La porte de la salle s'ouvre sur un genre d'aquarium. Hier, c'était un terrarium. La salle est bétonnée, du sol aux murs, et je n'aime pas ça.
— D-7891, vous nous entendez ?
Les haut-parleurs grésillent soudainement, me faisant frissonner de la tête aux pieds. Une voix émerge, celle d'un homme visiblement fatigué. Je hoche la tête.
— L'émetteur d'ultrasons est activé. Montez sur cette plateforme, qui vous emmènera au dessus de la cellule de confinement primaire de l'entité. Une trappe va s'ouvrir, et vous entrerez dans la cellule de cette manière.
Un vivarium. J'imagine déjà quelque animal terrifiant en sortir. Un animal comme une mygale, un serpent ou un scorpion. En tout cas pas cette espèce de crabe auquel j'étais affecté avant.
Avant. Avant, quand j'étais dans une cellule avec six autres types. Avant, quand en raison de ma maladie, j'étais affecté à des entités assez peu dangereuses. Avant, quand je pouvais encore m'habituer.
Contracter une maladie à cause de ces saloperies d'instances de 028-FR, je ne pensais pas que c'était possible. Mais depuis que j'ai été exposé à cette entité, ils ont ralenti mes roulements. Parce que je suis malade. Alors que les autres Classes-D tournaient au moins une fois par mois, j'étais affecté à des entités sur un temps plus long que les autres. Surtout à des animaux. Mon dernier roulement stable consistait à alimenter le crabe. C'était routinier mais pas dangereux tant qu'on lui apportait des aliments non liquides.
Mais depuis quelques temps, ces roulements ont augmenté. Je change tous les jours. Et j'en sors toujours plus fatigué. Meurtri. Les entités sont de plus en plus dangereuses et agressives. Hier, j'ai pris un violent coup de pied, je ne pouvais plus respirer en sortant de la cellule. Évidemment, j'ai été transporté à l'hôpital. Avant 028-FR, j'étais moins soigné que ça. Parce qu'il y avait assez de Classes-D et qu'on pouvait se passer des plus abîmés.
Maintenant, ce n'est plus le cas. Je suis confronté au pire chaque jour, et je ne suis même plus sur le même site. On m'a envoyé à Yod. Dans l'avion, j'entendais les gardes parler de Yod comme d'un site dangereux. Ils disaient que c'était scandaleux que des chercheurs eux-mêmes soient obligés d'entrer dans les cellules alors que ça ne devait pas être possible, ceux-ci ne devant pas être chargés d'autre chose que de l'étude des anomalies. Ils disaient que même les gardes s'occupaient parfois de la manutention des entités alors que ce n'est pas leur rôle. Pas de réponse quand j'ai demandé des explications.
Alors j'avais pris peur. Et puis j'ai atterri dans une cellule avec trois autres gars.
Des paumés, comme moi.
Qui avaient commis des crimes.
Pas comme moi.
Ils ont disparu peu à peu. On ne nous a pas dit pourquoi. J'ai entendu parler de mon codétenu, D-596, et de SCP-111-FR, une entité arachnéenne. J'ai imaginé une araignée géante. Il est rentré avec les traits tirés. Il a pas voulu nous en dire plus. Puis il a commencé à vieillir. De plus en plus au fil des jours. Il paraissait avoir 80 ans alors qu'il n'en avait que 25.
Puis il est mort. On n'a jamais su pourquoi.
— D7891 ? Vous nous entendez toujours ?
Je ne réponds pas. Le vivarium est immense, et je m'attends à voir surgir cette araignée, et à mourir comme D-596. Mon cœur bat n'importe comment.
J'ai peur.
— Ou… oui… Je… je vous entends.
J'aimerais tellement ne rien entendre. Retourner en cellule. Mais on m'a dit que je n'aurais rien à faire aujourd'hui, ce que j'ai trouvé étrange, et on m'a assigné à ce truc dont je ne sais absolument rien.
— Montez sur l'échelle.
J'obéis en frissonnant.
"La trappe va s'ouvrir. Vous allez transférer ce qui en sort jusqu'au vivarium que vous voyez face à vous.
Mes lèvres tremblent. J'ai envie de pleurer. Je ne veux pas mourir. J'ai failli y passer avec une entité confinée en vivarium, j'en ai encore des frissons quand j'y repense.
