Entretien avec DrGemini par Shell
Pouvez-vous commencer par vous présenter ?
Ce micro marche ? J’ai pas l’impression qu’il marche.
Il n’y a pas de micro, cette interview a lieu entièrement par écrit.
Epatant.
Une présentation, donc ?
Je suis Dr. Gémini, avec un accent qui n’a rien à foutre là et, ça me réchauffe le cœur, un point qui n’a rien à foutre là non plus. Je suis membre du site depuis bientôt quatre ans. Créateur entre autres de SCP-101-FR, de SAPHIR et co-auteur de la Campagne de Nouvelle-Hollande. Si les gens devaient me définir en trois mots, ils diraient surement « acide, génie, pas systématiquement drôle ». Mais si je devais parler à leur place je dirais « critique, original, presque systématiquement drôle ». Les rumeurs sur mon homosexualité sont très exagérées – celles sur mon homophobie sont encore à l’étude.
Comment avez-vous ressenti vos débuts ?
Comme beaucoup de monde, ma première inscription avait été refusée, allez savoir pourquoi. Mais une fois membre, ç'a été très agréable. C'était une autre époque : quand ma candi a été acceptée, mon premier rapport, SCP-092-FR, était déjà quasiment bouclé, prêt à être c/c dans ma sandbox, puis sur le site quatre jours plus tard. Le système de critique était loin d'être aussi complexe qu'aujourd'hui, et il n'y avait quasiment rien à changer en définitive. Le même jour, j'ai reçu mon premier MP intitulé "Fou rire" de Benji qui avait élevé le vautourdage de sandbox au rang d'art à l'époque. Ça commençait bien côté intégration.
Où trouvez-vous votre inspiration ? Qu'est-ce qui vous pousse à écrire vos histoires ?
Là, c’est le moment où je me la joue McCartney et où je dis que mes idées me sont apparues en rêve ou qu’elles sont issues de mes grands traumatismes passés.
Non, niveau inspiration, je n'en ai aucune idée. Les idées apparaissent toutes seules, aussi fulgurantes et isolées qu’une météorite signant la fin d'une vache. « Ah, tiens, ça ce serait bien. » Après, créer quelque chose de plus solide autour prend parfois beaucoup plus de temps - et beaucoup de marche aussi parce que je ne réfléchis correctement qu'en faisant les 400 pas. Souvent je sens d’instinct quand ça va et quand ça ne va pas. Pour la Parade Parfaite Face à une Menace Inexistante, ça m'a frappé de plein fouet que SAPHIR devait avoir une sorte d'arche en plan B, mais à la base ce n'était qu'un bateau équipé d'une série de gadgets, trop fastidieux à décrire pour le format d'un rapport. J'ai beaucoup cogité sur les mers de sang et ouvertes en deux, et ça m'a ensuite re-frappé comme une révélation de caser le casque d'Hadès comme seule particularité du navire qui faisait tout le café. Tout ce qui a été perdu en gadgets a été compensé par les événements anormaux autour. Pour SAPHIR, de manière générale, c’est un peu plus simple : il faut un peu de culture générale et beaucoup d’esprit de contradiction.
Des conseils par rapport à donner aux écrivains qui se lancent ?
Lisez. Beaucoup. De tout. Déjà parce que c’est le seul vrai moyen de vous créer un esprit critique, ensuite parce que vous apprendrez de nouveaux mots et assimilerez au fur et à mesure comment marchent les rouages d’un texte. Mais aussi parce que vous vous direz au bout d’un moment « mais c’est de la merde, genre, même moi je peux faire mieux » à propos de pas mal d’ouvrages publiés – ce qui est une très bonne motivation en soi.
Qu'essayez-vous de transmettre à travers vos écrits ?
Des idées originales, surtout. Déjà parce que je ne suis pas habitué ni sûr d'être très doué pour éveiller des émotions, faire du dramatique, même si à la base la biographie de Gémini est sensée me servir de zone de test pour ça. Mon secteur de prédilection c'est l'humour. Ensuite parce que je suis un obsessionnel de Douglas Adams, dont les trames des romans et les personnages ne sont qu'un prétexte pour mener d'un concept furieusement révolutionnaire à un autre. "Je trouve que l'idée d'art nuit à la créativité" a dit le bonhomme. C'est la vie que j'ai choisie. D’une manière très générale j’ai une sainte horreur de tout ce qui est banal, consensuel et manichéen, avec une nette préférence pour parler de gens qui font le mal et qui ont leurs raisons, que ce soit à travers la propagande du Département de Censure et de Désinformation ou les attentats de la Société Athée. Tant qu’on ne voit pas ça ailleurs, c’est tout ce qu’il me faut.
Est-ce que certains de vos projets ont été rejetés ? Voulez-vous nous en parler ?
