Grenoble, agence de renseignement locale de la Fondation SCP. Nouvelle journée, nouveau travail, nouvelle histoire.
L’une de celle qui m’a coûté plus d’une dent en plus, mais ça vous en avez rien à foutre, non ?
Celle-ci commence avec une réunion de merde. Une réu, c’est toujours de la merde. Et quand ça ne l’est pas, c’est annonciateur. Celle-ci était en comité réduit, juste moi et une ancienne de Saint-V, Roxanne.
Comment vous décrire cette harpie ? C’est une originale. Notez, tout le monde l’est un peu dans un sens, mais disons qu’elle l'est un peu plus que le commun des mortels, ou tout du moins de ceux que je côtoie. À l’agence, c’est beaucoup de vieux des forces spé ou des ex gendastres, du briscard qui arrive rasé de près en costard à 7h30, chez qui même le gris ça fait vulgaire. Du couillon matrixé par l’armée : pas du méchant, notez, mais du clone tout droit sorti des usines à militaires. Du coup, quand elle arrive avec ses lunettes teintées, en jupe bariolée accompagnée de longues bottes de cuir, avec plus de breloques autour du cou que dans un nid de pie et une coiffure ambrée qui pourrait franchement accueillir ledit nid sans détonner… Disons que ça fait mauvais genre aux réunions. Mais elle s’en fout. Elle a le cerveau, eux c’est les muscles. C’est la cheffe de l’unité et elle a les résultats pour se permettre une certaine excentricité. N’allez pas croire que je ne l’aime pas, au contraire. On se connait depuis qu’on est gamins, même orphelinat, je vous dis. C’est comme une sœur pour moi.
Mais bordel ce qu’elle m'énerve parfois.
Là, par exemple, elle me sourit toutes dents dehors, avec pas une, mais deux clopes au bec.
"Qu’est-ce-que tu fous encore avec ça ?
— J’ai réu avec le vieux Sculder dans une heure, j’ai appris que fumer tuait, alors j’ai voulu doubler mes chances d’échapper à ça. Pas con, non ?"
Elle se marre toute seule. Notez que ça l’a jamais dérangée.
"T’as vraiment fait ça juste pour ta vanne de merde ?
— Ouaip’.
— T’es irrécupérable.
— Ouaip’, dit-elle en en retirant une de sa bouche pour me la tendre.
— Je fume plus depuis deux ans, Rox…
— Bah, pas grave, tu la donneras à Phil’ de ma part. T’as rendez-vous dans l’après-midi.
— Je pense qu’il a déjà les siennes…
— Oui, mais celle-là c'est un cadeau de sa grande sœur, alors ça se refuse pas.
— Rox…
— Rho, ça va…"
Elle se remet la seconde clope aux lèvres. On ne gâche rien chez elle.
"Bon, j’ai une mission pour toi. Phil a trouvé un tuyau, un truc de premier plan. Un type de la famille Méniard, prêt à passer aux aveux. Si on arrive à l’extraire, on peut enfin faire tomber ces enfants de salauds.
— Ça fait pas 20 ans que la gendastrerie et nous on leur court après ? Tu crois encore aux miracles toi ?
— Pas 20, 30. Mais faut croire que les miracles, ça arrive. Le père, Alfred, est décédé en janvier. Et visiblement, il y a eu des gagnants et des perdants à la succession à l’ALDA. On a un client !
— Mais pourquoi il se rendrait à nous ?
— De ce que m’a dit Phil’, ce serait un inhumain qui préférerait le confinement au crématorium.
— Il serait pas un peu con, ton type ?
— Voyons mon Jacky, on ne juge pas les goûts des autres ! Surtout s'ils nous arrangent !"
Je me frotte la moustache. Il y a un truc que je sens pas. Elle le voit.
"Écoute, c’est pas compliqué. D’après ce que m’a dit Phil’, ils l’avaient mis au placard et il a pas supporté. Cet abruti était tellement paniqué qu’il a cherché à nous contacter par tous les moyens. D’après Phil, il demandait même aux passants où nous trouver. Si ça c’est pas du désespoir…"
C’est ça le souci d’être dans les petits papiers de la chef ; quand ça sent la merde, elle peut vous confondre avec du pq.
"Il est dans une de nos planques actuellement, avec Phil. C’est tout con, tu te pointes, tu salues le frangin et tu l'embarques avec l’anormal dans la camionnette. Ensuite, retour à la maison. Pas d’escorte, on la joue discrète, tu mets un gilet jaune et un casque pour faire BTP et c’est plié. Ils chercheront peut-être les convois armés et ont beaucoup à perdre là-dessus, alors on la joue civile et ça passera comme papa dans maman."
Je réfléchis, pèse le pour et le contre.
"C’est pas plus mal. Au passage, tant qu’à parler de mamans, t’as des nouvelles de la mère ?"
La frangine me fait un grand sourire.
"Je suis passée la voir au parloir, l’autre jour. Elle te passe le bonjour."
