Salutation O5-13, ici O5-13 O5-13. ezfznoectretornre.
Je suppose que tu ne t'attendais pas à ça. Pardonne ma familiarité, mais entre treizièmes membres je pense qu'on se comprend, et puis la vie à la campagne m'a fait perdre peu à peu la rigueur qu'impose originellement la bureaucratie étouffante de la Fondation SCP.
En effet, je suis celui qui règne sur les Enfers, qui administre les damnés, qui gère les âmes et dirige les morts. Et si tu lis ces mots, c'est que c'est à toi que revient ce fardeau. Si les procédures n'ont pas changé depuis la dernière fois où j'ai mis les pieds au Site-01, avant que cette clef ne soit découverte, la plupart des O5 ne sont même pas au courant. Bien sûr, O5-1 et cette insupportable O5-2 doivent avoir gardé mémoire de la convention d'Olympe où on m'a condamné à devenir un mélange de fermier et de maître d'hôtel. Enfin. Tu sais, je viendrais presque à plaindre ces pauvres O5, leur vie à ce rythme diabolique, pleine d'intrigues, de mensonges, de trahison, qui les force malgré eux à vouloir mettre de côté tout le pouvoir possible, qui corromprait le plus intègre des hommes et des anormaux. Je te rassure, ton statut de non-anormal le plus important de la Fondation te tiens à l'écart de ce monde de cauchemars. J'espère juste pour toi que tu n'as pas trop d'allergies.
Par où commencer ? Ton rôle me semble un bon départ. Comme le reste du rapport a dû te le faire comprendre, ici c'est l'Enfer. Rassure-toi, il n'est pas seulement pavé de bonnes intentions mais aussi assez confortable en définitive, si bien sûr tu arrives à passer outre les cris des âmes damnées et le climat de la Louisiane. Le quotidien est d'ailleurs plutôt tranquille en fait, à courte échelle les démons gèrent très bien le Sheol. Disons que ton rôle est globalement celui d'arbitre, de décideur. Un conflit entre démons, des morts insatisfaits de leur chambre, une bavure démoniaque et j'en passe ; c'est globalement ce qui va rythmer tes heures de travail. Sinon, c'est à toi de donner les directives pour les plantations, quand égrainer, quand ramasser, etc. Je ne me fais pas de soucis, tu devrais y arriver à l'aide des papiers que je t'ai laissés et des livres de la bibliothèque. Et puis de toute façon, les plants ici ne sont pas bien productifs, mais ils sont très résistants et tes quelques balbutiements initiaux ne vont pas franchement impacter les plants de maïs et de coton. Par contre, pour les plaqueminiers et les grenadiers, fais attention j'y tiens.
Tant que j'en suis à te parler des plaqueminiers : ces amours font des fruits délicieux, mais ils sont très gourmands et nécessitent beaucoup d'eau. Je les ai fait venir d'un tout petit Nexus japonais, et j'ai peur que d'ici à ce que cette lettre serve à quelque chose, il n'existe plus. C'est pour ça que j'ai fait poser des bouteilles en verre sciées en deux et plantées à l'envers à la base des racines pour faciliter. Je t'en prie, veille à ce qu'ils ne se remplissent pas de feuilles, les morts oublient souvent de les vider et vu qu'il ne pleut pas, c'est crucial pour eux de bien les irriguer. J'aimerais bien qu'ils ne meurent pas, et si tu ne sais pas quoi faire des kakis, si tu n'aimes pas ça par exemple, les Fonteyn les rachètent à prix d'or. Non pas que je sois avide d'argent, ni que la plantation en ai véritablement besoin, mais la Fondation nous fait payer les divers aménagements que tu demanderas, et puis on doit quand même les aider à remplir les caisses. Après tout, O5-13 c'est moi ! Enfin, c'est toi.
Les grenadiers maintenant. Tu ne les trouvera pas dans la liste du rapport, et c'est normal : j'ai moi-même caviardé ce dernier pour faire disparaître ce qui me procure sans doute le plus de bonheur dans cet Enfer paisible. Je te parle bien sûr de mon potager.
