Fondation à Valnuit

Format audio du conte




Version écrite

Chaque nuit, les lapins se réunissent en secret et nul ne sait pourquoi, car, quoi qu'ils fassent, nous l'oublions tous au petit matin.

Bienvenue à Valnuit.

Bonjour chers auditeurs.

Peut-être avez-vous vu ce matin de nouvelles camionnettes en ville. J'en ai personnellement aperçu trois en me rendant au siège de la radio communautaire. Je ne pense pas qu'il s'agisse des camionnettes gouvernementales noires qui écoutent nos conversations et enlèvent les méchants dissidents politiques pour notre bien à tous, car ces dernières ne sortent que la nuit. Enfin, on dit que ce sont celles du gouvernement, mais la mairie n'a jamais confirmé ni infirmé cette hypothèse. Où en étais-je ? Ah oui, les camionnettes. Ce ne sont pas non plus celles de la police secrète municipale, étant donné qu'elles sont complètement invisibles et immatérielles, tout comme leurs occupants.

Non, ces nouvelles camionnettes sont d'un genre nouveau : elles sont entièrement grises et portent un symbole sur le côté. C'est bizarre d'ailleurs, je ne l'avais jamais vu. Il s'agit de deux formes circulaires concentriques, coupées en trois points par trois flèches pointant vers le centre. Le reconnaissez-vous chers auditeurs ? Si c'est le cas, appelez directement la police secrète municipale pour lui en faire part, ou pour signaler toute information que vous garderiez jalousement. Pour cela, rien de plus simple : sortez de la ville, allez dans la garrigue, creusez un trou de quelques centimètres de profondeur, passez-y la tête et prononcez distinctement les mots "ïa ïa, Ph'nglui mglw'nfah". Vous serez alors mis en relation avec quelqu’un de qualifié. Peut-être même gagnerez-vous des points sur votre carte d’alerte citoyenne ! Pour rappel, à vingt points, vous n’aurez plus l’obligation de respecter les panneaux "stop" pendant un an.

Plus d'informations sur ces camionnettes, sans doute très prochainement.


Voici venue l’heure de notre chronique : "La science pour les enfants" !

Aujourd’hui, nous allons découvrir les propriétés incroyables de la craie. La craie, vous le savez, est une pierre blanche extraite de carrières de pierres spécialisées, loin de notre très chère ville. Sans doute dans un autre pays. Cette pierre est très friable et a de nombreuses applications comme vous le savez : elle permet de tracer de beaux dessins sur des surfaces sombres, il paraît même que des bibliothécaires les utilisent pour écrire, ou encore, peut être utilisée à la place du sel dans la salade (ses propriétés culinaires ne sont plus à démontrer).

Mais savez-vous qu’elle permet aussi de repousser toute forme de menace à votre encontre ? Repensez à votre cours de démonologie à l’école primaire, les pires abominations (et de façon plus générale, les personnes dotées de mauvaises intentions) sont effrayées par les motifs non-euclidiens. Il vous suffit donc de tracer un pentacle à sept branches à la craie autour d’un objet que vous voulez protéger, et elles ne pourront jamais rentrer ! C’est ainsi qu’il y a bientôt dix ans, notre communauté a pu se débarrasser des croque-mitaines qui infestaient nos placards, en plaçant ces glyphes autour des lits des enfants.

Alors prenez vos craies, utilisez toutes les couleurs que vous voulez, et amusez-vous ! Rien ni personne ne pourra passer cette barrière que vous aurez érigée !
C’était notre chronique "La science pour les enfants".


Chers auditeurs, ça vient de tomber ! J'ai pu assister personnellement à une conférence de presse du conseil municipal, sous la forme d’un post-it collé sur la table d'enregistrement. Je vous le lis tel qu'il est écrit.

"Bonjour Emile.

Ces camionnettes dont vous avez parlé dans la première partie de votre émission ne sont pas du tout originaires de la police de Valnuit, ni ne font partie d'une apparition soudaine et inexpliquée par invocation mensuelle planifiée.
Elles se sont rassemblées sur le parvis de l'observatoire, il est donc recommandé aux citoyens de ne pas s'approcher de l'endroit. La zone a de toute façon été bouclée de façon réglementaire avec des cadavres d’huissiers.