— D'accord…"
La trappe s'ouvre dans un horrible grincement métallique. Je serre les dents, j'ai horreur de ça. En tombe une quantité de chair immonde et rose rougeâtre, droit sur le plafond du vivarium. Je fais la grimace et recule d'un pas. Pour la dernière entité dont je me suis occupé avant d'arriver à Yod, il fallait aussi fournir de la viande.
Des bouts de cadavres. Ça, je m'y suis jamais fait. J'ai jamais réussi à oublier. Surtout le jour où ils m'ont fait traîner le cadavre de D-687 dans un autre vivarium. Un autre de mes trois codétenus, mort suite à une expérience sur cette chose. Des jours entiers pour m'en remettre. Je m'étais fait passer pour très malade, afin qu'ils me transfèrent à l'hôpital. Avec ce que je me traîne comme saloperie, j'ai rarement de mal à y aller, contrairement aux autres Classes-D.
— Ouvrez la trappe du vivarium et transférez-y la nourriture.
Je n'ose pas monter le dernier barreau. Tétanisé par la peur. Je ne veux pas voir cette horreur réapparaître. Il y a une bonne couche de terre sur le sol, mais cela ne veut pas dire que c'est un truc différent. Les procédures de confinement ont pu changer.
— D-7891 ?
Je secoue la tête. À ce moment, la terre bouge. Je pousse un hurlement de terreur, horrifié à l'idée de revoir ces dents surgir et tenter de m'attraper.
— Non, je peux pas ! Je peux pas !
Je me mets à pleurer. Un garde entre dans la salle et me fait voir son arme. Je connais trop cette attitude. On raconte qu'avant que la chair à canon que nous sommes ne devienne trop rare pour qu'on se permette de l'utiliser à tout va, les Classes-D étaient exécutés lorsqu'ils refusaient d'obéir aux ordres. Je ne veux pas que ça m'arrive.
— Ouvrez la trappe du vivarium et transférez-y la nourriture.
Alors, ravalant mes larmes, je pose mes yeux sur la vitre. C'est sorti.
Un truc énorme. Avec des pattes, mon Dieu… tellement de pattes… Noirâtre, plusieurs mètres de long, recouvert d'une carapace, et des centaines de pattes. Et ça marche. Ça se déplace. Ça va lentement, ça se dresse, comme si ça sentait ma présence. Tout ce qui me vient est un juron.
"Oh putain c'est quoi ce truc ?
— Veuillez rester immobile."
De toute manière, je suis incapable de bouger. Cette bête a surgi des tréfonds du vivarium, et ondule lentement vers moi. Je me crispe, les mâchoires si serrées qu'elles pourraient sauter.
On dirait un trilobite géant.
"Ça va m'attaquer ?
— L'émetteur à ultrasons étant activé, vous n'avez aucun risque d'être attaqué, D-7891. Si vous vous dépêchez de faire glisser la nourriture dans son vivarium à travers la trappe."
Je suis fasciné. Par la taille mais aussi par l'animal lui-même. C'est un véritable fossile.
"Ça n'a pas faim ?
— SCP-025-FR est pour l'instant uniquement attiré par les ultrasons que nous envoyons dans son vivarium. Mais dépêchez vous."
J'obéis. Étonné que cette fois, on m'ait donné cette tâche, assez peu dangereuse. Alors je m'active. Si ce machin est sur ce site, c'est qu'il est forcément dangereux.
Et puis le trilobite disparaît. Retourne dans la terre. Je suis à ça de soupirer de soulagement lorsque la voix du médecin se fait entendre de nouveau.
— Gardes, demande d'intervention immédiate !
Je sursaute, terrifié. Il y a un problème.
— D-7891 ! Bougez pas !
Je sens la peur dans sa voix. Quelque chose s'est mal passé. J'ai merdé. Pour qu'un docteur ait peur comme ça, c'est que quelque chose ne va pas. J'entends des gardes s'agiter, des ordres donnés, le cliquetis des armes qu'on enclenche et qu'on braque sur quelque chose ou quelqu'un. Et j'ai vécu trop de choses pour savoir ce que ça veut dire : une brèche de confinement imminente. Les ultrasons qui doivent servir à confiner cette horreur ne marchent plus et ce machin va s'échapper. Il va se barrer et la première chose qu'il va faire, ça sera de me bouffer parce que je suis l'être vivant le plus proche de lui.