Alors oui, je sais ce que tu vas te dire. "Quoi ? Comment ça un potager ? Enfin, O5-13 n'a pas à avoir de potager, pas plus que le roi des Enfers !". Eh bien si. C'est d'ailleurs à cause des réflexions que je recevais des autres O5 que j'ai fini par censurer le rapport. Après tout, on est ici sur une exploitation agricole, il y a tout ce qu'il faut pour faire pousser des plantes. Et si tu savais comme ça détend ! Après un conflit entre damnés qui se sont arraché la moitié de leur existence informationnelle, c'est un plaisir véritable d'oublier qui on est, où on est, et de simplement s'occuper des plantes. Les voir grandir, tâter les fruits délicieux issus de ton labeur en attendant qu'ils soient mûrs, cueillir des fleurs pour en faire un bouquet, équeuter des haricots… Enfin, tu verras si tu développes une passion comme moi pour le jardinage, mais sache que j'aimerais que tu l'entretiennes. En plus de cela, tu seras la seule personne mortelle ici, alors si tu ne veux pas avoir à manger du maïs tout le restant de ta vie, je t'invite à te cultiver tes propres produits pour éviter les carences et varier les goûts ! Et puis, dans ce monde où il ne pleut jamais, où chaque jour ressemble plus au précédent que deux jumeaux, garder un éphéméride et tenir à jour ses semis permet vraiment d'éviter de perdre la tête. Et crois-moi sur ce point, tu en auras besoin.
Globalement, pour te repérer il va falloir utiliser des éphémérides adaptées. Pas tant que la Lune ait un quelconque effet sur les plantes, mais disons que les saisons passant trois fois plus vite, tout le cycle de croissance est perturbé. C'est très difficile de réussir à garder des plantes de la surface ici, la plupart du temps tu pourras demander au père Fonteyn s'il peut t'aider à les transformer. Il saura aussi te produire des tuteurs un peu exotiques, et disons que c'est un plus. Globalement, tout le monde à la Rue Macabre est très sympathique, et même si je te recommande de ne pas y aller sans couverture adaptée, prendre des petites vacances du Sheol te feront le plus grand bien. Je suis sûr que quand tu es arrivé tu as dû te dire que c'était un patelin vide et crasseux, mais je te jure qu'après trente ans à la plantation, la Rue Macabre c'est devenu la ville pour moi. Par contre, à moins que le recrutement pour le poste d'O5-13 n'aie changé et que tu sois une abomination non-euclidienne, ne t'approches pas trop du Moonshine de Willie. Déjà que son alcool normal est pour le moins très fort, cette infâme liqueur frelatée te tuera en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. On a un petit laboratoire à la ferme pour faire un peu d'alcool local, et le dernier titrage que j'ai fait de ce truc me donnait un taux d'éthanol à environ 275°, ce qui est sans aucun conteste une sacré anomalie en plus d'une sacrée gnôle.
Pour revenir aux grenadiers, je pense que ces lignes trahissent l'attachement que j'ai pour eux. Disons que par le passé, avant que la Clef des Champs ne soit découverte, j'ai aimé une femme. Une femme sublime, intelligente, avec juste ce qu'il faut de folie pour arracher irrémédiablement mon cœur. Elle n'avait à vrai dire qu'un seul défaut, celui d'être la fille d'une de mes collègues. J'ai tenté de la séduire du plus discrètement que j'ai pu, et je suis même parvenu à l'emmener avec moi pour un mois dans les Caraïbes. Nous nous aimions, et ce fut bien la seule fois que j'ai véritablement aimé, je le crois. Oh, cela avait été un formidable spectacle de voir les hommes de main de sa mère tenter de la récupérer, et le Bras Gauche les en empêcher, mais nous étions heureux. Je garde de ce souvenir un goût à la fois amer et délicieux, semblable aux fruits qui portent le nom de cette colonie britannique. Enfin bref, je n'ai pas à coucher mes regrets et mes douleurs dans une lettre à mon eazsuccjhytesrzeseur.