Il y a des trucs que je ne comprendrai jamais. On bosse pour la plus grosse société au monde, on fout des millions dans des conneries de machins qui clignotent, mais pas foutus d’acheter une bagnole correcte. L’utilitaire ronronne comme un chat toxicomane asthmatique (sans doute celui de Rox’) et c’est pas le bruit de la clim en panne qui va cacher les souffrances du moteur. Bordel, je demande pas des sièges chauffants, mais un taco qui passe le contrôle technique sans aligner de biftons au mécano ce serait pas un luxe.
L’avantage c’est que c’est sûr que là, je risque pas de passer pour un gouvernemental ou affilié, plutôt pour un con. C’est peut-être pour ça en fait, les coupes budgétaires. C’est pour faire réaliste.
Le GPS m’indique un bâtiment en zone commerciale, des sortes de bureaux en préfab pour les entreprises sans le sou. Le genre de bâtiment qui n’intéresse personne. Je vois déjà la gueule du bousin tellement s’en est prévisible : hall au rez-de chaussé, des bureaux en alcôve au premier pour donner le change et la planque au second.
Deux trois voitures sur le parking de devant, des badauds venus profiter du resto chinois d’en face.
Je me gare discrètement à l’arrière et passe par l’entrée de service. La clé qu’on m’a filé glisse dans la serrure et j’arrive directement dans un couloir technique. La cage d’escalier n'est pas loin, je monte. Arrivé au premier, je jette un œil, je vois les bureaux miteux d’open space ringard ; gagné. Ils ont vraiment du mal à se renouveler sur les planques.
Je continue l'ascension et j’arrive rapidement au second. Cette fois, une porte me barre la route ; encore gagné, ça doit être la planque. Nouvelle clé, ça tourne bien. Je toque selon le signal convenu et ouvre dans la foulée, pas de temps à perdre. Je suis un peu heureux de revoir cette tête de con de Phil, et je me précipite dans ce qui se révèle être un salon.
"Alors Philoche, on attend les renforts ?"
Silence. Cinq pignoufs en blouson me regardent comme s’ils avaient vu la vierge.
Merde.
Pour une bonne planque, il faut toujours deux entrées, pour se barrer en cas de pépin.
J’ai oublié de surveiller l’autre. Remarque, eux aussi. Un partout.
Le premier est devant moi, à peine deux mètres, une arme à la ceinture et une barre chocolatée dans les mains. Un type est en train de fouiller dans un placard à côté de lui alors qu’au loin, deux connards encadrent une porte, des cracheurs à la ceinture.
Re merde.
Là, c’est le moment très spécifique du calme avant la tempête, l’instant précis donné par Dieu aux hommes pour chier dans leurs frocs afin de ne pas avoir à le faire pendant la sauce ; pour être sûr de savoir que tu vas mourir le cul plein de merde, plutôt que de psychoter sur le pet de trouille de trop.
Le peigne cul le plus proche de moi, le plus jeune du tas, me regarde avec des yeux de chevreuil devant un phare de bagnole. Le gamin sait pas encore ce qu’il va lui arriver sur le râble, mais son visage va comprendre plus vite que son cerveau : faut dire que ma pogne va un peu aider. J’aime pas laisser passer l’ange trop longtemps ; il a pas le temps de réaliser la situation que ma chevalière lui titille déjà le fond de l'amygdale avec que sa joue pour amortir. Les dents partent comme du maïs au feu ; son voisin n'a pas le temps de comprendre pourquoi il grêle des machins gros comme des molaires dans un salon qu’il se prend déjà ma botte dans les bijoux, et ça lui remonte tellement loin dans le fondement qu’il pourrait se pisser sur la rate. Il tombe à la renverse en bavant alors que le premier touche déjà le sol en convulsant ; mais pas le temps de niaiser, les deux types du fond ont déjà dégainé leurs pétards.
Une inspiration pour se donner du courage plus tard et je fais voler la table. Une vieillerie en chêne, ça pèse un âne mort mais ça amortit les cachous ; et en parlant de cachous, ça commence déjà à pleuvoir : le type joue du crachoir, ça pétarade à l’aveugle en hurlant. Au-delà de ma table renversée, deux connards, et de mon côté, une chaise pétée et un mini bar. Je me jette dessus comme un diable pendant qu’une nouvelle bastos me siffle dans les oreilles. Je trouve une bonne grosse bouteille de jaune pas bien entamé, parfait. J’entends gueuler la raclure au flingue :
"C’est qui ce type bordel ?
— C’est moi !"
