui arracher les golems des mains. Le tir parvint toutefois à forer un trou dans la tête de L'Ancien Sculpteur malgré sa surface endurcie. Il lui rendit donc la pareille en transformant la majorité de la moitié supérieure de son corps en un revolver dont le canon arrivait tout près du visage d'Aldon.
En équilibre précaire sur l'épaule de Finnegan, Everett s'attaqua au canon. Il explosa en gouttelettes d'eau qui imprégnèrent l'argile. Finnegan enchaîna par un crochet, pliant le canon. L'Ancien Sculpteur rata son tir tandis qu'une bouche juste au-dessus de la poignée criait le mot "merde" de façon répétée. Peut-être même plus de fois que de nécessaire.
"Bien fait pour ta gueule," dit Aldon avant d'envoyer une deuxième prune dans la statue hurlante.
"OK, nique ce truc," grogna L'Ancien Sculpteur. Il s'arracha le canon tordu et le projeta au sol où il se tortilla lentement. Une nouvelle tête, plus proche de son apparence humaine d'origine, sortit de ses épaules. Il se tourna pour faire face à la scène, où les anartistes hypnotisés jouaient toujours une pièce. "Hé, bande de trous de balle ! Arrêtez de faire n'importe quoi et venez m'aider."
Aldon envoya sa dernière balle dans son occiput tandis que les acteurs sautaient de la scène. Il ne cria pas et Aldon sourit nerveusement. Cela avait-il suffi ? Les tirs en pleine tête faisaient-ils vraiment fureur ? Puis un visage émergea de l'arrière de la tête de L'Ancien Sculpteur et lui lança un regard noir, la blessure par balle formant son œil droit.
"Je vais te tuer tout de suite," dit-il.
Aldon écarta les bras et sentit le poids bouger dans sa main droite. Elle jeta un coup d'œil aux autres golems qui formaient une tour, les uns sur les épaules des autres. Elle se pencha légèrement vers eux pour leur tendre le pistolet déjà en train de se métamorphoser. "Vas-y mec, essaye."
Le visage qui dépassait de son occiput s'étendit, formant un corps entier à sa suite. Une fois détaché de la statue principale, le clone d'argile se lança sur Aldon. Bien qu'elle était légèrement surprise de cette nouvelle tactique, elle était un peu préparée. Elle plia le bras droit à angle droit et se déchaîna avec une lame brute fabriquée à partir de la plupart des golems. Elle s'affûta en tranchant le clone d'argile neuve et le coupa adroitement en deux. Les deux bouts tombèrent par terre de chaque côté d'Aldon en l'éclaboussant.
"Joli timing," dit-elle à la pointe de la lame, où se trouvait le visage d'Hydrogène. Il lui sourit en retour.
Une horrible puanteur l'arracha à ses pensées. De chaque côté d'elle, les deux moitiés du corps se transformaient en un cadavre plus détaillé dont les entrailles fumaient en glissant sur le sol. Aldon étudia son meurtre pendant un instant avant de regarder à nouveau L'Ancien Sculpteur. Il déversait de nouveaux clones qui prenaient leur temps pour se former complètement. Certains étaient plus impatients et sautaient sur les anartistes proches d'eux pour les enserrer et former une carapace autour d'eux, ne montrant plus que leur visage. Puis ils suivirent les anartistes récalcitrants vers Aldon.
"Voyons comment vous vous débrouillez avec ça," dit L'Ancien Sculpteur. "Qu'aucun de vous ne les tue ! Je veux avoir le plaisir de le faire moi-même."
Aldon décapita le premier clone d'argile qui lui fonça dessus. C'était assez facile de différencier les vrais clones et les marionnettes anartistes, et ils ne semblaient pas être particulièrement forts. L'Ancien Sculpteur ne semblait même pas être capable de les modeler assez bien pour qu'ils se transforment complètement en humains de chair et de sang. C'étaient de très bonnes imitations, mais ils gardaient la même couleur gris-brun dans tout leur corps. Et ils devenaient de plus en plus mal faits alors que L'Ancien Sculpteur essayait de les produire plus rapidement.
"Même si ce sont des clones pourris, ils vont bientôt nous submerger," dit Finnegan avant d'envoyer un direct à un clone qui arrivait près de lui. La musique autour du poing de Finnegan projeta de l'argile partout. "Et on dirait que le fait que ce soit de l'argile joue en leur faveur contre les autres."
