Gazette d'Aleph
Mai 2020

L’Édithaumiel
par Didier Vertefeuille, chroniqueur de la Gazette d'Aleph
Sommité littéraire déchue des années 70, Didier Vertefeuille a collaboré avec de nombreux magazines de littérature et côtoyé les cercles de Saint-Germain des Prés les plus bons enfants. Grand ami d'écrivains tels que Gabriel M. et Yann. M., il a disparu de la scène publique dans les années 80, lorsque son goût de la provocation ne suffit plus à masquer son absence totale de talent. Il fait son grand retour en exclusivité dans notre journal, dans l'objectif honorable de payer les multiples pensions alimentaires dont il est comptant.
Si j'ai bien compris, la mode est au confinement. Cet objet fashion s'affiche partout et, loin d'être réservé à quelques anomalies nanties, il est désormais à la portée de chacun (mais toujours à un mètre de distance). Gageons que le Comité d’Éthique saura conseiller efficacement le gouvernement en ces temps de crise : celui-ci a déjà adopté un slogan - Protéger, Tester, Isoler - éhontément copié sur le nôtre, tout en manquant du charme caractéristique de son "Contenir" qui sait susciter les passions les plus enamourées.
Pourtant, si j'ai bien compris, la population n'est pas particulièrement enamourée, elle, de ce confinement. Gageons qu'il ne s'agit que des difficultés initiales qui disparaîtront avec l'habitude : les foules d'individus anormaux cordialement hébergées dans nos locaux n'émettent elles aucune protestation après quelques décennies de mise en état comateux profond, pas même lors de quelque vivisection effectuée dans l'intérêt de la science. Dès lors, peut-être devrions-nous concentrer notre production industrielle structurellement décimée par des années de délocalisations sur la production d'un sédatif efficace et pas cher (à la morphine, le goût est meilleur et l'endormissement plus rapide) plutôt que sur des masques, qui ne sauront guère protéger la population de sa propre imbécillité profonde.
J'entends tout un chacun appeler à la recréation d'un monde nouveau lors de notre sortie de notre cage éphémère, comme si, en ouvrant la porte, le vent frais et pur de New Paris ferait voler dans les airs nos crinières chevelues alors que nos yeux se poseraient sur un nouveau territoire vierge à rebâtir. Pourtant - si j'ai bien compris -, le confinement n'a pour autre objectif que de conserver un état de fait, que cela soit la normalité du Voile ou la santé publique. Gageons que les initiatives concernant la récupération massive des données, le traçage géolocalisé et l'augmentation drastique du temps de travail sauront rappeler à ces quelques idéalistes espoirs que la réalité dépasse toujours la fiction : alors que la Fondation SCP ne peut le faire qu'une personne par une personne, nous réussirons à faire voyager dans le temps nos sociétés pour les ramener toutes entières au XIXe siècle.
Dans la grande famille des SCP, il y a deux types de lecture.
Les incontournables, adulés ou détestés, ces classiques auxquels on n'aura de cesse de faire référence.
Les nouveautés, celles qui défilent dans le fil des publications, que l'on suit pour rester à la page.
Et entre les deux, il n'y a
Aucun rapport
Une chronique sur les rapports de second plan.
Ce mois-ci :
- ÉDITION SPÉCIALE -
"Le Rite de Salomon"
Obskurakorps vs Sonderkommando :
Guerre civile dans le Troisième Reich
Bonjour chers lecteurs ! Entrez, entrez, je vous en prie. Installez-vous confortablement. Si, si, j'insiste. Servez-vous un petit verre et mettez-vous à l'aide, car ce mois-ci, vous allez avoir de quoi lire. C'est en effet une édition spéciale particulièrement longue que la Gazette vous offre aujourd'hui, une édition qui se propose de dépasser de loin la simple analyse d'un rapport — essentiellement un prétexte — pour s'aventurer dans les contextes où elle s'inscrit : contexte d'un arc narratif, certes, mais aussi contexte d'un mode de pensée et d'une tradition fictionnelle qui n'a que trop duré. Et, bien sûr, contexte d'un drama que certains d'entre vous connaissent bien et qui va durablement marquer les relations entre les différentes branches internationales de la Fondation SCP.
Mesdames et messieurs, aujourd'hui, nous allons parler de nazis.
Mesdames et messieurs, aujourd'hui nous allons parler de SCP-3457 - "Le Rite de Salomon".
Avant d'aborder le SCP en lui-même, il vous faut savoir que SCP-3457 est le SCP central d'un arc narratif, La Septième Guerre Occulte, rédigé à l'occasion du concours "Doomsday" 2018 et plantant les bases historiques du canon Troisième Loi. Cet arc narratif construit autour de SCP-3457 quatre contes détaillant la lutte de l'Initiative Occulte Alliée (ancêtre de la CMO et, on va pas se le cacher, les Gentils avec un grand G) contre l'Obskurakorps, Groupe d'Intérêt nazi créé par la branche anglaise et, plus exactement, forces occultes du Troisième Reich qui font rien qu'à dominer le monde.
SCP-3457 consiste en un rituel devant leur permettre d'atteindre leurs sinistres desseins. Le principe ? C'est très simple : comme son nom l'indique, le Rite de Salomon est un rituel religieux piqué aux Juifs qui devrait permettre aux Nazis, par la puissance de la foi et de leur fanatisme, de créer et de contrôler un démiurge aux incommensurables pouvoirs leur permettant de remporter la guerre et, bien sûr, de dominer le monde. Coupons directement court à vos spéculations : oui, c'est à peu près comme Thanos réunissant les Gemmes de l'Infini. D'autant plus que, pour contrôler ce démiurge, l'Obskurakorps se doit de réunir sept artefacts, les Sept Clés de Salomon, dans le but d'arriver à ses fins. Inutile de vous dire que, comme dans Avengers : Infinity War, une bonne part de l'intrigue de la Septième Guerre Occulte va consister à les en empêcher.
Mais ne soyons pas mauvaise langue : tout comme SCP-173 était là avant les Anges Pleureurs de Doctor Who, SCP-3457 a été publié le 14 juin 2018, soit… ah, oui, non, merde, deux mois après la sortie d'Avengers : Infinity War. Bon ben j'ai rien dit.
Ahem.
SCP-3457, avec sa note de +110 et ses 13 commentaires, a reçu un accueil relativement tiède pour un rapport posté dans le cadre d'un concours. Il faut dire que, bien que son côté rituel antique ne manque pas de charme, son principe repose sur des motifs narratifs assez légers et pas très originaux. En outre, on sent que les auteurs se sont sentis frileux et que, là où leur objectif initial était de profiter de la mort de Dieu en 1881 pour le remplacer par un autre, ils ont, pour des questions de temps liées au concours sans doute, choisi la facilité scénaristique de faire de leur "démiurge", aussi bien mort qu'à naître, une déité secondaire afin d'éviter diverses complexités narratives.
L'intrigue autour du Rite de Salomon est bien sûr prolongée dans les contes. On y découvre notamment que la Septième Clé, récupérée par les Alliés, est mise à l'abri à l'intérieur de l'Opérateur Spécial Josef, un golem, afin qu'elle ne tombe jamais entre les mains de l'ennemi. Bon et après ils envoient le golem en première ligne chez les Allemands, mais ça c'est eux que ça regarde.
Plus intéressant, on y découvre un panorama de l'occultisme nazi, tel que vu par les yeux de ses auteurs : un monde de runes gravées et de ruines nordiques, où une civilisation naine, le petit peuple, et plus globalement le folklore germanique a bel et bien existé par le passé — ce qui valide assez paradoxalement les thèses nazies et n'était sans doute pas l'intention des auteurs, mais passons.
Le vrai problème ici, sur lequel j'aimerais m'attarder pour la première partie de cette chronique, c'est bel et bien que strictement tout ce que vous trouverez dans ces contes, et dans la plupart des textes couvrant l'Obskurakorps sur la branche anglaise, est parfaitement convenu.
I. Comme un air de déjà vu

