J’ai l’habitude de percevoir les choses abstraites, les non-sens mais, d’une manière ou d’une autre, je comprends. C’est un instinct, une intuition : pas comme un oiseau qui sait construire un nid mais plutôt comme des brindilles qui se mêlent pour ne faire qu’un. Il y a quelque chose de magique dans la manière avec laquelle j’interagis avec l’extérieur. Chaque pièce est un minuscule fragment d’univers et certains laissent entrapercevoir son histoire. Un miroir brisé qui scintille de lueurs impossibles. Ces choses sont volontaires et accidentelles et accessoires et absolues et parfois je découvrais une forme de sagesse noire gisant dans la rue.
Vous avez entendu parler de l’éléphant qui faisait de la peinture abstraite ? Je suis allé le voir au zoo parce que je pensais que ce serait intéressant. Je me suis surpris moi-même. Moi qui suis cynique et qui ai l’habitude de passer à côté de ces choses volontairement, et bien j’y suis allé et j’ai observé l’éléphant qui peignait. Je trouvais ça génial. Les peintures m’ont fait me sentir heureux, tellement que j’en ai acheté une.
J’ai accroché de nouvelles peintures en face de mon lit. Je les vois à chaque fois que je me réveille et me couche, ça m’a aidé à m’en imprégner. J’aime croire qu’elles influencent mes rêves. Je n’ai eu qu’un seul rêve quand mon mur était recouvert de ces peintures. Il est composé de couleurs. Couleurs, mémoire et un goût très prononcé de cuivre. Il n’y avait aucun mot, ou bruit, ou contact, seulement la vie … ou, peut-être, que non. Ce rêve était différent. Je me suis réveillé en proie à l’excitation.
J’ai vécu. Des trillions de personnes convergentes, dansant à travers des espaces infinis qui disparaissent alors vers un lieu insaisissable. Finalement, quand j’ai ouvert les yeux, j’ai trouvé la peinture au pied de mon lit. C’était plein de sens. J’étais persuadé que l’éléphant avait eu le même rêve que moi.
D’autres choses ont un sens étrange à mes yeux. J’ai vu un miroir cassé dans des toilettes. J’ai eu l’impression que si je restais assez longtemps, la personne de l’autre côté voudrait me parler. Evidemment, ça n’est pas arrivé, mais lorsque je me suis endormi j’ai pu apercevoir la Terre à travers une lunette : elle tombait encore en encore dans le terrier du lapin.
La voisine. Chaque jour, elle quitte le bâtiment avec un sourire malicieux. Je ne pourrais pas décrire ce que j’ai vu cette nuit-là mais je me suis réveillé avec une sensation horrible, comme si j’avais avalé des aiguilles ou des épines et qu’elles étaient restaient bloquées dans ma gorge. Et j’avais l’impression qu’elle aussi avait vu la même chose.
Un jour je l’ai vu partir avec un homme qui avait le même sourire et j’ai su que je ne la verrais plus pendant un long moment.
J’ai vu des trous dans une toile. Sur le pavé, je pouvais voir les endroits où les mites avaient mangé le tissu. Dans mes rêves, j’entends des détonations de lumière à travers l’espace : je perçois l’écho des cris des glorieuses tulipes. Mes paupières s’ouvraient alors que je sentais la chaleur du soleil.
Je me pose des questions sur la fille que j’ai vu tout à l’heure : est-ce que le soleil s’infiltre dans son appartement aussi ?
Je cherchais des réponses.
Son studio était complétement aménagée, avec ces bibelots et tout ça. Avait-elle été enlevée ? Etait-elle morte ? Tout ce qui restait d’elle à présent, c’était des souvenirs et l’interprétation que je m’en faisais. Je pouvais voir au contenu de ses cahiers qu’elle suivait des études d’économie dans l’université pas loin d’ici. Je trouvais une photo d’un homme, pas celui avec lequel je l’avais vue plus tôt. Qui était cet autre homme ? L’homme sur la photo avait l’air d’être son petit-ami. Je décidais que ça devait être son petit-ami.
