Il est bien difficile de savoir comment vous réagiriez devant le cadavre de votre amie, de votre collègue ou bien même d'une personne qui vous tenait à cœur.
Certaines personnes détournent le regard, d'autres ne font qu'observer la scène en essayant de se dire que ce n'est qu'une horrible sensation de cauchemar, pourtant bien réelle. On dit même que certaines personnes, tellement choquées par cette macabre découverte, seraient capables de voir leur esprit fuir leur propre corps pour hanter le lieu du traumatisme, devenant un Ikiryo, un fantôme vivant.
Mais certaines personnes pouvaient aussi, tout simplement, ne rien montrer. C'était le cas de Kobayashi Hanae, qui ne présentait aucune réaction face au cadavre de sa sœur.
Depuis leur enfance, les jumelles Kobayashi, Hanae et Hanami, avaient appris à ne pas dévoiler leurs sentiments en public, encore moins lorsque ces sentiments étaient négatifs, risquant de montrer leurs faiblesses. Elles avaient été habituées à cette éducation et même lors de la mort de l'une d'elle, l'autre devait prendre sur elle. Cacher ses sentiments est primordial, surtout en plein travail.
Ni sa colère, ni sa rancœur, ni sa tristesse ne devaient être dévoilées auprès des collègues à ses côtés, collègues inspectant minutieusement la scène de crime à la recherche du moindre indice qui pourrait expliquer ce que la sœur Kobayashi avait pu vivre.
Hanae fixa ce qui restait de son adelphe ; il ne fallait pas être un génie pour comprendre que sa mort avait un lien avec le monde anormal, monde où Hanami baignait depuis quelques mois en tant que taupe au sein de l'Association des Utilisateurs de Magie Noire.
C'était devenu une double vie.
La femme s'était préparée à cette idée que la "double vie" de sa sœur deviendrait probablement sa dernière.
Il y avait une chance que leur prochaine rencontre se déroulerait ainsi, mais au fond d'elle, elle avait tant espéré, tant prié pour que sa sœur finisse son travail sans difficulté et qu'après tout ça, elle serait de retour au sein de la Fondation.
Les deux seraient parties boire des bières en fin de journée, des collègues les auraient rejointes et tout le monde rigolerait, discutant de ce que Hanami avait bien pu apprendre durant son séjour.
Tout ça tomba en morceaux, comme une bonne partie du corps de la victime.
Elle avait pris ses précautions pour ne pas dévoiler son identité mais parfois, ce n'était pas suffisant.
À cause de cette petite erreur, elle était morte, et sa mort était le départ d'une suite de dominos, une boule de neige qui ne fera que grossir, un battement d'aile de papillon qui n'allait pas tarder à créer un ouragan.
Les morceaux de chair de la femme s'étalaient le long de la nappe blanche couverte de divers signes brodés. Les poignets d'Hanami avaient été séparés de ses bras, telle une poupée de porcelaine brisée sur le sol.
Elle était cassée. Un trou béant se trouvait au niveau des côtes du cadavre. Son rein droit se trouvait là, juste à côté de la cavité percée. Hanae observa le rein du coin de l’œil et fronça les sourcils en remarquant les jointures d'or qui parcouraient l'organe. Une tache dorée se trouvait sur le rein, rejoignant une autre. Hanae se rapprocha d'un pas lourd du corps afin d'observer la scène dans sa globalité, se penchant vers les morceaux de poignet et là aussi se trouvaient des jointures d'or, des cicatrices dorées réparant les membres brisés. Il était évident que la personne derrière ce spectacle macabre s'y connaissait bien en réparation et il était aussi évident qu'elle avait été prise de court, ayant du fuir les lieux avant de finir son œuvre.
"Nous sommes sincèrement désolés de vous avoir amenée ici, Kobayashi."
Hanae se tourna vers la silhouette qui venait de prononcer ces mots. Elle ne répondit pas, ne faisant qu'un petit signe de tête pour inviter son interlocuteur à continuer. Elle le scruta, essayant de distinguer les détails de l'homme qui lui parlait mais tout ce qu'elle pouvait voir de son collègue était ses gants blancs qui s'agitaient dans l'ombre pendant qu'il continuait son discours.
"Vous confirmez bien qu'il s'agit de Kobayashi Hanami ?"
La voix de la silhouette était douce, essayant de se montrer un minimum empathique vis à vis de la situation de sa collègue. Gêné par le silence qui commençait à peser sur la discussion, les gants blancs sortirent un mouchoir de la même couleur d'on-ne-sait-où et l'élevèrent là où devait probablement se trouver son visage afin de tousser dedans, visiblement gêné de la situation.
Hanae ouvrit la bouche, se préparant à répondre. Son esprit se figea, son cœur battait si fort qu'elle s'attendait à ce qu'il sorte de son thorax, sa vue se brouilla un instant pendant qu'une sensation étrange envahissait sa gorge et son ventre, comme si une main agrippait ses cordes vocales ainsi que son estomac pour tordre ses organes.
