Faute de temps

Rapport de synthèse du compte-rendu décennal de l'Observatoire des Corrélations Anormales et Socio-Culturelles

[Maquette no 16, version 2, à destination du Conseil O5]

Équipe d'écriture :

Patrick Ouvrard
Contributeurs internes :

Gérard Mallet
(Archives)
Équipe de revue :

Pedro Mandiere
Corrections et conception graphique :

Olivier Cadron
Madeleine Chabrol Gilbert Mélandri
(Département des Archives)
Jesus Vanier Nils Zanit
Alissandre Pommeau Hortense Pitray
(Département Historique,
section contemporaine)
Laura Chavert Fabienne Becaro
Lucien Bourrel Antoni Biancard
Odile Naudi-Faillard
Laurent Linest
Fernand Siebert

Vous rappellerez Nils pour qu'il
termine son travail.



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Rapport de synthèse décennal de l'OCASC


Avis : Le secrétariat de l'OCASC est ouvert en semaine et l'après-midi. Merci de prévenir à l'avance si vous souhaitez déposer des documents en dehors des horaires indiqués.



Sommaire :



Introduction 3
État actuel et tendances 4
Scénarios 6
Réponses à long terme proposées 8
Réponses à court terme proposées 9










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Rapport de synthèse décennal de l'OCASC



Introduction :


L'Observatoire des Corrélations Anormales et Socio-Culturelles (abrégé OCASC par la suite) est un organisme de recherches de la Fondation SCP dédié à l'étude statistique, sociologique, anthropologique et historique des interdépendances entre l'apparition d'anomalies ainsi que le développement de la civilisation humaine. Étant donné les échelles de temps sur lesquelles les recherches s'appliquent ainsi que l'importante quantité de travail demandée, le Conseil O5 a statué que la durée moyenne d'une analyse devaient se dérouler sur une dizaine d'années minimum. En découle donc une publication décennale des résultats de ces recherches, avec pour objectifs dans un premier temps de faire un constat de l'état actuel de la civilisation humaine, afin d'en déterminer les éventuelles tendances et perspectives, puis dans un second temps de mettre en rapport ces résultats avec les registres de détection d'apparition de nouvelles anomalies. Il est ainsi possible de comparer les modèles précédemment établis avec les faits afin de les corriger et les affiner dans le but de prévoir statistiquement la formation de futures anomalies.

Il s'agit également d'une étroite collaboration avec les Archives, le Département des Archives ainsi que la section contemporaine du Département Historique : grâce à leurs données, il a été possible de produire une étude beaucoup plus exhaustive et globale, en l'appliquant à la Fondation elle-même. Des démarches similaires avaient déjà été entreprises par le passé, mais aucun résultat probant n'en était sortit jusqu'à présent.

Le présent rapport de synthèse est à destination du Conseil O5 uniquement en raison des données sensibles qu'il contient. Tout contrevenant recevra des mesures disciplinaires, en plus d'un traitement amnésique. Le document n'a pas à être utilisé seul : il se veut être un résumé clair et concis des résultats présents dans le rapport complet. Les sources, algorithmes et hypothèses utilisées n'ont donc pas été répétées, mais restes accessibles dans le texte intégrale.


Un brin plus formel aurait été mieux.



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Rapport de synthèse décennal de l'OCASC



État actuel et tendances :

  • Au niveau socio-culturel :

[DONNÉES REDONDANTES]

Ça n'est pas une raison pour laisser cette section
vide. S'ils sont aussi identiques que vous le
prétendez, mettez donc les résultats du rapport
de la décennie précédente, au lieu de cette mention vulgaire.

  • Au niveau de l'anormal :

Au cours de ces dix années d'étude, la Fondation SCP a pu prendre connaissance de l'existence de 408 anomalies. 308 d'entre elles ont pu être récupérées, 16 sont tombées aux mains de Groupes d'Intérêt, 84 autres ont disparues, se neutralisant d'elle-même. Les 308 anomalies confinées correspondent à près de 97 % aux modèles prédictifs établis précédemment par l'OCASC.

