Pour une gorgée de sucre brun

- D’accord, j’admets, c’est sacrément bon, mais qu’est-ce que ça pue. Comment ça s’appelle encore ?
- Du Sugarcomb-goo extra-light.
- Light, hein ?

La chercheuse senior Fabienne Maillon leva la petite canette verte à hauteur des yeux et l’examina les inscriptions en plissant les paupières.

- "Ingrédients : 99,99% de pur sucre brun liquide de qualité supérieure. Peut contenir des traces d’arachide, de poisson, de goudron et de…", et de ? Je n’arrive pas à lire la suite, c’est écrit trop petit. Quatre-vingt-dix-neuf pourcents de sucre c’est un peu beaucoup, non ?
- Oui mais regarde la contenance, qu’est-ce que tu dis de la contenance ?
- "Deux gallons de pur plaisir semi-fluide"
- Exact, plus de sept litres métriques et demi d’une délicieuse boisson énergisante, fraiche et revigorante pour un poids de quelques dizaines de grammes à peine. Une boisson extra-légère, tu comprends l’astuce ?
- Mouais. En tout cas ça pue vraiment trop à mon goût, répondit Fabienne Maillon avec une moue dubitative. De toute façon je suis au régime et… et d’abord ce n’est pas interdit par la direction ce genre d’aliment anormal par hasard ?

La docteur Véronique Sanschagrin haussa les épaules, reprit la canette des mains de Véronique et en but une grande rasade avant de la replacer dans son casier.

- Pour ce que la direction de Beth se permet en termes de cachotteries…
- Encore avec ça ! s’exclama Fabienne en levant les yeux au ciel. Bon sang Sanschagrin, si vous faites encore une fois allusion au projet 514-FR-1 je vous jure que je vais directement dans le bureau du directeur Galgata pour qu’il vous flanque un blâme !

Véronique grinça intérieurement des dents. Fab’ était une bonne amie – enfin une bonne collègue de travail du moins – mais elle avait cette manie insupportable de vouvoyer les autres et de les appeler par leur nom de famille quand elle s’énervait.

Et le projet 514-FR-1 était un sacré gros sujet d’énervement, à coup sûr, mais Véronique Sanschagrin avait toujours été d’une curiosité maladive et il fallait reconnaître que ce projet générait pas mal de mystères. Une toute nouvelle aile, un accès restreint de niveau quatre sur 514, top-cosmique-super-super-secret, un nouveau budget et un personnel trié sur le volet, muet comme une carpe et plutôt chatouilleux sur le sujet. De quoi alimenter des heures et des heures de discussions sous le manteau, de théories et de rumeurs de la part du reste des employés du Site-Beth où, de l’avis consensuel de tout le monde, il ne se passait pour ainsi dire jamais rien de bien intéressant. Fabienne en tout cas, qui faisait partie de cette petite élite qui savait, faisait partie des plus chatouilleuses.

Écoute Véro – tiens, retour au tutoiement et aux petits surnoms. La crise était déjà en train de passer – je vais te le dire une bonne fois pour toute ma vieille. 514-FR-1 ce n’est rien du tout, vraiment. De la pure théorie banale et ennuyeuse au possible. On organise des entrevues entre des types de la section de para-anthropologie et les entités 514-1, ils leur posent des questions dont tu n’auras pas le détail inutile d’insister et nous on compile tout ça et on réfléchit à une éventuelle application pratique.

Il y avait quelque chose de sucré qui était apparu dans la voix de Véronique. Trop sucré, comme une canette de Sugarcomb-goo. Si tous les membres du projet prenaient cette voix douceâtre lorsqu’on leur posait la question, alors ce n’était pas étonnant si les bruits de couloir continuaient à circuler.

