Le 16 Juillet 2007, vingt deux (22) membres du personnel de la Fondation descendant de Pierre Murat se réunirent au Site-Aleph pour provoquer l'apparition de SCP-466-FR-A puis en mener l'exploration. Ce document est la retranscription des événements rédigée par le Dr Vicat, responsable des opérations.
Il est 10h30. Tous les convoqués sont arrivés au point de ralliement et s'amassent autour de la marmite où nous sommes en train de préparer la soupe. Le lieu choisi pour l'expérience est une étendue de gazon en périphérie de l'Aile 38 du Site, où nous pourrons faire apparaître la chaumière sans troubler la concentration du département comptabilité. Avec ma bombe de peinture rouge, je trace autour de la plaque de cuisson un cercle de trente (30) mètres de rayon, puis énonce mes directives au personnel.
Dr Vicat : Votre attention à tous : je suis le Dr Maxime Vicat, superviseur de vos activités d'aujourd'hui. Voici vos instructions. Primo, à l'aide des ingrédients que vous voyez ici et de notre matériel, préparation du potage au cottage dont nous connaissons tous la recette. Secundo, tout le monde sort du périmètre de sécurité pendant l'apparition de l'anomalie.
Agent Kervran : (Chuchote) Donc on va pas la boire, cette soupe ?
Dr Vicat : Non, malheureux. Tes organes internes ne te le pardonneraient pas. Tertio : Une fois la transformation achevée, nous entrerons dans le bâtiment et amasserons le plus de données possible : photographies, vidéo, mesures et interrogatoires. N'oubliez pas : si PdI-1702, vous questionne, vous n'êtes qu'un simple promeneur venu prendre un rafraîchissement. Sans plus attendre, tous à vos postes.
Le processus d'apparition de SCP-466-FR-A, de par sa rapidité, est assez impressionnant. Une fois les dernières traces de la substance résorbées pour révéler une chaumière bien plus ragoutante, je fais signe à mon équipe d'avancer au centre du cercle. Avec une allégresse plutôt rare dans notre métier, nous pénétrons l'objet.

Le grand-salon.
Nous arrivons dans une pièce que nous avons baptisée le grand-salon. C'est un espace carré d'environ vingt (20) mètres de côté comportant des tables basses et des chaises en bois et en osier, et décorée de commodes, buffets et guéridons en bois massif. À l'opposé de la porte d'entrée se trouve le comptoir de PdI-1702, d'où elle prend les commandes et fait ses comptes. Sur le mur adjacent, la carte des boissons et mignardises proposées est placardée ; sans grande surprise, il s'agit du premier objet que les participants de la mission décident d' "inspecter".
Pendant que le Dr Sirc se charge de distraire la maîtresse de maison, chaque centimètre carré de la salle est fouillé avec soin. Il ressort de cet examen initial que la zone dénommée grand-salon ne comporte pas d'anomalies majeures, mais présente une légère capacité de métamorphose sensible au regard humain : lorsqu'un tiroir ou autre objet creux est ouvert deux fois de suite, son contenu est différent.
Après avoir admiré les magnifiques tableaux impressionnistes accrochés au mur Nord, je remarque que le Dr Sirc tente de créer avec PdI-1702 une affinité peu souhaitable entre un chercheur de la Fondation et une personne d'intérêt. J'agrippe fermement ce dernier par l'épaule et adresse une phrase rapide à PdI-1702.
Dr Vicat : Je vais prendre une grenadine s'il vous plaît, je serai à cette table.
Je nous dirige vers la table où sont installés les Drs Gris et Rey, et y assois de force le Dr Sirc.
Dr Sirc : Mais je mettais juste l'interrogée en confiance !
Dr Vicat : Mon œil. Une minute de plus, et j'aurais eu à censurer une partie de mon compte-rendu. Alors, vous avancez ?
Dr Gris : On a fait les relevés de fluctuation de réalité, rien à signaler de ce côté là.
Dr Vicat : Bien. Et toi Charles ? Qu'est-ce tu peux nous dire sur la Personne d'Intérêt ?