En effet, même si Aldon et Finnegan avaient l'art de leur côté, les autres anartistes n'avaient à leur disposition que les rares outils qu'ils avaient réussi à trouver par terre. Les clones d'argile qu'ils frappaient absorbaient les attaques sans broncher et les recouvraient. Heureusement, du moins d'un certain point de vue, les comédiens hypnotisés étaient faciles à battre.
"Donc faut qu'on s'occupe de lui," conclut Aldon. "Bon, bon. OK."
L'Ancien Sculpteur prit quelques secondes pour éclater d'un rire moqueur avec son énorme bouche, et le gouffre sur lequel elle s'ouvrait attira l'attention d'Aldon. Quelques secondes de connexions mentales l'amenèrent à attraper Aluminium par terre et à le décapiter avec l'épée composée de ses frères. Puis elle encastra l'arrière de sa tête dans le gantelet de Finnegan.
"Tu peux m'expliquer-" cria Finnegan lorsque le gantelet prit vie, bougeant ses doigts probablement plus loin qu'ils ne le devraient. "Ah ! Calme-toi, petit. Qu'est-ce que tu fous ?"
"Je vais en avoir besoin dans pas longtemps !" s'écria-t-elle en s'élançant vers L'Ancien Sculpteur, ignorant complètement la question. Elle trancha deux clones et esquiva une marionnette, puis La Sculptrice arriva face à face avec son prédécesseur. Il baissa les yeux vers elle pendant un instant avant de se pencher en avant, rugissant de la musique quasi-assourdissante dans ses oreilles.
Et elle plongea dans le gouffre à l'intérieur de la statue.
Elle tomba pendant plusieurs secondes avant de percuter une tour de papiers. Il y en avait tellement qu'elle aurait aussi bien pu se ramasser sur de la pierre. Elle eut le souffle coupé et faillit en perdre la lame golémique. Elle continua à chuter jusqu'à atterrir dans une pile d'argile mouvante. Après s'en être extraite, flottant désormais curieusement dans le néant éthéré, elle arracha les bouts d'argile restante tandis que de la musique agressait ses tympans. C'était tout ce que cela semblait être, une congrégation de médias artistiques dans une étendue noire de néant.
"OK, alors… Voyons voir si ça marche," marmonna-t-elle dans sa barbe en pétrissant l'argile.
Elle la roula en un cordon et tira sur les extrémités, formant une prise à trois dents d'un côté et quelque chose ressemblant à la Space Needle de l'autre. Elle avança à pas hésitants dans l'obscurité vers ce qu'elle décida être un mur pendant que sa nouvelle petite création perdait sa forme argileuse. Le cordon lui-même devint un polymère élastique tandis que les extrémités se teintèrent d'un chrome brillant. Lorsqu'elle décida qu'elle était assez loin des fournitures d'art qui se tortillaient derrière elle, elle transperça l'air au petit bonheur la chance. La pointe de sa lame disparut.
"Bah putain," dit-elle, riant presque. "Ça a vraiment marché."
Elle mit tout son poids sur l'épée, tranchant lentement l'espèce de voile qui séparait l'abîme artistique du monde extérieur. Quelque part, près du bout de la lame, la noirceur tournait au gris-brun, et elle pouvait voir l'entrepôt au-delà. Elle se fraya un chemin et sortit de L'Ancien Sculpteur par l'arrière de son épaule droite. Elle fourra la lame dans la blessure par balle dans son occiput pour avoir un point d'accroche et se hissa dans la réalité tandis que la lame glissait. Elle atterrit sans cérémonie en un tas par terre.
"Mais c'était quoi ce bordel ?" hurla L'Ancien Sculpteur, enroulant ses bras autour de lui pour fermer la plaie argileuse ouverte. "Comment as-tu fait ça ? Pourquoi as-tu fait ça ?"
Aldon émit un petit rire en réponse et haussa les épaules en se relevant. L'Ancien Sculpteur envoya un crochet de ses énormes bras, percutant son dos et l'envoyant à nouveau bouler par terre. Une paire de clones presque complètement formés l'immobilisa au sol. Elle essaya de résister, mais une douleur dans sa poitrine l'empêcha d'y mettre du cœur. Le dernier coup avait dû lui casser une côte ou un autre os.
"Boah, quelle importance ? Je te tiens maintenant, petite merde."
Aldon râpa sa joue sur le béton pour chercher Finnegan du regard. Il tentait de se défendre contre les marionnettes, mais n'arrivait pas à y aller à fond de peur de blesser les anartistes à l'intérieur. Il fut rapidement submergé à son tour et plaqué au sol. Les cools furent également maîtrisés d'une façon ou d'une autre.