L’épaule svelte, le mouvement qui part bien du bassin, la bouteille qui part parfaitement droite. Ça le surprend, mais le mec est rapide : une balle réflexe, la bouteille explose au dernier moment : mauvais plan ça, de tirer sur un truc qui vous arrive droit dans la gueule. La balle siffle au-dessus de moi alors que le verre lui lacère la gueule comme du shrapnell, mais le pastis ça désinfecte. Il hurle et s'écroule, faut dire que ça réchauffe. Je vois son pote se tourner vers lui paniqué : là encore, mauvais réflexe. Notez que je ne vais pas m’en plaindre, surtout que j’ai déjà ramassé une autre munition dans le mini bar : du porto, qui, lui, touche directement sa cible. Le cul de bouteille lui enfonce la tempe, mais la bouteille tient : de la qualité. J'enjambe mon couvert et le couillon n'a pas le temps de compter les chandelles qu’il se prend tout mon poids dans les côtes. Je le plaque au sol et me jette sur son bras droit pour lui prendre son arme, mais ce con l’a déjà lâchée. Le temps que je tourne la tête, sa main gauche est déjà sur son étui de couteau. Pas le temps de changer de prise, j’opte pour le tout ou rien, je lui martèle la trogne, trois coups secs. J’avais entendu le couteau lui tomber de sa main au premier, mais on ne va pas se montrer pingre. Une fois sa gueule bien refaite à mon goût - je suis pas artiste, mais à ce stade c’est du cubisme - je me relève en grognant. J'entends gueuler derrière moi.
Pas le temps de réagir.
Merde.
Le dos qui prend la sauce, ça cogne. L’abruti de jeunot s'était relevé et m'avait fracassé une chaise sur le dos. Je sais que c’était une chaise, j’ai vu les pieds partir devant moi quand la chaise s'est disloquée. Je chancelle, me rattrape in extremis ; ça fait mal. Très mal. Cela va laisser un bleu, une belle barre qui va me faire le mois… Et ça, c’est un problème. Je ne vais pas mentir, le fait de me faire tirer dessus m’avait déjà bien foutu en rogne. La douleur aussi, ça m'avait pas calmé. Mais là, la marque, ça m’avait mis hors de moi. J’aime pas les bleus, quand je reviens avec ça inquiète madame et derrière, elle m’engueule, sans doute pas à tort. Pendant que j’ai le genou à terre, j’en profite pour ramasser un pied de chaise. Je me relève et je me retourne pour lui faire face. Il bouge pas, je l’écrase de toute ma carrure, je dois bien faire une tête de plus et deux fois son poids. Cette fois, il a bien compris ce qu’il se passe. Il a toujours ses yeux de chevreuil, mais cette fois il a bien compris que la bagnole était en train de se relever, et que c’était pas avec son assise de chaise à la con dans les pognes et ses dents sur le tapis qu’il allait m'arrêter. Un nouvel ange est passé, et quelque chose me dit que cette fois, il n'allait pas s’en tirer avec un pantalon propre.
J’aime pas la violence, mais je reconnais une vertu cathartique à ce qui a suivi. Je passe les détails, je voudrais pas choquer, mais bordel que ça fait du bien. Enfin à moi plus qu’à lui, j’espère qu’il aime boire à la paille et qu’il a une bonne mutuelle. Ou une femme qui s’inquiète moins que la mienne. Quoique la sienne aurait ses raisons.
Je ramasse un flingue par terre, je désarme rapidement les autres en reprenant mon souffle. Je m’étire, le dos le fait un mal de chien, ce salaud ne m'a pas raté. Une fois la salle un peu plus sécurisée, je sors mon téléphone et appelle Phil'. J’entends son téléphone sonner dans la pièce, ce con l’avait laissé à charger sur un table basse. Changement de plan. Je gonfle les poumons et hurle, on va tenter un truc.
"PHIL', ABRUTI DE CON DE TA RACE, TON TÉLÉPHONE, TOUJOURS AVEC TOI !"
J’entends des excuses bafouillées derrière la porte qui intéressait les deux truands du fond. Il n'est donc ni mort, ni capturé. Bien. Je m’assoie dans le canapé le temps qu’il déverrouille la porte et pousse les meubles mis en barricade de son côté.
La porte finit par s'ouvrir, alors que mon idiot préféré laisse enfin dépasser sa trogne de l'ouverture, encadrée de ses deux favoris, taillés plus court que d'habitude.
"Putain, heureux de te voir frangin, j'ai cru qu'on était morts.
— Ça va, pas blessé ?
— Non, et toi ?
— Un mauvais coup, mais ça va. Mieux qu'eux."
Il regarde l'état du salon, puis des mecs par terre.
"T'as pas perdu la main, ça fait plaisir."
Il tremble. Il a du mal avec tout ça. C'est pas son truc.
"Et le colis, il est là ?
— Dans l'arrière salle, je lui ai dit de ne pas bouger.
— Allez, va chercher ton portable et appelle Roxanne, je gère l’autre. Ça te va ?
— Très bien. Au passage, t’aurais pas une clope ?"
Je lui tape dans le dos avec un petit sourire et passe la porte. Une petite antichambre, qui mène à une seconde pièce, une chambre, sans doute.
J’ouvre la seconde porte. Assis sur un lit, en plein soleil, un mec me regarde avec intérêt. Une petite moustache à l’italienne et une dégaine à la Gomez Addams, il se tient jambes serrées, comme un premier de classe, les épaules droites dans son costume noir. En plein soleil, histoire de donner un bon angle à un tireur potentiel. Il me regarde connement, les dents dehors, une plante verte dans les mains. Je lui tends la pogne.
