De l'Importance de l'Esthétique

- Honnêtement, je ne suis pas certain de voir où est notre intérêt dans cette histoire.
- C'est votre affaire, Cousin. L'important est que moi, j'en comprenne l'intérêt.

° ° °

Ne pas paniquer. Ne. Pas. Paniquer.

C'est ce qu'il avait toujours voulu, non ? Après des années à rêver que le plafond de la cellule 140 disparaisse, il aurait dû être ravi que son rêve devienne réalité, pas vrai ? Hein ? Bon, c'est vrai que ça avait été un peu plus brutal que dans son imagination. Et que ça l'avait un peu pris au dépourvu de tomber dans le ciel alors qu'il aurait dû y avoir plusieurs étages au dessus de sa zone de confinement - ou plutôt sous ses pieds à lui, techniquement. Et que dans son imagination, c'était beaucoup moins effrayant de voir la Terre s'éloigner sous ses pieds, pour la première fois depuis cinquante ans.

Ne. Pas. Paniquer.

° ° °

- Pourquoi cet humain-là, en plus ? Il y a des anomalies bien plus intéressantes qui traînent dans cette continuité.
- Vous ne le trouvez pas amusant ?

° ° °

Cent-Quarante était à peu près certain de s'appeler Rand. Rand… quelque chose ? Sans doute. Presque. Peut-être. Il était difficile de s'en souvenir comme d'une certitude absolue après un demi-siècle passé à se faire désigner par un numéro, suivi de plusieurs années à dériver dans l'espace. Les étoiles étaient bien plus loin, le vide bien plus froid, et l'univers bien plus solitaire qu'il ne l'avait imaginé. Ces choses-là avaient un mauvais effet sur sa mémoire.

Au début, pour passer le temps, il avait décidé de rejouer dans sa tête tous les films qu'il avait vus dans sa vie. Même les pires. Surtout les pires. C'était les plus distrayants. Passé Jupiter (c'était bien la grande planète avec le petit anneau, non ? Ou la moyenne avec les nombreux anneaux ? Il ne savait plus), il avait continué avec tous les livres qu'il avait lus pendant ses années de captivité. Au delà d'Uranus (s'il avait eu dix ans, il aurait probablement rigolé, vous parlez d'un nom), il avait tout simplement décidé de compter lentement en partant de zéro.

Lorsqu'il eut compté jusqu'à deux millions et qu'il eut dépassé les limites connues du système solaire, il commença à avoir vraiment, vraiment très peur.

° ° °

- A part l'aspect esthétique de la chose, qu'est-ce que vous allez y gagner ?
- Rien n'est plus important que l'esthétique.

° ° °

Il avait un nom et un numéro secrets, et il était un voyageur de la nuit, la nuit la plus terrifiante qu'il soit possible de concevoir, d'un genre unique, sur laquelle le soleil ne se lèverait jamais. Il était monté à bord de l'express, et il était l'express, et il n'y avait plus de rails. Il n'y avait jamais eu de rails.

C'était une nuit sans fin, mais l'obscurité avait une personnalité et une texture. Pour mieux l'observer, elle s'était fait pousser des yeux. Pour mieux le dévorer, elle s'était fait pousser des dents. La nuit était un milliard de poissons glissants dont les yeux étaient des étoiles, et il sentait parfois leurs écailles froides sur sa peau qui n'aurait plus rien dû sentir.

Plus rien n'avait de sens, alors autant ne plus s'en préoccuper.

° ° °

- Je crois qu'on l'a assez fait attendre comme ça.
- Allons le cueillir.

° ° °

Il était une pensée libre, un navire, un ange. Il était une boule de peur, un naufragé, un damné. Il ne savait plus. Ce qu'il savait, c'était qu'il dérivait depuis une éternité, et qu'il continuerait à dériver jusqu'à la fin des temps.

Jusqu'au jour où il ne dériva plus, parce que quelqu'un le trouva.

° ° °

- Matérialisation autour du sujet réussie. Il est dans la soute inférieure. Au plafond de la soute, plus exactement.
- C'est bien lui.

° ° °

Il ne savait pas très bien où il était, mais l'air sentait la poussière et avait une atmosphère de vieille église.

