Eden

Je me souviens de la chaleur. C’est mon plus lointain souvenir. Il y avait aussi de la lumière, la douce brillance orangée d’une étoile mourante. Mais cette chaleur… ne peut aisément être décrite. Le froid de cet endroit n’est rien par rapport à elle.

Là-bas, il y en avait d’autres, comme moi. Nous sommes de grandes créatures, et n’avons pas coutume de vivre dans des endroits encombrés de roches, comme l’est ce système. Notre chez-nous n’est pas rempli de pierre, mais de douce chaleur, et de la lumière tranquille d’une étoile qui a trouvé sa place. On m’a dit que cette étoile était encore jeune quand nous étions arrivés là, et un ancien clamait même se souvenir du temps où elle pouvait encore parler. Je ne crois pas à ses divagations.

Enfants, nous traversions une longue période durant laquelle nous étions incapables de toute pensée rationnelle. Aucun d’entre nous ne s’en souvient, mais nos tuteurs ne manquaient pas de nous raconter à quel point cela les amusait. Nous donnions la chasse à des débris, avec une joie oubliée des anciens, cabriolant dans le vide avec une innocence que certains passèrent une éternité à essayer de retrouver.

Mais bien entendu, ce n’est pas ça que vous voulez savoir. Vous êtes ici parce que vous vous interrogez sur notre but, sur ce que je suis venu faire ici.

Il y a une graine en chacun d’entre nous. Tandis que nous mûrissons, elle évolue. Elle finit par se multiplier. Le processus est… complexe, et j’ai peur qu’il soit au-delà de votre compréhension. Je me contenterai de dire qu’il nous est possible de l’influencer dans une certaine mesure, et que beaucoup de mon espèce s’enorgueillissent de la complexité et de la beauté de leurs créations.

Nous portons cette graine toute notre vie, ces milliers de petites vies entretenues dans nos limbes amniotiques. Certains d’entre nous choisissent d’interdire l’évolution à ces graines, refusant de laisser derrière eux la gloire des cieux pour quelque chose d’aussi banal que du jardinage. Mais d’autres, eux savent ce qui doit être fait.

Ainsi, nous partons. Nous quittons la chaleur, la joie et la paix de cette étoile bénie, et commençons notre voyage dans le vide glacé. Aucun de ceux qui partent ne revient jamais. Aucun chant ne célèbre leurs victoires, aucun avertissement n’est tiré de leurs défaites. Aucune nouvelle ne nous parvient.

Nous cherchons, parmi les débris, les roches, et les vastes étendues vides de noirceur, à la poursuite d’un lieu où une graine pourrait prendre racine et grandir. C’est une tâche longue et impossible, et mon récit prendrait plusieurs fois votre espérance de vie.

Il me suffit de dire qu’après des éons d’errance, j’ai découvert une petite planète relativement prometteuse. Et ainsi je décidais d’amorcer ma descente.

Ce n’est pas une expérience que je désire répéter. Les feux de l’atmosphère me brûlèrent terriblement avant que je ne trouve refuge dans les océans, et ma convalescence fut longue et déplaisante. Mais je m’étais consacré à cette tâche, et ne pouvais m’en détourner.

Cette graine en notre sein se… déchire, c’est le mot. Elle se déchire à notre atterrissage. Après cette déchirure, la graine est libérée. Elle grandit en nous, colonisant notre corps. Alors qu’elle se multiplie, certaines créations peuvent se frayer un chemin vers l’extérieur, vers ce monde sur lequel nous avons atterri. Je sais que quelques petites créatures nées en moi se sont installées dans les eaux de cette planète, bien qu’une vaste majorité soit restée dans mes entrailles.

Un jour, je mourrai. L’impact réduit grandement notre espérance de vie, et la naissance d’une civilisation en nous n’arrange rien. Un jour, ces créatures en mon sein trouveront une sortie.

Et alors tout sera changé.

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