"Alors," tonna L'Ancien Sculpteur, "Qu'allons-nous faire de vous deux ? Oh, on devrait s'amuser, je pense."
"Je crois que tu as oublié quelque chose," hoqueta Aldon.
Son visage se fendit d'un rictus. "Quoi, Le Découpeur ?"
"…Oui."
Une paire de marionnettes anartistes sortirent Felix de derrière un banc d'église. L'Ancien Sculpteur se tourna vers lui, ce qui était exactement ce qu'Aldon espérait. Maintenant, s'il pouvait juste dire quelque chose pour prolonger la distraction. Felix fixa Aldon pendant que les marionnettes le traînaient, du moins jusqu'à ce que quelque chose attire son regard. Il n'y jeta qu'un coup d'œil, mais après un instant il se tourna vers L'Ancien Sculpteur.
"J'ai encore une tour dans mon sac.", proclama Felix.
"Ah ouais ? Et quoi donc ?"
"Quelque chose de vraiment évident, mais tu es juste beaucoup trop débile pour le remarquer."
L'Ancien Sculpteur rit. "Oh, vraiment."
Un des clones d'argile qui immobilisaient Aldon se trouva soudainement avoir une tête en moins lorsque l'épée golémique se plia et s'abattit toute seule. Son acolyte se retrouva également mis hors d'état de nuire pour de bon grâce à une main en Aluminium géante qui écrasa sa tête. Ladite main se glissa silencieusement jusqu'à la main droite d'Aldon et elle la fourra à l'intérieur après avoir posé la lame. Aluminium se resserra sur elle, épousant parfaitement la forme de sa main, et ensemble ils récupérèrent la plupart de ses frères.
Elle se releva sans un bruit, faisant tournoyer le cordon à pointes dans sa main libre. Un coup d'œil vers Finnegan lui indiqua qu'il n'était pas sûr de ce qu'elle avait prévu de faire. Place au spectacle, se dit-elle. Elle attendit qu'Aluminium fusionne avec l'épée, l'empêchant de la lâcher. Puis elle glissa l'extrémité à trois dents dans les yeux et la bouche du golem, qui se trouvait sur le dos de sa main. Elle tira la langue à Finnegan en continuant à faire tourner la Space Needle miniature. Puis elle bloqua son poignet, le tourna et ficha l'aiguille très pointue directement dans son torse.
La réaction fut presque immédiate. Finnegan cria, confus, Felix hurla, alarmé par le cri de Finnegan, et L'Ancien Sculpteur resta bêtement à les regarder tous les deux avant que son esprit fragmenté ne pense à regarder vers Aldon. Une lumière bleue brillait désormais dans la petite partie encore visible des orifices d'Aluminium, et la section translucide du lecteur de CD émettait la même couleur bleue. Un par un, sur toute la longueur de l'épée de la garde jusqu'à la pointe, les golems grimacèrent puis commencèrent à crier avec leurs yeux grands ouverts. Une lumière bleue entoura l'épée en petits rayons.
Aldon tenait fermement le cordon du gantelet musical. Elle se voyait comme l'héroïne d'un film d'horreur, prête à l'action avec sa bonne vieille tronçonneuse. Mais lorsqu'elle tira dessus, plutôt que le grondement d'un moteur, elle n'entendit rien. Cependant, l'épée et le gantelet étaient désormais tous deux nimbés d'un halo chatoyant qui réfractait la lumière bleue et la renvoyait dans toutes les directions. Après un instant à glousser du succès de sa petite expérience, Aldon frappa du plat de sa lame sur sa paume.
Ou essaya, du moins. Exactement comme précédemment, la lame s'arrêta à plusieurs centimètres. Excepté qu'au lieu de simplement ressentir une chanson d'un CD, Aldon ressentit ce à quoi le lecteur CD était branché. Qui se trouvait dans ce cas être son âme. Elle brûlait comme jamais elle ne l'avait ressenti, la chaleur s'insinuant si profondément dans ses os qu'elle se demanda si sa moelle allait bouillir. Au lieu des instruments, ou même d'un chœur, elle n'entendit qu'une seule voix. Celle d'une femme extrêmement énervée qui criait plus fort qu'un réacteur d'avion.
"Ouais, ça a l'air pas mal."