Contrairement aux apparences, ce n'est pas le gentil de l'histoire.
Le fait est que même si vous n'avez jamais rien lu sur l'Obskurakorps, vous connaissez déjà l'Obskurakorps. Vous avez déjà vu ces savants fous aux épaisses lunettes s'affairant autour de bobines Tesla. Ces expéditions dans le désert africain afin de retrouver le sceptre perdu de Rah-Gubaba. Ces méchas, lents mais infatigables, qui traquent les résistants dans une forêt la nuit. Et ces insupportables supersoldats que plus personne ne peut voir en peinture mais qui reviennent encore et toujours dans vos séries TV. Soyez assurés qu'à quelques exceptions notables (big up à SCP-3878) vous ne trouverez rien chez l'Obskurakorps que vous n'aurez pas déjà vu mille fois avant — particulièrement si vous avez déjà vu Hellboy.
Bien sûr le nazisme a son esthétique et ses thèmes. On se tourne vers lui pour avoir des miradors et de la boue, pas des pétales de cerisiers tombant sur fond de coucher de soleil. Mais, s'il est logique que le mythe nazi de l'übermensch, le surhomme, invite à caser des supersoldats, il semble que les auteurs restent dessus et se refusent à passer à autre chose, quand bien même ce cliché est usé jusqu'à la corde. C'est que le nazisme ne fait pas que cristalliser les fantasmes — il les fossilise.
Dans la fiction fantastique il occupe toujours les mêmes trois axes : ce que j'appellerai ici le WHISKY, pour Wolfenstein (les univers parallèles), Hellboy (la magie noire), et Iron Sky (la science-fiction). C'est que, plus spécifiquement, toutes les déclinaisons autour de ces thèmes se ressemblent. Nazisme et magie renvoient systématiquement à de la dark fantasy, où un ordre secret en robe noire va pratiquer un sacrifice humain sur un autel gravé de runes nordiques. Nazisme et science-fiction renvoient systématiquement à du dieselpunk, peuplé de méchas fumants et de soucoupes volantes en acier. Et l'éternel univers parallèle où le Troisième Reich a remporté la Seconde Guerre Mondiale, n'en parlons pas, c'est toujours le même. Pour des raisons indéterminées il y fait toujours gris, sans doute pour s'accorder aux bâtiments, toujours gris eux aussi. La couleur, comme tout ce qui peut inspirer de la joie, est interdite. Cinquante ans après la guerre, rien ne semble avoir changé, tout n'est toujours que béton, barbelés, musique et tenues des années 40 (car tout le monde sait que la mode et l'art ne peuvent exister sans le libéralisme à l'américaine), et tous les maux de l'Humanité semblent être soigneusement entretenus par le Reich, dont l'objectif est bien sûr de s'assurer que la Guerre, la Famine et la Pestilence soient constantes. Et, bien sûr, strictement tout, partout, est estampillé d'une croix gammée.

Jacques Bergier, co-auteur du Matin des Magiciens, conspirationniste et mythomane notoire. On va pas se mentir, je l'ai choisi lui parce qu'il a une tête marrante.
Le WHISKY et ses archétypes éternels ne sortent pas de nulle part — mais peut-être serez-vous étonnés de découvrir qu'ils ne viennent pas de l'Allemagne des années 30. En fait, le mythe du nazisme occulte apparaît en 1960 avec un livre précis, français qui plus est, intitulé Le Matin des Magiciens. Ce livre pose les bases de toutes les théories du complot et autres légendes actuelles qui reviennent systématiquement dans la culture pop depuis soixante ans : les OVNIS à antigravité, les bases secrètes arctiques et la Terre Creuse d'Iron Sky, les multiples sociétés secrètes et leurs obsessions ésotériques à la Hellboy, tant pour les mythes nordiques que pour la démonologie chrétienne, sans parler des pouvoirs psychiques qui seront après ça repris très sérieusement tant par les USA que par l'URSS durant la Guerre Froide. Le Matin des Magiciens pose les fondations de toute la mythologie moderne d'où est issue l'univers de la Fondation. À sa sortie, c'est un véritable phénomène, surtout dans un monde qui se passionne pour le New Age à la fin du mouvement hippie.
Gros problème : Le Matin des Magiciens est vendu comme un livre révélant des recherches très sérieuses menées par le Reich… Il n'en est rien. Bien que férocement attaqué par l'Union Rationnaliste, qui publiera en réponse Le Crépuscule des Magiciens, c'est déjà trop tard : Le Matin des Magiciens enfantera la plupart des complots modernes que nous connaissons tous, des Reptiliens de la Terre Creuse aux Anciens Astronautes ayant construit les pyramides. À sa sortie, Jean d'Ormesson s'exclame "Voici le temps des mystificateurs !" — il aura eu raison.
Dans les faits, et c'est déplaisant à entendre, le Parti Nazi était très peu versé dans l'occulte. Bien sûr, pour justifier nos fantasmes, nous avons énormément mis en avant les passions ésotériques d'Himmler et les théories saugrenues proposées à l'Ahnenerbe — mais force est d'admettre que la plupart étaient et seraient restées lettre morte. Les théories d'Himmler étaient déjà moquées au sein du Parti et, si le néopaganisme avait bel et bien quelques adeptes parmi les SS, leur pourcentage restait faible et fut surtout mis en exergue par une Église Catholique qui se savait menacée. La part irrationnelle du nazisme se basait bien plus sur la symbolique et la sociologie religieuse, dans le but de créer un sentiment d'appartenance autour d'un passé mythique et d'un destin glorieux, que sur de véritables croyances paranormales… Mais ce n'est pas ce que la fiction d'après-guerre choisit d'en retenir.