Sincères salutations,

Bien à vous,

Cordialement virgule,

Le conseil municipal de Valnuit "

Bon sang, ils écrivent vraiment petit sur ces post-it. Ah, il y a un post-scriptum.

"PS : Ce n'était pas la peine de lire les dernières lignes à haute voix, ça ne concernait que vous. Ce post-scriptum aussi. Arrêtez. Stop. On vous entend le lire…"

Bon, je m'arrête là, le reste ne semble pas réellement primordial. Le post-scriptum continue sur une dizaine de lignes avec les mêmes phrases. Vous l'aurez donc compris chers auditeurs, veuillez rester à distance de la zone à proximité de l'observatoire, pour votre propre sécurité. Et si par malheur vous êtes prisonniers de cette zone de bouclage, eh bien appliquez la méthode des 4 F, celle qui vous est rappelée chaque année le jour de l’Opération "Rues Propres" !

Fuyez,
Fuyez,
FUYEZ !
Fuyez par tous les moyens possibles et ne vous retournez pas !


Et maintenant, le trafic.

Un homme, seul. Il roule. Il roule dans un vieil utilitaire qui a connu des temps meilleurs. Le paysage défile, mais ne change pas. La garrigue, tout le temps, aussi loin qu'il s'en souvienne.
La chaleur est telle dans l'habitacle que son visage est humide, moite, baigné de sueur. À moins que ce ne soit de larmes ? Il ne sait pas. Le goût légèrement salé et acidulé qu’il percevra quand les gouttes toucheront ses lèvres ne lui permettra pas de le savoir. Il tend la main sur la banquette arrière pour prendre une bouteille d’eau. Il la boit et la jette à côté de lui.
Elle rejoint le sol de la voiture, jonché de détritus, d'autres bouteilles et de sachets de nourriture ouverts durant le trajet.
Il n'en peut plus. Il va craquer. Ça va faire des jours qu'il conduit, sans s'arrêter un seul instant, sans même ralentir. Aucune voiture à l'horizon. Et autour de lui, toujours cette saleté de garrigue. À moins que ce ne soit des semaines ? Un mois ? Il perd le fil de ses pensées.
Ça y est, il craque.
Il pile, arrête la voiture au milieu de la route et éclate en sanglots. Les lourds sanglots d’une personne désespérée. Ça dure quelques minutes, peut-être un quart d'heure, au milieu de la route, sur la garrigue.
Il sèche ses larmes. Il est résigné. Il redémarre la voiture et fait demi-tour. Il remarque à cent mètres un panneau. Le panneau de la ville qu'il a quittée il y a si longtemps :
Valnuit.

C'était le trafic.


Chers auditeurs, je viens de recevoir un appel d'une de nos stagiaires, Lucile. Celle-ci s'est retrouvée bloquée à l'intérieur du périmètre à proximité de l'observatoire et n'a pas pu en sortir à temps. N'écoutant que son courage, et pour respecter la déontologie journalistique, elle a décidé de faire un reportage sur la situation. Bon courage Lucile, toute la radio communautaire de Valnuit salue ton sens du devoir et du sacrifice.

Les camionnettes se sont arrêtées et garées juste à l’entrée du beffroi, ce qui n’est pas une mince affaire en raison de son invisibilité et de ses constantes téléportations. En sortent des hommes et des femmes en armes, vêtus de noir, encadrant des chercheurs. Ce sont des scientifiques, nous pouvons être formels là-dessus. La preuve, ils portent des blouses blanches. Notre correspondant scientifique, Carlos (le beau Carlos, avec ses magnifiques cheveux) pourra le confirmer. Ils ont amené avec eux des gens en… orange ? Seraient-ce des bagnards ? Lucile ne donne pas plus de précisions à ce sujet. Bon sang, ces tenues sont d’un si mauvais goût.

Les équipes semblent se diriger vers la barrière de craie multicolore tracée sur le sol qui entoure l’observatoire d’un pentacle à sept branches.
Ah ! Attendez, le téléphone sonne.

Emile ? Vous m’entendez ?

Oui, très bien Lucile, où êtes-v…

Chhhhht ! Parlez moins fort !

Que se passe-t-il ?

Les hommes et femmes en armes se sont placés tout autour de l’observatoire et commencent à patrouiller. Je me suis cachée dans un des immeubles à côté, mais je crains qu’ils me trouvent.

