Dans l'orbite de Jack

[██] Mardi
Dans un groupe d’enfants qui discute dans la cour du collège, un garçon interroge une des filles.
- Et toi Cécile, t’as eu combien ?
La fille cache sa copie et reste silencieuse.
- Tu peux pas la cacher, comme tu peux pas cacher c’que tu fais le soir dans ta chambre.
La fille s’immobilise un instant, et fronce rapidement les sourcils.
- … Pff… N’importe quoi…
Puis elle s’éloigne du garçon.
Ce dernier crie en riant.
- N’oublie pas d’éteindre la lumière !

La fille rentre chez elle. Ses parents l’interpellent depuis la salle à manger.
- Ça va Cécile ?
Elle répond d’un hochement de tête puis monte directement dans sa chambre.
Elle éteint la lumière, ferme les rideaux, se cache sous la couverture de son lit.
- Je suis immonde… il le sait. Tout le monde va le savoir.
Elle sanglote, recroquevillée.

[██] Mercredi
Le lendemain, la fille entre dans l’école, les yeux baissés et évitant de croiser les regards.
Elle a le souffle court et les mains qui tremblent.
Le garçon de la veille se met face à elle.
- Alors pas trop pleuré hier soir ?
Elle repousse avec force le garçon et le fait tomber.
Les amis du garçon interviennent.
- Bah… qu’est-ce que t’as ?
Puis ils aident leur camarade à se relever.
- Allez viens Raph’, elle est bizarre cette fille de toute façon. J’suis sûr qu’elle a que ses peluches comme amies.
Il n’y eut pas d’autre incident durant la journée.

Le soir, en rentrant chez elle, elle écrit son journal.


Mercredi 28/10/2006 17h15,

Aujourd’hui, à l’école, Raph est encore venu me faire chier. Il était avec ses amis en plus. J’espère qu’il n’a rien dit aux autres cons. Je le hais. JE LES HAIS. Comment est-ce qu’il peut le savoir ?
En plus, un de ses copains m’a dit que j’avais pas d’amie. Il a dit que j’avais que des peluches comme


En écrivant ce que lui avait dit le garçon, elle s’arrêta.
- Les peluches, c’est les peluches !
Elle s’empare d’une paire de ciseaux sur son bureau, éventre les différentes peluches qui se trouvent sur son lit et sur son étagère. Elle en extrait toute la fibre synthétique. Elle fouille dedans. Puis, elle fixe la tête des peluches et sectionne lentement leurs yeux. Elle pose toutes les paires d’yeux sur le cahier de mathématiques sur son bureau. Elle prend une figurine de fée en métal et avec le socle broie violemment ces yeux. Elle regarde et sépare les débris.
- Rien…

[██] Jeudi
La fille se lève soudainement de son lit. Elle est en sueur et sa respiration est rapide.
Elle sort de son lit et s’assoit rapidement à son bureau. Ouvre et écrit dans son journal.


3h17

Je viens de faire un cauchemar. Je me suis tout de suite levée pour l’écrire tant qu’il est encore là dans ma tête. Je les vois encore. Ces regards qui me suivent. Ces yeux.

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Le matin, elle évite tous les gens et s’isole.
En début d’après-midi, le garçon de la veille revient vers elle.
- Qu’est-ce que tu me veux encore ?
- Oh rien, rien, je voulais juste savoir si tu t’étais bien amusée avec tes amies les "peluches" ?
- Mais dégage, laisse-moi tranquille ! Arrête de m’espionner ! Malade !
Elle court et s’enferme dans les toilettes. Assise sur la cuvette, elle remonte ses genoux et les serre contre elle et pleure. Elle y reste jusqu’à la fin des cours.

De retour chez elle, sa mère l’accueille en la questionnant.
- Cécile, j’ai eu un appel du proviseur, il paraît que tu as raté les derniers cours de cet après-midi ?
- Oui, j’ai eu mal au ventre. Ça t’arrive jamais d’avoir mal au ventre ? J’en ai marre que tout le monde veut savoir ce que je fais tout le temps. Z’avez qu’à mettre des caméras sur moi tant que vous y êtes !
- Vu ton comportement on devrait peut-être y penser.
La fille monte dans sa chambre sans répondre.

Elle commence à retirer ses vêtements. Mais s’arrête. Elle regarde son journal et les restes de peluche sous son lit. Elle prend ses habits de nuit et va dans la douche. Elle retire son pantalon, ses chaussettes, son pullover. Et reste en sous-vêtements avec un t-shirt. Elle regarde autour d’elle et entre dans la douche. Elle allume l’eau chaude et se lave.
En sortant de la douche, elle prend une serviette et commence à se sécher. Elle s’arrête un instant et se rapproche du miroir embué. Elle essuie la buée du coin du bas à gauche avec sa serviette. Puis elle gratte le miroir avec son index.
- C’est quoi ça ? Putain ils ont en mis même ici ?
Elle regarde son reflet.
- Tu veux me voir ? TU VEUX ME VOIR ?
Elle prend le verre de brosse à dents et brise le miroir.
Elle court vers sa chambre. Elle casse aussi le miroir de sa chambre. Puis retourne tous les objets qui s’y trouvent.
Le père entre et crie.
- Cécile ! Qu’est-ce qui t’arrive ? C’est quoi tout ça ?
- Arrêtez ! Arrêtez tous de me regarder avec ces yeux !
- Mais de quoi tu parles ?
- Mais arrête putain !
Elle se met son oreiller devant sa figure et ne voit plus rien.
- Bon… demain je t’emmène voir le Dr Mire.
La lumière s’éteint et la porte claque.