- Mais enfin c’est quoi ces entités ? insista malgré tout Véronique. Qu’est-ce qu’elles sont capables de faire ? Pourquoi est-ce que tout le monde pose autant de question ? Tu peux bien me le dire à moi…
- Suffit Sanschagrin – retour du vouvoiement – cette information est classifiée et vous allez trop loin.
- Ça va, ça va, fit Véronique en levant les mains en signe d’apaisement. Je demandais ça comme ça, c’est tout…
- Sérieusement, avec toutes les informations classifiées au sein de la Fondation je me demande bien pourquoi c’est celle-là qui attire autant l’attention ! On est à Beth ici, pas à Yod ou à Aleph. Y’a pas de secrets qui valent la peine qu’on fasse circuler toutes ces théories du complot.
- C’est bon j’ai dit, laisse tomber.

Il était temps de changer de sujet et c’est ce qu’elles firent, évitant tacitement d’aborder tout ce qui se rapportait au boulot. Elles se séparèrent un peu froidement à la fin de la pause et Véronique regagna son bureau.

Au diable Fabienne, la direction et tous leurs secrets ! Véronique n’avait peut-être qu’une petite accréditation de niveau deux de rien du tout, mais on s’amusait tout aussi bien chez les petits toubibs. Justement, tiens un paquet de fiche médicales à saisir dans la base de données. Humanoïdes de faible niveau, Classes-D, membres du personnel normal et anormal, il y en avait pour tous les goûts. Ah, ah, ah, ce qu’on rigole dans le service médical !

D-7010, trente ans. Gardé en observation pour étude suite à son exposition à SCP-███-FR.

D-0081, vingt-cinq ans. Gardé en observation pour étude suite à son exposition à SCP-███-FR.

D-4198, dix-huit ans. Gardé en observation pour étude suite à son exposition à SCP-███-FR.

Des D, encore des D… Les fichus fiches des D étaient monotones à souhait.

Horace Huron, trente-huit ans, Forces d’Intervention Mobile. Hospitalisé sur le Site-Beth suite à ses blessures reçues lors de…

Bérénice Jolivet, cinquante-huit ans, Département de l’Industrie et des Services Techniques. Hospitalisée sur le Site-Beth suite à la brèche de confinement survenue…

Nathan Yuang, quarante-neuf ans, Département Scientifique. Hospitalisé sur le Site-Beth suite à l’échec d’une expérience visant à…

Plus intéressantes que les D, mais ça ne valait pas celles du personnel anormal et des humanoïdes SCP.

Geneviève Saint-Jean, cinquante-deux ans, département administratif. Produit des étincelles quand elle s’enrhume, traitement anti-toux nécessaire.

Lindsay Turcotte, quarante-trois ans, département scientifique. Syndrome d’hypoonthie aigüe nécessitant l’ingestion quotidienne d’un comprimé de 514mg de NN-GHV 200. Admise en soins palliatifs.

[DONNÉES SUPPRIMÉES], soixante-dix-neuf ans, SCP-███-FR (Euclide/Orange). Conditions particulières propres à l’entité nécessitant un examen psychotechnique bimensuel. Admis en soins palliatifs. Décédé.

Prendre une fiche, l’enregistrer, la classer… prendre, enregistrer, classer. Prendre, enregistrer, classer… Tellement de patients…

Nicolas Grabin… Seed Holt… Soumia El Jawari… D-9888… Balthazar Simon, SCP-104-FR…

Tellement de capacités bizarres, de blessures et de maladies…

Amputation d’un troisième bras… forme de grippe anormale… fusionnée avec un iguane de compagnie… Fais pousser des fleurs sous ses pas…

Tellement de traitements à suivre et à administrer…

Une dose d’amnésique de classe B tous les deux mois… Exercices psychomoteurs réguliers… Une pilule de GHB et 514 milligrammes d’aspirine matin, midi, et soir…

Admis en soins intensifs…

Admis en soins de longue durée…

Décédé.


Véronique fut tirée de son sommeil par un bruit de léger raclement de chaise. Elle s’éveilla en sursaut et constata que l’après-midi touchait à sa fin et qu’une semi-obscurité était tombée dans son bureau. Elle s’était endormie à son bureau, le nez dans ses papiers et la main encore posée sur sa souris. Avant même qu’elle n’ait pu reprendre tout à fait ses esprits, les lumières vives des néons du plafonnier s’allumèrent soudain brutalement et l’aveuglèrent pendant une ou deux secondes. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle s’aperçut que deux inconnus, un homme et une femme, étaient entrés dans son bureau et se tenaient silencieusement devant son poste de travail.