Elle aimerait dire que non, elle voudrait tant confirmer que le cadavre devant elle n'était pas celui de sa sœur, dire que ce n'était qu'une parfaite inconnue, mais elle connaissait la vérité et elle devait l'accepter.
Son regard se tourna vers la fenêtre dont les rideaux s'agitaient sous le vent et elle observa le paysage qui se dévoilait à elle.
Les rayons de soleil parcouraient la pièce, leurs lumières se reflétaient sur les feuilles d'or qui parsemaient le lieu du rituel macabre, éclairant la scène pourpre de reflets dorés. Elle resta silencieuse, contemplant le cadavre brisé parcouru de fissures dorés.
"Je confirme qu'il s'agit bien de Kobayashi Hanami, ma sœur."
Sa voix se brisa et le rideau tomba.
La photo d'Hanami Kobayashi se trouvait là, entourée de fleurs. Tous l'observaient une dernière fois, afin de graver dans leur mémoire le souvenir d'une femme, d'une collègue ou d'une sœur.
Hanae fixait ce portrait. La voix du sōryo, le moine bouddhiste qui appelait pour la veillée funèbre, s'éleva dans les airs, récitant des cantiques que le cerveau d'Hanae n'arrivait pas à comprendre tant la tristesse noyait son intellect. C'était déjà un miracle qu'elle ne se soit pas évanouie sous le stress et le désespoir de la situation.
Cette veillée funèbre était totalement prise en charge par la Fondation. Après tout, Hanami était morte pendant l'exercice de ses fonctions ; il fallait lui rendre honneur pour ses années de services.
Son pouce, son index et son majeur droit touchèrent avec douceur la poudre d'encens dans la petite boite. Ressentant chaque parcelle de la poudre du bout de ses doigts, elle les porta à la hauteur de son front. Elle inspira doucement, et sa main gauche se plaça devant l'encensoir. Frotta ses doigts, laissant les cendres tomber devant elle. Pria.
Elle avait vu ce rituel bon nombre de fois, y participant, mais elle aurait tout donné pour ne plus faire ce rituel de sitôt, encore moins pour sa propre sœur.
La lecture du moine se termina, le cercueil fut fermé.
Hanae se leva en compagnie des autres, rejoignant une salle à part afin de discuter avec eux, se rappeler des souvenirs en commun avec Hanami.
"Tu te souviens quand elle avait fait tomber la pile de dossiers de monsieur Sugiyama ? Il était tellement en colère qu'elle s'était pris trois jours de blâme. Vraiment, elle était si maladroite," s'écria un homme en éclatant de rire.
Le rire fut suivi par ceux d'autres personnes. Pour tous, cette histoire n'était qu'un simple souvenir d'une femme maladroite.
Pour Hanae, c'était totalement différent.
À ses yeux, cette histoire avait énormément blessé sa sœur, les jours de blâme avaient été pour elle particulièrement durs et sur le long terme, Sugiyama avait développé une rancœur auprès d'elle à cause de sa maladresse.
Elle ne portait pas cet homme dans son cœur pour cette raison. Mais elle se tut, même quand elle vit l'homme se joindre à la conversation et rire auprès de ses confrères de la maladresse de sa sœur. Pour les autres ce n'était que des souvenirs innocents, mais pas pour Hanami.
Le saké coula dans les verres et le riz fut mangé jusqu'au dernier grain.
Tous discutèrent avec Hanae, lui souhaitant leurs condoléances et lui offrant les enveloppes contenant l'offrande monétaire. Sugiyama s'approcha et se courba face à Hanae, l'enveloppe lui fut remise.
"Vous devez être sincèrement dévastée," lui souffla l'homme. "Ce fut une erreur de choisir mademoiselle Kobayashi pour cette mission. Quel destin tragique, mourir pendant un rituel Kintsugi. Elle a dû faire de son mieux."
La bouche d'Hanae s'ouvrit, essayant de chercher les mots. Elle devait répondre quelque chose, mais Sugiyama l'avait devancée. Les mots de son supérieur exerçaient une pression le long de ses épaules, son corps s'enfonçait dans le sol, ses poumons se vidaient de leur air.
Elle étouffa, la nausée lui monta long de sa gorge, l'acidité de son suc gastrique et du saké s'attaqua à son œsophage.
Elle hocha la tête en guise de réponse, restant muette pour sortir rapidement de la pièce en titubant. Son corps devenait si lourd, une carcasse inconnue, elle était devenue la marionnette de son propre cerveau et de son système nerveux, la forçant à rejoindre l'extérieur, alors qu'elle quittait la scène de la veillée funéraire.
Hanae se trouvait là, devant l'entrée du temple aux piliers de marbre et d'or qui se dressaient face à elle, imposants, leurs ombres se projetant sur elle au rythme des lanternes au plafond. La lumière des flammes dansait à travers les vitres des lampions, faisant bouger les ombres dans la nuit.
Dans sa main se trouvait cette invitation. Elle n'était pas nommée. Ce n'était qu'un simple bout de papier avec des bordures dorées, mais elle savait qu'il lui ouvrirait les portes pour sa mission.