J'allais oublier avec mes histoires, mais tous les mois tu dois réorganiser les chambres. Je t'ai laissé des modèles pour gérer ce genre de choses ainsi que les conflits majeurs qu'il faut éviter à tout pris dans l'attribution des chambre. Bien entendu, avec le nombre toujours croissant de nouveaux habitants, il te faudra trouver tes propres astuces pour ranger nos visiteurs éternels. Avec le temps tu verras, tu finiras par te lier d'amitié avec certains. Au diable le protocole, même Hadès a droit à un peu de bonheur de temps en temps, alors si tu veux en emmener quelques-uns avec toi pour un pique-nique sous les arbres, en escapade dans la forêt, ou admirer les étoiles de la Surface, n'hésite pas. Tiens, à propos de pique-nique, je me suis mis à la couture aussi. Tu trouveras sous ce bureau de quoi t'occuper si tu apprécies ce loisir, mais aussi des nappes que j'ai faites moi-même. Pas question de s'assoir dans l'herbe en été si tu n'es pas en habits de jardinage, les insectes ici sont cogsrjriachtres. Si tu as de la chance, tu pourras croiser certains des plus pacifiques ici. J'ai essayé de favoriser des espèces plus sympathiques, aussi tu pourrais entendre quelques papillons chantants, ou croiser des magnifiques Sphinx tête-de-mort à qui j'ai enseigné la poésie. Il semblerait même que certains moustiques ici soient plutôt bénéfiques ! Après tout, ce n'est que l'Enfer ici, pas l'Australie.
En tout cas, très cher O5-13, je suis fier d'avoir été à ta place durant toutes ces années, et même si elles n'ont pas toujours été évidentes, surtterout au début, sache que tu trouvjyteras ici un vrai petit coin de Paradis. N'hésite pas à laisser toi aussi un mot à ton départ pour le prochain, ce serait dommage que je soit le seul à m'étendre sur le papier. Ne me chegrerche pas dans l'hôtel, je vais me supprimer moi-même de l'au-delà après cette lettjytre. Après tout, le Roi des Morts ne peut pas mourir…
Amicalement,
XIII
RETRANSCRIPTION DE L'ENREGISTREMENT FAIT PAR XIII
DATE : ██/██/19██
PERSONNES PRÉSENTES : - XIII.
- Scratch.
[DÉBUT DE L'APPEL]
XIII : Numéro Treize à l'appareil, qui m'appelle à une heure pareille ? Je n'ai même pas pu…
Scratch : Holà holà, mon vieux, c'est Scratch à l'appareil !
XIII : … Scratch ?
Scratch : L'ancien proprio, le diable à la retraite fin bref, Scratch quoi. Les nouvelles vont vite par ici et j'ai entendu dire que vous venez de prendre place en tant que Baron ! Donc, en tant que gentleman et ancien proprio, je me suis dit "Pourquoi ne pas passer un petit coup de fil histoire de donner quelques conseils avant de partir pour un p'tit truc".
XIII : Et bien, c'est appréciable de votre part et…
Scratch : Seigneur, haha, quel impoli je fais ! Je ne vous ai pas demandé si vous êtes occupé, je dérange peut-être ? Je peux vous rappeler plus tard si vous voulez ! Il va bientôt être l'heure du "nettoyage", j'ose espérer que vous n'êtes pas dans votre bureau !
XIII : Je viens à peine de déposer mes bagages pour tout vous dire, je suis assez exténué, mais le fauteuil du bureau est confortable, je peux me reposer un peu non ? De quel nettoyage parlez-vous monsieur Scratch ?
Scratch : Et bien pour le nettoyage. Navré de devoir l'annoncer, mais au vu de l'heure, vous devriez vraiment sortir de votre bureau. Elle va justement venir le faire et disons que vous ne devriez pas rester dans les parages à ce moment-là, elle ne supporte pas qu'on la regarde faire son job. Vous êtes certes le Baron, mais pour elle, la propreté est au-dessus de votre titre mon vieux !
XIII : Qui ? De qui parlez-vous ?
Scratch : De la femme de ménage, ou l'homme enfin, la statue, le truc de marbre, je ne sais pas trop à vrai dire, avec le temps j'ai cessé de vouloir savoir, mais dites-vous que c'est elle qui s'occupe du ménage de la maison. Et elle peut se montrer très convaincante si vous ne voulez pas sortir de la pièce pour la laisser faire son boulot.
XIII : C'est une menace ?