La "Lance de la Destinée" dans : le film Constantine (en haut à gauche), Hellboy (en haut à droite), un comics Indiana Jones (centre), Wolfenstein (en bas à droite), et un Marvel (en bas à gauche). Récupérée par un soldat américain, la Sainte Lance est "enfin entre de bonnes mains". Nous sommes tous rassurés.
C'est dans les années 70 que la "nazisploitation" explose, fixant définitivement une mythologie du nazi avide de pouvoirs paranormaux et la plupart de ses leitmotivs. Classique parmi les classiques, la Sainte Lance ayant perforé le flanc du Christ passe pour un des éternels artefacts en possession des nazis. En effet, celle-ci accorderait à son possesseur le pouvoir total sur le destin du monde, d'où son surnom de "Lance de la Destinée" — une croyance que les nazis n'ont, là encore, jamais eue, mais lancée par The Spear of Destiny (1973), un livre américain particulièrement populaire, dans la veine du Matin des Magiciens, qui marqua durablement la tradition des nazis chercheurs de reliques, dont la saga Indiana Jones est l'héritière. Aussi n'est-ce pas une grande surprise de retrouver la Lance de la Destinée dans Aboard the Train to Berlin, qui fait office de conte d'introduction à l'Obskurakorps sur la branche anglaise.
Le problème est bien là. Si la mythologie de l'occultisme nazi a été créée de toutes pièces durant les années 60-70 à partir de fantasmes d'après-guerre, il semble paradoxalement que depuis, plus personne n'ose y toucher. Les mêmes éléments et les mêmes codes tournent en boucle dans le monde de la fiction — et la Fondation SCP, sa branche anglaise tout particulièrement, ne semble pas y échapper. SCP-2430, "Clone immortel d'Hitler", par exemple, est une simple reprise de l'éternel thème des clones d'Hitler apparu avec Ces garçons qui venaient du Brésil (1976). Le Golem de Prague est… eh bien, un golem, figure du défenseur juif énormément mise en avant dans le cinéma d'après-guerre (et notamment à la télévision française en 1967 dans une adaptation de Louis Pauwels… l'autre auteur du Matin des Magiciens, kilukru). Et, fatalement, SCP-3457 et sa tentative de créer un démiurge font écho, non seulement à Hellboy, mais à la diabolisation (littéralement) du nazisme par les cercles chrétiens lors de la publication du Matin des Magiciens (encore lui). Non seulement le rapprochement néo-paganisme = démonologie est-il vite fait par une Église qui n'a pas perdu ses réflexes millénaires, mais Le Matin lui donne des armes en reprenant un roman plus ancien, Les Sept Têtes du Dragon Vert (1933), français là encore, un roman d'espionnage connectant le Parti Nazi à la théosophie tibétaine et à un vaste complot mondial, érigeant déjà à l'époque Hitler comme figure de l'Antéchrist — le dragon à sept têtes, c'est bien sûr la Bête de l'Apocalypse. Bref, tout cela est dans l'air depuis un moment et fait tache dans une communauté ayant fait vœu d'originalité.
Peut-être serait-il temps de briser cette sclérose culturelle, et de réinventer la fiction nazie. Et, puisque ce sont apparemment les français qui sont à l'origine de toute cette histoire, ne serait-ce pas à nous de nous y mettre ? Ou bien de laisser l'honneur à nos amis de la branche allemande, autrement plus concernés ? C'est que ces derniers ont une vision très divergente — conflictuelle, même — des clichés de l'Obskurakorps à l'américaine, et se sont composé leur propre Groupe d'Intérêt nazi, plus historiquement exact et ne reconnaissant pas l'existence de l'Obskurakorps : le Sonderkommando für Paranormales.
Car on pourrait se demander si l'absence d'innovation américaine sur le thème du nazisme, aussi bien sur le wiki SCP que dans la culture pop en générale, ne serait pas tant due à un manque d'originalité qu'à une véritable frilosité quant au thème même du nazisme. Hors de question de trop se pencher sur l'histoire ou la culture allemande — ce qui explique sans doute que l'Obskurakorps soit dans la moitié des articles (y compris 3457 !) mal orthographiée "Obskuracorps" — mieux vaut reprendre des thèmes prémâchés par d'autres auteurs, si possibles américains. C'est que la communauté américaine de la Fondation SCP est pour le moins prudente, pour ne pas dire prude, sur les questions sociales. Aussi est-ce qu'à la publication des Mémos de l'Obskurakorps son auteur se précipita dans les commentaires pour l'accompagner d'un disclaimer… et d'une série de mauvaises décisions.

Une prise de position osée.
II. Nazi bad (et plus si affinités)
Comment ressasser "l'Affaire GreenWolf" sans faire monter la pression artérielle de tout le monde ? Je ne vais pas m'attarder trop longtemps sur le drama, que vous pouvez toujours retrouver ici, et juste tâcher de synthétiser très vite les points de vue des deux camps pour ensuite m'attarder sur les causes profondes de chacun d'entre eux :
- Les membres de la branche allemande protestent contre la représentation des nazis dans les contes de l'Obskurakorps. Caricaturaux, hollywoodiens, délibérément stupides et ridiculisés, produits de l'impérialisme américain, tout y passe. Le nazisme ne peut pas et ne doit pas être réduit au Mal absolu.
- Les membres de la branche anglaise protestent et affirment que le sujet est traité de manière bien plus sérieuse. GreenWolf en particulier, prend les devants, s'énerve, affirme que le Sonderkommando für Paranormales de la branche allemande est une apologie du nazisme, traite ses membres de cryptofascistes et interdit toute traduction à l'étranger de son texte. Une interdiction dont, vous l'aurez remarqué, la branche française se tamponne allègrement.
Force est d'admettre que, et les auteurs Américains ne s'en rendent peut-être pas compte, les Allemands marquent un point. Il ne suffit pas de présenter un général nazi faisant un long monologue sur pourquoi leur vision du monde est bonne en fixant l'horizon pour en donner une représentation sérieuse. Au contraire, pas mal de rapports se voulant sobres à propos de l'Obskurakorps sont sous-tendus par un trope dont je n'ai trouvé l'existence nulle part mais que j'appellerais "Bad Guys Can't Science" : les méchants échouent d'eux-même car leurs biais idéologiques les empêchent d'être de bons scientifiques.

Pas de biais.
Quelques exemples ? SCP-3878, une arme linguistique dévastatrice qui s'avère être un pétard mouillé car les nazis s'étaient imaginés une "langue supérieure" qui n'existait pas. Dans SCP-2893, l'Obskurakorps, imbue d'elle-même, tente d'attaquer en petit nombre des soldats de la Première Guerre Mondiale coincés dans une anomalie temporelle — elle se fait massacrer et humilier. Dans SCP-4246, les Nazis se retrouvent à forer en Antarctique pour rien, à la recherche d'une civilisation qu'ils estiment bien à tort appartenir à la "race supérieure"… Quand aux contes de la Septième Guerre Occulte, que je vous encourage à lire pour vous faire une idée, vous constaterez qu'ils sont ponctués ça et là d'Alliés qui roulent des yeux face aux erreurs causées par l'imagination de leurs ennemis.
Cette tendance est loin d'être typique de l'Obskurakorps, rassurez-vous, elle se retrouve partout : c'est le principe très biblique et très rassurant selon lequel le méchant, aveuglé par son orgueil, est condamné à échouer. Il est disqualifié d'office, de par sa nature — et c'est bien là ce qui cause problème aux Allemands. C'est que la figure du Nazi correspond parfaitement à l'un des principaux besoins du grand spectacle pour faire un méchant : la déshumanisation. Pour que votre film attire du monde, l'une des meilleures solutions est qu'il ait un héros, une figure, généralement seule contre tous, qui va se battre au nom d'une cause, généralement assez consensuelle (la Liberté et le Bonheur, essentiellement). Cherchez-lui des motifs plus complexes et vous tomberez plus facilement dans le politique, l'ambigu et l'antihéros — des thèmes généralement plus intéressants mais qui feront moins d'entrées, pour des questions de divergences d'opinions. Votre héros, donc, se bat pour la Liberté et le Bonheur, et va affronter des ennemis qui prônent le Malheur et l'Aliénation — un conflit peu propice au dialogue, et tant mieux, parce que personne ne veut payer pour voir deux heures de débat cordial. Le public, et comment l'en blâmer, aime la lutte, et donc la violence. Voir triompher un héros seul contre tous est jouissif, parce qu'il ramène au spectateur face au reste du monde de manière générale.