"Jacques, enchanté."
Il se lève et me tend le pot de fleur.
"Darius, de même."
Un peu confus, je pose les mains pour prendre le pot mais il ne le lâche pas.
"Non, pas le pot, la feuille !
— La feuille ?
— Et bien, serrez-moi la feuille !
— Hein ?
— Je suis Darius !
— Oui, et ?
— Darius, le ficus !"
Devant moi, la feuille s’agite. C’était pas le vent.
Je le regarde en biais, l’air suspicieux.
"Oh ! Vous ne comprenez pas ? C’est parce que j’utilise une bouche c’est ça ? Toutes mes excuses, mon bon monsieur, il ne s’agit là que d’un emprunt.
— Qu’est-ce-que t’es, toi…
— Un ficus !" Me répond-il, tout sourire. "Pour être précis, je suis une bouture de W-467, produit Wondertainment. Serrez-moi la feuille, soyons amis !"
Là, ça commençait à devenir mystique. Je lui saisis délicatement la feuille et la plante ronronne. C’est pas commun.
"Je ne savais pas que Wondertainement faisait dans le sentiment maintenant…
— Cela n’a pas duré longtemps. Ma ligne de produit devait servir aux enfants qui souhaitaient avoir un animal à soi, mais dont les parents ne voulaient pas. Mais je suis bien meilleur qu’un chien : j’ai des feuilles !
— Et la capacité de parasiter le cerveau d’un type ?
— Oui !" Me dit-il sans toucher à son rictus heureux. "Le bon docteur voulait un service autonome et cette faculté me permet d'acquérir la motricité suffisante pour m’arroser moi même si l’enfant oublie.
— Et le type là, que t’as pris, c’est qui ?
— Bojan. C’est lui qui a ouvert le placard dans lequel on m’avait enfermé.
— Attends, Bojan… LE Bojan ? Bojan le surin ?
— Lui-même !"
Un salopard de la pire engeance, un tueur dont le portrait approximatif devait hanter les classeurs de la CMO depuis la Yougoslavie.
"Et… Tu risques pas de le lâcher, celui-là, rassure moi ?
— J’ai proposé à monsieur Philippe de le faire, mais on me l’a vivement déconseillé.
— Parfait, tu continues.
— Bien sûr, monsieur Jacques !"
Je regarde vite fait par la fenêtre en faisant la conversation.
"Et comment tu t’es retrouvé dans ce placard ?
— Avant, j'étais sur un bureau."
Deux voitures noires, vides. Sans doute les connards comateux dans le salon.
"Celui d’Alfred Méniard. Alfred, c’était mon meilleur copain ! On se connaissait depuis le jour de ses 10 ans, et il n’oubliait jamais ni l’eau ni le soleil !"
J’ai un mauvais pressentiment. En théorie, ils pourraient être plus que ça. Il va falloir repasser par l’arrière, dans le doute.
"Mais il est mort."
Je me tourne vers lui. Il hausse les épaules en souriant.
"Ça arrive. Une autre personne s'est assise sur sa chaise ensuite. J’ai essayé d’être ami avec, mais ça n’a pas marché. Alors on m’a mis au placard, avec les autres jouets. Mais je ne suis pas un jouet vous savez ! Je suis un être vivant ! Donc je me suis enfui, pour trouver un nouveau maître. Il paraît que vous prenez soin des gens comme moi. C’est vrai ?"
Je le regarde de plus près. Il a les zygomatiques toujours tendus.
"Vous savez, je n’ai besoin que d’un peu d’eau et de soleil, je ne souhaite pas déranger !"
Depuis tout à l’heure, il n’avait pas cligné des yeux.
Il s'en est rendu compte alors que je fixais la larme qui commençait à couler de ses yeux secs. Il a fermé doucement, très lentement ses paupières, avant de les rouvrir.
"Désolé… J'oublie tout le temps qu’il faut faire ça.
— Déjà, on va essayer de te faire sortir de là. Suis moi."
Je retourne dans le salon, et il m'emboîte le pas. Phil est encore au téléphone avec Roxanne. Darius regarde les hommes par terre.
"C’est de vous ?
— Ouaip.
— Vous devez vous battre rudement bien !
— Ouaip.
— On vous a appris ?
— Ouaip.
— Qui ça ?
— Une bonne sœur.
— Elle était forte ?
— Ouaip. "Tape toujours en premier" qu’elle disait. "T’as qu’une occasion pour ça, alors que t’as toute ta vie pour demander pardon à Dieu" qu’elle disait. Une sacrée bonne femme. Elle est en taule, là.
— Moi aussi, j’ai des amis là-bas ! Vous croyez qu’ils peuvent se connaître ?"
Phil raccroche et se tourne vers nous. "J’ai eu Rox. Les renforts sont en chemin, mais si on est compromis, elle préfère qu’on s’arrache maintenant. Un fourgon vient à notre rencontre pour l’escorte. C’était pas prévu, mais c’est au mieux."