Parmi le totale d'anomalies confinées par la Fondation, 32 ont été neutralisées par mesure de sécurité, 165 ont perdues leurs propriétés anormales, 97 ont été reclassées en Expliqué avec l'aide de la Cellule de Recherche pour le Déconfinement, 7 autres ont été échangées, avec approbation du Conseil O5, avec des Groupes d'Intérêt. La quantité totale d'anomalies possédées par la Fondation a donc augmenté d'environ 0,052 % au cours de ces dix dernières années.

Vous auriez au moins pu faire semblant de
changer les valeurs du rapport précédent.



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Rapport de synthèse décennal de l'OCASC



Scénarios :


Il nous apparaît clair que les modèles développés dans les précédents rapports ne nécessitent ici que peu de modifications afin de rester pertinents. Les tendances relevées correspondent aux prédictions émises la décennie précédente, que cela soit au niveau de l'apparition d'anomalies ou du développement de l'activité culturelle de l'humanité. Aucun événement majeur, sauf ceux ayant été prévus, n'apparaît avoir perturbé le déroulement de l'Histoire. Durant la décennie à venir, l'OCASC est en mesure d'assurer à près de 97 % une évolution identique à



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J'ai reposé mon stylo rouge.

L'heure avançait. Des dizaines de pages, encore emplies d'aberrations graphiques et orthographiques, m'attendaient. Je n'étais même pas encore arrivée au quart du rapport. Mes collègues comptaient sur moi pour leur fournir rapidement une nouvelle version sur laquelle travailler.

J'ai laissé ma tête reposer quelques instants sur ma main.

L'encre vermeille n'était pas encore sèche, mais j'ai refermé le document d'un geste lourd. La liasse de papiers s'est montrée particulièrement sonore, au beau milieu de ce grand bureau vide. Une déflagration dans cette aire si calme du site.

J'ai décidé de faire une pause. Sur le moment, je n'avais plus la motivation de poursuivre.

Je me suis levée. La mousse du fauteuil a grincé, la faute à une pièce de plastique que je devais changer depuis des mois. En me redressant, mon dos a craqué, à la fois en raison des nombreuses heures pendant lesquelles j'étais restée assise aujourd'hui, mais aussi parce que cela faisait depuis des mois que j'aurais dû prendre rendez-vous chez le kinésithérapeute. J'ai secoué la tête, me suis étiré le dos et dit que je m'en occuperais demain. J'avais plus important à faire pour l'instant, comme terminer la correction de ce document. Lui ne pouvait attendre. Ou alors demain si je n'arrivais pas à le faire aujourd'hui.

J'ai fait quelques pas autour du bureau, avant de m'avancer jusqu'à la fenêtre. Le ciel était gris. Je n'aurais su dire s'il pleuvait ou pas, mais ça m'aurait été égal : j'avais un parapluie. Enfin, il n'était pas vraiment à moi. Quelqu'un l'avait oublié un jour, en partant. J'étais incapable de me souvenir qui. Une personne pressée ou distraite, sans doute. Un jour il faudrait que je retrouve qui. Un jour.

Voilà qui commençait à faire beaucoup de choses que je remettais sans cesse au lendemain.

Je me suis retournée vers mon bureau. Le rapport m'attendait toujours. Pourquoi serait-il parti après tout. Mais je pense que j'aurais préféré. Je ne voulais pas poursuivre cette correction. Je n'en avais plus envie. Une sensation étrange s'est emparée de moi. J'ai exercé ce métier pendant plus de vingt ans, traquant chaque jour les fautes d'accord, les espaces insécables et les confusions et/est. J'ai corrigé des documents confidentiels, des traductions de documents confidentiels, des révisions de documents confidentiels. Sans broncher, sans me plaindre, sauf quelques fois, sans jamais refuser une tâche. C'était mon métier, ce que je savais faire de mieux, ma contribution personnelle à la Fondation.

Et pourtant.

Et pourtant à ce moment-là, je me suis demandé si ce travail avait une réelle importance.

Je me sentais terriblement lassée.