Lucile, restez calme. Il vous faut continuer votre mission journalistique, c’est le devoir de tout bon stagiaire de la radio communautaire. Que se passe-t-il du côté des scientifiques ?

Eh bien les personnes en blouse blanche se sont organisées en groupes et se planquent comme moi dans des immeubles aux alentours. J’ai l’impression qu’ils savent que c’est dangereux. Par contre, les gens en orange sont toujours à côté du pentacle à sept branches en craie autour de l’observatoire. Attendez, je mets la vidéo pour que vous puissiez voir. Un des scientifiques donne des instructions avec un porte-voix. J’ai l’impression qu’ils essaient de franchir le cercle de craie.

COMMENT ? Mais ils sont insensés ! Et la protection que cette barrière nous offre ? Ils sont COMPLETEMENT TA…

TAISEZ-VOUS EMILE ! Les hommes en armes vont me repé… Non. Non non non, non non, allez-vous…

Lucile ? Lucile ? Vous êtes toujours là ?

Bon.
À la famille et aux amis de Lucile, nous vous présentons toutes nos condoléances. Elle était une excellente stagiaire et sera regrettée par toute l’équipe.

Plus d’infos au sujet de ces camionnettes et de l'observatoire, dès que possible.


Voici maintenant le programme municipal hebdomadaire personnalisé, pour vous. Et uniquement pour vous.

Lundi, le facteur se trompera et échangera votre journal habituel avec le canard du voisin. Non, pas un magazine people, mais bien le canard de sa basse-cour. Le conseil municipal vous prie de ne pas lui en vouloir, ça peut arriver à tout le monde.

Mardi ne sera pas. Vous vous endormirez lundi soir et vous réveillerez mercredi matin. Vos amis, votre famille et vos collègues vous assureront pourtant vous avoir rencontré ce jour-ci.

Mercredi, la Vieille Femme Sans Visage Qui Vit En Secret Dans Votre Foyer laissera tomber sur le plancher une clef que vous n’avez jamais vue de votre vie. Gardez-la précieusement, qui sait ce qu’elle pourra ouvrir ? La Vieille Femme Sans Visage Qui Vit En Secret Dans Votre Foyer organisera une conférence de presse plus tard, pour vous expliquer les raisons de son geste.

Jeudi, tout ira pour le mieux. Ne vous inquiétez de rien. Tout va bien se passer. Vous n’avez rien à craindre. Et surtout pas une invasion de cafards surdimensionnés et bien trop nombreux dans votre cellier. Pas du tout.

Vendredi, vous aurez une grande conversation philosophique avec votre chat qui vous révélera le sens de la vie. Sans doute. Peut-être. Enfin, je ne sais pas, ça dépend de votre chat. Le connaissez-vous si bien ? Qui est-il, pour s’accaparer ainsi vos fauteuils et votre nourriture ? Et puis, depuis quand avez-vous un chat ?

Samedi, c’est le retour des livres à la bibliothèque. N’oubliez pas de retourner votre dernier emprunt, Guerre et paix. Bonne chance. Vous en aurez besoin.

Dimanche, vous…. Oh non. Je… Je ne peux pas dire ça… Non vraiment… Je suis désolé. Toutes mes condoléances. Courage.


Du nouveau sur les camionnettes chers auditeurs.

Je viens de me rendre compte que la caméra du téléphone cellulaire GSM de Lucile fonctionne encore. C’est un peu… difficile de… voir ce qui se passe. En tout cas, les bagnards en orange n’ont pas réussi à franchir les limites du pentacle à sept branches tracé à la craie. C’est comme s’ils se heurtaient à un mur invisible. Merci au conseil municipal de faire renouveler cette protection régulièrement, même si l’on ne sait plus réellement ce qu’il y a derrière.
Oh non… Que font-ils ? L’un d’entre eux, sous l’impulsion d’un des scientifiques, s’approche avec une éponge. Il va… Effacer le tracé à l’eau ? Oh non !

Chers auditeurs ! Je vous enjoins à aller vous cacher le plus vite possible dans votre cave ou votre bunker réglementaire. Ou, si vous n’en avez pas, sous votre table. Et si vous n’avez pas de table non plus, toutes nos condoléances à votre famille et vos amis. Ces inconscients s’apprêtent à relâcher une entité sans doute inconnue, peut-être démoniaque, probablement tentaculaire et très certainement mortelle ! Dépêchez-vous, je vous en prie. Fuyez ! Abandonnez votre famille, vos amis, laissez tout derrière vous ! Moi-même, je suis en position fœtale sous la table de mixage, le micro à la main, tremblant. Je resterai fidèle au poste, pour vous accompagner. Comme toujours.