Je jette un coup d'œil au colis. Pendant qu’on cause, il regarde les pignoufs à terre, colle des noms sur certains visages tuméfiés, ça l’occupe.
"Ça marche, on passe par derrière. Tu sais si les mecs qui sont là sont le régiment complet ou s'ils ont divisé les troupes ?
— Aucune idée.
— Moi je sais !" Répond Darius.
Phil et moi le regardons, attentif, alors qu’il cligne des yeux le plus lentement du monde.
"Il manque le gros !
Le gros ?
— Je crois qu’ils l'appellent le grec. Mais il est gros."
La goute de sueur qui vous perle le dos, qui vous descend sur le ventre pour vous prendre aux tripes, alors que les poils se hérissent. Dans la vie, il y a des bonnes nouvelles, des mauvaises et des très mauvaises. Ça c’est la dernière catégorie.
"Répète ?
— Le grec !"
Il me regarde sans comprendre pourquoi Phil' et moi on tire la gueule. Il sourit plus fort. Je craque.
"Arrête de sourire. Arrête-moi tout de suite ce sourire de gland, là. Attends, tu ne connais pas bien ce malade là, y’a pas à rire là. Si ce type est à nos trousses, on est mal, très mal.
C’est un monstre. Pas un homme, un putain de monstre. J’en ai connu des arracheurs de dent, mais lui c’est un arracheur de tête. Des bras comme des mollets, des paluches comme des assiettes et des doigts comme des casse-noix. Quand il te chope au visage, c’est plus une tête que t’as, c’est une orange. T’as pas vu la trogne des gars qu’on a retrouvés dans le canal, t’as pas entendu les histoires qui circulent sur lui. Quand il est rentré dans le milieu, il a commencé à bosser pour les chicots, un groupe d'allumés amateurs de rottweiler. Ils les élevaient à la viande et c’était pas de l’agneau. Du paumé, du marginal dans la gamelle toutes les semaines, des bestiaux qui te bouffaient leur homme plus vite qu’un porc. Et ils ont fini par le virer, car il faisait peur aux chiens.
Ce connard a des cimetières qui portent son nom ; à Montpellier il a sauvé deux crématoires de la faillite à lui tout seul. La gendastrerie a passé 10 ans à lui courir après pour passer les 10 années suivantes à l’éviter ; il y a des nettoyeurs qui ont fini en burnout à la vue de certaines scènes de crime. Et ne va pas croire que les mecs qu’il a descendu étaient des enfants de cœur. Enfin il y en avait, mais le modèle troupe de choc des affaires para de la papauté, donc pas sans défense, retrouvés en morceaux dans un bénitier. Et il y a pas eu qu’eux. Yuri les trois mains, Farik l’horloger, Maurice le flingué… Des types du milieu recherchés par PANGEA depuis des lustres, retrouvés désossés comme des jambons au petit matin, des mecs qui pouvaient te descendre un commissariat chacun sans forcer. L’engin, on le suit pas à la trace, mais aux cadavres, enfin plutôt aux parties qu’on en retrouve.
Et tu sais pas le pire, c’est que quand il te prend pour cible, il te lâche pas. Jamais. Et va pas croire que tu pourras t’en sortir en priant s'il te chope, ce mec n’a aucune pitié. On voudrait croire que sous des airs de brute, il y a un semblant de cœur, un truc sec à réhydrater, mais non, rien. On aimerait alors que ce taré ait un hobby, des maquettes à la con ou un herbier, quelque chose auquel on pourrait rattacher un semblant d’humanité, mais non plus. D’après les officiers qui ont bossé dessus avant de finir à la Salpêtrière, entre deux carnages, il ne faisait absolument rien. Il restait chez lui, se faisait livrer et restait assis devant une télévision éteinte, à fixer l’écran gris. Toute la journée, à attendre une nouvelle cible. Un nouvel ordre. C’est un robot, une machine biologique, un tueur. 30 kilos d’os, 120 de muscles et le reste c’est pas du gras, c’est de la haine. Et là, avec ton air enjoué à la con, t’es en train de me dire ce mec peut débarquer d’une seconde à l’autre, c’est ça ?
— Oui !" Répondit Darius avec un grand sourire, naïvement heureux de savoir répondre à la question.
Je lance les clés à Phil’.
"Phil', va démarrer le camion, je guette devant pour voir si c’est libre. Et toi la plante verte, tu restes là, tu ne bouges pas. C’est pas le tout mais va pas falloir traîner. Allez Phil, on se magne et si tout va b…"
Un grand bruit. Je me retourne.
Phil’ vole au travers de la salle et ça a beau être un drôle d'oiseau, c'est pas le genre de la maison. L’effet doppler écharpe son cri, interrompu en même temps que le bougre par le mur.
C’est là que je le vois. Le monstre. Le grec.