- Docteur Sanschagrin, fous êtes réveillée ? fit l’homme avec un léger accent aux sonorités germaniques. Nous ne foulions surtout pas fous déranger.

C’était un grand noir maigre, à la soixantaine déjà bien avancée et au large sourire chaleureux qui lui dévoilait une rangée de dents blanches. La jeune femme, une petite blonde athlétique aux sourcils froncés, la dévisageait d’un air pas commode. La différence de taille entre les deux était impressionnante.

- Non… balbutia-t-elle en tachant de remettre de l’ordre tant bien que mal dans les papiers qui jonchaient son bureau. Je… j’étais juste en train de… Rouge de confusion, elle remarqua qu’elle avait bavé sur un certain nombre d’entre eux pendant son sommeil. Hum, je peux vous aider ?
- En effet oui, dit le grand noir. C’est pour cela que nous sommes fenus fous troufer. Poufons-nous nous asseoir.

Ils s’assirent tous les deux devant sur les fauteuils devant son bureau sans prendre la peine d’attendre sa réponse. Véronique nota qu’il parlait avec un accent étrange, aux sonorités vaguement germaniques et sur un ton poli et soutenu qui mettait Véronique mal à l’aise.

- Au fait, permettez-nous de nous présenter, dit l’homme en exhibant un badge d’accréditation de sa poche. Agent Günther Hamsterdam, Comité d’Éthique.
- Oh… euh enchanté.
- Agent Agathe Police, Sécurité Interne, dit la femme en exhibant un badge légèrement différent. Son accent à elle était québécois.

Véronique sentit une goutte de sueur froide lui couler le long du dos.

- Si c’est pour la canette de goo que vous venez, sachez que j’ai toutes les autorisations nécessaires, je le jure ! Je mène une étude sur les effets de certains produits alimentaires anormaux sur l’organisme et-
- Nous savons pour votre petit trafic de sucreries anormales, la coupa sèchement l’agent Police. Ça ne nous intéresse pas. L’affaire qui nous intéresse est autrement plus importante.
- Afez-fous entendu parler d’un projet d’étude concernant le groupe d’anomalies SCP-514-FR-1 ?

La question prit Véronique tellement au dépourvu qu’elle en sursauta presque.

- De quoi ?
- Un projet d’étude confidentiel du Site-Beth. Toutes les informations à ce propos sont classifiées, mais nous afons cru comprendre qu’il y afait eut des fuites parmi le personnel de fotre site. Pourriez-fous nous dire ce dont fous afez entendu parler personnellement au juste ?
- Pas grand-chose, réellement, répondit Véronique de plus en plus surprise. Des bruits de couloir seulement, qu’il s’agit d’un groupe d’humanoïde très important, qu’ils détiennent certaines connaissances et que ça concerne le département scientifique et la division d’ethnologie. C’est globalement tout. Écoutez, si c’est parce que j’ai posé trop de questions je suis loin d’être la seule et je-
- Nous nous fichons de vos questions, la coupa à nouveau l’agent Police. Rien d’autre, vraiment ?
- Il y a des collègues qui pensent que c’est une affaire louche. C’est pour ça que vous êtes là ?

Aucun des deux ne répondit. Hamsterdam se contentait de pianoter distraitement des doigts sur la table et Police de la fixer avec son air sévère. Mal à l’aise, Véronique baissa les yeux.

- Vous savez, dit-elle, je ne suis probablement pas la plus qualifiée pour vous parler de ça. Il y a beaucoup d’autres gens ici qui seraient plus à même de vous renseigner ; ma collègue Fabienne Maillon par exemple travaille dessus.

Hamsterdam se pencha légèrement en avant et croisa les mains sur son bureau.