L'intime conviction d'avoir déjà corrigé ce document et que je le corrigerai encore et encore à l'avenir. Sisyphe armé de son Bescherelle, appliquant les mêmes remarques pour les mêmes raisons aux mêmes endroits. Toujours les mêmes documents, les mêmes fautes, les mêmes résultats. L'inarrêtable roue de la rectification orthographique revenant à son point de départ.

Sans cesser de fixer ce document des yeux, je me rassis lentement sur ma chaise. C'était bien plus qu'une simple impression de déjà-vu. Mais pour une fois, j'avais devant moi un moyen infaillible pour le vérifier. Au lieu de me complaire dans l'abusif ressassement de mes souvenirs flous, je saisis mon porte-clefs et bondis en direction d'une armoire. Là se trouvaient mes archives, celles que je ne consultais quasiment jamais. Je m'étais toujours dit que ressasser le passé relevait d'une perte de temps. Qu'il ne nous fallait qu'aller de l'avant, sans regarder derrière. Durant mes études, l'Histoire n'a jamais été ma matière préférée. De quiconque d'ailleurs. Personne n'en voit l'intérêt.

La porte déverrouillée s'ouvrit immédiatement. Alors que je n'avais jamais vraiment prêté attention aux dossiers, me contentant de bourrer sans vergogne ce que j'archivais afin de m'en débarrasser, je me mis cette fois-ci à chercher avec un inhabituel empressement le dernier rapport de synthèse de l'OCASC. Je me maudis intérieurement devant l'absence manifeste d'indications sur les tranches des classeurs. Même pas un indice sur la nature de ceux-ci, leur version ou même la date d'archivage. Moi qui me vantais de mon organisation. Ne les avais-je donc jamais consultés au cours de mes années de bons et loyaux services ?

Je n'en avais aucun souvenir.

Quand l'occasion avait-elle déjà pu se présenter ? Environ dix ans depuis le dernier rapport ?

En quelle année étions-nous précisément ?

Les mains fébriles, je saisis au hasard un dossier situé en début de rangée. Apparence très similaire aux autres, mais un couverture cartonnée légèrement jaunie par le temps ainsi qu'une fine couche de poussière : il ne pouvait donc que s'agir d'un ancien rapport. Je l'ouvris d'un coup sec, sans ménager ses élastiques fatigués. Un titre familier se présenta sous mes yeux. Encore un rapport de synthèse décennal de l'OCASC. Du moins, une de ses maquettes à destination du Conseil O5. Avec ses corrections. Un fin tracé vermeille. Des retouches typographiques. Quelques remarques malplaisantes. Il ne s'agissait pas de mon écriture cependant. Probablement celle d'un de mes prédécesseurs. Je poussai un soupir de soulagement : je n'étais donc pas folle.

Je retournai m'asseoir dans mon fauteuil afin d'examiner le dossier plus en détails. Les noms de l'équipe derrière ce rapport, tous similaires à ceux cités dans la version que je corrigeais. Les même erreurs. Les mêmes valeurs. Les mêmes prédictions. Et toujours une absence de dates. Quasiment le même document, donc. L'examen des autres dossiers durant la demi-heure qui suivit confirma mes appréhensions : tous presque identiques.

Je restai immobile, me massant les tempes. Depuis combien d'années l'OCASC rédigeait-il ce genre de rapport ? Depuis combien d'années étions-nous… maintenant ? Quelle était cette espèce de boucle éternelle ?

À quoi bon continuer d'y participer ?

Je pris une profonde inspiration.

J'ai soudain ressenti un grand abattement.

À quoi bon au final ? Contre quoi pensais-je donc me battre ? Ce qu'il me fallait avant tout, c'était du temps de réflexion. Aviser avec un peu plus de recul, sans me précipiter. Ou pas d'ailleurs, si cela ne s'avère être qu'une coïncidence. Me jeter comme ça dans l'inconnu, très peu pour moi. Demain. Demain j'aurai les idées claires et j'aviserai. En attendant, ce rapport n'allait pas se corriger tout seul. J'avais des responsabilités et ne pouvais me permettre de flâner. La distraction attendra.

J'ai repris mon travail et mon stylo rouge.



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