Avec ma carrure, on a pas souvent l’occasion de me regarder de haut, mais là, j’en mène pas large. Un monstre. Il se baisse et passe le dormant de la porte en diagonale, faut croire que l’ouverture de base suffit pas pour faire passer ses épaules de bovin de face. Une tête de plus que moi, tout en muscle, il a même pas de cou. Ou alors c’est aussi des muscles. Je ne comprends pas comment le mec est foutu, c’est pas humain. Il me lance un regard flippant. Il sourit pas, jamais je pense, et me regarde comme un croco regarde un bout de viande. Pas un regard intelligent ou espiègle, comme un chat devant une souris, mais quelque chose d’animal, de froid, de glacial. Il a la mâchoire tellement carrée qu’on pourrait s’en servir d'équerre, un nez si aplati par des années de castagne qu’on pourrait s’y péter les phalanges dessus. La veine sur son front est tellement contractée qu’on croirait un cartoon. Il plonge en avant sans un mot, juste une inspiration. Je lance un juron pour faire la conversation, je dégaine et je tire.
Je lui fous deux cachous dans le râble, un dans l’épaule, mais ça ne ralentit même pas la bête. Je savais pas qu’un tas de chair aussi massif pouvait se déplacer aussi vite, j’ai vu des ours courir moins vite. C’est une machine, un train qui m’arrive directement dans la gueule. Il m’écarte la main droite d’une claque, impossible de lutter. Il y met tellement de force que ça m’emporte et comme un con, je lui tends la joue sans le vouloir ! Dans le mouvement. Ça manque pas, j’ai pas le temps de monter ma garde à gauche que j’ai son poing dans la gueule. Et quelle force putain, c’est pas de la peau qu’il a sur les doigts, c’est de la fonte. Groggy en un coup, je vois les chandelles, ça faisait longtemps. Je sais que j'arrêterai pas le suivant dans cet état mais je sais qu’il vient, alors je me replie sur mon jeu de jambes. J’ai à peine le temps de pivoter que sa pogne me frôle le pif de justesse. Je reprends vite mes esprits et lui lance un sourire carnassier. J'enchaîne les jab dans les côtes. Il s’en fout ; je m’y défonce les pattes, je tape dans une saloperie de mur. Il lance un cri pour la première fois et repart à l’assaut ; cette fois-ci ma garde est prête, mais pas sûr que ça change grand chose. À chaque coup, je recule d’un pas, j’ai l’impression qu’il m’attaque les bras à la latte. À chaque beigne, je me demande si l’os va tenir tellement ça secoue. Je finis par repasser à l’attaque, je vise l’épaule que j’avais trouée : c’est sale mais à ce stade, c’est secondaire. Le mec moufte pas et continue le pressing, j’ai à peine le temps de revenir en position que ça recommence.
Il crache pas, il sue pas : il avance, encore et encore. Il presse, il force, il écrase, il broie, sans un seul rictus. Des armoires à glace, j’en ai tombé, mais des types qui se prennent trois bastos sans flancher c’est hors compétition. En désespoir, je lance ma jambe, je vise le foie. J’ai toujours été plutôt fier de ma détente, et le coup est bien placé, mais le grec ne recule même pas. Sur la force du coup, c’est moi qui chavire. Je manque de me vautrer et me rattrape de justesse, mais il est reparti au contact. J’ai pas le temps de me repositionner que je sens sa main au niveau de la taille. Il m’attrape comme un oreiller et presse ; j’ai l’impression d’une chaîne tirée par une moto qui me lacère au niveau du ventre. Je lui mets des grands coups de coude pour lui faire lâcher prise, mais vous connaissez la chanson, rien. Il veut m'amener au sol, je le sens se pencher en avant.
Je ne peux rien faire.
Son poids m’écrase, une bagnole qui me tombe dessus. Je vois un truc bouger en périphérie, par réflexe je lève la main, qui se retrouve directement bloquée entre ma gorge et sa pogne. Ça m'a sans doute sauvé la vie, mais ça a l’air de le contrarier un peu. Il libère son étreinte à la taille pour gagner une main, et son poids me maintient au sol. Je ne peux pas libérer mon bras, sinon il m’étouffe. Il presse dessus comme un beutiot. Avec ma seconde pogne, je frappe comme je peux, mais la sanction arrive. Il lève le poing de sa main fraîchement libérée et abat la sentence. Ça c’était le marteau, le carrelage, l'enclume, et ma gueule, bientôt plus grand chose. Je manque de perdre conscience au premier coup, je sens ma moustache se gonfler de sang, il vient de m’éclater le nez, ce fumier. Il réarme. Au second coup, je tente de me débattre et c’est la mâchoire qui prend. La douleur est pas croyable. Le troisième coup, j’arrive enfin à placer mon bras libre en opposition. Il me saisit la main et serre. Un broyeur ; il est en train de me péter tous les doigts. Je hurle et manque de m’étouffer dans mon sang. Je perds définitivement mon modjo et le quatrième coup de marteau tombe, à l’improviste. La commotion ; je vois flou. Je relâche les muscles, ça ne sert plus à rien à ce stade. Un monstre. KO, couché de rideau, au revoir messieurs dames.