La pièce était vaste et bizarrement éclairée. Peut-être était-ce tout simplement le fait d'avoir été seul loin de toute forme de civilisation pendant une éternité qui lui donnait cette impression d'anormalité. Ou peut-être pas. Les ombres devaient se trouver à l'opposé des sources de lumière, normalement, non ? Il n'en était plus très sûr.

Il était allongé au plafond, et l'un de ses sauveurs l'observait depuis le plancher. L'individu portait un scaphandre, ou plutôt ce qu'il espérait de tout cœur être un scaphandre. Est-ce que toutes les combinaisons spatiales du futur ressemblaient à des cadavres de chauve-souris géantes soudés avec du plastique noir ? Devait-il s'inquiéter ?

Lorsque son cerveau eut enfin retrouvé le mode d'emploi pour articuler des mots et former des phrases intelligibles, il croassa avec de grandes difficultés : "C'est une sacrée coïncidence de m'avoir trouvé."

Une voix féminine sans âge s'éleva de sous le masque d'os qui le fixait de ses orbites vides.

"Vous faites partie de la Faction, maintenant. Il n'y a plus de coïncidence."

° ° °

- Et maintenant ?
- Un peu de patience, Cousin. La partie intéressante va commencer.

° ° °

Le vaisseau auquel Cent Quarante avait été affecté après sa première initiation fuyait comme une passoire. Heureusement, d'ailleurs, parce que c'était précisément comme ça qu'il avait été conçu. L'intérieur, à première vue, se trouvait sur la même surface que l'extérieur, et comme il n'y avait qu'une unique surface courbe sur laquelle se tenir, en permanence, il se trouvait techniquement en train de marcher sur un plancher pour la première fois depuis une éternité. Ou est-ce que ça signifiait au contraire que tout le monde à bord marchait au plafond, comme lui ?

"Tout le monde", pour être plus précis, était un équipage constitué de créatures variées, humanoïdes ou non. Certaines portaient des masques en os, d'autres non, mais toutes avaient néanmoins le même style vestimentaire sinistre et vaguement ridicule quelle que soit leur origine. Il avait même croisé quelqu'un qui lui évoquait vaguement un poisson des profondeurs bioluminescent. La Faction Paradoxe, cette organisation (ou cette secte ? Ou les deux ? La frontière semblait floue) qui l'avait sauvé de sa chute infinie à travers le vide, ne semblait pas s'embarrasser de concepts tels que les différences raciales ou culturelles pour recruter de nouveaux venus - ce genre de chose, après tout, devait sans doute sembler parfaitement ridicule aux yeux de personnes qui méprisaient les lois élémentaires de la physique au point de faire un vaisseau spatial où l'intérieur était l'extérieur.

La Mère qui l'avait pris sous son aile - celle qui portait un masque d'os évoquant une chauve-souris géante et une combinaison spatiale noire évoquant un squelette fondu - lui avait longuement expliqué que ce vaisseau était conçu selon un principe "d'immersion de classe C∞ dans l'espace ℝ3 de dimension trois - mais sans plongement continu, évidemment". Comme il hochait la tête sans avoir la moindre idée de ce que ce charabia signifiait, elle soupira sous son masque et ajouta que là d'où il venait, on appelait ça une "bouteille de Klein".

Bien évidemment, construire un vaisseau en bouteille de Klein n'avait aucun sens. Et n'avoir aucun sens était le fondement même de la science de la Faction, donc c'était absolument parfait.

° ° °

- Où en est votre protégé détesté par la gravité ?
- Il ne se débrouille pas mal, pour un Petit Frère. Certainement mieux que ce crétin que vous avez envoyé aux enchères. Il ne perd rien pour attendre, celui-là.

° ° °

De temps à autre, il se souvenait de quelque chose qui datait d'avant son long voyage à travers le vide. Le goût du café, avant son "accident" avec la gravité. Une scène d'un film où quelqu'un voyageait dans l'espace et se retrouvait dans une grande pièce blanche après avoir vu des couleurs impossibles - il avait souvent repensé à cette scène pendant qu'il dérivait dans l'espace. Un stylo attaché à un socle à chaînette, comme chez un banquier, qu'il utilisait pour écrire dans sa cellule. Un chercheur dont il avait oublié le nom, mais qui pensait toujours à lui apporter le journal à chacune de ses visites, et qui continua de le faire jusqu'à sa mort à la fin des années 80. Mais principalement, il se souvenait d'un avion en flammes, d'une ancienne guerre, et d'une peur tellement viscérale qu'elle continuait, de temps à autre, de resurgir dans sa mémoire, même après ce qui ressemblait à l'éternité.