Dr Sirc : Oh, elle est très sympathique, courtoise, charmante… elle nie avoir conscience du comportement anormal de la chaumière : nous sommes peut-être face à un effet anti-mémétique.
Dr Vicat : C'est tout ? Tu aurais vraiment dû te concentrer sur ses propos et pas sur ses formes.
Dr Rey : (tousse et crache) Mon thé est salé ! C'est du sel, dans ce sucrier ?
Dr Gris : C'était du sucre la dernière fois qu'on l'a ouvert, le contenu a dû changer depuis.
Agent Kervran : Docteur Vicat ? Marguerite m'a dit de vous donner ça.
Dr Vicat : Ah, ma grenadine, merci. Elle n'aurait pas pu se déplacer pour me l'apporter ?
Dr Rey : Ah, ça… Regarde-la discrètement, Maxime. Elle te fixe depuis que tu es entré dans sa chaumière. Ah, maintenant que tu la regardes, elle a détourné les yeux. Je pense que t'as une touche, et qu'elle est trop timide pour te parler. Chanceux, va !
Dr Vicat : Eh bien je n'en ferai rien. Je vous rappelle que nous sommes au travail, pas dans un salon de thé… enfin, si, mais vous voyez ce que je veux dire.
Je remarque que les tableaux au mur ont changé : alors qu'ils représentaient des levers de soleil et paysages de printemps aux tons chauds, on peut désormais y voir des ciels de nuit sombres et des forêts hivernales. À cet instant, PdI-1702 court au centre de la pièce et s'adresse à sa clientèle.
PdI-1702 : Mesdames et messieurs, accrochez-vous : un autre potage a été préparé ! On va bouger.
Dr Gris : Ah ! Qu'est-ce qu'on fait, on sort ?
Dr Vicat : Non, tant qu'on est là, autant continuer l'exploration. On ne devrait pas atterrir bien loin, et de toute façon, on a nos balises GPS.
Je me dirige à mon tour vers le centre du grand-salon pour annoncer mes directives.
Dr Vicat : Votre attention à tous : nous allons rester.
Cette nouvelle semble réjouir l'assemblée : en plus d'une pause café, la Fondation leur offre un tour de manège tous frais payés. Cet enthousiasme s'estompe cependant quand l'on remarque que la structure du bâtiment commence à s'affaisser à une vitesse inquiétante.
Dr Sirc : Dites… est-ce que ça va faire mal ?
PdI-1702 : Non, non. Enfin, pas tant que ça.
La douleur est atroce.
Une fois le voyage achevé, le bâtiment reprend des proportions normales et le paysage visible par les fenêtres n'est plus celui des abords du Site-Aleph. Alors que les individus ayant préparé le nouveau potage pénètrent dans le grand-salon, c'est avec surprise que je reconnais Messeigneurs Battilana et Minotti, hauts-gradés de l'aile disciplinaire de la Confrérie des Chevaliers de Saint-Georges, accompagnés d'une dizaine de leurs subordonnés. Le travail de ces messieurs au sein de leur organisation est de décider et faire appliquer les sanctions, du simple coup de règle sur les doigts à la mise à mort. J'ai personnellement été amené à travailler par le passé avec eux dans le cadre de brèches de confinement ayant impliqué nos deux organisations.
Après avoir donné quelques ordres à leurs hommes, ils s'installent à une table au fond de la salle, où je les rejoins.
Dr Vicat : Ça pour une surprise, c'est une surprise !
Mgr Battilana : En effet, ce n'était pas vraiment prévu.
Dr Vicat : Bon sang, détendez-vous ! Vous êtes tous blancs, on dirait que vous venez de tuer quelqu'un. Alors, vous en aviez marre du disciplinaire et vous avez décidé de faire de la recherche ?
Mgr Minotti : Tout à fait.
Dr Vicat : Vous avez bien raison, cet endroit est très coquet. Je ne savais même pas que les Chevaliers connaissaient le Potage au Cottage, vous venez souvent ici ?
Mgr Battilana : Assez fréquemment, oui.
Dr Vicat : Je me demande bien quelle utilité le Pape peut trouver à cette soupe.