Pas à pas, elle se mit à entamer la montée, passant le toriie qui marquait l'entrée du chemin à suivre. Les talons de sa paire de chaussures claquèrent le long des escaliers de pierre, et plus elle avançait, plus son cœur battait la chamade. Elle essayait de respirer à chaque pas, prenant son temps pour profiter de l'air pur qui envahissait ses poumons lors de la montée.
La Fondation lui avait offert une mission. C'était elle qui reprenait le flambeau de sa sœur, la remplaçant lors de cette soirée masquée organisée par l'Association. Devenant dorénavant la taupe, un poids lourd sur ses épaules au vu de la situation.
Plusieurs fois par an, la loge japonaise de l'Association avait pour habitude d'organiser une soirée masquée afin de se mettre au courant des divers événements qui s'étaient déroulés durant les derniers mois. On en profitait pour venir boire et discuter avec autrui, se partager des conseils sur des rituels, prendre des nouvelles.
C'était ce que son indicateur lui avait dit.
Hanae ne savait pas qui était l'indicateur et n'avait aucune idée de comment elle pourrait le retrouver auprès de toutes ces personnes, masquées pour l’occasion.
La Fondation lui avait promis qu'elle saurait le retrouver et que lui aussi, la trouverait.
Une question trotta dans la tête de l'agente, se demandant si ce n'était pas trop dangereux de venir à la place d'une morte lors d'un festival pareil. On lui avait pourtant bien confirmé que l'invitation n'était pas nommée et qu'Hanami était morte de la main d'une personne de l'Association, pas de l'Association en elle-même.
Rancœur personnelle ? Jalousie ? La question sur le mobile du crime restait en suspens mais il était clair que l'Association ne savait pas qu'elle était morte. L'indicateur avait confirmé cette hypothèse et l'arrivée du masque dans l'appartement d'Hanami après le décès de celle-ci confirmait qu'elle était encore conviée à la réunion. Personne n'inviterait un cadavre.
Ce masque, Hanae le tenait maintenant dans ses mains alors qu'elle continuait de gravir les marches, observant ses détails. Elle n'avait jamais été très créative et s'y connaissait très peu en théâtre et en masques japonais, mais elle était tout de même impressionnée par le travail manuel sur cet objet. En le manipulant pour observer ses moindres détails, il était évident qu'il s'agissait d'un travail d'un professionnel. Les détails du visage, notamment les traits des lèvres et des sourcils avaient été peints en utilisant de la peinture dorée. Les traits étaient si fins et gracieux qu'Hanae en avait le souffle coupé.
De l'or avait été utilisé pour couvrir le contour des traits des yeux et du masque, les dents étaient elles aussi couvertes de feuilles d'or et les pommettes de l’œuvre brillaient d'une douce lueur dorée. Elle regarda aussi le bracelet qui lui avait été donné en compagnie de l'invitation : il était fait de perles d'or et de marbre, claquant les billes entre elles dans un petit son aigu comme celui d'une clochette.
Arrivée en haut, elle observa le ciel étoilé de la nuit, sentant le souffle du vent qui accompagnait les bruits de criquets de l'été.
Hanae était là, elle attendait, serrant l'invitation dans ses mains avec le masque, tremblante. Sa vue se brouilla à nouveau, et elle ouvrit la bouche pour laisser échapper un sanglot étouffé, alors que les émotions continuaient de la submerger.
La lumière des lucioles se reflétait dans les larmes de la femme. Elle laissa son chagrin l'emporter durant un court instant, autorisant son corps à s'exprimer après tout ce temps. Les larmes coulaient à flot.
Et elle resta là.
Un bruit se fit entendre, une percussion sans résonance, un son étouffé.
La lumière des lanternes qui se projetait sur Hanae fut remplacée par une ombre. Elle leva la tête en remarquant l'obscurité qui venait de tomber sur elle, essayant de distinguer l'intrus qui la recouvrait de son ombre. Son corps tressaillit, se reculant d'un geste rapide alors que les gouttes de ses larmes tachaient le sol, haletante, terrifiée par l'imposante personne face à elle.
Il lui était impossible de distinguer les détails de l'individu, les larmes brouillaient sa vue et la position de l'inconnu ne l'aidait pas, il était à contre-jour. La lumière des lanternes picotait ses yeux.
Il bougea un peu, d'un pas lent et imposant, penchant la tête sur le côté, laissant des reflets dorés se refléter sur la lumière des lampions. Hanae frotta ses yeux afin de faire partir les dernières larmes qui coulaient, se relevant doucement face à cette personne.
Mais même une fois debout, Hanae se sentait minuscule face à cet inconnu, il devait probablement la dépasser de quelques têtes.
Elle se décala en silence, prudemment, comme si elle se tenait face à une bête, prête à lui bondir dessus.
Il leva sa main vers elle, dévoilant de longues fissures dorées le long de sa chair qui se reflétaient dans son mouvement et, tout doucement, sa main se posa sur son épaule.