Je ne rêvais pas cette nuit Une singularité, un pilier de lumière, un reflet brisé : je ne vis rien de tout ça. J’imaginais que mon esprit était sur une sorte de piste sans avoir une idée de quoi il pouvait s’agir. Ce que j’avais pris pour de la magie se transforma en voyage à l’intérieur de ma tête, là je me voyais franchissant les limites de la vie personnelle d’une autre personne.
Plus de rêves. Tous ces fragments cosmiques rassemblés dans mon appartement m’énervaient à présent. Je redevenais amer. Je ne supportais plus la peinture de l’éléphant et tout cet univers cosmique que j’avais créé.
Puis la fille revint. Je l’ai aperçu un jour alors qu’elle tournait au coin du couloir et j’ai pu l’entendre avoir une dispute un étage en dessous. Quand je quittais mon studio hier, j’ai reconnu ses hurlements dans le hall.
Ce n’est pas pareil !
C’était l’homme de la photo. Elle se détourna et commença à pleurer. L’homme avait l’air à la voix frustré et effrayé. Il lui ressemblait énormément.
Pourquoi ce n’est pas pareil ?
L’homme qu’elle avait quitté il y a un moment déjà apparu au détour du couloir avec une femme d’âge moyen.
Elle ne sourit pas.
Le couple échangea un baiser aux pieds des escaliers.
Pourquoi ne sourit-elle pas ?
La fille cria sur son frère avant de le prendre dans ses bras et de l’embrasser.
Ce n’est pas son monde.
Une forte dose d’endorphine me prit la tête. Un rictus apparu sur mes lèvres. Je riais et pleurais et je me fichais du regard qu’ils me lançaient. C’était un accident. Un chef d’œuvre. Je venais de faire un miracle.
Je comprenais que nous existions dans leurs souvenirs … et les autres existent dans les nôtres. Mes souvenirs d’elle étaient faux mais, maintenant, ils étaient absolus.
Cette nuit, j’ai eu du mal à trouver le sommeil mais je rêvais. Je rêvais de choses qui s’échappaient vers un lien insaisissable. Je les voyais se regrouper de l’autre côté. Devenus un grossier reflet de ce qu’ils avaient été, ils poussaient des hurlements. Je me réveillais et fixais mon ventilateur, la tête qui tournait encore.
Je jetais quelques déchets ; mon studio était vide sauf les peintures. Les œuvres du petit éléphant joyeux recouvrant le sol et les murs. J’étais allé au zoo et avait acheté l’ensemble des peintures qui s’y trouvaient.
C’est une bonne chose d’être un maitre des arts.
Je me couchais et me réveillais entouré deux tout. La fille vivait avec son frère et l’homme était parti. Elle pleurait et il pleurait et ils pleuraient parce que le monde n’était pas le leur et ils le savaient.
Je commençais mon art. J’achetais un peu de peinture et des pinceaux en poil de chevaux et quelques magnifiques feuille de papier d’un blanc superbe et je commençais à appliquer la peinture, mais les couleurs ne se mélanger pas de la bonne manière et tout fut gâché.
Je me couchais et me réveillais et mes rêves étaient de pyrite et de souffre. Le petit-ami et la voisine souriaient et riaient et franchirent un cap. Je saisissais mon pinceau en poil de chevaux et lacérais la peau rêche de la toile de nuances noires, bleues et rouges et d’autres nuances que les mots ne peuvent expliquer.
Je me couchais et me réveillais et mes peintures n’étaient pas assez bonnes alors je prenais un pinceau et je peignais ma peau grise et la lumière bleue du soleil sur ma peinture indigo mélangé avec le rouge du couple d’à côté et tout était lié dans une lueur unique et avait la consistance de deux vomis.
Je me couchais et me réveillais.
Je me couchais et me réveillais.
Je me couchais et me réveillais.
Je me couchais.
Une infinité indicible de lumières qui baigne dans une unité impossible. Une pensée errante : il ne serait pas agréable de danser parmi les fées ? Les lumières craquelèrent et brillèrent et murmurèrent des mots inconnues aux creux de ma gorge et les mots devinrent mien et le monde n’avait aucun goût.
Je disparu dans la distance et ne me réveilla jamais.