Not a human face in sight, just people enjoying the moment.
Une combine parfaite, donc, mais qui doit exclure l'individualité des adversaires. La violence c'est super quand c'est fait pour les bonnes raisons et contre de mauvaises personnes — si vos méchants ont des émotions, une famille et une cause qu'ils croient juste, ça devient tout de suite plus complexe à vendre. Hors de question que le spectateur s'identifie au méchant pour ensuite être tué par le héros. Il faut donc le déshumaniser. Comment faire ? D'abord, faire des méchants une masse homogène et remplaçable. C'est le principe des zombies, bien sûr, mais un uniforme fait très bien l'affaire. Tuez un nazi, deux autres prendront sa place. Ensuite, si possible, cacher leur visage. Ça marche très bien, pour les ninjas notamment. Le visage, c'est non seulement l'individualité d'une personne, mais aussi son expressivité, son humanité. Aussi ne vous étonnez pas de voir les nazis de fiction souvent équipés d'un masque à gaz ou de lunettes d'aviateur qui n'ont rien à faire là. Enfin, le mieux reste de l'exclure symboliquement, d'en faire une figure de l'Étranger. L'accent joue beaucoup — asiatique au temps du Péril Jaune, puis russe lorsque l'ennemi était soviétique, et plus récemment arabe ou français à Hollywood. Et, bien sûr, l'éternel accent allemand. La défiguration, moins utilisée de nos jours, joue aussi beaucoup pour que le spectateur ne puisse pas s'identifier : cache-œil et autres cicatrices voyantes permettent à la fois de rappeler le mode de vie violent du méchant, mais aussi de le rapprocher de la figure excluante du monstre, dans le sens Quasimodo du terme. Les pirates, notamment, en sont une belle illustration.
Le nazi coche toutes ces cases, et bien plus encore : la passion — indéniablement réelle — du nazisme pour les logos et la hiérarchie, est également un pain béni qui va être repris en amplifié par la fiction. La croix gammée se retrouve ainsi absolument omniprésente en fiction, partout, tout le temps, pour marteler au spectateur qu'on est chez les nazis, que tout est nazi, que si tu détruis cette caisse ça va parce qu'elle est nazie, justifiant jusqu'à la casse matérielle si elle restait à justifier. L'obsession pour le formalisme est également reprise et augmenté : le bon nazi passe sa vie à parler comme une lettre de recommandation, mettant un grade avant chaque nom, balançant des "Heil Hitler" comme une ponctuation et, fatalement, effaçant toute forme de rapport humain, empathique et sympathique, entre des officiers se connaissant depuis longtemps et souvent camarades, si ce n'est amis.
Cette lentille déformante est assez fascinante par son obsession à aller toujours plus loin dans la diabolisation, non pas du nazisme, mais du nazi, toujours en quête d’ambiguïtés humanisantes à éliminer et de défauts à mettre à l'honneur. Le principal symptôme de cette obsession dans la culture populaire est bien sûr la personne d'Hitler, qui se retrouve soudain affublé de tous les défauts possibles et imaginables, quand bien même n'ont-ils aucun rapport avec le nazisme. Il devient soudain un artiste raté aux peintures hideuses, un puceau doté d'un micropénis, pétri de frustration, même pas bon stratège, même pas bon orateur, à se demander comment il s'est retrouvé à sa position. C'est que nier ne serait-ce qu'un défaut chez le génocidaire du siècle sera jugé, au mieux edgy pour se faire remarquer, au mieux mû par une secrète attirance envers l'extrême-droite…
Bien sûr, on pourrait se conforter dans une consensualité de bon aloi. Après tout, qui viendra pleurer pour une inexactitude ou une affirmation un peu malhonnête sur la vie d'Hitler, à partir du moment où elle est péjorative ? L'important c'est que les gens retiennent que le nazisme c'est pas cool, au final.
Eh bien figurez-vous que le Mémorial d'Auschwitz — et ce n'est qu'un exemple, énormément d'historiens et de personnes activement concernées par la question du nazisme le sont aussi — n'est pas d'accord avec ça.
En février 2020 sortait la série Hunters, série concernant des chasseurs de nazis menés par un rescapé d'Auschwitz qui, eh bien, chassaient des nazis. Jusque là, rien de bien surprenant. Ce qui serait susceptible de vous étonner un peu plus, c'est que le Mémorial d'Auschwitz a activement protesté contre cette série et la vision faussée du nazisme qu'elle propose. C'est que Hunters ne se gêne pas trop côté réalisme historique, et s'est particulièrement fait plaisir en représentant les dirigeants d'Auschwitz s'amuser à faire un jeu d'échec humain avec des prisonniers Juifs en guise de pion. Représentation purement fausse et caricaturale au point d'en être clichée, peut-être davantage inspirée aux scénaristes du Pays de la Liberté par les pyramides humaines de Guatanamo (oups).

L'arbitre compte les points de détail.
Et ce qui est fantastique, c'est que le Mémorial d'Auschwitz s'en est pris plein la gueule. Le créateur de la série, David Weil, solide sur ses appuis, a clairement tenu tête au Mémorial en déclarant que, la série ne prétendant pas être un documentaire, il faisait bien ce qu'il voulait — et s'en est suivi le flot incessant des spectateurs enthousiastes affirmant que, puisque le Nazis gardaient le mauvais rôle, où était le problème ? Une défense accompagnée de très nombreuses comparaisons à l'Inglorious Basterds de Tarantino.
À vrai dire, Inglorious Basterds avait déjà fait débat en Allemagne lors de sa sortie sur la pertinence de sa représentation et des nazis et du sort des Juifs, mais il avait surtout deux atouts qu'Hunters n'a pas : d'une part, il est clairement assumé comme une uchronie, d'autre part, il est bien plus honnête lorsqu'il s'agit de représenter les nazis sous un jour humain. Le fait est que présenter de faux faits comme véritables c'est, déjà, ouvrir une porte d'entrée en or aux négationnistes, qui adorent dénoncer ces mensonges bien réels pour ensuite déclarer fausses de plus en plus d'affirmations répandues sur le nazisme, bel et bien réelles, elles. Mais cela contribue surtout à ostraciser le méchant, à s'imaginer un Mal absolu, à part, réservé aux fous et aux étrangers, un mal qui nous épargne nous, bien sûr, parce que nous, nous avons le sens de la mesure et de bonnes valeurs. Les Allemands ont au contraire bien conscience que le Mal n'a strictement aucune limite le séparant du Bien, qu'il est insidieux, subjectif, et que les pires atrocités sont commises par de bien braves gens.