À son contact, une sensation de chaleur et d'apaisement envahit le corps engourdi d'Hanae en pleurs. Les larmes coulèrent de nouveau le long de ses joues, à flot. De petits hoquets s'échappèrent de sa gorge alors qu'elle tentait de reprendre son calme, mais plus la silhouette touchait ses épaules frêles, plus ses sentiments se dévoilaient auprès de cet inconnu, toujours silencieux et compatissant, laissant la femme s'exprimer comme elle le pouvait pendant que les feux d'artifices résonnaient au loin, illuminant la scène par leurs couleurs pétillantes.
Les larmes finirent par manquer à Hanae, ne faisant qu'hoqueter en frottant ses yeux, essayant de reprendre ses esprits. Tout était sorti et elle se sentait, désormais, plus légère.
"Ça fait du bien, n'est-ce pas ?" murmura l'inconnu d'une voix douce, contrastant avec sa taille et sa carrure. "Vous savez, moi aussi je pleure parfois, mais après on se sent…" Il marqua un temps d'arrêt, comme pour réfléchir à ses mots. "Plus libre."
Il tourna sa tête vers le ciel, observant les feux d'artifices dorés explosant dans le ciel, l'éclairage de chaque explosion dévoilait de nouveaux détails du visage ou plutôt du masque qu'il portait.
Une première explosion dorée dévoila ses cornes d'or dont les extrémités se plantaient dans le masque comme des racines.
La seconde explosion, blanche cette fois, illumina les yeux perçants du masque, de la même couleur que ses cornes. Ses traits étaient durs, lui donnant un air menaçant.
Le troisième et le quatrième feu d'artifice éclatèrent en même temps, dévoilant l'homme dans sa totalité. Son kimono était parsemé de motifs triangulaires blancs sur un tissu noir d'encre dont les bordures se recouvraient d'or. Son col était ouvert, dévoilant un torse musclé où diverses lignes d'or parcouraient sa peau, passant sous ses pectoraux, remontant le long de son buste pour entourer sa gorge.
Par-dessus son kimono se trouvait une veste blanche, si longue qu'elle tombait jusqu’à ses cuisses, bougeant au rythme du vent.
Chaque couture de son habit était composée de fils d'or, s'accordant à son masque hargneux.
Il n'y avait pas que ses cornes et ses yeux qui étaient couverts de dorures ; on pouvait distinguer de longues dents sortant des lèvres du masque, telles des canines de prédateur, arborant cette même couleur. Le visage du masque était noir avec des oreilles pointues, son regard dur, féroce, comme si à tout instant, il pouvait exploser de colère.
Chaque respiration de l'homme masqué dévoilait mieux les fissures le long de son corps, se craquelant, donnant la sensation qu'à n'importe quel moment, sa peau s'ouvrirait sous la pression. Hanae regarda les mains imposantes : un tatouage parcourait le dos de celle de droite, représentant un masque brisé dont une fumée s'échappait, disparaissant sous les manches de sa tenue.
"Tu as un masque, je me doute de la raison de ta venue et je te conseille vivement de le mettre avant de rejoindre les autres. Mais avant, j'aimerais voir ton invitation si cela ne te dérange pas."
Sa voix n'était plus douce, elle était désormais un peu plus rauque, laissant une goutte de sueur froide à une Hanae tremblante.
"Oui, évidemment," lui répondit la femme, tendant l’invitation avec ses deux mains. Elle ferma les yeux, priant au fond d'elle, de peur que quelque chose se passe mal. Et si c'était une fausse invitation ? Un piège tendu par l'Association pour amener un autre membre de la Fondation ? Et si l'informateur s'était trompé ?
Toutes ces questions se bousculèrent dans la tête d'Hanae alors que son visage fixait le sol, essayant de reprendre son souffle pendant que l'homme au masque de démon lui retirait l'invitation des mains. Un froissement se fit entendre, puis le silence.
"Kobayashi Hanami, c'est ça ?"
Hanae se redressa, hochant la tête d'un geste peu confiant, essayant de se mettre à la place de sa défunte sœur alors qu'elle enfilait son masque, laissant son visage disparaitre.
"Tu viens pour la réunion de l'Association, je suppose."
Elle ne répondit pas, hochant de nouveau la tête comme pour appuyer sa confirmation. Ses yeux regardèrent l'homme, essayant de remarquer le moindre signe de suspicion ou agressivité, se demandant s'il allait réagir comme s'il se trouvait face à un fantôme.
Elle était prête à courir et s'enfuir si tout le plan tombait à l'eau, comme on le lui avait ordonné : si sa couverture était en danger, il fallait fuir.
Alors elle guetta, attendant le moindre mot, le moindre mouvement de son compagnon de nuit. Elle se sentait toutefois bien ridicule d'avoir laissé ses sentiments s'exprimer auprès d'un inconnu, potentiellement même un ennemi.
Un nouveau feu d'artifice explosa, illuminant le duo de masques se fixant sous l'arche du temple. Le masque de démon prit une inspiration puis souffla, laissant paraitre un grognement rauque.
"La Lune Noire hurle-t-elle ?"
Les yeux d'Hanae s'écarquillèrent de stupéfaction alors que la phrase résonnait au fond de son esprit. Elle ouvrit la bouche, et prononça les mêmes mots qu'elle avait répétés tant de fois.
Une simple réponse pour une simple question.