[██] Vendredi
La fille reste silencieuse durant le trajet.
- Je ne comprends vraiment pas ce qui t’arrive… Ça ne te ressemble pas.
Un homme les accueille.
- Nous allons discuter avec Cécile pendant trois quarts d’heure, ensuite je viendrai discuter avec vous.
- Bien docteur.
- Allez, entre, Cécile, n’aie pas peur.

Durant la séance, la fille explique qu’un garçon de sa classe n’arrête pas de la suivre et que tout le monde la regarde de travers. Elle raconte ce rêve avec des yeux qui la suivent. Et finit par confier qu'elle se sent constamment surveillée.
Après la séance, le docteur convoque le père.
- Votre fille semble avoir une montée de colère passagère. Cela ne semble être rien de grave. À cet âge, ça peut être dû à un petit copain ou au stress des notes. Ce n’est pas rare. Je vais lui prescrire des somnifères contre les cauchemars et des anxiolytiques légers contre le stress. Elle aura surtout besoin de prendre confiance en elle. Vous pouvez par exemple lui donner des responsabilités pour augmenter son estime d’elle-même.
- Vous pensez que ça va passer ?
- Oh oui. Ne vous inquiétez pas. Je garderai un œil sur elle de toute façon.
- Merci docteur, on vous tiendra au courant. Au revoir.
- Oui, au revoir.

[██] Samedi
Elle prend le courrier. Et regarde les prospectus et lettres. Deux lettres pour ses parents, une publicité alimentaire et une autre pour un service de sécurité.
Une publicité pour un service de surveillance. « NOUS SOMMES L'ŒIL QUI SURVEILLE »

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Les mains de la fille tremblent. Les médicaments semblent contenir ses crises de colère. Son pas est lent, elle rentre dans sa maison.
- Tu es là ma petite chérie ? Est-ce que tu pourras emmener Paul avec toi à la fête foraine cet après-midi ?
Elle se dirige vers le salon.
- J’ai pas trop envie de le surveiller…
- Tu préfères que ce soit nous qui te surveillons ?
- OK, mais on a besoin d’argent. Sinon on pourra rien faire.
Le père donne deux billets à la fille.
- Seulement ça… ?
- C’est bien suffisant !

Dans un coin de la fête foraine, la fille s’arrête devant une diseuse de bonne aventure mécanique. Elle y insère une pièce. Rien ne se passe. Elle secoue la machine et elle se met en route. Les lumières s’allument. La machine au visage de vieille dame dirige subitement son regard vers la fille et une carte sort de la machine.
La fille prend la prédiction et y lit son inscription.

Les gens qui font des choses terribles méritent des choses terribles. Vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-même, ma chère.


La fille reste figée un instant, puis regarde rapidement à droite puis à gauche. Elle se débarrasse de la prédiction en la jetant dans un recoin.
Un garçon l’interpelle.
- Hé ! C’est pas bien de jeter ses ordures par terre.
Il ramasse la prédiction.
- Voyons voir… c’est tout à fait toi avec toutes ces choses terribles que tu as faites !
Plus loin, une voix crie.
- Séraphin ! On rentre ! Magne-toi !
Le garçon en partant se retourne vers la fille.
- N’oublie pas que je garde un œil sur toi ! J’passerai voir ton costume ce soir. S’il est bien j’irai faire la tournée avec toi !
La fille ne réagit plus beaucoup. Elle est dans un état apathique.

En rentrant elle se dirige vers la cuisine.
- Alors cette fête foraine c’était bien ?
- Mouais… Je vais faire une tarte.
- C’est bien ma fille, on la goûtera des qu’elle sera prête.
La fille marmonne pendant qu’elle sort les ingrédients.
- Choses terribles… méritent des choses terribles.
Elle monte dans la salle de bain, prend les boites de médicaments et les redescend dans la cuisine.
- Choses terribles… méritent des choses terribles.

Le père, la mère, le frère mangent la tarte avec le coulis rouge et la crème fouettée.
- C’est plutôt bon !
Le père s’installe sur le canapé.
- C’était quand même un peu lourd. Je vais me reposer un peu.
- Je viens te rejoindre mon chéri, Paul est allé dans sa chambre lui.

L’horloge sonne 17h30. La maison est maintenant silencieuse.
La fille prend une assiette, se sert une part de sa tarte à la citrouille. Elle prend une cuillère et ajoute de la crème fouettée et du coulis de cranberry. La crème blanche coule sur les croisillons de pâte, se mélangeant au rouge sang du coulis.
Elle s’assoit sur la balancelle du porche. Elle tourne la citrouille de Jack face à elle. Elle allume les feux à l’intérieur.
- Si je ne les vois plus, ils ne me verront plus. Hein, Jack?
La nuit commence à tomber. Une agitation commence à se faire entendre aux alentours.
Un moment plus tard, le garçon croisé à la fête foraine arrive.
- Waah ! Trop cool ton déguisement ! On dirait trop qu’c’est vrai.
Il la secoue. Elle laisse tomber sa cuillère par terre et sa tête en avant. Un coulis rouge sur la cuillère se répand sur le bois du porche.
Le garçon recule et bouscule la citrouille de Jack qui roule au sol et en perd ses yeux. Deux globes oculaires roulent sur le sol tandis que la lanterne poursuit sa course vers le balai de la sorcière.
Les pieds du garçon restent un moment immobile. Il fixe un des iris des yeux sur le sol.
La lanterne enflamme la paille. Le garçon part en courant.

- Enregistrement terminé -

Une équipe de récupération de niveau 3 est en cours de déploiement pour ramener l’artefact A-3Y35.

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