Mgr Battilana : Vous comprendrez que nous ne sommes pas autorisés à vous le révéler.
Dr Vicat : Cela va de soi…
Dr Vicat : (Aux Drs Sirc et Rey en train de converser avec PdI-1702) RETOURNEZ TRAVAILLER, VOUS DEUX !
Dr Vicat : Bon sang, cette Marguerite attire mon personnel comme des mouches autour d'un pot de miel. Vous avez bien de la chance de travailler avec des hommes d'église, ils doivent être habitués à résister à la tentation. Entre nous, c'est vrai qu'elle est assez séduisante… vous pouvez le dire, je ne répéterai rien à votre évêque.
Mgr Minotti : Ma foi, je ne vois pas ce que vous lui trouvez.
Mgr Battilana : Elle ne me semble pas si attirante. Surtout quand on sait ce qu'elle fait.
Mgr Minotti : Silence, Andrea !
Dr Vicat : Oh, ne vous en faîtes pas, ça arrive aux meilleurs d'entre nous de révéler accidentellement des informations classifiées. Quoi que ce soit, je finirai par le découvrir moi-même.
Les membres de la Confrérie de Saint-Georges se sont assis aux tables du personnel de la Fondation et les deux groupes sympathisent désormais d'une manière qui brise les protocoles de sécurité les plus élémentaires. Cependant, Messeigneurs semblent trop inquiétés par je-ne-sais-quoi pour s'en occuper et je n'ai ni le temps, ni l'envie de m'en charger tout seul. C'est à cet instant que j'aperçois, dans le coin du Grand-Salon opposé au comptoir, un grand sac en toile de jute contenant un objet immobile aux proportions vaguement humaines. Je m'étonne de ne pas l'avoir remarqué plus tôt.
Je me dirige vers le comptoir de PdI-1702 pour l'interroger. Cela a normalement été fait par l'équipe d'exploration, mais je doute de leur capacité de concentration ce jour-ci.
Dr Vicat : Eh bien, nous voilà enfin face à face. Je m'excuse pour l'attitude de mon personnel, d'habitude, ils ne sont pas aussi… enfin, aussi…
(Silence)
Dr Vicat : Hem… J'aurais quelques questions à vous poser, si vous n'y voyez pas d'inconvénients. Dans le cadre de mon travail.
(PdI-1702 grimace)
Dr Vicat : Je vais prendre ça pour un oui… Premièrement, comment avez-vous acquis ce bâtiment ? Avait-il déjà ses propriétés métamorphiques à ce moment-là ?
(Pas de réponse)
Dr Vicat : Pourrions-nous accéder aux autres pièces ? Votre arrière-cuisine, par exemple ? Ou le premier étage ?
(Pas de réponse)
Dr Vicat : Bon… puis-je au moins savoir pourquoi vous ne m'avez pas apporté ma grenadine en personne ?
PdI-1702 : Vas-y, continue d'éviter le sujet. (PdI-1702 se retire dans son arrière-cuisine)
Je m'interroge sur le sens de ce tutoiement : elle qui semble pourtant si polie avec le reste du personnel, PdI-1702 me parle si sèchement et familièrement que je me suis demandé si je ne l'avais pas tuée dans une vie antérieure. Les tableaux du mur Nord ont à nouveau changé : ils représentent maintenant des scènes de guerre dominées par le rouge sang. Je me rassois à la table des Drs Rey, Sirc et Gris.
Dr Vicat : Je ne sais plus qui disait que j'avais une touche, mais il s'est trompé.
Dr Gris : Tiens, à propos de Marguerite… vous croyez qu'elle est intéressée par les femmes ?
Dr Vicat : Bon sang, j'ai cru que tu allais dire quelque chose d'utile… Faites votre boulot, merde !
Dr Rey : Oh, mais c'est ce qu'on fait. Regarde ce qu'on a trouvé dans cette commode.
Dr Vicat : Le journal de Pierre Murat ! Voilà, là on avance. Voyons… Il a travaillé pour la Singulière Académie Impériale, intéressant.
Dr Gris : Il y a même son portrait. Tu as vu comme il te ressemble, Maxime ? On dirait des jumeaux !