"Seulement en compagnie des étoiles."
Les deux collègues se serrèrent la main, laissant les lumières autour d'eux s’éteindre, les plongeant dans l'obscurité.
La porte se trouvait là, au bout du chemin. Ses poignées couvertes d'or brillaient de mille feux sous la réflexion de la lanterne tenue par un être dont Hanae ne pouvait distinguer les détails à cause de l'obscurité et du fait qu'il était un peu loin.
Plus elle avançait en compagnie de son collègue au masque de démon, qui s'était d'ailleurs présenté sous le nom de Fukui Satoru, plus un sentiment de malaise s'installa au fin fond du corps de Hanae, ne sachant pas si cela était dû au stress de sa nouvelle mission aux des récents événements qu'elle avait vécus.
Une fois devant la porte, Hanae observa la personne face à eux.
Elle était un peu potelée, assez petite, comme une enfant, mais son visage arborait des traits d'une femme bien âgée. Quelques lentigos se trouvaient sur son visage, prenant la forme d'un poisson. Jamais Hanae n'avait vu des taches de vieillesse pareilles, se demandant bien si c'était dû à une quelconque explication ésotérique.
Ses yeux scrutèrent le long kimono de la femme. Il était composé d'un tissu blanc dont des motifs de carpes koïs dorées se mouvaient à travers le tissu, tels des poissons dans un étang, passant à travers le obi, disparaissant dans les manches.
La vieille femme agita sa main en direction de Fukui Satoru,
"Ah ! Monsieur Fukui !" s'exclama-t-elle d'une voix enjouée. "Vous êtes revenu avec une autre invitée ?"
Satoru hocha la tête, s'inclinant en compagnie d'Hanae avant de tendre l'invitation de celle-ci, la dame prit le papier avec douceur, l'inspectant d'un air minutieux, les reflets dorés de l'invitation brillaient sous la lanterne de la porte.
"Kobayashi Hanami donc, c'est bien vous qui vous trouvez sous ce masque de ko-omote ? C'est rare de voir des masques de ce type. C'est simple. J'aime bien. La personne derrière la peinture a fait un excellent travail. Vous êtes très belle et votre kimono vous va à ravir."
Hanae se releva, sentant ses joues devenir chaudes, rougissant au compliment. Sa voix étouffée par le masque répondit à la dame.
"Merci beaucoup." Hanae marqua un temps d'arrêt, espérant que cette question ne soit pas trop impolie. "Mais vous, vous ne portez pas de masque ?"
Un ricanement sortit de la gorge de la femme, Hanae entendit Satoru soupirer pendant que l'inconnue pencha la tête sur le côté, agitant sa main devant son visage qui commença à se recouvrir de craquelures dorées dans un bruit de porcelaine brisée.
"Ma petite, je porte déjà un masque."
Au fur et à mesure du mouvement de sa main, le bruit de porcelaine brisée se faisait plus fort, et des morceaux de son visage tombèrent petit à petit en compagnie de poudre dorée. Le bruit s'arrêta net, son visage derrière sa main. Les derniers bruits de porcelaine résonnaient dans le silence de la nuit.
"Mais je peux vous montrer mon vrai visage."
À ces mots, sa main se retira, dévoilant un visage sans traits, une face blanche. Hanae eut le souffle coupé, se reculant d'un pas par instinct alors que le yōkai s’esclaffait, tapant son genou de sa main. Son rire était gras, moqueur mais il s'arrêta bien rapidement, remarquant la réaction d'Hanae.
"Elle n'est pas très trouillarde votre amie monsieur Fukui ! Moi qui m'attendait à une réaction plus extraordinaire. Je suis bien déçue. J'espérais mieux."
L'homme fit un petit geste de la main, balayant une luciole qui tournoyait autour de lui. Il tapota du pied d'un air agacé alors qu'Hanae fixait toujours l'esprit.
"Cessons les bêtises. Je t'ai laissée faire ton petit jeu, Noppera-bō. Laisse-nous entrer maintenant.
— Attendez, attendez," s'écria le Noppera-bō. "Pas avant de faire un dernier petit tour à mademoiselle Kobayashi."
L’intéressée rit nerveusement, se frottant les mains à cette phrase, s'imaginant les pires supplices que l'esprit pourrait lui faire subir. Elle sentit une goutte de sueur couler le long de son front, observant la face blanche du yokai se craqueler à nouveau, se brisant en divers petits morceaux. Petit à petit, la peau lisse de l'esprit commença à prendre une nouvelle forme, s'ajoutant un nez, creusant ses orbites pour y faire apparaitre ses yeux jusqu'à se créer un nouveau portrait, souriant à pleines dents.
Hanae observa, les larmes aux yeux, le visage d'Hanami.
Les sœurs Kobayashi étaient de vraies jumelles, ayant comme seule différence l'absence du sourcil gauche d'Hanami à cause d'une brûlure qu'elle s'était faite plus jeune.
"Alors, c'est réussi ? C'est réussi ?" s'exclama l'esprit, reprenant même la voix de la défunte. "Il vous plait mon petit tour ? Je vous ressemble pas vrai ?!"