Hellboy anglais, Hellboy allemand. Cherchez la différence.
C'est qu'ils ont eu le temps de cogiter sur le sujet. Officiellement, la production et l'importation d’œuvres liées au nazisme ou au nationalisme au sens large est toujours fermement contrôlée. L'émission de symboles ou de citations nazies demeure, sauf exception, censurée — règle que suit d'ailleurs le hub du Sonderkommando für Paranormales. De manière générale, toute forme de patriotisme se doit d'être mesurée. Par exemple, si en France chaque commune a son monument aux morts, en Allemagne, ceux-ci sont depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale bien plus rares, bien plus discrets, consacrés aux victimes plutôt qu'aux soldats, et ne sont pas entretenus par l'État. Si quelqu'un glorifiait les soldats tombés pour la patrie, c'était bien Hitler.
Si ce tabou continue d'être appliqué, c'est qu'officieusement la population allemande reste extrêmement divisée sur la question. C'est que les "nazis", ce sont leurs grands-parents ou leurs arrière-grands-parents. Même ceux n'ayant pas eu leur carte au NSDAP ont cohabité passivement avec le nazisme — et il serait bien déplacé de notre part à nous Français de leur en faire le reproche. Nombreux sont les Allemands actuels à toujours occuper une maison familiale que leurs arrière-grands-parents ont obtenu suite à la déportation de ses anciens habitants, par exemple. Paradoxalement, la "dénazification" menée par les forces alliées après la guerre a été à la fois violente et inefficace : une part de la population nazie le resta jusqu'à sa mort, tandis qu'une autre part fut remontée contre le "forçage" idéologique des vainqueurs. Cette scission continue à exister aujourd'hui, entre une nouvelle génération biberonnée au manichéisme du soft-power hollywoodien ou qui, par réaction à cette culpabilisation constante, va au contraire s'orienter vers une nouvelle extrême-droite. Mais, pour quasiment tous, le détachement qu'ont les Américains sur le nazisme, ce détachement qui permet de les déshumaniser, même de ne les considérer que comme une fiction, n'existe pas. Ils savent que si Hitler est arrivé au pouvoir ce n'est pas par hasard, c'est parce que des gens normaux, des gens comme eux, des gens de leur famille, ont fait ce qu'ils ont cru être juste sur le moment. Comme tout le monde. Comme toujours. Aussi la caricature de ce passé est-elle difficilement tolérable.
Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls. Ainsi, le premier conseil du guide d'écriture du Commissariat Spécial de Sécurité, Groupe d'Intérêt franquiste de la branche espagnole, est celui-ci :
Ils sont humains : Contrairement à comment sont décrits l'Obskurakorps et certaines interprétations de la Coalition Mondiale Occulte et de la Fondation, le Commissariat évolue dans des nuances de gris, pas en noir et blanc.
En effet, en Espagne, le régime de Franco est bien plus récent — et l'opinion des Espagnols à son sujet, encore plus divisée. Autant dire que l'affaire GreenWolf a bien circulé à l'international.
Mais quid des remarques de GreenWolf à propos du contenu cryptofasciste de la branche allemande ?
Pour bien comprendre cette remarque, il faut comprendre que l'univers du Sonderkommando für Paranormales se scinde en deux parties : le Sonderkommando für Paranormales historique et — comment y couper ? — celui d'un univers parallèle où les nazis ont gagné la guerre. Le premier cas de figure, fidèle au devoir de mémoire allemand, est extrêmement strict envers les auteurs : là où l'Obskurakorps est sur la branche anglaise une force militaire majeure et peu discrète, le Sonderkommando est chez les allemands un institut de taille réduite, à l'existence secrète même pour la SS et n'ayant jamais pris part aux hostilités. Les barrières sont placées et sont sévères : on limite au maximum les croisements entre la fiction et la réalité afin de ne pas salir les véritables drames qui se sont produits durant la guerre. Mais cette ligne de conduite certes noble est étouffante, ce qui a conduit, pour libérer les auteurs, à la création d'un univers parallèle. Dans cette Histoire alternative, le réalisme reste de vigueur mais, comme pour Inglorious Basterds, des libertés peuvent être prises, de nouveaux noms apparaissent tandis que les personnages historiques réels meurent et, les victimes et les bourreaux devenant purement fictifs, la magie opère.
C'est cet univers alternatif qui a certainement valu l'accusation d'apologie du nazisme, une accusation dont je peux comprendre l'origine… mais un univers que j'apprécie tout particulièrement. Vous m'avez vu, plus haut, me plaindre que tous les univers alternatifs nazis étaient identiques, affectés qu'ils étaient par cet immobilisme frileux des auteurs anglo-saxons. L'auteur du Sonderkommando est lui parti d'une base simple, que nous avons déjà évoqué plus haut : les nazis étaient des personnes normales accomplissant ce qu'elles croyaient être bon, ni plus, ni moins. Aussi le monde de 2020 dans cet univers parallèle est-il une utopie — une utopie suprémaciste, bien sûr, une utopie purement égoïste, et une dystopie pour tous ceux qui n'étaient pas invités à la fête, mais il faut croire que cette simple variation a choqué GreenWolf. Dans cet univers alternatif, les nazis ont accompli les buts qui étaient déjà fixés pour de vrai dans les années 40 : de nombreuses minorités sont éradiquées, tout comme le handicap et une large majorité des maladies existantes. Loin d'avoir conquis le monde, le Reich domine l'Europe tandis que les Empires alliés (japonais, ottomans…) continuent d'évoluer sans ingérence de sa part. En Europe, le travail obligatoire a mis fin au chômage et assure un mode de vie sans misère aux Blancs. Les anomalies permettent l'abondance comme la rééducation des masses — autant vous dire que ce présent alternatif, qui dispose comme nous de ses films Marvel et de son Internet, navigue énormément dans les nuances de gris avec une pertinence dérangeante, réglant autant de problèmes qu'il en cause.
Pourtant, ce monde imaginé dans ce qui reste aujourd'hui un des pays les plus antifascistes au monde n'a aucunement le but de cautionner quoi que ce soit, ni même de provoquer. La source de mon choc — de votre choc — provient du fait qu'il expose une reconstitution qu'il estime plausible, sans fard, sans ajouter une couche de nuages noirs et de Mal absolu sur un mal humain qui se suffit déjà à lui-même.
En clair, il faudrait voir à ne pas confondre le détachement et le recul. Il est facile de contempler le passé et l'étranger de loin, et de cracher sur ses erreurs sans chercher à les comprendre. C'est un détachement, au mieux complaisant, au pire condescendant. Le vrai recul se trouve peut-être plutôt chez ceux qui, directement concernés, coincés entre toutes les versions des faits, sont motivés par la recherche de la vérité.
Car, contrairement à ce qu'à pu dire notre très cher Manuel Valls, chercher à expliquer, ce n'est pas vouloir excuser, bien au contraire. Et si cela nous choque, c'est peut-être justement parce que la répétition perpétuelle d'univers nazis tous identiques, tous sinistres au dernier degré, nous a fermé à l'idée-même d'envisager autre chose. Aussi aimerai-je parler, pour finir, de soft-power.
III. Ce n'est pas parce qu'on est entre occidentaux qu'on a la même culture
Je ne suis pas de ceux qui pensent que l'histoire est écrite par les vainqueurs, je pense au contraire que les études des historiens et des archéologues actuels, en constant débat, ont pour tâche de rétablir un maximum d'objectivité et de nuance — et que pour chaque culture dominante donnant un certain regard sur l'Histoire, une sous-culture émergera pour faire des méchants les gentils, qu'elle soit dans le vrai ou non. Je vais également éviter de m'aventurer dans ce bourbier qu'est l'impérialisme américain, qui est un débat à part entière — mais, plus pernicieuse, l'industrie du divertissement persévère et, ne se prenant pas au sérieux, ne remet pas non plus en question les archétypes qu'elle véhicule et préfère au contraire, nous l'avons dit, les faire tourner en boucle, caricaturant, fossilisant ses mauvaises habitudes.