À ce stade, j’attends mon ticket pour la guitoune de Saint Pierre, en espérant qu'il ne soit pas trop vache. Je sens sa main saisir ma gorge. Ben ouais, bravo champion, t’as lâché prise et il l’a vu. Je lui attrape le bras par désespoir, mais ça ne servira à rien. Je serre même pas, c’est plus que pour le principe, à ce stade.
Sa pogne monstrueuse se lève, j’ai l’arcade éclatée et du sang plein l'œil, mais même flou je vois bien ce qui m’attend. J’vais claquer en entendant le bruit de mon crâne qui éclate.
"Excusez-moi, monsieur ?"
Ça fait pas ce bruit là, un crâne qui éclate.
Darius, droit comme un piquet, s'était rapproché et regardait le grec droit dans les yeux.
"Ça ne sert à rien de s’en prendre à mon nouvel ami ici présent. J’ai décidé de partir de moi-même, car mes services n’étaient plus requis par votre employeur. Il s’agit d’un malentendu, je crois. On ne m’a pas kidnappé, vous voyez, je vais très bien !"
Le grec me regarde, je lui crache du sang sur sa manche de veste. J’arrive plus à respirer de toute façon. Il tourne son regard vers Darius. Il me lâche.
Il se relève de toute sa masse, la montagne, m'enjambe et s’approche de la plante verte. Je vois l’épaule s’armer et ça redémarre. Une mandale, un missile.
Darius vole, l’homme s’éclate par terre, la plante en pot aussi. La poterie se brise à l’impact.
Le type se relève, un peu désorienté, tout ça pour voir le grec lui foncer dessus. Sauf que là, l’autre ours, il lui manquait une info. Ça se voyait sur la trogne du mec. Moi je l’ai vu, pas lui, il a pas compris.
Darius sourit. Toujours.
L’homme ne souriait pas. C’était le retour de Bojan le surin.
Il y a des moments dans la vie qui te remettent à ta place, qui te font comprendre des trucs. En général, le fait que t’aies été con comme une pelle. Ici, c’était ça.
J’ai toujours eu un physique avantageux, j’ai toujours été bon bagarreur, mais faut se rendre à l’évidence. Je ne suis pas dans la même cour que ces deux-là, ou plutôt ce sont eux qui ne sont pas dans la même cour que moi. Le temps que je cligne des yeux, Bojan avait déjà sorti un couteau de je ne sais où et commençait à taillader le grec. Le mec dansait autour du monstre, une vitesse pas croyable, évitant les coups avec une justesse insolente. Une putain d’anguille. Difficile à dire parce que j’avais encore du sang dans l’œil droit et le gauche en coquard, mais j’aurais presque dit que sa lame dansait aussi… Et pas forcément au même endroit que lui.
Mais j’ai autre chose à faire, là. Je rampe jusqu’au mur, m'agrippe à un coin de porte et essaye de me relever. Au premier essai, je flanche. J’ai les sens en vrac, je manque de vomir. La deuxième est la bonne. Et je me relève péniblement, centimètre par centimètre. Je regarde l’ouverture de la porte pour me donner une ligne droite dans ce bordel, pour pas gerber. J’arrive enfin debout. Je réalise que j’ai plus mon pétard, j’ai dû le perdre au premier coup, ou au deuxième, je sais pas bien. Phil est par terre, inerte. Le ficus aussi. Les deux autres monstres se battent encore ; je crois que le grec s’énerve, ou alors il se marre, je ne sais pas et je veux pas savoir. Il pisse plus de sang qu’un écorché de Fragonard et Bojan continue de le harceler avec sa lame.
Je veux pas savoir qui gagnera ce combat non plus. Survivre, c’est déjà un bel objectif. Sauver Phil aussi.
En titubant, j'arrive à l’atteindre. Il respire. Bien.
Feignasse.
Je commence à le tracter. Le ficus est trop loin et hors de question que je traverse la pièce alors que les deux guignols s’écharpent encore. Le grec vient d’éclater une table à mains nues, le surin vient de le planter dans le dos tout en lui faisant face, c’est pas ma guerre.
Phil est lourd. Je tire. Je trébuche. Il faut qu’on se barre de là. Vite. Je me relève. Je recommence. Je crache un glaviot de sang, je manque de m’étouffer et grappille encore un mètre ou deux. On s’approche de l'ouverture de la porte. Ça va le faire. On va s’en tirer.
J’entends un bruit, un cri.
À ce stade, le salon est une mare de sang du grec. Bojan a fini par faire une connerie. Il a glissé dessus et le grec l’a pas loupé. Ses énormes pognes lui saisissent la tête, on ne distingue qu’à peine quelques cheveux qui en dépassent. Une des deux mains géantes se déporte sur l’épaule, l'autre essaye de se débattre. Le grec tire.
L’oreille interne en vrac, c’est une chose, mais ça, c’était de trop pour mon système gastrique.
Là, j’ai vomi.