Le yokai avait repris ses traits à la perfection, souriant à pleines dents alors que son unique sourcil se fronçait un peu devant sa réaction quelque peu étrange.
Tremblante, Hanae hocha la tête, ouvrant la bouche, essayant de sortir un mot, mais rien n'y fit. Satoru s'avança vers le Noppera-bō, agitant rapidement sa main vers la porte.
"On a assez trainé, laisse nous entrer." Ordonna l'homme. "On perd trop de temps. Et puis d'autres vont arriver, tu pourras leur faire tes petits tours."
Le visage d'Hanami soupira un peu alors que ses mains commencèrent à ouvrir la porte, laissant Hanae entrer en compagnie de Satoru.
"Amusez-vous bien !" cria l'esprit, souriant à pleines dents.
Jetant un dernier regard vers le visage de sa sœur, Hanae sourit à son tour.
"Merci."
Un bruit mat se fit entendre, une personne au masque de singe pourvu d'yeux d'or venait de frapper l'hyōshigi contre le plancher, tenant l'instrument dans ses mains. Son regard perçait la foule d'invités depuis la scène.
Entrant dans la salle, Hanae regarda les diverses personnes masquées autour d'elle. Certaines d'entre elles discutaient ensemble dans les coins de la pièce alors que d'autres personnes se trouvaient autour des tables de bois, se servant à boire et à manger.
La salle semblait plus grande à l'intérieur que de l’extérieur. Plus grande mais aussi plus longue. Au fond de celle-ci se trouvait une scène où l'on pouvait distinguer des geishas aux masques souriants. Les épingles dorées dans leurs cheveux se reflétaient dans la lumière des lampions qui volaient à travers la salle comme autant de lucioles d'or.
Leurs kimonos de soie bougeaient au rythme de leurs pas de danses. Certaines tenaient dans leurs mains des éventails ornés de dorures tandis que d'autres faisaient tournoyer leurs ombrelles au rythme de la musique jouée par des musiciens eux aussi masqués. Le son des cordes pincées par les artistes s'harmonisaient aux sifflements des flûtes, laissant une douce mélodie s'envoler dans les airs, accompagnant des discussions entre les invités.
Satoru tapota l'épaule d'Hanae, lui faisant signe de la suivre, se dirigeant vers une table où se trouvaient divers individus portant leurs masques. Certains d'entre eux les avaient un peu relevés afin de boire et manger, ne laissant paraître que leurs bouches. Une porteuse d'un masque de démon féminin agita sa main vers Satoru.
"C'est bon, tout le monde est au complet visiblement !"
Satoru se posa en compagnie d'Hanae, à côté de la démone qui agita cette fois-ci sa main vers elle.
"Tu dois être une des nouveaux venus," lui dit-elle en lui tendant un verre qu'Hanae prit alors que ses yeux observaient les mains couvertes d'or de son interlocutrice. "J'espère que tu n'es pas trop stressée ou fatiguée. L'après-rituel est toujours un peu compliqué à vivre mais tu verras, tu t'habitueras à ton nouveau toi.
— Comment vous savez que je suis une des nouvelles ?"
La démone pointa Hanae de son index d'or.
"Tu as totalement recouvert tes réparations. Tu les caches. Les gens ont toujours un peu honte de montrer leurs cicatrices au début. Souvent parce que cela peut leur rappeler leur passé. Mais tu verras, avec le temps tu t'y habitueras et ce sera une fierté de les exposer ! Cela signifiera que tu es non seulement réparée, mais aussi que tu as accepté de transformer ton corps en une œuvre d'art que tout le monde puisse voir. Laisse ton passé derrière toi, l'or est désormais une partie intégrante de ta personne, pas de celle que tu étais avant."
Hanae cligna un peu des yeux, essayant de comprendre ce que la femme lui racontait. Elle se tourna vers son collègue qui lui fit un petit geste de la tête.
"Évite de trop lui en dire, tout lui sera expliqué en temps et en heure."
L'homme se leva, redressant correctement son kimono.
"Je vais juste aller dire que tu es arrivée, en tant que parrain. Gardez ma place, si cela n'est pas trop demander.
— Je garde votre place, ne vous inquiétez pas. Et je surveille votre protégée !" rit la femme au masque de démone, passant son bras sur les épaules d'Hanae qui sursauta par réflexe, silencieuse.
Satoru s'inclina doucement avant de partir en direction de la foule d'individus masqués. Hanae regarda la silhouette de son collègue disparaitre à travers les kimonos colorés puis se tourna vers la dame à côté d'elle.
"Je comprends mieux, merci pour vos explications. Il est vrai que le rituel était assez épuisant et je ne suis pas assez à l'aise sur le fait de dévoiler les cicatrices. Votre rituel, vous l'avez fait il y a longtemps ?
— Je suis arrivée dans l'Association dès ma naissance, pour être honnête. Je suis originaire de la préfecture de Kōchi, et je vivais avec ma grand-mère qui était membre de l'Association. Elle était une Artisane et elle s'est occupée de mon rituel Kintsugi."
À ces mots, la femme montra sa main d'or.
