Herman,
Je dois débuter cette lettre par une confession.
Lorsque je suis entrée dans votre chapiteau il y a quelques jours, j'étais poussée par l'indignation et une curiosité morbide. Lorsque je suis allée à la rencontre de votre troupe après la représentation, je cherchais à confirmer mes pires craintes. Que vous exploitiez les membres de votre cirque, humains comme animaux, pour le profit. Que vous les ayez privés de dignité et forcés à vivre en cage car ils n'avaient nulle part où aller.
Mais ce que j'ai trouvé a balayé mes craintes. Ce que j'ai découvert ce soir-là, en voyant cette troupe d'individus heureux, emplis d'amour et de camaraderie, était la chose la plus belle à mes yeux. Ce que j'ai trouvé, c'était un refuge. Un foyer pour ces êtres à qui l’on dénie le droit d’exister pour préserver des règles arbitraires qui doivent prétendument régir notre société.
J’ai pu échanger avec Sylvie, l’acrobate pouvant enfin exposer au grand jour la beauté des mille étoiles qui constellent sa peau. Milan le clown m’a raconté comment son visage ne lui valait que grimaces de peur et de dégoût, mais par la magie du maquillage peut désormais susciter le rire et la joie. Lazlo, le garçon de piste, m’a montré la façon dont il s’occupait de sa bande de chats rebondissants, et par ce biais l’affection et la tendresse qu’il leur portait.
Enfin, quand je vous ai rencontré, Herman, j'ai découvert un homme dont le véritable but était de pourvoir aux besoins de ces marginaux. Un homme pour qui le spectacle n’était pas un commerce mais un art, une passion, un moyen de rendre les gens heureux. Aussi bien les spectateurs que les acteurs, qu’ils aient deux, quatre ou six pattes.
C'est pourquoi je dois vous le dire. Après que vous ayez lavé mon cœur de ses craintes, d’autres sentiments sont venus s’y installer. Et lorsque l’itinérance vous amènera non loin de Boring, j’aimerais vous rendre la pareille en vous invitant à passer un après-midi au refuge des Solutions Fauniques Wilson. Vous m’avez montré l’œuvre de votre vie, j’aimerais vous montrer la mienne et celle de mon père.
Si cela vous convient, nous nous promènerons dans le centre où nos amis attendent de trouver une maisonnée pour les accueillir. Vous ferez la connaissance de douces et magnifiques créatures, ainsi que de notre fantastique équipe. Ensuite, peut-être nos pas nous guideront-ils hors du refuge, à travers les bois, sur les sentiers sauvages de l’Oregon. Dans cette éventualité, soyez assuré que je viendrais préparée avec un repas sous le bras. Mon père m’a montré tous les plus beaux panoramas de la vallée, et j’en ai plus d’un en tête qui rivalisera presque avec ce que j’ai pu voir depuis vos gradins.
Pourvu que vous désiriez prolonger ce moment, je ferais entrer en piste le plus beau coucher de soleil de l’état. Il sera suivi de notre attraction phare, la voix lactée, qui viendra danser pour votre plus grand plaisir au-dessus des pins. Enfin, nous redescendrons à la lueur des lampes torches, avec pour accompagnement final l’orchestre nocturne de la faune oregonaise.
Vous apportez avec vous la joie brute et intense, le ravissement face au grandiose et à la démesure. J’espère partager avec vous le doux plaisir silencieux, l’agréable quiétude tout aussi délectable, et le bonheur de trouver l’extraordinaire dans le plus ordinaire.
Et qui sait, si votre visite coïncide avec la Saint Valentin qui approche à grands pas, peut-être ces sentiers nous mèneront-ils encore plus loin…
Je joins à cette lettre toute mon affection, et j'espère avoir bientôt de vos nouvelles.
Faeowynn Wilson