— Refermez la trappe ! hurle le médecin. Refermez la trappe !
Là encore je m'exécute. Rapidement. J'ai pas envie de me faire dévorer par cet… animal.
Est-ce que c'est un animal, déjà ? Les trilobites ne sont pas censés avoir disparu il y a des millions d'années ?
— Bougez pas tant que vous en avez pas reçu l'ordre !
Là encore, je fais ce qu'on me dit. Je ne veux pas créer de problèmes. Le docteur est à bout de souffle, il a peur. Il a peur et ça se sent. Dans sa voix, dans son attitude.
— Réactivation des émetteurs à ultrasons. Bougez surtout pas !
La respiration courte, j'attends. Comptant les secondes dans ma tête pour ne pas penser à autre chose. J'en arrive à 180 avant que la terre ne se remette à bouger et que la bête en ressorte, faisant onduler son corps comme un horrible ver de terre. Elle se dirige, assez rapidement cette fois, sur un côté du vivarium, et y reste, ondulant frénétiquement comme un cobra devant lequel on jouerait de la flûte. J'attends encore. À la fois fasciné et terrifié.
— Vous pouvez rouvrir la trappe et y faire glisser la nourriture. Mais faites vite.
Je monte à l'échelle, j'ouvre la trappe du vivarium à toute vitesse, et je fais glisser tout aussi vite le tas de viande dans l'ouverture. La bête ne réagit pas. Elle est fascinée par le côté de l'aquarium où elle se trouve, alors que pour ma part, je ne vois rien. Je me hâte, lâchant les bouts de viande à toute vitesse, et je referme la trappe dans le même horrible grincement métallique que tout à l'heure.
— Alimentation de SCP-025-FR effectué, dit la voix du docteur qui me guide depuis mon entrée dans ce truc.
Je sens à la fois le soulagement dans sa voix, mais aussi la fatigue. Lui aussi a cru que j'avais merdé. Dans le micro, une respiration se fait entendre. Trop forte pour être normale. Il est comme essoufflé.
— Vous pouvez évacuer D-7891.
Des gardes s'emparent de moi. À peine sommes-nous sortis de la cellule de confinement que la porte se referme dans un bruit sec et métallique, qui résonne longtemps dans les couloirs. Je suis ramené dans ma cellule. Étendu sur son lit, D-812 se réveille péniblement de son sommeil. Il tremble. Les gardes me lâchent et je me laisse tomber sur mon lit à moi.
— Salut Étienne.
Il pose ses yeux verts sur moi.
— Salut…
La porte se referme. Nous laissant seuls dans la pénombre. Le soleil et la lune sont devenus nos seuls moyens d'éclairage depuis quelques temps. Je remonte mes jambes contre ma poitrine et soupire. Dans son lit, Étienne gémit faiblement. Je m'approche.
J'apprécie ce gamin, depuis un mois qu'on s'est rencontrés. Il a été transféré à Yod en même temps que moi. Il mérite pas ce qu'il vit. On ne le mérite pas, personne ne le mérite.
— Ça va, mon garçon ?
Son regard vert est humide de larmes et brille de peur.
— J'ai vu… ce truc… 062-FR. Je l'ai vu…
Il éclate en sanglots. Comme moi, il n'est pas encore habitué à tout ce qu'on peut voir dans le Site-Yod. N'ayant encore jamais vu cette entité, je ne peux pas savoir ce qu'il ressent.
— C'est quoi comme truc ?
Il tremble encore plus. Je ne peux résister à l'envie de le serrer dans mes bras. Je développe toujours trop d'attachement à mes codétenus, bien qu'ils ne restent pas longtemps. Il est trop jeune pour mériter de servir de cobaye pour tester ces horreurs.
—Je sais même pas… Un monstre. Un vrai monstre… une créature de l'enfer…
Il ferme les yeux. Je remarque un gros bleu sur la moitié gauche de son visage. Il est hautement probable qu'il se soit fait tabasser par des entités voire même les gardes, et Étienne n'est au fond qu'un gamin terrifié et facilement impressionnable.