- Docteur Sanschagrin, nous afons des raisons de croire que le projet 514-FR-1 fiole actuellement de nombreux articles de la charte d’éthique de notre Fondation relatifs aux droits de l’humanoïde anormal et aux obligations de loyauté et d’intégrité de son personnel.

Véronique se figea. Le malaise qu’elle avait ressenti jusque-là depuis que ces deux étranges personnages étaient apparus dans son bureau s’était muée en une excitation mêlée d’une certaine inquiétude. Ainsi les rumeurs qui couraient sur ce mystérieux projet étaient-elles fondées ? Fondées dans ce qu’elles avaient de plus sinistre apparemment, si elles justifiaient l’intervention conjointe du comité d’éthique et de la sécurité interne. Ces deux énergumènes étaient-ils sur le point de lui révéler les informations qu’elle avait tenté en vain d’obtenir en harcelant Fabienne avec ses questions ?

Au cas où fous l’ignoriez, reprit le représentant du Comité, le projet 514-FR-1 est entré en application sur le Site-Beth il y a six mois enfiron. Il s’agissait en effet – comme vous l’afez justement théorisé tout à l’heure – d’accueillir un groupe d’humanoïdes appartenant à une population de réfugiés anormaux et de leur soutirer des informations concernant certains de leurs safoirs occultes. Fous n’afez aucune idée de la nature de ces safoirs, n’est-ce pas ?

Elle répondit par la négative. Hamsterdam hocha la tête et se tourna alors vers sa collègue qui affichait toujours son air sévère.

- Docteur Sanschagrin, dit Agathe Police avec son accent québécois grave et sérieux qui tranchait avec le sourire bienveillant de son collègue. Les informations que nous allons vous communiquer maintenant sont classées de niveau quatre sur 514, ce qui signifie qu’hormis les trois personnes présentes dans ce bureau, elles ne sont connues que des membres du projet 514-FR-1 et d’une poignée d’individus se comptant sur les doigts d’une seule main. Je vous fais grâce de la liste des sanctions auxquelles vous vous exposeriez si vous veniez à les divulguer, mais sachez que vous le paieriez très cher. Vous m’avez bien comprise ?

- Oui.
- Excellent.

L’agent Police fouilla quelques instants dans sa sacoche et en exhiba une épaisse chemise cartonnée orange retenue par un élastique. Elle écarta les dernières fiches médicales qui jonchaient le bureau et l’ouvrit et en tira plusieurs feuilles de papier agrafées entre elles, des photographies et même quelques post-its couverts d’une écriture serrée qu’elle étala face Véronique.

- SCP-514-FR-1 est un groupe d’entité humanoïdes issue d’une ancienne civilisation disparue il y a plusieurs milliers d’années et qui s’appelle la civilisation marawite. On estime que les instances actuelles auraient survécu tout ce temps en hibernant dans l’espace via des techniques de métamorphose anormales. Je vous passe les détails, mais nous avons retrouvé ces entités échouées dans un univers de poche, nous en avons récupéré une grande partie – femmes, enfants, vieillards et une partie des hommes adultes – dans un campement spécialisé situé au Canada. Elles ne possèdent aucune capacités ou connaissances anormales et ne nous intéressent pas vraiment. Il était donc inutile de les confiner dans un Site de haute sécurité, vous me suivez toujours ?

- Euh, oui, oui. Je crois, répondit Véronique un peu perdue qui feuilletait le rapport SCP en s’efforçant de gérer le flot d’information qui lui tombait soudain dessus. « Et celles qui sont à Beth dans tout ça ?
- Pas de capacités anormales non plus, mais il s’agit d’instances dirigeantes et religieuses dont les connaissances nous intéressent. En métamorphose et en techniques d’hibernation surtout, plus quelques trucs concernant le voyage spatial. La maîtrise du voyage spatial au début de l’Antiquité, vous vous rendez compte ? Space-X et Blue Origin ont encore du boulot devant eux.

- Vous avez dit la métamorphose ? Je croyais qu’ils n’avaient aucunes capacités anormales.
- C’est exact. En fait on suppose que les marawites utilisaient des… hum. Comment disiez-vous déjà Günther ?

