Une longue alarme de quinze secondes signifiait un incendie. Une alarme continue signifiait une évacuation. Trois courtes sirènes signifiaient un confinement, et deux courtes sirènes suivies par une longue alarme était une alerte à la bombe. Au-delà de ça, les choses commençaient à devenir compliquées.
En tout et pour tout, le lycée de Jackson Sloth Memorial disposait de soixante-sept variations d’alarmes distinctes pour différents types d’urgences, allant d’une alarme grave de quatre secondes pour une pluie de poissons vivants, à une alarme médium de trois secondes et demi pour une pluie de poissons morts.
Les neuf premiers jours de chaque semestre étaient entièrement dédiés aux procédures d’urgence, et un événement méritant une sirène arrivait en moyenne trois fois toutes les deux semaines. Leur école rivale, le lycée de Sloth Pit Senior, avait une fréquence d’alarme moindre, mais un plus grand taux d’étudiants avec une carence en oméga-3.
Aujourd’hui, aucune sirène ne sonnait. Pour Adam Snerling, seize ans, c’était la plus grande urgence d'entre toutes. De la sueur coula des yeux d’Adam, et il regarda avec désespoir un examen de mathématiques qu’il ne pouvait pas comprendre du tout. Les index et les coefficients s'alignaient de haut en bas de la page, en des gribouillis menaçant de déborder du bureau et de danser dans toute la salle. Adam leva les yeux de sa feuille. La plupart des élèves de la classe semblait piégée dans le même état d’impuissance horrifiée que lui. Trois tables plus loin, Utkarsh, l’ami d’Adam, écrivait frénétiquement. Quinze minutes après le début du test, ça ne semblait plus si drôle. Adam regarda prudemment le professeur au bout de la salle, jaugeant ses chances de jeter un coup d'œil à la feuille en face de lui. Peine perdue. Une carrière à JSM avait élevé les réflexes de Mme Burton à un niveau presque prémonitoire. Elle fixait directement Adam, avec l’intensité d’un vautour électrique. Adam déglutit et regarda l’horloge derrière lui. Vingt minutes passées sur la première question, et sa seule pensée était que x était probablement là quelque part. Résigné à l’échec, ses yeux voletèrent de manière apathique dans la salle. La porte ouverte et sa vue sur un beau couloir vide ; la fenêtre ouverte et sa vue sur un beau ciel sans poisson ; d’autres choses qui n’étaient pas l’examen ou un moyen de s’échapper ; et les frustrantes sirènes silencieuses, desquelles avaient commencé à bourgeonner des cheveux.
Yesssssssssss.
Dix minutes et un bref solo de trompette plus tard, Jackson Sloth Memorial avait conçu sa soixante-huitième variation distincte d’alarme d’urgence, et le test de Mme Burton avait été reporté pour la septième semaine d’affilée. Mme Burton s’assit à une table de pique-nique sur la pelouse de l’école et fixa la feuille d’examen dans ses mains avec des yeux larmoyants. Lentement, elle commença à le déchirer en petits morceaux. Adam se dressa en haut des marches devant l’entrée principale de l’école et regarda le craquage mental de sa professeur avec une satisfaction purement dénuée de malice. Utkarsh était assis quelques marches plus bas, la tête dans ses mains. Adam s’assit en-dessous de lui et regarda la route. Des vans blancs commençaient à remonter l’entrée de l’école. Les symboles sur le côté indiquaient “Support Cosmétique Pédagogique”. La peinture n’avait pas encore l’air d’avoir séché. Un commercial de l’entreprise sortit du van de tête et s’approcha du principal pour lui demander, ce qu’il s’était précisément passé.
"Même chose que la dernière fois," dit le principal, "mais avec des cheveux."
Adam et Utkarsh se retournèrent d’un centimètre sur le côté alors qu’un escadron de pédagogues cosmétologistes les dépassaient pour rejoindre le bâtiment scolaire. Adam eut un sourire malicieux à la vue de l’austère rapidité militaire de l’équipe.
"Unité d'élite mobile capillo-destruction Bravo soixante-neuf !" dit-il. "Nom de code : Rasoir épilateur d’Occam !"
Utkarsh ne répondit pas. Adam fronça les sourcils et le poussa du coude.
