Exigeons la dignité

Heu… Ça tourne là ? je commence mon texte ?

… Hum ok.

Bonjour. Je m'appelle Lucas David. Je suis agent de la sécurité dans la Fondation. Un garde, comme vous nous appelez. Je pourrais être n'importe lequel de ces types que vous croisez et qui vous salue avec un sourire, l'arme en bandoulière, veillant sur votre sécurité pendant que vous veillez sur celle du monde. Je suis pas très important, pas pour vous. Pour ma femme, qui est persuadée que je travaille pour une agence de sécurité, je suis le centre du monde, un monde bien plus précieux que celui dont vous vous occupez. On s'est rencontrés au lycée, ça fait quand même 12 ans qu'on est ensemble, et jamais un réveil sans entendre sa voix me susurrer qu'elle m'aimait toujours aussi fort. J'ai toujours été là pour elle, je lui ai toujours offert ce menu insupportablement long à préparer dans son resto préféré chaque Saint-Valentin, et alors que vous me croiserez au détour de ce couloir, je l’aurai embrassé sur le front le matin même, en lui promettant que je reviendrais la serrer dans mes bras dès mon retour. On a pas d'enfants, mais elle m'a dit qu'elle en voudrait deux. Deux petits sourires de plus qui agiteraient leur petits bras en me souhaitant une bonne journée, et qui attendront avec le même sourire leur père le soir. Je la rends heureuse. S'il vous plaît, laissez-moi continuer.

À vos yeux, je suis un numéro sur une feuille de service. Je demande pas plus, j'aime mon métier. Je suis à ma place. Porter un scientifique qui s'est blessé jusqu'à l'infirmerie, escorter cette jeune fille aux photos qui ne voit pas grand monde et qui m'appelle toujours Luc. Tout ça, c'est moi, c'est ma vie, et je l'aime. Pour quelques personnes, je compte. Si je disparais, que deviendront-ils ? Des fois je l'imagine, et je pleure, tout seul. Imaginer ma femme, qui n'aura jamais plus de bras autour d'elle alors qu'elle n'en aura jamais autant eu besoin, qu'on apprenne à cette jeune fille dont je n'ai même pas le nom qu'on ne discutera pas de la pluie et du beau temps juste pour se parler, savoir que jamais je ne verrais les yeux de celle que j'aime rayonner dans le regard d'un enfant…

Je sais que mon travail est risqué, mais vous n'en avez pas conscience. S'il vous plait, ne nous oubliez pas. Nous existons. Nous sommes de ces humains que vous défendez, de ceux qui se sacrifient pour vous mener à bien, de ceux qui sacrifient le regard de tous les innocents qui tiennent à eux pour protéger un jour de plus votre travail…

En l'honneur de tous les gardes, de tous ces hommes en noir dont vous croisez le chemin, de toutes ces vies qui tournent autour de leur maris, de leur père, de leur fils en ignorant l'existence même de leur réel travail.

En l'honneur de tous ceux qui sont déjà morts dans les larmes et le sang, pensant une dernière fois à celle dont ils ne peuvent imaginer qu'une froide lettre annoncera la mort de leur moitié.

En l'honneur de tous ceux qui comme vous, font leur part pour protéger l'Humanité.
Je vous le demande.

Arrêtez de censurer les Procédures de Confinement Spéciales.

Quelque part, dans un petit pavillon de banlieue, une petite femme à qui j'ai promis d'un baiser sur le front que j'allais revenir vous remerciera. Elle ne le saura jamais, mais tel est le lot de ceux qui travaillent à la Fondation.

Ne censurez pas ce qui me sauvera la vie.

Chaque année, c'est plus de 48 gardes qui meurent car ils sont incapables de lire un protocole de sécurité. C'est 48 vies qui s'éteignent pour un trait noir sur une feuille blanche.
Ceci était un message de Trente Millions d'Armés, le comité officiel de protection du corps de garde.

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