"J'ai passé mon adolescence à agir comme une délinquante, je volais énormément et j'avais tendance à parler avec mes poings. Grand-mère a décidé de me faire entrer dans l’association et j'ai ouvert les yeux. Mes mains étaient brisées, c'était un peu une sorte de source de mon malheur, tu vois ? Du moins, c'est comme ça que je le voyais. Mon rituel a été un cauchemar à vivre, parce que j'ai compris ce que j'ai pu faire subir aux autres. J'ai donc brisé mes mains lors de ce rituel." Elle leva sa main d'or. "Mon passé n'existe plus."
Hanae resta silencieuse, laissant sa voisine de table lui raconter son histoire. Avant qu'elle puisse répondre quoi que ce soit, la salle plongea dans l'obscurité.
"Ah ! Ça commence !" chuchota l'inconnue. "Prépare-toi !"
Retenant son souffle, Hanae essayait d'accrocher son regard à la moindre lueur d'une lumière. La salle était désormais silencieuse.
Le silence pesait. Un son s’éleva dans les airs, puis un autre. Des lumières se projetèrent sur la scène, dévoilant les musiciens et leurs instruments à cordes dorées. Tous portaient un masque et grattaient leurs instruments, jouant à l'unisson. Une silhouette masculine au masque rouge à long nez frappait un tambour en forme de sablier, orné de motifs dorés, restant dans le rythme.
Une nouvelle lueur apparut dans l'obscurité, des papillons d'or passèrent entre les tables et les invités assis, se logeant à l'intérieur des lampions pour les illuminer et éclairer la pièce.
Satoru n'était toujours pas revenu. Hanae le chercha du regard, en vain. Elle resta là, observant le spectacle qui s'offrait à elle. Elle lui faisait confiance, il allait revenir.
Elle regarda de nouveau la scène ; la musique commença à s'arrêter petit à petit alors que deux silhouettes se tenaient là, attendant que les instruments se taisent.
L'une d'elle était grande et fine, portant un masque de renard blanc dont le contour des yeux brillait d'or. De fins sourcils étaient dessinés avec la même matière. Neufs queues dans le dos, écartées à la manière d'un éventail. Leur fourrure était d'un blanc éclatant et certains des poils formaient des lignes dorées qui les parcouraient sur toute leur longueur. Elle se tenait là, immobile. Hanae connaissait bien ce genre de personne, c'était une kitsune. Elle en avait déjà croisé une par le passé pendant son travail à la Fondation.
À ses côtés se tenait une silhouette humaine. Elle portait un masque arborant une bouche de travers, faite de deux points d'or en guise de lèvres. De grands yeux aux pupilles dorées observaient l'assemblée. Une écharpe à pois bleus se trouvait autour du visage de la personne.
La musique s'arrêta, laissant les musiciens disparaitre de la scène.
L'homme s'avança, s'inclinant en compagnie de la kitsune, puis se redressa.
"Merci à tous et à toutes d'être venus." Sa voix était parfaitement audible, une voix douce, rassurante. Hanae remarqua des lignes d'or le long du cou de l'homme. "L'Association vous remercie de votre dévouement et de votre temps si précieux. Comme vous le savez, aujourd'hui nous sommes ici pour accueillir les nouveaux venus, danser, discuter. Échanger de nos nouvelles, nos découvertes, promouvoir certains d'entre nous et profiter du spectacle."
Il se recula, laissant la femme renard s'avancer. D'un geste théâtral elle écarta les bras, dévoilant ses griffes, se reflétant dans la lumière des papillons aux lampions.
"Restez jusqu'au bout, mes chers amis. Une surprise vous y attend. Mais tout d'abord, je tiens à vous dire que je suis particulièrement heureuse de tous vous voir, et c'est toujours un honneur de présider les cérémonies."
Hanae continua de regarder autour d'elle, voyant son collègue revenir vers elle discrètement, s'asseyant à côté d'elle en rajustant le tissu de sa veste.
"Désolé, j'ai été un peu occupé," lui murmura-t-il. "Concentre-toi sur la scène."
La kitsune agita ses neufs queues sous l'excitation, laissant les poils dorés former de petites lignes, rendues brillantes par leurs mouvements.
"Avant d’accueillir nos nouveaux venus, j'aimerais vous tenir au courant de diverses choses, notamment au sujet de la Fondation SCP. Comme vous le savez, ils ont tendance à vouloir nous enfermer, nous empêcher de partager au monde les merveilles de la magie, des pratiquants d'arts occultes comme beaucoup d'entre nous. J'ai ouï-dire que récemment, notre loge mère, en Thaïlande, a pu leur faire passer un petit message d'avertissement sur notre vision des choses. Sur un autre sujet, j'aimerais vous prévenir que bientôt, nos apprentis Artisans partiront continuer leur apprentissage du Kintsugi auprès des maitres de cet art. Je vous demande donc à tous d'approcher et monter sur scène."