L’homme du Comité leva les yeux et son sourire se fit encore plus large, si la chose était seulement possible.
- Ils disséquaient des plieurs de réalité et des petits humanoïdes anormaux pour en utiliser les morceaux.

La conscience de médecin de Véronique s’indigna. Disséquer des tuer pauvres types pour leur voler leurs capacités, voilà qui était affreux, barbare même. Ça n’avait rien de moral, ça n’avait rien d’éthique.

Rien d’éthique… Le Comité d’Éthique, la Sécurité Interne, les rumeurs folles qui couraient sur le projet… C’était comme si des pièces de puzzle se déplaçaient et s’agençaient dans sa tête pour former petit un petit un motif dont la forme se précisait de plus en plus. Une forme dont l’apparence générale était loin de lui plaire et qui l’effrayait même.

- Qu’est-ce que vous reprochez exactement aux membres du projet, d’avoir voulu… – elle se souvint du terme employé par Fabienne pendant leur discussion de l’après-midi – …d’avoir voulu remplacer la théorie par la pratique ?
- C’est ce que nous cherchons à découfrir, en effet.

Hamsterdam dégagea une liasse de papier de la pochette rouge et la tendit à Véronique.

- Ceci est la liste officielle de tout le personnel hospitalisé à Beth au cours des six derniers, celle-ci correspond au statut actuel des SCP humanoïdes de Beth sur la même période. Conformément aux procédures en vigueur, ces deux listes ont été transmises par votre chef de service, le docteur Bashline, au quartier général du comité d’éthique à Bloemfontein, en Afrique-du-Sud.

Véronique connaissait ces listes. Elle les connaissait très bien même puisque c’est elle qui les avait rédigées avant de les remettre à Paul. Ainsi donc il les transmettait à son tour au comité ? Quel fatras administratif… Mais elle ne comprenait toujours pas où Hamsterdam voulait en venir.

- Et ceci, continua Hamsterdam en tirant deux nouvelles liasse de la pochette, sont les deux mêmes listes, contenant les mêmes indifidus, les mêmes informations sur la même période de temps ; à la différence notable qu’il s’agit des originales que vous afez rédigées de fotre main et que fous afez fous-mêmes transmises au docteur Bashline. Prêtez attention aux chiffres totaux je vous prie, à la toute fin.

Interloquée, Véronique compara les résultats des quatre tableaux, ne voyant toujours pas ce qu’il attendait d’elle. Elle ne vit rien au début et ce n’était pas étonnant parce que les deux listes étaient strictement identiques. Paul n’avait fait que les prendre de sa main pour les donner directement au comité. Il n’y avait aucune raison que…

- Attendez une seconde…

Elle plissa les yeux et relu ce qu’elle venait de lire. Ce n’était pas possible, il devait y avoir une erreur ! Elle posa le doigt sur le tableau de la liste qu’elle avait elle-même rédigée.

Personnel décédé en hospitalisation (total) : 16

Puis sur celui que Paul aurait soi-disant transmis au comité.

Personnel décédé en hospitalisation (total) : 19

Rapide coup d’œil aux statuts des SCP. Sa fiche d’abord.

SCP Décédés en confinement (total) : 1

La liste de Paul en indiquait deux.

- Il doit y avoir une erreur dit-t-elle en fronçant les sourcils. Les deux listes ne correspondent pas. On dirait qu’il y a…
- Une différence de six morts oui, intervint Hamsterdam. Deux entités SCP humanoïdes et quatre membres du personnel – du personnel anormal, faut-il le préciser – que fous afez personnellement enregistrés comme fifants et en confalescence et qui apparaissent cependant dans la base de données du personnel comme ayant perdu la fie au cours de leur séjour à Beth. Fous saisissez le problème je suppose ?
- Vous ne voulez pas dire qu’ils auraient été… qu’ils auraient été détournés par les membres du projet pour servir de cobaye tout de même !