C’est donc avec cette terreur totale dans les tripes, que je vous amène, pour la dernière fois chers auditeurs… à la météo.


Chers auditeurs ? Êtes-vous là ?

Comme d’habitude, beaucoup de choses se sont produites pendant la météo. Des rapports d’auditeurs et de la police secrète municipale ne cessent de parvenir pour nous expliquer ce qui s’est produit. En voici un résumé. À peine le pentacle à sept branches fut-il entaillé par l'éponge qu'un hurlement se fit entendre dans toute la ville, et qu'un tremblement de terre se fit ressentir. Et c’est là que nous comprîmes pourquoi cette barrière existait.
Les astrologues.

Les astrologues étaient libérés. Ils rampaient, aidés de leurs pseudopodes informes, tentaient de passer au travers de la brèche créée par ces inconscients ! La ville tremblait, retenant son souffle. La masse grouillante tentaculaire se pressait contre la barrière, attrapant certains étrangers, les emmenant dans son observatoire pour faire ce que nul ne sait.
Tout semblait perdu.

Le sol tremblait de plus en plus, les vibrations se faisaient ressentir dans toute la ville. Les pseudopodes qui passaient se faisaient de plus en plus nombreux. Jusqu’à ce qu’un des scientifiques (sûrement parce qu’il avait écouté notre émission) comprenne ce qu’il avait à faire. Face à l’imminente et inévitable destruction de la ville, et probablement de la totalité du monde connu, il prit un morceau de craie pour combler l’ouverture créée dans le pentacle à sept branches au sol. Les hommes et femmes en armes tentaient par tous les moyens de les repousser, ou fuyaient, comme n’importe quel être sensé l'aurait fait. Le scientifique parvint à tracer approximativement un trait de craie au sol, refermant la brèche. Cela trancha un des tentacules qui était sorti, l'écrasant sous son poids. Il en est mort sur le coup.

Immédiatement, les tremblements de terre cessèrent, tout comme les cris. Les astrologues rentrèrent dans leur observatoire, laissant derrière eux quelques traces de mucus, comme une vague, mais néanmoins persistante, promesse de retour.
Les survivants de cette incursion rassemblèrent leurs morts et leurs blessés, les emmenant dans leurs camionnettes grises au logo toujours non-identifié. Et ils partirent, s’évanouissant le long de la nationale 800. Il ne reste absolument aucune trace de leur passage, si ce n’est la même vague mais néanmoins persistante promesse de retour.


Ça y est. Le bouclage est levé. Les cadavres d’huissiers sont détachés des poteaux, et le sang nettoyé. Valnuitains, vous êtes vivants, nous sommes vivants. C’est tout ce qui compte. Pas la peine de se questionner plus avant. Qu'une agence pseudo-gouvernementale ait tenté de tous nous tuer en relâchant une horreur inimaginable ne devrait pas avoir d'influence sur notre manière de vivre ou de percevoir l’extérieur. Soyez heureux, soyons heureux. Vivants. Jusqu'à la prochaine fois.

Restez à l'écoute pour deux heures de bruit de sèche-cheveux, accompagné d'une sourde vibration d'origine inconnue, mais curieusement apaisante.

Bonne nuit Valnuit.

Bonne nuit.


Fondation à Valnuit est une fanfiction de Welcome to Night Vale, une production : Night Vale Presents. Le podcast original est écrit par Joseph Fink et Jeffrey Cranor.
Le générique est de Disparition. Il peut-être téléchargé sur disparition.info
La météo de cet épisode était un remix de "Jimmy" de Moriarty par Joachim Pastor & Romain Dalman. Vous trouverez plus d’informations en allant sur soundcloud.com/joachim-pastor
Allez sur welcometonightvale.com pour plus d’informations sur le podcast anglais, y faire un don ou pour acheter plein de trucs cools en rapport avec l’émission.

Le proverbe du jour : Mangez cinq fruits et légumes par jour. En même temps. Faites-le vite. Ne cherchez pas à savoir pourquoi. Il en va de votre sécurité.

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