Cependant, c'était cette éternité, ce grand "rien" qui séparait son ancienne existence de celle qu'il avait actuellement qui lui faisait le plus peur, et cette nouvelle vie inespérée rendait son travail de remémoration de sa vie antérieure moins prioritaire.

Comme il avait été incapable de se rappeler de son nom d'origine, il s'appelait désormais Petit Frère Cent Quarante. La plupart des membres de l'organisation utilisaient les mots "frère/sœur", "cousin/cousine", "père/mère" et autres en tant que termes désignant des niveaux hiérarchiques. D'après ce qu'un Cousin lui avait dit, la Faction était apparue dans une civilisation où le concept de 'famille' n'existait pas, et où ces termes étaient considérés au mieux comme bizarres et inutiles, au pire comme une hérésie et une insulte. Compte tenu du fait que l'activité principale de la Faction était d'insulter la logique et le bon sens, cela semblait cohérent.

Il trouvait leur fascination pour la mort et les cadavres beaucoup moins plaisante, mais le fait qu'il soit lui-même dans un état physique similaire à celui d'un zombie semblait beaucoup les intéresser, d'une part parce que c'était très pratique pour effectuer des missions dans le vide spatial, mais d'autre part parce que cela collait parfaitement à leur esthétique. Et qu'il avait eu la permission de ne pas avoir à effectuer la cérémonie d'intronisation, où, du moins d'après ce que chuchotaient les nouveaux d'un air terrifié, chacun devait remonter le temps à l'aide d'un de leurs vaisseaux bizarres pour aller tuer une version passée de lui-même - son corps actuel étant déjà "mort", cela devait sembler redondant.

Petit Frère Cent Quarante commençait à soupçonner la Mère de s'être intéressée à son sort uniquement pour cette raison.

° ° °

- Pardonnez-moi, Mère, mais je ne comprends toujours pas le but recherché.
- Vous n'avez pas encore deviné ?

° ° °

Petit Frère Cent Quarante - non, Cousin Cent Quarante, désormais - voyagea, explora, absorba de nouvelles connaissances, et découvrit que son impression d'être un tout petit point dans un univers immense cherchant à le dévorer était justifiée.

Il apprit qu'il existait des millions de mondes, des milliards de civilisations, d'incalculables individus de toutes races et de toutes origines à travers le cosmos, et que leurs destins s'entrelaçaient pour former le temps et l'espace.

Il apprit qu'il existait une grande guerre cosmique située hors de sa perception, dont les batailles se déroulaient sur des plans de conscience auxquels il n'aurait jamais accès, où les corps importaient moins que les idées, où les planètes étaient entrecroisées de lignes de Ley antipersonnel, où des systèmes entiers étaient déplacés pour boucher des trous dans le continuum. Autant que cela était possible, la Faction préférait ne pas y prendre part, mais y interférait de-ci de-là dans son propre intérêt, sans choisir de camp. Cousin Cent Quarante avait toujours voulu s'envoler vers les étoiles pour échapper au feu, aux balles, aux bombardements, aux avions de combat, à la guerre - mais dans cette guerre céleste qu'il découvrait à présent, les étoiles n'étaient que du carburant pour des armes capables de détruire la réalité. Il avait fui la guerre, mais la guerre l'avait rattrapé.

Il apprit que le 'passé' et le 'futur' étaient des conventions uniquement en vigueur chez des peuples qui ne comprenaient pas que le temps n'était qu'un concept, et qu'il était possible de modifier des évènements, comme un peintre retouchant un tableau gigantesque en plusieurs dimensions.

Un ingénieur de la Faction reprogramma son corps avec ce qu'il appelait de la 'biodata temporelle active', afin qu'il puisse saisir toutes les nuances du tableau formé par le temps et l'espace.