Scratch : Mon bon m'sieur, je vous le redis, elle a du respect pour le Baron, mais elle a encore plus de respect pour la propreté.
(Un cri de surprise du coté XIII est entendu ainsi que le bruit d'une chaise se renversant.)
Scratch : Ha ha ! Pile à l'heure la petiote ! Elle vous a flanqué la trousse n'est ce pas ?
XIII : Bon dieu ! Oui, elle m'a surpris ! Une statue sans tête ? C'est vous qui…
Scratch : Posez pas de question de ce genre, je sais pas d'où elle vient, elle était déjà là quand j'ai eu les clefs.
XIII : Ho et bien, bonjour, je suis le nouveau propriétaire et je suis ravi de faire votre connaissance.
(Aucune réponse n'est entendue de la part de l'intrus.)
XIII : Bigre, silencieuse comme une tombe, mais elle agite ses mains dans tous les sens, cela signifie une chose en particulier, elle avait le même comportement avec vous monsieur Scratch ? Une langue des signes ou…
Scratch : M'sieur, vous devriez vraiment y aller, si elle s'agite comme ça c'est qu'elle veut que vous quittiez la pièce.
XIII : Mais enfin ! Je viens à peine d'arriver et de me reposer, ça ne lui posera pas de problème si je reste ? Fascinant, ses mains viennent de…
XIII pousse un hurlement durant un court instant, Scratch rit aux éclats, un bruit sourd peut se faire entendre puis une porte qui claque.
XIII : ELLE M'A MISE À LA PORTE ! Ses mains m'ont attrapé comme si j'étais un bébé, elle m'a laissé le téléphone et elle m'a jeté en dehors de mon bureau ! Je ne savais pas que le câble était si long !
(Scratch ne répond pas à cause de sa crise de fou rire.)
XIII : Monsieur Scratch ! Il n'y a rien de drôle !
Scratch : Sincèrement navré m'sieur, c'est juste marrant de voir que l'histoire se répète encore. Laissez la statue faire son travail, vous pouvez vous absenter de votre bureau quelques minutes hmmm ?
XIII : Est-ce que je dois savoir d'autres choses ? Pour éviter de mauvaises surprises de ce genre ?
Scratch : Et bien ça s'apprend avec le temps, c'est plus marrant de vous entendre vous faire prendre une raclée par la Marbre, non ?
XIII : Non.
Scratch : Hinhin, écoutez m'vieux, je vais devoir y aller, le Borgne veut que je fasse un concert à son bar. Passez nous dire bonjour un de ces quatre !
XIII : Je vais devoir me débrouiller seul ? Mais enfin, je vais faire… Il m'a raccroché au nez.
[FIN DE L'APPEL]
" Ma chère et tendre Perséphone,
Je t'envoie une nouvelle lettre en espérant que tu n'aies jamais reçu la première, que ton absence de réponse n'est pas due à ta colère suite à mon départ précipité ou bien même que tu ne veuilles plus entendre parler de moi.
Je vais partir du principe que ma missive n'est jamais venue jusqu'à toi, il n'est pas rare que les lettres disparaissent, surtout avec ta mère dans les parages, je m'excuse tout de même de ne pas avoir pu te donner de mes nouvelles.
Je t'écris donc un nouveau message que je passerai à Scratch pour qu'il s'occupe de te la faire parvenir, c'est un homme de confiance, un peu ivrogne, un peu blagueur mais la Rue Macabre est un endroit sûr, même si le nom n'est pas très rassurant je te l'accorde.
Ma douce, je suis persuadé que tu serais émerveillée devant la beauté de cet endroit, je te ferai parvenir des dessins pour que tu puisses t'imaginer où je suis actuellement. J'ai nommé la maison où je loge "Le rêve de Hilbert", je t'imagine sourire et rire en lisant ce nom car, tu t'en doutes bien, je ne l'ai pas choisi par hasard, je sais qu'il te plaira après tout, les chiffres sont ton domaine, n'est-ce pas ?
Je peux sentir les rayons du soleil sur ma nuque malgré l'ombre du cyprès qui me protège, je gratte les mots sur ma feuille de papier en me demandant ce que je pourrais te dire, mais il est si dur pour moi d'exprimer mes sentiments en ce moment, je n'ai aucun mot pour décrire cette vague de mélancolie qui me submerge en me rappelant que tu n'es pas auprès de moi.