"Ça va aller, mon grand. Il ne t'a pas attaqué ?
— Heureusement non. Il m'aurait tué, sinon."
Il souffle doucement.
"J'ai tellement mal…
— Allez, allez, calme-toi. De toute façon tu ne le verras plus avant quelques temps : on tourne tellement ici que demain, tu en verras une autre, d'entité."
La porte s'ouvre de nouveau. Sur un docteur. Un mec en blouse blanche.
— D-812, commence-t-il.
Je ne lâche pas mon codétenu.
— Au vu de vos réactions suite à l'alimentation de SCP-062-FR, l'équipe médicale a suggéré que vous preniez des amnésiques, afin de ne pas subir de traumatisme durable.
Le gamin accepte d'un hochement de tête, et essuie ses larmes d'un revers de main avant de se laisser mettre les menottes, précaution d'usage avant d'interagir physiquement avec des Classes-D. Le médecin s'approche, se place à côté de lui, et lui plante un seringue dans le bras, à travers la combi.
Les effets sont immédiats : il se relâche totalement, et souffle longuement, les yeux fermés. Les amnésiques devaient être couplés à de puissants sédatifs ou somnifères. Sa tête glisse du coté gauche, cachant son hématome. Il est endormi, il ne présente plus aucun risque.
Le docteur s'adresse ensuite à moi, pendant que les gardes libèrent Étienne de ses menottes.
— D-7891, l'équipe médicale du site auquel vous étiez auparavant affecté a également suggéré pour vous un suivi psychologique, afin de ne pas subir de traumatisme durable suite à votre expérience avec SCP-003-FR. Suivi approuvé par l'équipe médicale du Site-Yod au vu de votre réaction face au vivarium de SCP-025-FR.
J'accepte aussi. Si ça peut m'aider…
Lorsque je rouvre les yeux, il fait nuit. La Lune projette des ombres, dont celle d’un jeune homme qui regarde par la fenêtre.
Ma respiration courte l'alerte. Il se retourne. D-812 est inscrit sur sa combinaison orange. Un hématome violet recouvre la moitié gauche de son visage.
Je lui tends les bras. La seule partie de mon corps que je peux bouger. À ma grande surprise, il fronce un sourcil.
"Vous êtes ?
— Ben… D-7891. Tu te rappelles pas ?"
La réponse me revient aussi sûrement qu'une claque dans la gueule : les amnésiques ont eu sur lui un effet foudroyant. Pour qu'il oublie 062-FR, ils lui ont injecté soit des trucs bien puissants, soit une forte dose.
— Non. Je sais pas. Euh… Désolé. Je me rappelle pas.
Et merde.
Je m'approche de lui, agite mon visage pour qu'il se le remémore, fais des pieds et des mains pour lui parler de son passé qu'il m'a déjà raconté. Il ne peut pas avoir tout oublié.
— Étienne, s'il te plaît…
Son air perplexe s'illumine alors soudainement, il se souvient de quelque chose.
— Ah ! Si, c'est toi. Désolé, je suis un peu… étourdi. Toi aussi, visiblement. Ah… ah ! Je crois que je me souviens de toi, bafouille-t-il en levant les yeux au ciel comme s'il était consterné par une stupidité qu'il n'a pourtant pas. Oui, je crois que je me souviens : on partage cette cellule depuis quelques jours. Désolé, je suis un peu… étourdi.
Je soupire, soulagé. Je me donne un peu de temps pour retrouver une respiration normale. Je ne sais pas ce que j'ai fait avant de me réveiller. Je ne comprends plus rien. Je ne sais pas où je suis.
— Je viens de voir un mec en blouse, me dit Étienne. Il voulait te parler, mais tu dormais. Selon lui demain, t'es affecté à 062-FR.
Là aussi ça me revient un peu. On en a parlé avant le trou noir général.
— Tu devais pas m'expliquer ce que c'était, 062-FR ?
Il fronce un sourcil.
— Hein ? 062-FR ? Qu'est-ce que c'est ?
Et merde.
Demain est un autre jour. Demain sera une nouvelle entité. Demain, ça manquera encore de D, parce que trop sont morts et trop vont mourir ici.
Demain est un autre jour. Demain, je serai confronté à une nouvelle entité dont je ne connais rien.
Demain, serai-je encore en vie ?