Il apprit que le but ultime recherché par les personnes effectuant ces retouches artistiques temporelles était la beauté toute particulière qu'on appelait "Paradoxe", et qu'il n'existait pas de quête plus noble, plus divine que celle du paradoxe parfait.

° ° °

- Oh. Je crois que je vois où vous voulez en venir.
- Pas trop tôt.

° ° °

Ça faisait maintenant pas mal de temps (faute d'un meilleur terme) que Cousin Cent-Quarante avait cessé de mesurer combien de temps (encore ce mot, les vieilles habitudes ont la vie dure) il avait passé au service de ses sauveurs, et il avait accompli des choses extraordinaires. Sa principale particularité y était pour beaucoup, car il faisait toujours forte impression lorsqu'il entrait quelque part, marchant au plafond, portant son ample robe noire antigravité et son masque d'os taillé dans le crâne d'une espèce qui n'existerait jamais.

Il avait vendu des armes temporelles à des peuples qui venaient à peine de découvrir la vapeur, et les avait regardés changer le cours de leur propre histoire en l'espace de quelques semaines.

Sur un monde en orbite autour d'Orion, il avait fait démanteler un temple ancien quelques jours avant sa destruction pendant un tremblement de terre, et il en avait revendu les pierres quatre mille ans auparavant, aux architectes en charge de sa construction.

A plusieurs reprises, il fut envoyé à la limite de la grande guerre cosmique qui lui faisait si peur, et il y récupéra des reliques, arrachées à des instants effacés de la réalité pour toujours.

C'est l'une de ces missions qui le mena à une lointaine petite planète bleue, en orbite autour d'une étoile naine jaune. Elle n'était pas directement impliquée dans la guerre - le peuple à sa surface n'était même pas temporel-actif - mais elle était au centre d'un nexus causal sur lequel reposait une partie de l'espace-temps. L'une des forces en puissance dans le conflit menaçait de faire disparaître cette planète, ce qui provoquerait à coup sûr une reconfiguration de l'univers, et personne n'avait particulièrement envie que ça arrive. La Faction, elle, s'en fichait royalement, et cherchait juste à tirer profit de la situation. C'était là que Cousin Cent-Quarante intervenait.

Il n'était pas certain d'avoir tout compris, mais apparemment, une ligne de ley, une craquelure dans la surface de la réalité qui exsudait un résidu d'énergie primordiale à travers la galaxie, passait juste sous la surface de la petite planète bleue. Il s'agissait de l'exploiter au maximum, en tant que source de carburant, avant que ce monde ne disparaisse et l'emporte avec lui.

Il lui suffisait de guider un vaisseau-concept au point le plus faible de la ligne de ley, de siphonner son énergie vers une époque où la Faction contrôlait ce même point, et de repartir.

Simple comme bonjour.

° ° °

- Faites-moi une place. Il est hors de question que je rate ça.
- Chut.

° ° °

Cousin Cent-Quarante matérialisa son vaisseau en tant que concept d'un bâtiment en ruines. Pour la population locale, qui n'était pas temporelle-active, le bâtiment aurait toujours été là, depuis des années, et personne ne remarquerait quoi que ce soit.

Dès qu'il sortit du vaisseau, cependant, il sut que quelque chose n'allait pas.

C'était une impression très désagréable de familiarité et d'étrangeté à la fois, et qui ressemblait à un déjà-vu, mais en beaucoup plus puissant, comme si quelque chose de glacé descendait le long de sa colonne vertébrale.

L'air était rempli de bruits, d'explosions et de métal, et on se battait dans le ciel, loin sous ses pieds. Des machines volantes primitives virevoltaient, s'affrontaient, et s'écrasaient parfois au loin dans une gerbe de flammes. Des avions ? Oui, il s'en souvenait. Des avions.

Un souvenir enfoui, celui d'une vieille peur viscérale, remonta à la surface de sa mémoire comme de la vase agitée au fond d'une mare par une créature visqueuse.

Cercueil volant.

° ° °

- Vous en voulez ? Je crois que ça s'appelle des "popcorns".
- La ferme, j'ai dit.

