Plus Plein Que Plein !

"Mesdames et Messieurs, veuillez accorder une nouvelle salve d’applaudissements pour Boule de Gomme, l’éléphant pompette. Essayez de ne pas vous sentir désolé pour elle. Nous ne pouvons pas l’aider tant qu’elle n’admet pas qu’elle a un problème."

Alors que la foule acclamait et applaudissait le pachyderme pochtron placardé de rose partant de la piste, le Monsieur Loyal Vilaine concentra son regard sur l’arrière des stands, là où elle avait remarqué un individu plutôt, et bien, inquiétant.

Grâce à ses nombreuses années d’expérience, elle pouvait sans effort dire si quelqu’un était ou non sous l’effet de leur barbe à papa noire, et elle s’assurait toujours de garder ces personnes à l’œil au cas où ils seraient sur le point de jouer un mauvais tour. Son cirque était tout pour elle, et elle pouvait détecter une menace pour lui à plusieurs kilomètres de distance.

L’homme qu’elle observait actuellement avait suivi son numéro avec une grande attention, mais sans exprimer aucune joie ou dégout et horreur comme la plupart des gens le faisaient. Non, il regardait consciencieusement, comme si c’était son travail. Elle pouvait quasiment l’entendre écrire son rapport dans sa tête.

Il était temps de trouver à qui ce rapport était destiné.

Vilaine signala au technicien audio de passer le calliope sur 'Officier de l’année'. Tous les membres du Cirque présent s’en rendirent immédiatement compte, et comprirent qu’ils allaient sortir du script.

"Mesdames et Messieurs, je pense que nous avons le temps pour un dernier tour de magie avant que nous passions au grand final. Est-ce que vous voulez voir un autre tour de magie ?"

Le public montra bien sûr son approbation par une salve d’applaudissements.

"Je veux voir un autre tour de magie !" dit son assistante, qui était sortie de son chapeau et était actuellement perchée avec grâce sur sa tête.

"Suzie, descends d’ici," commanda-t-elle gentiment. Suzie fit le poirier, replaçant le chapeau haut de forme sur la tête du Monsieur Loyal, avant de faire un salto pour descendre sous les rires et les applaudissements du public. "Pour notre prochain tour, nous allons avoir besoin d’un volontaire parmi le public. Mais un seul ! Est-ce que nous avons des volontaires ?"

Bien évidemment, des douzaines de mains excitées se levèrent, mais l’homme dans le fond resta aussi passivement observateur qu’avant.

Pas que cela n'aurait changé quoi que ça soit pour Vilaine. D’un geste de la main, elle braqua les projecteurs sur lui.

"Vous monsieur, dans le fond. Vous ferez parfaitement l'affaire."

"Quoi ? Je, euh…non. Je veux dire, je ne pourrais jamais, je…"

"Allez, descendez !"

Les spectateurs applaudirent et crièrent divers encouragements, et l’homme remarqua qu’un Clown de plutôt grande taille était apparu à ses côtés pour l’accompagner. Il soupesa rapidement ses options et décida qu’il valait mieux jouer le jeu, et se laissa guider vers la piste.

"Merci Nouilles," dit Vilaine, prenant l’homme par le bras. "Comment vous appelez-vous Monsieur ?"

"Ah… Jeremy ?” répondit-il, bien que cela sonnait comme s’il n’en était pas sûr lui-même.

"Eh bien Jeremy ; en fait est-ce que je peux vous appeler Jerry ? Je vais vous appeler Jerry. Jerry, la raison pour laquelle je vous ai choisi au lieu de n’importe quel autre de ces autres personnes admirables est que je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer à quel point vous aviez l’air sérieux, et cela ne m’allait pas vraiment. Comment quelqu’un peut-il être aussi sérieux après avoir vu un éléphant rose ivre faire des bulles défiant la gravité depuis sa trompe ?"

"C’est certainement inhabituel Vilaine," acquiesça Suzie. "Cela me laisse penser que peut-être que Jerry n’est pas venu ici pour s’amuser du tout."

"Et qu’avez-vous à répondre à ça Jerry ? Êtes-vous ici par plaisir ou pour affaires ?"

Et bien c’est juste que, vous savez, j’ai vu les tentes d’installées et je n’avais pas d’autres trucs de prévus et du coup je… Jésus Christ !"

Le pantalon de Jeremy avait spontanément pris feu, engloutissant tout son postérieur dans les flammes. Le public éclata de rire alors qu’il essayait d’éteindre le brasier. "Mais bordel c’est quoi ça !"

"Votre pantalon est en feu Jerry, ce qui veut dire que vous devez être un menteur-menteur-ton-pantalon-brûle-avec-ardeur," expliqua Vilaine avec un sourire suffisant.

"Ouais, c’est pour ça que je ne porte que des jupes pour que je puisse m’en tirer en racontant autant de bobards que je veux," frima Suzie.

Jeremy avait commencé à se rouler par terre pour essayer d’étouffer les flammes. Un Clown affolé arriva en courant avec un extincteur, mais quand il essaya de l’utiliser il fut propulsé en arrière en volant tout autour de la piste pour le plus grand plaisir des spectateurs, les rassurant comme quoi tout ceci faisait partie du spectacle.

"Que quelqu’un m’aide !" s’écria Jeremy.