La plupart d'entre vous auront déjà vu en cours, ou du moins entendu parler, du fameux soft-power américain, une influence culturelle qui s'est imposée à la suite de la Seconde Guerre Mondiale et qui voit l'horizon français, et même mondial, largement occupé par les supermarchés, les fast-foods, mais surtout par les œuvres culturelles américaines, musique, films, séries, jeux, livres… jusqu'aux mèmes et aux sites internet dominants. Cette omniprésence de la culture américaine, c'est aussi une omniprésence du point de vue américain sur le reste du monde et son Histoire qui, par son martèlement constant, influence notre façon de penser. Bien sûr et fort heureusement, la culture américaine est loin d'être homogène et tout le monde y est libre d'exprimer des opinions diverses et souvent critiques des USA eux-mêmes — mais il existe tout de même des courants culturels dominants, en témoigne le graphique ci-dessus. Bien sûr, s'il est normal que l'opinion de l'URSS ait drastiquement chuté entre 45 et 94 (l'horreur des goulags a été découverte dans les années 70), l'explosion de la popularité des US tient davantage d'une propagande, volontaire ou non, qui en temps de Guerre Froide aspergeait l'Europe de courageux américains se battant pour la Liberté contre la tyrannie d'à peu près tous les autres pays. Une image d'eux-mêmes qui séduisit tant les Américains qu'ils s'autoproclamèrent bien vite Police du Monde et commencèrent à enchaîner les "Guerres Justes" pour "libérer" le Moyen-Orient dans les années 1990, avec de nombreux soutiens. Au méchant nazi classique succéda le méchant russe classique, suivi du méchant arabe classique. Mais la vision américanocentrée du monde est loin de s'arrêter à la politique — et, et c'est l'instant personnel, j'en ai personnellement pâti avec SAPHIR.
Bon, je pars du principe que vous connaissez tous SAPHIR, l'organisation terroriste athée. Vous savez aussi certainement qu'elle a été reprise par d'autres branches, notamment la branche anglaise à l'occasion d'un concours. Mais peut-être n'étiez vous pas là à l'époque pour me voir tomber des nues.

300 ans de lutte contre les institutions pour en arriver là. Je ne vous félicite pas.
C'est que l'athéisme en France a ses lettres de noblesse, et qu'un certain esprit anticlérical nous imprègne, que nous en ayons conscience ou non. C'est dans la culture française. Nous sommes bercés par l'image de Voltaire, des grands penseurs humanistes des Lumières et des Révolutionnaires qui ont mis à mal l'Église, par la séparation de l'Église et de l'État de 1905 qu'on apprend au CM2, par toute une tradition anticléricale qui mène encore aujourd'hui à Charlie Hebdo et à son attentat. Bref, l'athéisme sonne comme une prise de position intellectuelle, marquée par la satire, l'indignation et le courage. La France est un des pays les plus athées du monde. Aux États-Unis, c'est différent. Si les USA ont été fondés sur les principes des Lumières, le fait est qu'ils ont manqué le coche — optant pour un laïcisme déiste et une Église théoriquement séparée de l'État, ils se retrouvent aujourd'hui avec "In God we Trust" comme devise nationale et une population chrétienne et conservatrice très présente et très proche du pouvoir. L'athéisme y est donc bien plus minoritaire, plus maladroitement braillard, et plus récent. Ses grandes figures sont essentiellement scientifiques et médiatiques (Richard Dawkins, Neil Degrasse Tyson ou Carl Sagan) et l'athéisme y est bien plus associé aux sciences dures (le STEM) qu'en Europe où elle relève plus d'une posture philosophique et sociale. Et, fatalement, là où en France l'athéisme est rattaché à une figure assez noble, intellectuelle et révolutionnaire, un tout autre archétype a émergé aux USA à l'ère d'Internet : celui du fedora tipper qui se croit plus malin que tout le monde avec ses opinions nihilistes et tire essentiellement sa substance de Family Guy et Rick & Morty.
Autant vous dire que lorsque les premiers textes anglais sur SAPHIR sont sortis en se basant sur ce modèle-là, ce n'est pas peu dire que j'ai grincé des dents.
Aussi en va-t-il de même pour nos voisins allemands. Comprenez que la problématique que je cherche à soulever ici ne se limite pas aux nazis, et que je ne jette pas la pierre qu'aux anglais : parler de patrimoine étranger, lorsque l'on partage des cultures différentes, est fondamentalement risqué — encore plus lorsqu'il s'agit de porter un regard critique sur des sujets délicats que nous ne maîtrisons pas. Cela inclut cette chronique d'ailleurs : je m'engage sur quelques pistes glissantes, le thème tout entier est une piste glissante, et je ne prétendrais pas parler ni à la place d'un Américain, ni à la place d'un Allemand, seulement de la place d'un Français qui, dans un pays qui a aussi bien connu le fascisme que le plan Marshall, essaye de comprendre.
Mais j'aimerais, lorsque vous créez sur tel ou tel pays ou sur telle ou telle date, vous encourager à privilégier les univers des branches concernées par-delà le wiki original. Lorsque vous le pouvez, préférez le Sonderkommando à l'Obskurakorps. Si vous parlez de l'URSS, préférez le tout nouvel Institut de Recherche "Progrès" de la branche russe au GRU-P qui a été mêlé à un peu tout et n'importe quoi au fil du temps. Et si la branche japonaise a adopté tant bien que mal l'IJIEPA pour rester cohérente avec la branche anglaise, n'hésitez pas à jeter un œil à ce que les Japonais en ont fait pour vous en inspirer. Aidez à rendre ces univers plus accessibles ! Non seulement cela vous permettra d'un peu mieux maîtriser ce dont vous voulez parler, mais ces crossovers permettront de rapprocher les branches internationales de la Fondation SCP en un grand univers partagé — et ça, c'est beau, et soyez assurés que les Nazis n'auraient pas aimé.
Ah ! Difficile de trouver une citation qui puisse conclure à elle toute seule la longueur infernale de cette édition spéciale — mais voilà qui devrait compléter votre lecture sous bien des aspects :
“Un seul mauvais exemple, une fois donné, est capable de corrompre toute une nation, et l’habitude devient une tyrannie.” – Voltaire
Et Maintenant On Analyse Des Trucs
Des fanarts et de leur importance dans l'univers de la Fondation.
On va commencer par un petit jeu rigolo. Voici une photo, et vous avez cinq secondes de trouver qui sont les deux personnages qu'elle représente.