Perséphone, je continue d'écrire cette lettre en réfléchissant à ce que je peux te dire mais les mots me manquent. Avec toi, je ne suis pas O5-13, je suis just
La feuille est illisible
mais enfin bon, tu sais mieux que moi que la vie à la Fondation peut être cruelle et froide, mais tu es mon rayon de soleil là bas, même si tu es loin. Tu es une femme incroyable et j'ai si hâte que tu viennes auprès de moi. Pendant que j'écrivais cette lettre, j'ai fait un petit dessin d'un papillon qui s'était posé sur le bord du carnet, ses ailes vertes m'ont rappelés tes yeux, j'ai été terrifié à l'idée de ne plus m'en souvenir alors, pour ne pas t'oublier, je t'ai aussi dessinée.
Cher O5-13, tfezoi averussfei…
Je ne peux qu'imaginer ta stupeur. J'ai été la seule, à part toi, à arriver dans ce bureau et à lire la lettre de XIII, à découvrir ce surprenant secret que dissimulait la Fondation. Beaucoup de choses doivent passer dans ta tête. Comment cet endroit peut être réel ? Pourquoi O5-13 est-il un fermier ? Comment le Conseil a pu faire une chose pareille ? Vas-tu devoir réellement gérer les Enfers seul ? Si tu as le vertige, c'est normal, repose-toi un instant.
La vérité est que la Fondation est une organisation qui a, depuis trop longtemps, pris part bon gré mal gré dans un certain nombre d'engrenages universels, et que toi, moi, le vieux XIII en son temps, nous sommes un rouage dans cette machine folle. Fort heureusement, c'est un rouage verdoyant et bien calme, trop peut-être. À mon arrivée ici, durant les premiers mois, voire les premières années, j'ai cru devenir folle. L'odeur, le temps, la poussière - Qu'est-ce que les champs tractent comme poussière ! -, voir passer tous ces démons, tous ces morts, et puis vivre au milieu des anomalies, pour une docteur comme moi c'était impensable. Tu n'imagines pas les nuits que j'ai passées, ni celles que je n'ai pas passées, durant ces premiers temps. J'ai toujours été une femme urbaine, à voyager entre Paris et New York, à vivre dans des Sites ultra-sécurisés, abreuvée de lumière artificielle et fumant trois paquets par jour en avalant mon café, une vie à cent à l'heure. Alors arriver au Sheol, où la seule lumière passé dix neuf heures est celle des sphinx luisants, dans un silence presque complet, à devoir gérer des querelles de macchabées et faire des semis de tomate, j'ai eu l'impression de retourner à mon enfance, quand j'allais en vacances forcées chez mon grand-père et qu'on devait s'occuper de la ferme. Demande à Thaumiel comment j'étais, il n'a pas oublié mes crises d'humeur.
Et puis le temps a passé. J'ai accepté ma condition, et à vrai dire je crois que c'était la plus belle chose qu'il aie pu m'être donné de vivre. Moi qui haïssait les vacances et le Soleil, de peur qu'il ne nous fasse tous fondre d'une manière ou d'une autre, me voilà la plus heureuse des Hommes au Pays où il ne pleut jamais. Et j'espère de tout mon cœur que ce sera aussi ton cas, O5-13. Tu verras, une fois acclimaté à la Louisiane Infernale, cet endroit n'a vraiment d'Enfer que le nom et les morts. Et les démons. En plus, contrairement à ce que tu peux actuellement penser, seul à ton bureau, assis dans le même fauteuil que moi, lisant mon écriture de médecin, tu n'es pas seul. Je me demande d'ailleurs pourquoi je couche ces mots sur le papier, et pas à travers un beau courriel. Sûrement le Sheol où tout se passe encore comme au temps des chevaux qui déteint sur moi, ou la lettre de XIII sous mes yeux.