Police croisa les bras. Hamsterdam se contenta de rassembler les feuillets du dossier pour les replacer dans la pochette rouge. Leur silence à tous deux était éloquent. C’était impossible, elle connaissait Paul Bashline depuis plus de dix ans et plus qu’un chef, elle le considérait comme un véritable ami. C’était probablement l’une des personnes les plus droites et les plus honnêtes de Beth. Jamais il n’aurait pu seulement songer à falsifier des documents aussi importants.

- Paul, le docteur Bashline je veux dire, n’aurait jamais permis ça, s’indigna-t-elle.
- Ça c’est ce que vous allez devoir nous confirmer docteur Sanschagrin, dit l’agent Police. Tenez.

Elle sortit de sa sacoche une nouvelle pochette, bleue électrique cette fois. Véronique l’ouvrit et en sortit une unique feuille de papier. Son nom et sa photo figuraient sur l’en-tête.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle intriguée.
- Votre nomination au projet 514-FR-1. Ratifiée par la directrice du département médical en personne. Vous serez nos yeux et nos oreilles sur place.

Véronique cru qu’elle allait faire une attaque. Elle se rejeta en arrière et ses doigts s’enfouirent profondément dans les accoudoirs de son fauteuil.

- Vous… vous voulez que je vous serve d’espionne ? balbutia-t-elle. Elle sentit ses genoux trembler de façon incontrôlable. Je… je ne peux pas accepter ça.

Police énuméra sur ses doigts.

- Vous êtes médecin, vous êtes manifestement honnête puisque vos listes ne semblent pas truquées, vous connaissez déjà plusieurs membres impliqués dans le projet – les docteur Bashline et Maillon notamment, et surtout nous avons un point de pression sur vous avec ce fameux trafic de canettes. Rien de bien méchant comparé à ce que nous soupçonnons vis-à-vis du projet, mais de quoi vous attirer de sérieux ennuis. Un licenciement pour faute grave sans indemnités par exemple, auxquelles s’ajouteraient de lourdes difficultés pour retrouver un emploi dans la vie civil. Votre appartement de Tripoli est bien un logement de fonction je crois, non ?
- Mais, c’est du chantage !
- Oui.
- Il n’y a aucune chance que je débarque comme une fleur au milieu de ces…

Elle buta sur le mot. Elle aurait voulu trouver une insulte suffisamment méprisante pour qualifier les bouchers du projet – si boucherie il y avait bien – mais la présence du duo et le choc qu’elle venait de ressentir la mettait encore trop mal pour qu’elle se permette d’abandonner un semblant de tenue professionnelle.

- … au milieu de ces gens, reprit-elle.
- Le blâme dans votre dossier personnel concernant vos propositions… d’expérimentations controversées sur certains humanoïdes devraient convaincre les plus tordus que vous pensez comme eux.
- Le blâme ? s’écria Véronique estomaquée. Les expérimentations ? Mais de quoi vous parlez bon sang ?

Les deux agents ne répondirent pas. Décidément cela devait être une habitude chez eux de répondre aux questions par un silence. Un éclair de compréhension horrifié frappa soudain Véronique.

- Vous avez falsifié mon dossier personnel !

L’éternel sourire de l’homme du comité s’affaissa (sans pour autant disparaître totalement) tandis que celui de la femme de la sécurité apparaissait largement pour la première fois depuis le début de l’entretien.

- La fin justifie les moyens docteur. Votre dossier sera propre comme un sou neuf dès que nous nous estimerons satisfaits des preuves que vous nous rapporterez. Crime contre l’humanité, détournement de budget, haute trahison, maltraitance de petits animaux à fourrure, peu importe. Transmettez-nous tout ce que vous pouvez et surtout donnez-nous des noms.

Véronique ne savait pas si elle devait fondre en larme ou éclater de fureur. Tout ça devenait beaucoup trop gros pour elle. Si seulement elle avait su se tenir loin de ces maudites canettes ! Elle essaya encore de négocier.