Abel en rouge avec sa petite épée, et Caïn en bleu à ses côtés. Facile ? Évidemment, les numéros sont marqués en dessous. Mais vous les auriez probablement reconnus même sans ces numéros. Pourtant ce sont juste des m&m's et quelques traits de bic pour faire des pitits bras tous choupis.
Qu'est-ce qui vous relie à la personne qui a pris cette photo, à l'autre bout du monde, pour que vous compreniez l'allusion ? Internet évidemment, mais surtout la Fondation SCP. Certaines histoires ont fait le tour du monde et les deux frères en font partie.
On peut donc se dire que la base de la compréhension mutuelle réside dans les rapports de SCP-076 et de SCP-073, qui sont parmi ces bon vieux rapports surcotés de la Série I. Après tout, quasi tout le monde les a lu, les connaît ou les aime de façon plus ou moins assumée.
Mais voilà le problème : il n'y a rien en commun entre une cacahuète au chocolat et la description (en soi fort succinte) de n'importe laquelle des deux anomalies.
Pour trouver une explication plus satisfaisante, il ne faut pas se limiter aux rapports. C'est pourquoi nous allons plutôt nous tourner vers la dimension iconographique de ces deux figures emblématiques. Ce domaine est celui des fanartistes, dont les créations sont généralement à cheval entre l'"officiel" des textes du site et les terres effrayantes pleines de fanfics qui gravitent autour. En ignorant les mêmes trois images qui tombent en premier sur Google, repompées sans créditer par des brouettes de vidéos médiocres, on peut se rendre compte que les deux frères ont beaucoup de fanarts à leur effigie. Je me suis reposée pour cet article sur un corpus de 216 images, ce qui est énorme (surtout quand on se dit qu'une forte proportion de SCP ne seront jamais représentés visuellement).
L'autre chose qui est aisément constatable, c'est qu'ils ont une iconographie très définie. Analysons-donc cet ensemble de codes qui les rendent si facile à repérer, en dressant d'abord deux archétypes :
Able est tatoué, porte un pagne et les cheveux longs, lisses et sombres. Parfois y sont ajoutés des armes blanches, des pics ou un collier électronique. La couleur rouge domine.
| Dessin de Xiaojiu
Caïn quand à lui a les cheveux plus courts, une marque sur le front, une tenue moderne et des bras mécaniques reliés à une épine dorsale mécanisée. Des éléments de végétation en décomposition sont également un motif récurrent. La couleur associée au personnage est le bleu.
| Dessin de Kuukikyu
On trouve des emprunts évidents aux rapports originels dans ces deux descriptions : les tatouages, les bras mécaniques ou la suggestion des effets anormaux par exemple. Mais il y a aussi des conventions qui sont liées au support, et à la nécessité d'adaptation visuelle des dynamiques qui lient les deux rapports. De cette manière certaines idées abstraites mais importantes passent à la trappe, car trop difficiles à transcrire. Typiquement la mémoire photographique de Caïn et sa capacité à rediriger le mal qui lui est fait, malgré que ce soit un des enjeux principaux de la Fondation à son égard.
D'autres trouvent au contraire un fort écho dans les transcriptions visuelles, alors que les rapports ne faisaient que les suggérer.
Ainsi les représentations des deux frères fonctionnent par opposition. Le premier, décrit comme brutal et dangereux, et cela se traduit par l'omniprésence du rouge. Il est à noter que même si le fanart le représente évoluant dans un monde moderne, il ne perdra généralement pas la longueur de ses cheveux et continuera se balader à moitié à poil (ce qui souligne à la fois une certaine idée d'indomptabilité et l'envie des fanartistes de dessiner des pectoraux tatoués, qui n'est certes pas à sous-estimer).
Par contraste, les interprétations de Caïn sont très généralement dominées par le bleu. La seule mention d'yeux bleus dans le rapport a été très généralement extrapolée pour donner une unité de couleur au charadesign. Cheveux courts et vêtements modernes, ce sont des moyens de figurer sa coopération avec la Fondation et son caractère plus calme. Il est de ce fait dépeint comme moins sauvage et plus doux.
Ces différences marquées aident paradoxalement à les rendre crédibles en tant que frères. En effet, grâce à cela leur individualisation est plus facile pour l'artiste, qui peut alors représenter côte à côte des personnages qui se ressemblent beaucoup mais se démarquent fortement l'un de l'autre.
Il est à noter que ce contraste se retrouve autrement dans les contes, qui explicitent leur antagonisme d'une autre façon encore, en décrivant des faits et actions, souvent par des affrontements. Or beaucoup de fanarts s'inspirent autant (si ce n'est bien plus) de ces contes que des rapports, ce qui se traduit par une forte récurrence de thèmes de combats ou d'amitié fraternelle.

| Dessin de Medhas
Chaque fanartiste est donc par extension un lecteur qui veut partager sa façon de voir, en fonction des contes qu'il a lus. Car comme toujours à la Fondation, tout est question de headcanon, et c'est d'autant plus vrai pour les fanarts. Il n'y a pas de cahier des charges ou de dogme à respecter. Et contrairement à ce qui est écrit sur le site, il n'y a ni contrôle de qualité ni standards : on est juste contents d'avoir des fanarts, et tout le monde se fiche si quelqu'un met une robe ridicule à un personnage très connu1.
Cela donne beaucoup plus de liberté et laisse également l'artiste se faire influencer par les autres ou les influencer beaucoup plus facilement. C'est pourquoi chaque dessin est une interprétation complexe, faite de choix arbitraires ou logiques, de préférences et d'une vision personnelle. De cette manière, malgré le fait que j'aie dressé un portrait-robot assez précis plus haut, très peu des nombreux fanarts présentent toutes les caractéristiques des archétypes. Entre un théoricien d'AfAl français, quelqu'un qui fait du RP sur Containment Breach aux USA et un shipper hardcore d'Omega Seven en Corée, on brasse large quant à la façon de voir les personnages. Et cela se traduit par une très grande diversité de scènes et de façons de les traiter (je crois d'ailleurs avoir laissé une partie de mon âme accrochée à un rule 34, pendant mes recherches pour cette chronique…).

