Escorte de couverture

"Tu sais pourquoi on participe à ce transfert ?

- Paraît que le gros de leurs agents sont sur d'autres missions plus délicates. Mais j'crois surtout que c'est juste un genre d'évaluation. Leur objet ne mérite pas une aussi grosse escorte s'ils ne nous ont pas raconté un énième bobard de plus."

Les deux gendastres durent laisser s'insérer une voiture entre eux et le convoi de véhicules civils qu'ils escortaient, le temps que celle-ci prenne la sortie de l'autoroute quelques centaines de mètres plus loin. Ce n'est qu'une fois le convoi rattrapé que le conducteur reprit la parole.

"Remarque, je ne vais pas me plaindre. Ça change des enquêtes banales de ces dernières semaines. On bouge un peu et on ne risque pas notre peau.

- Reste concentré Pierre. Paraît que la dernière équipe a perdu la moitié d'un fourgon avant que leur truc ne soit contenu. J'ai pas envie que ça nous arrive en y laissant un bout.

- Il y a soit l'équipe de Marie, soit celle de Marc entre nous et le fourgon. Tu crois vraiment qu'ils laisseraient leur truc comme tu dis nous prendre par surprise ? C'est pas parce qu'on est pas du GI qu'ils vont nous laisser en plan."

L'interpellé reprit le plan du convoi et dut admettre l'argument de son collègue. En queue de convoi, ils étaient l'équipe la moins expérimentée de tout le lot. Le véhicule principal, une camionnette aux couleurs d'une société écran "Sécurité et Cadenas pour Professionnels", était entouré de deux voitures des GIGN★ qui échangeaient leur place de façon irrégulière. Le tout précédé par une moto-guide de la Fondation. Et enfin eux pour fermer la marche. Que des véhicules civils, naturellement. Si l'on excluait le fait que ce qu'ils transportaient avait le potentiel de transformer le métal en un simili carton, de ce que les gars de la Fondation leur avait affirmé, ce n'était pas différent d'une opération d'escorte classique de la gendarmerie. Pierre reprit :

"Je préfère ça à une action de couverture en plein Paris. J'ai plus de chances de pouvoir retrouver ma femme après.

- Elle en est à quel mois déjà ? Sixième ?

- Début du septième. Elle commence à mettre plus de temps pour marcher et ça la rend de mauvaise humeur. Et fatalement, ça me retombe dessus. T'as fait comment pour gérer ça ?

- Tu laisses couler. Ne cherche surtout pas à la contredire. Garde ça pour dans quelques années quand ta fille aura grandi, t'en auras besoin crois-moi."

La radio grésilla, signe d'un appel.

"Allô l'arrière ? Vous êtes là ?"

Pierre appuya sur le bouton de communication.

"Affirmatif Marie, on parlait de toi il y a un instant. André est en stress du danger de cette mission.

- Ah. Si la Spé nous a dit la vérité, le principal danger viendrait d'une tentative de détournement. Et j'espère qu'ils nous préviendraient à l'avance si c'était un truc réellement dangereux.

- Ouais, ouais.. C'est bon, j'ai compris. C'est juste que j'ai pas envie de voir la bagnole subir le même sort que celle de Gaston.

- Tu sais que j'étais là André. Gaston était au téléphone ET au volant quand c'est arrivé. Sa mise à pied était méritée, en plus de toutes ses blessures. Et l'objet était quand même plus dangereux qu'un truc qu'on peut garder dans une boîte fermée.

- T'étais sur place ? Ta période de récupération s'est déjà terminée ?

- Ça fait près de 4 mois que ça s'est produit, ça a cicatrisé. Mais on en parlera plus tard. Vous êtes derrière Marc ? J'ai dû changer de place après qu'on a été séparés.

- C'est bon, rien à signaler. Encore un gars pressé de dépasser en oubliant qu'il devait sortir.

- D'accord, bon à savoir. La Spé nous a prévenu qu'on allait bientôt quitter la route principale. On ne peut donc plus se permettre de se séparer.

- Bien reçu. Fin de transmission.

- Fin de transmission."

André coupa le son et ils demeurèrent silencieux quelques instants.

"4 mois ? Ça fait long comme période tranquille quand même, non ?

-Ouais… Mais p'têt que le GIGN★ a des infos en plus qui ne sont pas arrivées jusqu'à nous. Tu crois qu'ils nous testeraient aussi ?"

Pierre ne rajouta rien et se contenta de suivre le reste du convoi sur la sortie qui les faisait sortir de la voie rapide. Conserver la sécurité du convoi était plus délicat sur les routes départementales. Chaque carrefour, chaque feu de circulation était un risque pour le suivi du convoi. Et il leur semblait que quelque chose ne tournait pas rond… Les routes récentes firent place à des chemins moins entretenus, plus isolés.
Leur radio émit 2 bips brefs : un signal venant des autres voitures pour leur demander d'être sur leurs gardes. Et le son leur permit d'identifier que le véhicule responsable était celui de Marc. Ils répondirent par un bip simple, auquel s'ajouta un autre venant de la dernière voiture de la gendastrerie. Il ne fallut pas longtemps aux deux gendastres pour comprendre la raison de la vigilance : la moto-guide de la Fondation conduisit le convoi sur un chemin de terre, loin de la route bétonnée. André prit son arme en main en attendant la suite des opérations.