Je disais donc que tu n'es pas seul. Bien sûr, cet irascible et légèrement malveillant Thaumiel est toujours là, et toutes tes heures dans ce bureau se feront en compagnie de la bibliothèque Keter, mais ce sont des démons. Malgré tous leurs efforts, des notions d'amitié ou de sincérité leurs sont assez étrangères. Non, au cours de mon voyage au Royaume des Morts je me suis fait une équipe d'amis comme jamais je n'avais eue, les Ará Orún. Ces types sont formidables, des Morts même pour les Enfers, mais ils regorgent d'histoires et de conseils comme s'ils étaient des milliers. Parfois j'ai même l'impression qu'Amos Sanchez, leur commandant, est capable de lire dans mes pensées. Même s'ils peuvent écrire sur les écrans et dans les rapports, je trouve que rien ne remplace cette vieille radio crachotante à travers laquelle leurs voix indescriptiblement chaleureuses nous parviennent. En plus, si tu veux pêcher avec eux comme moi, il te faudra emmener la radio. On a beau avoir DEEPWELL et Internet depuis que Mélodie Klawsky est passée, il n'y a ni WiFi, ni 4G ici, et j'ai personnellement décliné plusieurs fois les propositions du reste du Conseil pour avoir un téléphone portable. Pas question d'être parasité par ce genre de considérations, je veux dire , qu'est ce qui les empêcherait de m'appeler tous les quatre matin ? Hadès a droit à son repos et à la maîtrise de son emploi du temps, quand même.
Je ne vais pas m'étendre en conseils agricoles, le gzrevieux XIII l'a fait pour moi. J'ajouterai quand même quelques points : d'une, ses nappes de pique-nique sont affreuses, et je les ai données aux cuisines pour faire des torchons, alors ne les cherche pas. Aussi, dans la remise du potager, tu trouveras des planches : pense à réparer la jetée même si tu n'utilises pas le bateau, tu ne sais pas de quoi tes envies de demain seront faites. Il y a de cela quelques années en lisant leur rapport, j'ai demandé au Conseil de m'apporter des œufs de Dragons-Escargots, ces adorables petits monstres habitent désormais dans la partie jardin que j'ai aménagée. Prends garde à ce qu'ils ne s'approchent pas trop du potager, leur appétit pour les légumes est sans pareil ! Donne-leur de la salade toutes les semaines, et si l'un d'entre eux n'a pas l'air d'aller, tu trouveras dans le meuble de la remise un petit pot similaire à de la nourriture pour poisson. Ça devrait les requinquer, à moins qu'ils ne soient en fin de vie. Ne t'inquiète pas pour les feux, le taux d'humidité ici descend rarement sous les 70 % malgré le Soleil éternel, ils n'ont rien à craindre et le jardin non plus. Fais attention à ne pas les écrarezfqzser en allant tailler les arbustes, il sont très petits !
Aussi, XIII avait raison sur la nourriture. En plus d'être une activité prenante et relaxante, tu n'imagines pas le plaisir que de manger les fruits et légumes que tu as toi-même cultivés, arrosés, regardés pousser et cueillis. Je n'ai jamais eu d'enfants, la Fondation ne me l'avait pas permis. Dés lors, je ne me suis jamais occupée de qui que ce soit de toute ma vie. Et c'est à vrai dire mon plus grand regret. Gérer cette propriété dans le calme et la sérénité, s'occuper du potager et du jardin, tenir au bien-être de ses démons et de ses D, aller au cirque quand Fuller passe par là, recevoir les visites de Fonteyn et mettre ce vieux beau de Samedi mal à l'aise, décidément j'aime cet endroit. J'y ai passé si longtemps que mes souvenirs de la Surface ne sont que des lointains fantômes à présents, plus pâles encore que mes cheveux. Je me fais vieigreglle à présent, le temps est venu pour moi de partir je hytrchtrrois. C'est bien là notre seul privilège éternel à nous les chtoniens, savoir dispjuyaraîtutvsre. Continue notre œuvre je t'en prie, ne nous laiseazese pas seuls à n'exister que sur papier.
En te souhaitant le plus beau des mondes,
Dekatreis
P.S. : j'ai failli oublier ! J'ai retrouvé le carnet de dessins de XIII dans ses affaires personnelles, mais ne sachant dessiner, je me suis fait fabriquer un polaroid étanche et un peu anormal spécialement pour l'occasion. N'hésite pas à l'agrandir ! NON NON NON NON NON