Avec ce qui comptait techniquement comme dix anomalies distinctes et une âme en collision frontale les uns avec les autres, la Réalité décida de prendre temporairement congé dans les parages immédiats d'Aldon. La lumière se plia étrangement, transportant un rugissement sans mots dans les yeux de tous ceux qui la contemplaient. L'air trembla tandis que les golems criaient deux fois plus fort, assourdissant tous ceux qui les entendaient, qui ne pouvaient plus rien entendre d'autre que le son de l'âme d'Aldon.
Ce qui se trouvait n'être, à cause du petit rayon d'altération, qu'Aldon. Ses sens furent surchargés de la sensation d'existence la plus puissante qu'elle avait jamais ressenti, et Aldon commença à rire. Celui-ci démarra comme un gloussement brisé par le poids de deux côtes cassées, mais se mua en un ricanement lorsqu'elle ne ressentit plus qu'une sensation de chaleur dévorante tandis que la rage tangible fluctuait dans ses nerfs. Le rire se transforma en cri jusqu'à ce qu'Aldon ne soit plus que de la frustration en chair et en os.
Et en argile. Il y avait désormais quelque chose de distinctement argileux enfoncé dans son abdomen. Sa vue se dégagea et elle vit L'Ancien Sculpteur, bras étendu et modelé en une pointe, qu'il se trouvait avoir placée dans le ventre d'Aldon. Le sang dégoulinait de la blessure. Il lui sembla que sa bouche bougeait pour dire quelque chose, mais si c'était bien le cas, Aldon n'entendit rien à cause des pulsations dans ses oreilles. Elle prit un instant pour étudier tout cela, puis décida que c'était des conneries. Elle était censée le tuer.
Et donc elle fit basculer son âme, canalisée autour de l'épée, et l'abattit sur le bras de L'Ancien Sculpteur. Lorsque la lame s'en approcha, l'argile vola en éclats et commença à se déformer, avant d'exploser complètement en morceaux lorsque la lame entra en contact avec elle. Sans la Réalité, il n'y avait personne pour dire à Aldon que L'Ancien Sculpteur l'avait poignardée. Et ce ne fut donc pas le cas. La blessure dans son abdomen disparut, et de ce que la Réalité en savait, elle n'avait même jamais existé. Aldon fendit l'air de sa lame dans l'autre direction et réduisit presque la moitié de la statue en pâtée.
Les jambes de L'Ancien Sculpteur reculèrent d'un pas hésitant et un gros caillou où étaient gravés des motifs complexes sortit de sa taille. Il était toujours recouvert d'argile humide, et plus d'argile en sortait. Aldon tenta de l'attaquer mais la statue s'éloigna d'un bond, lui envoyant des coups de pied lorsqu'elle tenta de s'en approcher. Ce qu'elle trouva être particulièrement difficile en raison de ses côtes cassées, mais elle continua à avancer.
Abandonnant sa forme surdimensionnée, L'Ancien Sculpteur reprit sa forme humaine habituelle. Aldon trancha son cou, espérant le séparer de la pierre qui était désormais logée dans sa tête. Elle y parvint, mais son corps décapité tendit les bras et récupéra la pierre de sa tête déconnectée. Il la fourra dans son torse, sur lequel elle abattit sauvagement sa lame. Elle rata la pierre mais esquinta suffisamment l'argile pour l'exposer à l'air libre.
"N'y pense même pas !" cria L'Ancien Sculpteur. "Que tu aies une épée magique ou non, je suis un putain de dieu !"
"Bien que j'en doute toujours fortement," répondit Aldon. Elle avait voulu lui répondre en criant, mais ses poumons avaient apparemment décidé qu'ils avaient assez crié pour les semaines à venir. "Je dois te faire remarquer que…"
Elle mit sa paume sur l'extrémité du pommeau avec sa deuxième main et frappa. Il tenta de la bloquer de ses deux bras, mais la lame les traversa tous deux et s'enfonça dans son torse. Bien que la pierre ne fut pas immédiatement déchirée comme l'argile, elle avait très clairement été percée. Une seule fissure s'étendit de la fente jusqu'à une des runes, qui s'éteignit.
"Si le mot déicide existe, c'est pour une raison," finit-elle, en faisant un pas de plus et en enfonçant la lame jusqu'à son poing. Elle tourna son poignet tandis qu'il commençait à crier, puis trancha horizontalement, explosant la pierre et oblitérant la majeure partie de la statue. Voyant qu'elle ne commençait pas à se reformer, Aldon poussa un unique "Ha !" puis tomba sur le dos. Ce qui lui fit très mal. Elle aurait dû réfléchir un peu plus à cette partie.