Le guide finit par s'arrêter à proximité d'une zone boisée, peu après un croisement à peine marqué par les traces de pneu. André enleva la sécurité de son arme et sortit de la voiture tandis que Pierre restait au volant, prêt à réagir. Les passagers des autres voitures de l'escorte étaient déjà sortis les armes en main, et Lucie, l'équipière de Marc, interpella l'agent qui était dans la voiture guide.

"Que se passe-t-il ? Pourquoi cet arrêt ?"

L'agent ne répondit pas et se contenta de lever la tête au moment où un bruit de pneus sur les graviers se fit entendre derrière André, qui se retourna et pointa son arme dans la direction des arrivants. Un véhicule de type 4x4 apparut dans un silence étonnant, puis un homme seul, vêtu d'un gilet pare-balles, en sortit, les mains levées, en tenant un badge dans sa main droite.

"Agent de liaison Vidal, Fondation SCP. Merci de votre aide, nous prenons la suite à partir d'ici."

André constata le symbole de la Fondation sur le badge, tandis que Marie s'approcha d'eux en baissant son arme. Le gendastre remarqua toutefois que son doigt était toujours à côté de la queue de détente.

"Agent Vidal ? Qu'est-ce que cela signifie ? Je sais que vos méthodes sortent du protocole standard, mais même cela est inhabituel pour vous.

- La routine est dangereuse avec l'anormal. Vous voudriez qu'on prenne le risque de transformer tout un entrepôt ou les armatures d'un mur en béton ? J'imagine que non."

Sur un signe de tête de sa supérieure, André baissa son arme, ce qui amena l'homme de la Fondation à reprendre une posture plus normale.

"Peut-on savoir pourquoi nous ne continuons pas ?

- Si nous vous laissons aller plus loin, nous serions obligé de vous faire oublier la suite du trajet. Nous gagnons du temps à agir ainsi."

L'officière de la GIGN★ fit signe au gendastre de se taire et à l'autre équipe d'ouvrir le passage pour le véhicule du convoi.

"Merci de nous faciliter le passage, adjudant-chef Lejeune. Il est dans notre intérêt à tous que tout se passe pour le mieux." dit l'agent Vidal avant de remonter dans son véhicule et de repartir dans un silence trahissant un moteur électrique.

Il ne fallut que quelques minutes aux véhicules de la Fondation pour passer hors de vue des gendastres. Ce fut Marie qui brisa le silence en rangeant son arme.

"En voiture. Visiblement, ils n'ont plus besoin de nous. Allons faire notre rapport."


Quelques heures plus tard, l'équipe se tenait dans une salle du centre de la Gendastrerie de Limoges et venait de terminer son rapport par vidéoconférence au lieutenant Carlier. En tant que plus haute-gradée, Marie s'était chargée de la discussion. Pierre s'efforçait visiblement ne pas regarder la cicatrice qui barrait le profil de l'officière.

"Pour résumer, il n'y a pas eu d'attaque ou d’événement inhabituel durant cette mission jusqu'à la fin.

- Affirmatif mon lieutenant. RAS sur tout le trajet. Seule la fin du trajet comportait un événement notable.

- Bien. Et vos impressions personnelles sur la mission ?"

Les gendastres se regardèrent brièvement.

"Je vous demande pardon, mais pouvez-vous préciser ? demanda Marie.

- En dehors de la mission et de son contexte secret habituel, je souhaite connaître vos impressions sur cette demande de la part de la Fondation. Parlez librement.

- Et bien… J'ai le sentiment que notre présence n'était pas requise. Ou tout du moins pas en aussi grand nombre. Si l'objet de l'escorte était bien ce qu'il était. Ce qui me fait penser que l'objet en question n'était pas ce qu'ils nous ont affirmé. Une équipe réduite de la Gendastrerie aurait pu se charger de cette mission. Leur demande explicite d'avoir une équipe complète du GIGN★ en plus d'un véhicule d'escorte de la Gendastrerie me fait dire que la véritable teneur de la mission était toute autre.

- Si vous me le permettez, fit Pierre, il y a autre chose qui me semble inhabituel. De ce que l'on observe, en tout cas à notre échelle, l'anormal semble plutôt calme en ce moment. Et la Fondation a demandé notre aide pour un motif a priori inutile, en se disant surchargée. Ces affirmations ne correspondent pas à nos observations."

Le lieutenant Carlier sembla regarder quelque chose au-dessus de la caméra avant de reporter son attention sur eux.

"C'est aussi ce que les différentes observations que nous avons confirment. Il semblerait qu'il y ait quelque chose d'inhabituel dans le monde de l'anormal. Soyez vigilants, il se pourrait que nous ayons à faire face à une menace encore indéterminée. Transmettez toutes vos observations anormales à vos supérieurs et ces instructions à vos équipes et partenaires dans vos services respectifs. Renforcez la surveillance des indics anormaux. Si la Fondation nous cache quelque chose, nous devons le découvrir.

- À vos ordres !" firent les six équipiers dans un unisson militaire.

La vidéo se coupa juste après, mais la tension n'était pas retombée. Tout le monde semblait conscient de ce que ces mots impliquaient. Et de ce qui pouvait se produire si les impressions mentionnées se retrouvaient vérifiées. La Gendastrerie n'était certes plus le corps militaire qu'elle était auparavant, mais elle ne devait pas se laisser surprendre.

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