Dr Vicat : Normal, c'est mon ancêtre. J'avoue que la coupe de cheveux est particulièrement convaincante. Et le sac en toile, au fond de la pièce, vous l'avez inspecté ?
Dr Sirc : Non, je l'avais même pas remarqué avant que les Chevaliers arrivent. On est d'accord que ça ressemble à un cadavre ?
Dr Gris : C'est pas un cadavre, je l'ai vu bouger.
Dr Vicat : Bon, je vais y jeter un œil.
Alors que je me dirige vers le sac et m'apprête à le desceller, je sens l'Agent Kervran me tirer par le bras et m'emmener devant une porte où un petit nombre de chercheurs et de Chevaliers sont attroupés.
Agent Kervran : Docteur Vicat, regardez, c'est génial ! À chaque fois qu'on ouvre cette porte, il y a quelque chose de différent derrière !
L'agent ouvre la porte pour révéler un petit cagibi sombre d'environ 2 m² contenant des cartons et du matériel d'entretien. Après fermeture et réouverture, nous sommes face à un patio spacieux et lumineux, agrémenté de mobilier de jardin. Il s'agit de la même propriété métamorphique observée plus tôt, mais à plus grande échelle.
Je détourne les yeux vers PdI-1702, qui me fixe intensément. L'agent Kervran ouvre la porte, mais cette fois ci, il n'y a derrière qu'une substance jaune et grumeleuse, similaire au Potage au Cottage. Marguerite cesse alors de me fixer et pose son regard sur la porte ouverte, puis la substance se résorbe d'un seul coup pour laisser place à une salle de bain, douche et baignoire comprises. PdI-1702 semble donc contrôler d'une manière ou d'une autre cet effet métamorphique, malgré ce qu'elle avait affirmé plus tôt.
Dr Vicat : Vous avez assez fait joujou avec ce placard, continuez vos recherches.
Je marche d'un pas décidé vers le sac, mais suis interrompu par Messeigneurs Battilana et Minotti.
Dr Vicat : Va-t-on enfin me laisser travailler ?
Mgr Battilana : Il faut partir immédiatement.
Dr Vicat : Partir ? Pourquoi ? On est là depuis à peine trente minutes !
Mgr Battilana : Je ne suis pas autorisé à vous le dire, mais nous devons nous en aller au plus vite.
Dr Vicat : Comme par hasard. Je crois surtout que essayez de nous virer pour avoir l'anomalie à vous tous seuls.
Mgr Battilana : Non, c'est Marguerite ! Elle… enfin, je ne peux pas vous en révéler plus, mais…
Dr Vicat : Quoi Marguerite ? Qu'est-ce quelle a, Marguerite ? Puisque vous refusez de parler, je vais aller lui demander moi-même, tiens !
Mgr Battilana : Oh, non, c'est une très mauvaise idée…
Je me dirige vers le comptoir en ignorant les suppliques du prêtre.
Dr Vicat : Mademoiselle, je vais être clair : nous sommes tous ici membres d'une organisation secrète chargée de surveiller et dissimuler les phénomènes paranormaux. Il me suffit de trois mots dans ce talkie-walkie pour que vous finissiez dans une cellule. Vous avez affirmé à mon personnel ne rien savoir de l'anomalie de votre maison, mais je sais maintenant que c'est faux. Je sais que vous pouvez contrôler ses transformations, et tout le monde a remarqué cette substance jaune qui colle sous vos chaussures quand vous marchez. Je vais donc vous prier d'être coopérative dès maintenant et de me dire tout ce que vous savez sur cet endroit, sans quoi je me verrai dans l'obligation de vous faire interroger dans des conditions bien moins agréables.
Je lance un regard fier vers Monseigneur Battilana. Voilà ce que c'est d'avoir du cran, dans notre métier. Après cette mise au point, je suis convaincu que Marguerite ne sera plus tentée de jouer au plus malin.
C'est là que l'anomalie la plus inattendue de la journée se manifeste.
[ACCRÉDITATION DE NIVEAU 3 NÉCESSAIRE]