° ° °

Quelque chose n'allait pas. Oh non. Quelque chose n'allait pas du tout. Rien n'allait. Rien n'irait plus jamais, jamais.

Dunkerque. Messerschmitt. 2 juin 1940. Cercueil volant. Fairey Battle.

Flamber comme une torche.

Il fallait qu'il parte d'ici au plus vite.

Non. Il avait une mission. La ligne de ley était toute proche. Il pouvait la sentir d'ici. Elle passait juste sous les poteaux électriques qui se trouvaient un peu plus loin. Il suffisait de dérouler un câble jusque là-bas et de revenir. Ensuite, il pourrait voler loin, très loin, mettre le plus de distance possible entre ce point de l'espace-temps et lui, et oublier tout ça. Enterrer ces bruits et ces avions très profondément dans sa mémoire et ne plus jamais y repenser. S'il échouait, la Mère ne lui pardonnerait jamais, et on l'obligerait sûrement à faire quelque chose d'horrible en guise de punition.

Il courut en équilibre le long des câbles électriques, sa robe noire antigravité flottant derrière lui, le sol au dessus de sa tête, le ciel qui l'attirait sous ses pieds. C'était facile, très facile. Comme s'il avait fait ça toute son existence.

Au dessous de lui, il entendit passer plusieurs avions, et il se crispa sous son masque en os.

N'y pense pas. Pense à la mission. Connecte ce câble. Fais-le monter vers la- enfin descendre vers la ligne de Ley. C'est très facile.

Trop facile.

Cousin Cent-Quarante réalisa soudain qu'il avait commis une erreur de débutant.

Cette planète bleue était au cœur d'un conflit entre des forces temporelles-actives. Si une ligne de Ley passait à cet endroit, ces forces s'étaient sûrement chargées de la protéger. Il s'était tellement focalisé sur les avions, le bruit et la peur qu'il en avait oublié de demander à son vaisseau d'analyser la zone avant de connecter le câble. Et une des centaines de choses horribles dont il avait déjà entendu parler au cours de sa formation lui revint soudain en mémoire : on pouvait piéger une ligne de Ley. Ça ne faisait rien du tout à la population locale de la planète, mais n'importe quelle entité temporelle-active qui s'en approchait se faisait ravager le système nerveux.

Une ligne de Ley antipersonnel. Ce truc était une ligne de Ley antipersonnel.

Très loin, sous ses pieds, un avion brûlait.

Il avait commis une erreur. Il fallait qu'il-

La ligne éclata et vomit un milliard de reflets colorés dans sa direction, un jaillissement mortel que lui seul pouvait voir. Son hurlement de terreur fut couvert par le bruit du bombardement de Dunkerque.

Cousin Cent-Quarante sentit la ligne de Ley brûler ses nerfs depuis longtemps insensibles à quoi que ce soit, détruire tout ce qu'il y avait de temporel-actif en lui, et arracher sa biodata à son corps, décollant de lui tout ce qu'il était comme s'il s'agissait d'un vulgaire timbre-poste. Des couleurs impossibles explosèrent devant ses yeux et projetèrent son identité vers le ciel comme un geyser d'étoiles et d'étincelles colorées. Il pensa que c'était la dernière chose qu'il verrait. Et que cette dernière chose était la plus belle chose qu'il ait jamais vue.

Non, se dit-il. Il l'avait déjà vue.

Il l'avait vue il y a des siècles.

Tout ce qu'était Cousin Cent-Quarante monta à la rencontre d'un homme qui venait de sauter d'un avion loin, très loin dans le ciel, dont le parachute flambait comme une torche, et qui tombait comme une pierre.

Sa dernière pensée, avant que son existence ne percute celle de cet homme qu'il avait été il y a bien des siècles, pour n'en faire qu'un individu unique, était qu'il n'y avait pas de quête plus noble, plus divine que celle du paradoxe parfait.

° ° °

Rien n'est plus important que l'esthétique.

Rien.

° ° °

- Dommage que ça soit déjà fini.
- Tout bien réfléchi, je veux bien quelques-uns de vos "popcorns".
- Et maintenant ?
- Oh, je suis certaine qu'on peut trouver beaucoup d'autres humains avec qui s'amuser. Vous avez entendu parler d'un certain Robert ?

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