"Et ces cheveux, hein ?" dit Adam. Utkarsh acquiesça sans lever la tête. "Plutôt dingue. Je m’demande d’où ça vient."
Utkarsh haussa les épaules, peu convaincu.
"Probablement de la chatte à ta mère, pas vrai ?" dit Adam, désespéré.
"J’allais cartonner à ce test," marmonna Utkarsh.
"Super," soupira Adam. Encore ça.
"J’allais cartonner !" dit Urkash. Il tourna sa tête et fixa Adam d’un regard noir. "J’allais cartonner. J’ai étudié pour ça. J’ai révisé pour ça quand ça a été annoncé, deux mois plus tôt, et j’ai révisé pour ça chaque semaine où ça a été repoussé depuis, et maintenant j’aurais pu trouver une intégrale les mains dans le dos et en étant défoncé. J’allais cartonner."
Adam sourit nerveusement. Utkarsh renifla et tourna la tête, penché au-dessus des marches, bras croisés. Il ne regarda pas Adam. Adam remua nerveusement.
"J’allais cartonner," grogna Utkarsh.
"Mec, tu vas quand même avoir une bonne note—"
"Je vais avoir la même note que tout le monde. La même note que tout le monde a toujours, et que personne ne mérite jamais, jamais," aboya Utkarsh. Adam recula d’un centimètre. "Tu sais, j’ai envie de réussir, okay ? Je veux juste réussir, et quand je réussis, je veux que ça ait des résultats, okay ? Cause et effet. Une fois, juste une fois, quand je jette une balle en l'air, je veux qu’elle revienne au sol, au lieu d’être attrapée au vol par un putain de hibou."
"D’habitude, c’est un aigle," marmonna Adam.
"Mon père va me demander comment s’est passé le test aujourd’hui, Adam, et je vais devoir lui dire que j’aurai un B parce que le système de hauts-parleurs a décidé de se laisser pousser une barbe. C’est de la merde. C’est littéralement de la merde chiée dans le ventilateur."
(Deux secondes graves, trois signaux courts.)
"Je suis désolé, mec," murmura Adam, "Mais c’est des merdes qui arrivent, pas vrai ? Tout le monde traverse ça. C’est comme ça que ça fonctionne, c’est tout. Peut-être que tu as besoin de parler de ça à quelqu’un. Pas moi. Quelqu’un qui n’est pas moi."
"Nan," dit Utkarsh. Il cligna des yeux, et secoua sa tête, "Personne ne voudrait me croire. N’en parlons plus à l’avenir."
"Cool," dit Adam, qui se sentait particulièrement conciliant. Les portes s’ouvrirent derrière eux. Un membre de l’unité d’élite d’élagage pointa sa tête à l’extérieur et leur hurla de dégager le passage. Ils ramassèrent leurs sacs et descendirent les marches d’un pas nonchalant. Le reste de l’escouade suivit très vite après, traînant une masse de cheveux de la taille d’une petite voiture. Adam et Utkarsh regardèrent l’équipe la bouger lentement à travers la pelouse.
"Alors, t’en penses quoi de cette histoire avec les cheveux ?" demanda Adam.
"J’sais pas," hésita Utkarsh. "Probablement des rats dans les murs."
"Ou du gaz de marais," dit Adam.
"Ou un ballon météo."
"Ouais."
L’équipe de combat styliste débuta le processus compliqué visant à la préparation des cheveux pour le transport. L’un d’entre eux démarra une tronçonneuse et commença sa tentative de couper à travers un nœud torsadé. Les hurlements désespérés de la tronçonneuse et le grondement de la fumée noire étaient un spectacle si fascinant qu’Adam et Utkash faillirent manquer le ciel s’assombrissant et les petits pas de plus en plus forts derrière eux. L’ouvrier à la tronçonneuse ne le remarqua pas du tout, jusqu’à ce que quelque chose d’humide et grouillant ne tombe sur sa tête. L’homme abaissa la tronçonneuse, regarda vers le ciel, et grogna. Adam rit. Utkarsh se contenta de secouer la tête d’incrédulité. Alors que l’averse s’intensifiait, une sirène grave sonna pendant quatre secondes exactement, et les étudiants du lycée de Jackson Sloth’s Memorial commencèrent à rassembler leurs affaires pour retourner à la maison.
|Centre|