- Ce que vous me demandez de faire est impossible.
- Nous nous fichons éperdument de l’impossible.
- Et s’ils me découvrent ?
- Nous interviendrons.
- Et s’ils… s’ils détournent une autre victime pendant que je suis là ?
- Vous n’interviendrez pas.
- Vous êtes sûre que vous ne préféreriez pas envoyer un de vos hommes ?
- Certaine.
- Donc je n’ai vraiment pas le choix…
- Vous ne l’avez pas.

Véronique tombait à court d’arguments. Vaincue, elle s’affala dans son fauteuil et écarta les bras dans un geste résigné.

- Bon… je suppose que vous avez un papier quelconque à me faire signer ?

Ils en avaient un et ils le signèrent tous les trois. Les deux agents eurent ensuite le culot de se permettre de lui serrer la main et de la féliciter. Elle avait la sale impression d’avoir signé un contrat dont elle ne maîtrisait pas toutes les clauses avec les avocats du diable.

- Bienfenue dans le comité d’éthique, docteur Sanschagrin, lui dit Günther Hamsterdam toutes dents dehors.
- Bienvenue dans la sécurité interne, renchérit Agathe Police en fronçant les sourcils.
- …

Au moment où ils s’apprêtaient tous les deux à sortir, Véronique se leva brusquement de son fauteuil pour les arrêter.

- Une seconde ! J’ai une dernière question, comment est-ce que vous êtes tombée sur ma liste ? Comment avez-vous eu l’idée d’aller chercher plus loin que celle de Paul ?

Hamsterdam et Police s’arrêtèrent, se regardèrent tous les deux l’un l’autre sans rien dire – leur différence de taille entre les deux agents était vraiment ridicule – et ils éclatèrent de rire.

- Ah, c’est une histoire fraiment… comment il faut dire déjà ? Cocasse, c’est ça. Une histoire fraiment cocasse.
- C’est votre cher ami et chef de service, le docteur Paul Bashline qui vous a dénoncé au comité d’éthique pour votre petit trafic de canettes. C’est en enquêtant sur vous à propos de cette petite broutille que l’agent Hamsterdam a découvert le pot-aux-roses. Comme quoi la personne qui en dénonce une autre n’est pas toujours la plus innocente des deux.

Véronique retomba dans son fauteuil.

- Allez, bonne soirée docteur Sanschagrin.

Et ils sortirent de son bureau dans un nouvel éclat de rire.

Lorsqu’elle fut certaines qu’ils s’étaient bien éloignés, Véronique sortit de son bureau et alla directement à son casier. La petite canette de Goo extra-light y trônait toujours, à peine entamée. Il devait bien en rester deux ou trois litres. Elle attrapa la canette, se rendit directement aux W.-C. de l’étage et la vida dans le premier évier qu’elle vit en se promettant que plus jamais elle ne toucherait à cette merde.


Objet : Compte rendu préliminaire concernant l’application du Protocole Exodus, relatif à la situation au sein de SCP-514-FR.

Docteur,

À 08h00 (UTC + 2) le 15/07/2026, la Force de Sécurité Interne Roméo-707 a procédé à l'arrestation des responsables du projet 514-FR-1 et de plusieurs membres du personnel scientifique et administratif du Site-Beth avec l'aval du Comité d'Ethique et du Conseil O5 après que plusieurs manquements à la charte d'éthique et de loyauté de la Fondation SCP ait été constatés.

Lesdits manquements incluaient détournement de fonds, détournement de ressources, meurtre avec préméditation et tentative de meurtre avec préméditation sur des membres du personnel actif, dispensable et entités SCP confinées, haute trahison et crime contre l'Humanité.

La décision que vous avez prise de confier le confinement de SCP-514-FR à des individus sans scrupules est corrompus a fortement entaché l'honneur et l'intégrité de la Fondation, ainsi que la confiance que nous avions placé en vous. La répercussion des dégâts humains, moraux et financiers de votre décision poursuivra encore longtemps notre Fondation.

De notre avis à tous, vous n’auriez pas pu faire un plus mauvais choix.

Cordialement,

O5-8

Sauf mention contraire, le contenu de cette page est protégé par la licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0 License