"Tout ce que vous avez à faire c’est dire la vérité," dit Vilaine, avant de baisser la voix de manière à ce que les spectateurs ne l’entendent pas. "Pourquoi êtes-vous venu ici ? Pour qui travaillez-vous ?"

"Je voulais juste voir un cirque !" clama-t-il.

"Et bien d’accord, laissez vos toutes petites parties bruler. J’espère que vous n’avez personne à qui elles pourraient manquer."

Comme si elle le commandait, le feu commença vraiment à se propager en direction de son organe génital.

"Ah ! Okay, la CMO ! Le suis avec la Coalition Occulte !"

À son grand soulagement, les flammes disparurent instantanément. Son soulagement fut cependant de courte durée, car il remarqua immédiatement que tous les Clowns le dévisageaient avec un regard empli d’une haine si intense qu’elle ridiculisait le feu.

"Tueur de monstres de foire !" siffla Suzie entre ses dents.

"Non ! S’il vous plait, tout ce que je fais pour eux c’est des opérations de reconnaissances et je suis vraiment juste tombé sur votre cirque par hasard. Ils ne savent même pas que je suis ici et si vous me laissez partir je vous jure qu’ils ne le sauront jamais," prétendit-il. Vilaine secoua la tête de dégout, et s’agenouilla pour lui s’adresser à lui seul.

"Vous faîtes juste de la reconnaissance ? Chaque monstre de foire que tu as balancé à la Céaime O. est mort ! Ce sont littéralement des nazis obnubilés par l’idée d’exterminer les miens de la Terre ! Ce Cirque est un sanctuaire pour les Monstres de Foire, ce que veut dire qu’il n’y a aucune putain de chance que tu sortes d’ici vivant. Joue le jeu, et au moins ça sera rapide."

Vilaine se redressa et repris sa personnalité enjouée.

"Mesdames et Messieurs, je m’excuse pour la triste et étrange performance de Mr Jerry, mais heureusement cela ne va avoir aucun effet sur l’incroyable étalage de magie auquel vous allez assister : Le Cuiseur à Caramel Humain plus Plein que Plein !"

Suzie et Mr Nouilles attrapèrent Jeremy et le placèrent dans une sorte de harnais élastique, et enfoncèrent un entonnoir et un tube jusqu’à son estomac. Susie sauta en haut du harnais pour attraper l’entonnoir et le montrer à tout le monde. Un machiniste entra sur la piste en tirant derrière lui un énorme réservoir rempli de sucre.

Avec quelques mots magiques absolument vides de sens et de grands gestes dramatiques, Vilaine fit s’envoler tout le sucre dans les airs et commença à le faire tournoyer autour de son doigt comme un vortex. Le sucre pris la forme de plusieurs animaux exotiques, des éléphants, des zèbres, des tigres et leurs semblables, faisant la course autour de la piste en paradant tandis que Vilaine faisait claquer un fouet en sucre pour les encourager à continuer.

Un par un ils plongèrent dans l’entonnoir pour aller se faire cuire dans l’estomac de Jeremy. Son estomac enfla, plein à craquer de sucre fondu brulant jusqu’au point où il était sûr qu’il allait craquer, mais il ne le fit pas. Alors que son estomac commença à s’étendre, ses cotes se brisèrent et sa colonne vertébrale fut horriblement déformée, mais pourtant tous les tissus souples de son corps semblaient avoir gagné une élasticité anormale leur permettant de s’étirer sur des distances horrifiques.

Son torse continua de s’élargir jusqu’à ce qu’il soit si massif que ses jambes cédèrent sous lui. C’est à ce moment que le harnais le fit s’élever dans les airs jusqu’à environ trois mètres du sol. Il avait avalé tout le sucre et pourtant il continuait de grossir. Le harnais le fit tourner sur lui-même, de plus en plus vite tandis que Vilaine entrainait la foule dans une sorte de chant, mais il avait trop mal pour en avoir quelque chose à faire de ce qu’ils disaient.

Finalement, sa peau fut tendue. Elle ne pouvait plus s’étirer, et pourtant ce qu’il y avait en lui continuait de pousser vers l’extérieur. Il laissa échapper un dernier cri, puis explosa comme un ballon.

Des milliers et des milliers de caramels aux emballages multicolores se mirent à pleuvoir sur les spectateurs, dont la plupart applaudirent et ramassèrent avec avidité les bonbons tombés au sol. Seuls ceux qui n’avaient pas été affectés par la musique du calliope semblaient confus, n’étant pas certains de ce à quoi ils venaient d’assister.

Tandis que les légers bonbons avaient volé dans tout le Grand Chapiteau, les viscères, plus lourds, avaient principalement atterri sur les premières rangées. Assis dans la zone d’éclaboussures, entre autres, se trouvait le visiteur VIP Victor Chan.

Avec toute la réserve qu’il put rassembler, Victor sortit son cache-nez et commença à essuyer les morceaux épars de chair. Il était certainement heureux d’avoir suivi le conseil de Vilaine de venir avec des habits coutants moins chers.

Toutefois, il avait bien l’intention de soumettre la facture de son nettoyage à sec lors de ses prochaines notes de frais.

Sauf mention contraire, le contenu de cette page est protégé par la licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0 License