Il y eut un long silence. Personne ne dit un mot. Les clones d'argile continuèrent à maintenir Finnegan, Felix et plusieurs autres anartistes au sol. Les marionnettes gardaient leurs captifs, bien qu'elles restaient immobiles.
Puis un des anartistes demanda, "On fait quoi maintenant ?"
"Bon," dit un autre. "On dirait qu'elles n'ont pas l'intention de nous tuer. Elles vont juste nous maintenir ici, comme il l'a dit."
"Pour toujours ?"
"Sans doute."
"Mais on va mourir si elles font ça."
"Est-ce que ça compterait comme si elles nous avaient tuées ?"
"Peut-être bien ?"
"Hmm."
"Allie !" l'appela Felix. "Idée ! Dis-leur de nous laisser partir."
Aldon toussa lorsqu'elle retira la Space Needle d'âme, et la lumière tordue autour d'elle disparut. "Oh. Ouais. Faites ça."
Et elles s'exécutèrent. Sans vraiment réaliser ce qu'elles faisaient, les esprits très basiques des clones et des marionnettes les forcèrent à relâcher leurs prisonniers. Après tout, elles avaient été créées dans l'unique but de servir Le Sculpteur. Aldon leur accorda le peu de concentration qui lui restait et décida de faire en sorte que les constructions argileuses s'autodétruisent. Et là encore, elles s'exécutèrent. Certaines s'arrêtèrent juste de bouger, tandis que d'autres se transformaient lentement en une boue argileuse. Les anartistes se rassemblèrent autour de leur sauveuse.
"On devrait l'emmener à l'hôpital," dit l'un d'eux.
"Et on leur dirait quoi ?" dit un autre.
"Attendez," dit Finnegan en sortant son téléphone. Il alla dans ses contacts, qui contenaient en tout et pour tout quatre noms. "Je sais qui appeler."
"Les Ghostbusters ?" gémit Aldon. La Réalité était de retour au boulot, et il s'avérait qu'avoir des côtes cassées et se planter un truc dans l'âme était assez crevant. Surtout quand tout vous revenait dans la figure d'un coup.
"…oui, Allie, les Ghostbusters."
"Cool." Et elle s'évanouit.
Aldon se réveilla dans ce qu'elle supposa être un hôpital. Ses poignets s'arrêtèrent à mi-chemin de son visage lorsqu'elle essaya de se frotter les yeux. Elle baissa les yeux pour s'apercevoir qu'elle était menottée au lit d'hôpital dans lequel elle était allongée. À sa gauche se trouvait un rideau et un ensemble d'écrans sur lesquels étaient affichés divers graphiques de caractéristiques vitales. Ils semblaient tous biper bien assez profusément. À sa droite se trouvait Finnegan, assis dans une chaise rembourrée. Et également menotté à ladite chaise.
"Finn. Finnegan. Réveille-toi."
Il s'agita et rattrapa son chapeau qui tentait de tomber. "Oh. Salut. Comment tu te sens ?"
"Finnegan, tu n'as pas appelé les Ghostbusters."
"Non, en effet."
"Finnegan, tu as appelé les Anartistbusters."
"Ça fait un nom à coucher dehors."
"On est menottés dans un hôpital !"
Finnegan hocha la tête. "T'en fais pas. C'est juste au cas où on essaierait de se barrer. Navarro s'en occupe, il a dit qu'on devrait être bons après quelques questions."
"Ce gus ?" Aldon retourna cette idée dans sa tête. "Tu sais quoi, merde. Là, j'arrive même pas à prétendre que je le déteste. Du coup, j'ai manqué quoi ?"
"Tu as deux côtes cassées. Je n'ai rien. La plupart des cools sont dans des cellules plutôt que dans des chambres d'hôpital." Finnegan haussa les épaules. "Apparemment, Le Critique s'est fait la malle."
"Mais comment ?"
"Chaipas."
"'chier, bordel. Et je n'ai pas pu chourrer d'argile à morphose. Chouette."
"Je trouve qu'on devrait être contents de ne pas être morts ou incarcérés."
Aldon secoua légèrement les menottes sur son poignet droit.
"Certes. Bon, ça pourrait être pire."
"Clairement."
Finnegan la prit par la main, puisque seule l'une d'elles était menottée. "Ça va ?"