Un seul, un coldpost sur une montre qui arrêtait le temps et menait à beaucoup trop de pages pour ce que c'était— elle a disparu en moins de 12 heures sous un blitz de down. C'est dommage, l'idée de base (le temps arrêté, un nouveau temps commençait à se dérouler, ce qui rendait impossible de relancer la montre sous peine de cumuler les deux temps) était sympa.
En dehors de ça, pas mal de choses sont passées à la trappe, mais tous les rejets sont faits par moi-même, soit parce qu’une idée cloche, qu’une histoire sonne creux ou que je n’arrive tout simplement pas à avancer l’écriture. En quatre ans que je suis ici, quatre ans d’études en plus, je n’ai toujours pas été foutu de sortir quelque chose qui me convainque en parlant d’archéologie. Dure vie.
Comment décririez-vous votre travail sur le site ?
Beaucoup d’heures de ma vie perdues si jamais Internet disparaît. Niveau traductions, plus de 150, je suis content d'avoir fait cette part, en particulier pour ce qui a contribué au lore, comme les essais sur les Humes et ma croisade pour que tous les GdIs soient représentés par au moins trois rapports traduits en français.
Le lore pour moi c'est l'essentiel. Je suis fier de SAPHIR, fier du DCD et fier de la SAI, de vraies facettes à part de l'univers qui n'attendent qu'à être élargies, encore et encore. Et je dois bien dire que je suis sans doute plus fier de rapports qui participent à ça, comme 242-FR, que de gros succès un peu inattendus comme SCP-101-FR.
Et puis il y a toutes les choses annexes, les sous-titres de la websérie russe fut un temps, le compte Twitter, c'est très agréable d'avoir la sensation que la Fondation dépasse le site, dépasse INT, mais existe dans la tête de milliers de personnes éparses à travers le monde. "Le monde" on le dit et on a l'impression que c'est facile, qu'on appréhende l'ensemble de ce que ça représente en théorie, et que de toute façon la Fonda fédère pas tant de gens que ça. Puis en vautourdant sur Twitter on tombe sur deux planches de manga vieilles de 6 mois faites par une japonaise (avec une vraie vie, quelque part au Japon) sur SCP-079-FR, ça prend foutrement au dépourvu. Un commentaire YouTube d'un gosse de 12 ans qui n'est pas sûr que la Fondation n'existe pas et cite SCP-101-FR à l'appui vaut tous les ups du monde. Idem quand les anglais reprennent SAPHIR. Découvrir ça après coup et totalement indépendamment de ma volonté a un côté jouissif.
Quel est votre ressenti par rapport à la direction générale du site ?
Plutôt bon, c’est difficile à déterminer. Je me fais ponctuellement du souci pour la branche principale et j’ai peur que notre site, à cause de son aspect traducteur, reprenne les nombreux éléments de fond et de forme que je n’aime pas outre-atlantique : des contes ressemblant toujours plus à des fanfics, et des rapports qui cachent leur manque d’originalité derrière beaucoup de texte creux et de jolis effets. Mais c’est loin d’être si généralisé sur la branche principale, ce n’est peut-être même qu’une phase. Et tout va bien de notre côté, faut pas déconner. On a énormément de membres de qualité qui s’investissent dans des vrais textes, solides, parfois sombres et sérieux, parfois drôles sans jamais tomber dans le stupide. Et l’esprit critique est de mise, toujours, il n’y a pas de grands auteurs couronnés rois du site et dont on ne remet pas la qualité des SCPs en question, ici les auteurs influents sont toujours prêts à se faire écharper s’ils se reposent trop sur leurs lauriers, comme moi avec ma montre temporelle ou Grym avec son défunt SCP-0,005-FR.
Vous semble-t-il que le concept soit éculé (et ait besoin d'un peu de neuf) ?
Vous l’aurez compris : je suis un puriste fini, donc non, j’ai même tendance à me méfier du neuf quand il arrive. Mais ça me semble assez légitime : la Fondation SCP me semble être un cas assez unique, ne serait-ce qu’en terme de plateforme collaborative de fiction. Et côté contenu, elle a un univers constitué d’une multitude d’archétypes fondus pour former un tout totalement original avec une atmosphère très particulière qui a fait son succès. En France, qui plus est, qui a été la mère patrie de la littérature SF et fantastique jusqu’aux années 60 (où, sans qu’on se l’explique trop, tout a disparu d’un coup) c’est encore plus exceptionnel et important que côté américain. Faire de la fanfic ici, c’est foutre du ciment sur un temple égyptien : ça trahit l’esprit, c’est moche, mais en plus, crime des crimes, y’a déjà ça partout ailleurs. La Fondation est loin d’être éculée, y’a énormément de thèmes et de styles à explorer qui s’éloignent de ce qu’il y a déjà sans le trahir, du roman noir au récit vernien, en passant par le récit d’espionnage, la satire ou l’horreur cosmique - parce que mine de rien le filon Lovecraft n’a pas été exploité tant que ça côté anglais, et quasiment pas côté français.
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