Un craquement, ou plutôt un déchirement, et le cou du surin s’est allongé de vingt bons centimètres. Il bouge plus.
Le grec respire comme un bœuf. Pendant quatre secondes. Son souffle se stabilise, il lâche Bojan, le feu surin. Les deux morceaux. Il me regarde.
Je suis couvert de sang, de vomi, j’ai la gueule éclatée. Je tousse en m’appuyant dans l’ouverture de la porte en lâchant plus de sang que de glaire.
Il marche. Il sait que je ne peux pas courir de toute manière.
Il longe le mur, comme un requin qui joue avec sa proie. Il ramasse le ficus, maintenant hors de son pot brisé. Sur sa manche, le sang se mêle à la terre. Il ne m’a pas quitté des yeux.
J’ai lâché Phil et j’ai monté les poings en garde, par réflexe.
Il fait un pas vers moi.
Je pense à ma blonde, qui n'avait finalement pas tort de se faire du mouron sur ma pomme.
Il fait un pas de plus.
Je pense à mon chien, ce satané clébard bon qu’à baiser des coussins. J’adore ce clebs.
Ses pas résonnent, font trembler le plancher à chaque appui.
Je suis content d’avoir pensé à ma femme en premier, mais je vais vraiment mourir en pensant à mon chien ? Et Phil ? Roxanne ?
La bête s’approche encore, stoïque, mécanique. Un pas de plus et il sera à portée de combattre.
Au moins, je partirai debout.
Il est proche. Très proche. Je sens son souffle sur mes plaies, c'est-à-dire une bonne partie de mon visage à ce stade.
Il me regarde. Me juge. Mais quelque chose cloche.
Au coin de son immense gueule, s’active un muscle sans doute rarement utilisé. La lèvre se lève, révélant une rangée de dents de crocodile.
Le grec sourit. Un putain de sourire de con.
"Toutes mes excuses, monsieur, vous m’aviez dit de ne pas bouger, mais j’ai bien peur de m’être laissé distraire. Je sais que vous m’aviez également dit de conserver Bojan en maintenance, mais celui-ci n’est plus vraiment en état. Si cela vous va, je peux conserver celui-ci."
Je le regarde. Il s’est pris trois cachous, s’est fait lacérer de toutes parts et sa chemise, en morceaux, baigne dans le sang.
"Vous allez bien, monsieur Jacques ?"
Je baisse la garde, fait trois pas et m'effondre dos au mur. Le grec, enfin Darius, se penche sur Phil'. Il lui tapote la joue pour le réveiller, mais on dirait des baffes avec sa carrure. De ma main encore valide, je sors mon portable, j’envoie un message à Roxanne pour dire que l’équipe devra venir sur place. Ce n'est pas moi qui vais conduire dans cet état.
Phil’ grommelle au loin, il retrouve peu à peu conscience. Bien.
"Vous avez une petite mine, monsieur Jacques. Vous avez le visage tout rouge.
— Mieux f’aut ça ‘e ‘lanc…"
Merde. Mâchoire pétée, je peux plus aligner trois mots. Il me tend un mouchoir, qu’il a ramassé je ne sais pas où. Plus qu'à attendre la cavalerie. Il s’assoie en face de moi, et il a quand même l’air debout. Il tient ses racines dans les mains, comme pour les tenir au chaud.
"Je suis désolé des quelques coups que vous avez eu à subir à cause de moi…"
Je lui dirais bien que c’est pas la peine de faire la conversation, mais ça pourrait littéralement m’arracher la gueule.
"Mais vous savez, vous ne le regretterez pas, j’ai plein d’informations utiles pour une organisation aussi prestigieuse que la vôtre !"
Son enthousiasme dénote avec la voie du grec, grave, caverneuse.
"Alfred avait l’habitude de me lire toutes sortes de livres, j’ai pu enregistrer une bonne quantité d’information, vous savez !"
Livre de compte, rapport d’activité… Tu m’étonnes, les analystes vont bander si dur qu’ils vont en trouer leurs frocs…
"Vos scientifiques vont se régaler !"
C’est clair qu’une plante qui parle, ça va les intéresser…
"Par exemple, vous saviez que Boquila Trifoliolata, une plante américaine, pouvait imiter les autres plantes ? Et même plusieurs en même temps ! Vous ne le saviez pas, non ?"
Je le regarde, perdu. Sincèrement perdu.
"Et je pense que vos scientifiques non plus ! C’est une information très rare. 1001 faits remarquables sur les plantes, aux éditions Deschamps."
Je lève un sourcil.
"Mon livre préféré et celui d’Alfred. Je parie que vous découvrez ce prodige, non ? Et ce n’est même pas mon plus grand secret !"
Plus tard, le doc' m’a dit que j’avais un trauma crânien, le nez en miettes, 7 phalanges brisées, la mâchoire en vrac, des hématomes à plus savoir quoi en foutre et deux côtes fêlées suite à ma rencontre avec le grec. Je jurerais que les côtes, c’est là que je me les suis pétées, en riant avant de tomber dans les vapes.