Aldon soupira. Elle regarda son pouce faire des cercles sur la peau entre son pouce et son index. "Non. Peut-être ? J'en sais rien."
"Allie."
"Tu vois, tout ce merdier pour rien. Je sais pas, je…" Sa voix s'éteignit, et il n'insista pas plus. "J'aimerais juste que tout soit terminé."
"Hé bien, tu as tout de même avancé. Peut-être pas à un niveau qui soit immédiatement visible, mais maintenant, tu as posé les fondations. Et de ce que j'en sais, la Fondation ne va pas te poursuivre pour ça."
Aldon acquiesça. Elle décida qu'elle prendrait ce qu'elle pourrait. Mais son esprit vagabonda et revint aux évènements de l'entrepôt, et elle sen sentit nauséeuse. L'adrénaline donnait un sacré coup de fouet, et Aldon n'était rien si elle ne pouvait pas se distraire en faisant quelque chose. Mais désormais, à rester là allongée dans un lit d'hôpital, son esprit stagnait dans des mares de sang.
Daniel Navarro passa la tête par l'embrasure de la porte et leur offrit son sourire stupide, puis se glissa dans la pièce. Son regard allait et venait entre les deux anartistes malgré le fait que sa tête restait immobile. Ses yeux finirent par se poser sur les mains du duo, puis il claqua des doigts.
"Laissez-moi vous enlever ces menottes," dit-il. Il sortit une clé et les libéra tous les deux. Ils se frottèrent les mains et le fixèrent. Bien qu'il essayait de garder un ton amical, son posture et son ton semblaient anormalement urgents. "Bon. Maintenant que tout le monde est là. Que s'est-il passé ?"
Aldon restant silencieuse, Finnegan lui répondit. "Apparemment la statue inoffensive qu'ils lui ont fait faire a été élaborée avec de l'argile qui contenait une partie de l'esprit de l'Ancien Sculpteur. Puis ils lui ont fait un truc magique."
"Waow." Navarro regarda Aldon. "Et ensuite ?"
"Je l'ai tuée," dit-elle simplement.
Navarro acquiesça lentement. Un gonflement soudain de sa joue indiqua qu'il était en train de réfléchir. Lorsqu'il finit par arriver à une conclusion, il donna un petit coup de coude à Finnegan et montra la porte. Finnegan regarda Aldon, qui haussa les épaules et lui fit signe d'y aller. Ils sortirent tous les deux, laissant Aldon seule avec ses pensées.
Moins de quatre secondes plus tard, Aldon avait attrapé le rebord en plastique qui courait le long de son matelas et essayait de l'arracher. Un serpent torsadé de frustration, de colère et de dépression se fraya un chemin en elle. Il lui rappela ce vide mouvant lorsqu'elle avait mal au cœur, à part qu'il se trouvait dans sa tête et qu'il se déployait dans sa poitrine.
Grincer des dents ne l'aida pas. Secouer tout ce qu'elle arrivait à attraper ne fit rien. Alors elle resta allongée, bouillante de rage, en attendant que quelqu'un vienne la voir pour qu'elle puisse faire autre chose qu'être toute seule. Après ce qui lui sembla être la moitié de sa vie, Finnegan revint dans la pièce. Il l'informa qu'elle pouvait sortir. Que ses vêtements étaient dans le tiroir à côté de son lit et que ses possessions avaient déjà été ramenées à son appartement. Navarro avait probablement transporté Everett et les golems lui-même.
Le duo partit après qu'Aldon se fut habillée. Ils marchèrent en silence. Lorsque les portes de l'hôpital s'ouvrirent en coulissant, ils prirent un moment avant de sortir pour de bon du bâtiment. Ils prirent tous les deux une petite mais profonde inspiration, et sortirent dehors d'un même pas. Une rafale hivernale glacée souffla sur eux, mais le soleil les baignait d'une lumière agréable.
"Ça va aller ?" demanda Finnegan en essayant de ne pas frissonner.
Aldon n'avait pas encore vraiment remarqué qu'il faisait froid, et fixait juste le parking. "Un jour, oui."
Finnegan s'approcha d'elle. "Je peux faire quelque chose ?"
Un sourire vicieux se faufila sur sa joue gauche. "Ah, maintenant que tu en parles. J'ai la dalle. Tu m'invites à bouffer ?"
Finnegan grimaça. "Je suis toujours fauché."
Aldon fit quelques pas bondissants, bousculant le serpent qui grandissait en elle. "Pizzeria ?"
Finnegan soupira simplement et commença à marcher.
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