| Dessin de Niram
Deux points reflètent particulièrement cette idée primordiale du choix de l'artiste. Plus important encore, ce sont des motifs qui l'obligent à faire ces choix, car il faut se poser des questions pour les dessiner.
Premièrement "quelle forme pour les tatouages d'Able ?". À cette question, les réponses de ceux à qui j'ai demandé sont diverses2. Chacun y glisse sa propre vision du personnage : parfois il s'agit d'un choix purement esthétique, parfois d'illustrer un headcanon sur son passé, ou bien de symboliser une forme de folie ou de malédiction. D'un autre côté, si ces choix s'appuient très souvent sur des contes spécifiques divers, certains motifs sont récurrents indépendamment des significations qui leur sont données. Ces yeux, longues lignes et autres petits triangles permettent de se rendre compte qu'il y a une influence (pas forcément consciente) entre les différents fanartistes.
Pourtant malgré cette reprise de motifs spontanée, chaque interprétation se démarque fortement des autres par le style, la "mise en page" et l'organisation des éléments du tatouage, donnant à chaque fois un résultat unique.
On peut se faire le même genre de réflexion dans le cas de Caïn. Le rapport indique que le symbole à son front est sumérien, mais cela est parfois interprété différemment selon l'esthétique voulue. Pour cette raison, les nombreuses variations recensées ici présentent une large diversité.
On peut constater à nouveau différents courants stylistiques, qu'il serait intéressant d'analyser3.

| Tableau récapitulatif non exhaustif
À ces particularismes individuels s'ajoutent d'autres divergences, comme celles entre deux fanarts de la même personne. Celles-ci peuvent être dues à la difficulté de refaire deux fois la même chose, une évolution de headcanon, un design alternatif ou une chibification.

| Dessin de Miregari
Malgré cela, rares sont les versions qui ont pour parti pris d'ignorer ou de s'éloigner radicalement des représentations "classiques". Par exemple le sous-courant de ceux qui dessinent Able très musclé est fortement minoritaire, là où la tendance majoritaire lui préfère une apparence fine et élancée. On peut alors constater une tendance à respecter des standards de beauté assez consensuels.
Cela est très compréhensible : après tout, la réalisation de quelque chose d'esthétique est extrêmement satisfaisant, et certaines conceptions de l'esthétique sont bien plus répandues que d'autres. Comme les tableaux d'évènements historiques, les statues grecques ou les portraits photographiques, le fanart est régi par un canon aves ses propres règles implicites, une façon idéalisée de s'imaginer un personnage. Un ensemble de codes pas tous définis ni fixés mais appliqués quand même.
On assiste alors à la perpétuation d'un certain paradoxe, où la plupart des très nombreuses visions restent formellement proches d'une représentation assez stéréotypée et l'alimentent, finissant par se confondre dans un imaginaire commun.
Un imaginaire qui se révèle forgé autant par les images que par les mots, et qui nous permet de nous dire : "Ah, je connais ces lapins".


| Dessins de SunnyClockwork
Vente de WikidotC'est officiel : Wikidot est à vendre. Ce 27 février, un fil de discussion assez surprenant a été créé sur le site Bitcoin Talk, un site web spécialisé dans les transactions en cryptomonnaie. Celui-ci propose, pour la modique somme de 280 Bitcoins — ou près de 2,4 millions d'euros — de racheter l'entreprise, qui produirait (selon des calculs incertains, analysés par l'utilisateur Whane The Whip ici) des revenus de l'ordre de 250 000 $ par an. La surprise peut sembler de taille mais elle ne fait que confirmer l'abandon progressif de l'hébergeur par ses développeurs. Il convient de noter cependant que cette vente (qui a peu de chances d'aboutir au regard des informations évoquées dans le post plus haut) ne met en danger ni le site ni son contenu. Indépendamment de cela, le Staff réfléchit à une possibilité de migration pour un site autogéré qui n'appartiendrait donc plus à Wikidot. Tous les retours et questions de la communauté sont les bienvenus ! — Henry & Lekter |
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Fin du Concours des 8 ansLe Concours des 8 ans de la branche française s'est terminé le 12 mai à minuit, et les vainqueurs ont été félicités ! Pour rappel, le but de ce concours était d'écrire un rapport au bout duquel le lecteur devait ressentir une émotion, tirée au préalable de manière aléatoire. Douze participations ont été publiées au total, douze travaux qui ont été jugés par la communauté pour élire le rapport qui remplissait le mieux ces conditions particulières. Le grand vainqueur est DrMacro avec Trop Belle pour être Vraie qui remporte donc l'emplacement 400-FR avec l'émotion sexy4. Bravo à lui ! En seconde position, on retrouve Dr Lekter avec Ginnungagap et l'émotion énervé, et à la troisième place, Aloices complète le podium avec Güiro en Exil et triste. Félicitations à eux et à tous les autres participants ! — Henry |
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Outil de traduction des tagsUn nouvel outil est disponible pour les traducteurs ! Fatigué de ratisser le guide des tags avec la commande Ctrl + F pour tenter de retrouver la traduction de votre tag perdue au milieu de ces onglets et listes interminables ? Vous voilà désormais sauvé ! L'utilisateur 7happy7 du wiki japonais, avec l'aide de C-take et Jochoi, a créé un outil fort pratique qui permet de traduire automatiquement la traduction d'autant de tags que nécessaire à la fois. Vous pouvez maintenant le retrouver juste ici et dans le dernier onglet du Guide de Traduction ! — Henry |
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Refonte du Centre des GuidesLe Centre des Guides a été mis à jour et retravaillé pour être plus agréable à utiliser, avec une différenciation visuelle entre les guides et les essais. Les pages sont maintenant triées par thèmes pour vous permettre de trouver plus rapidement ce que vous cherchez parmi nos nombreux écrits de référence ! — Lekter |
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Concours SCP-200-DELe 30 mai s'est fini le concours 200-DE de la Branche Germanophone. Avec 5 participations au total, c'est — Stanislav |
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Cadavre Exquis anglaisSur la branche anglaise, un nouveau concours est en train de se dérouler sur le principe du cadavre exquis. Le principe est relativement simple : un utilisateur choisit une classe qui sera envoyée à un autre utilisateur par la suite. Les combinaisons des classes de bases sont autorisées, mais pas les classes ésotériques ni celles du format ACS. Une fois la classe choisie, celle-ci est envoyée à un autre participant qui devra alors écrire les procédures de confinement en fonction de la classe, avant que celles-ci ne soient envoyées vers un troisième et dernier participant qui devra écrire la description et les éventuels addenda. La phase d’écriture des descriptions est déjà entamée, mais il est toujours possible de s’inscrire afin de devenir un "pinch hitter", sans devoir écrire de classe ni de procédures de confinement, dans le seul but de pouvoir recevoir celles de quelqu’un d’autre que si un participant décide d’abandonner. Ce système permet de ne pas laisser le travail effectué par les autres participants sur leurs procédures de confinement partir en fumée si un autre participant n’est pas en mesure de proposer une description pour celles-ci. Ceci fait, les articles doivent être postés sur le site avant le 21 juin, et la création ayant reçu le plus d’upvotes au 29 juin sera nommée vainqueur. — Bob |
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