Elle montra les escaliers d'un geste rapide de la main. Cinq personnes s'y dirigèrent. Chacune portait un masque blanc couvert de fissures d'or. Le bout de leurs doigts étaient couverts de poussière ambrée et un bracelet semblable à celui d'Hanae, mais n'ayant que des billes d'or, se trouvait autour de leurs poignets. Les cinq se mirent les uns à côté des autres, s'inclinant face à l'assemblée des invités. Tous les masques les regardaient. La femme renard tapa dans ses mains, le bruit du métal doré résonna dans toute la pièce.
"Vous êtes les Artisans de demain, ne l'oubliez jamais. Apprenez la magie de l'or, soignez les gens de leurs blessures, de leurs maux."
Les apprentis tendirent leurs mains ensemble, et l'homme au foulard passa derrière chacun d'entre eux, un long fil d'or flottant entre ses doigts. Le fil glissa le long de leurs mains, entaillant la chair dont le sang coula. Des petits gémissements de douleur se firent entendre alors que la renarde passait après son compagnon, ses queues blanches aux lignes dorées glissant le long des plaies, laissant une trainée de poudre jaune, cicatrisant les coupures en leur donnant un aspect brillant.
"Que vos mains bénies puissent réparer les autres."
Dans un silence, les cinq apprentis se levèrent, disparaissant de la scène en se dirigeant vers le rideau à l'arrière, se fondant dans les ténèbres.
"Maintenant, membres de notre association fraîchement réparés, nous feriez-vous l'honneur de venir sur scène ?" s'écria la renarde, tournant son masque vers Hanae.
Hanae tourna la tête vers Satoru. Celui-ci lui fit un petit geste de la main, l'invitant à rejoindre la scène. Elle se leva, marchant d'un pas lent vers la main griffue du yokai, retenant son souffle, essayant d'observer les alentours. Sans un mot, la femme traina sa carcasse le long des marches, se mettant face aux membres de l'Association.
"Hanami, tu es une nouvelle réparée et je suis bien heureuse d'avoir l'honneur d'être à tes côtés. J'espère que ton rituel n'a pas été trop virulent ou violent. Nous sommes tous heureux de voir que tu en es sortie indemne."
"Je le suis tout autant," répondit Hanae, cherchant du regard son collègue dans une vaine tentative de se rassurer.
"Vous savez, mes chers confrères," s'exclama l'homme au foulard, "nos cicatrices d'or sont notre beauté, elles sont la preuve de notre capacité à panser nos blessures, de notre douleur. Hanae, je suis ravi que tu te sois jointe à nous."
Hanae ?
Elle se recula, manquant de tomber alors que sa main chassait celle que la Kitsune tendait sur son visage. Son regard se tourna vers son collègue, cherchant un moyen de comprendre.
Pourquoi ?
La place de Satoru n'était pas occupée par celui-ci. À sa place se trouvait le Noppera-bō, portant la tenue de son collègue, arborant sa carrure, son masque dans ses mains et l'absence de visage. Hanae haletait, tremblante, alors que sa vue se brouillait. Par réflexe, elle s'agrippa aux rideaux de soie, passant de l'autre côté de la scène, dans les coulisses. La main griffue de la Kitsune passa à travers les rideaux, laissant des traces de griffes le long du tissu. Tout le monde restait silencieux, observant la scène alors qu'Hanae tombait au sol afin d'éviter un coup. Le visage vers le plafond, elle tenta de reprendre son souffle, mais la renarde l'agrippa par le masque, la tirant hors des coulisses pour la remettre à la vue de tous.
"Passons directement à la surprise de notre soirée," jubila la renarde, observant de longs fils d'or s'accrocher à Hanae, s'enroulant autour de son tissu et de sa peau, laissant des traces rouges le long de son kimono. Sa gorge fut nouée, l'empêchant de parler, de répondre, de hurler. "Je vous ai parlé de la Fondation récemment, n'est ce pas ?"
Sous un claquement de ses doigts, le corps inerte de Satoru fit son entrée, pendant le long de câbles d'or lui lacérant la peau. Son masque était là, accroché à son visage. Un râle de douleur se fit entendre. Hanae le regarda, sa vue brouillée par les larmes.
"Comme vous le savez, Hanami Kobayashi était membre de l'Association. Elle nous a été introduite par Fukui Satoru ici présent. Récemment, elle a subi le rituel si cher à notre loge. Nous avons fouillé ses plus sombres blessures et peurs afin de la réparer. C'est durant son rituel que nous avons compris qu'elle avait peur d'une chose."
Le masque d'Hanae se brisa en poussière, tombant le long du plancher. Le corps de Satoru se contracta, laissant entendre des craquements d'os ; ses plaies d'or s'ouvrirent, laissant le métal tomber de sa chair. Hanae observa les membres de l'Association, tous silencieux, la fixant.
"Elle avait peur que nous découvrions le secret qu'elle gardait au fond d'elle, l'identité de monsieur Fukui et son appartenance à la Fondation. Il est évident qu'ils n'ont pas compris notre premier message avec le cadavre de Kobayashi. Assurons nous qu'ils comprennent le prochain."
Un doux tintement monta aux oreilles d'Hanae, qui se sentait plus légère.
Le froid de l'or lui parcourut l'échine.
Elle ferma les yeux.