Camille, assise à la table de la cuisine, relisait pour la dix-septième fois d'affilée l'exercice donné par le manuel, sans être plus avancée que les fois précédentes. Quand les chiffres ne se mélangeaient pas entre eux, c'était le problème suivant qui venait s'inviter : elle confondait les différentes lignes, amalgamait les données et prenait les questions pour des réponses. Camille l'admettait, les mathématiques n'étaient pas sa spécialité, mais là ! Une quelconque bizarrerie devait affecter les devoirs du lendemain, expliquant en partie son désarroi total. Les mots ne pouvaient pas se mélanger ainsi en temps normal, elle en avait la certitude : même dans la bibliothèque cachée, elle n'avait rien vu de tel, c'est dire ! Un mal insidieux se cachait parmi les pages du manuel, oui, il n'y avait pas d'autre explication possible à ses yeux ! Ça ou l'approche des grandes vacances.
Cependant, Camille n'était pas restée impuissante pour autant, loin de là. Un tel problème ne pouvait définitivement pas décourager les Jacobusiers, surtout la plus téméraire d'entre eux ! C'est pourquoi, entre la cinquième et la sixième relecture, elle s'était levée de sa chaise inconfortable pour aller noter de précieuses observations sur son carnet spécial. Avant d'être rapidement ramenée à sa place par ses parents, qui veillaient au grain avec elle. Les incessantes remontrances de ceux-ci sur sa concentration limitée ne lui plaisaient pas, évidemment, mais elle avait déjà un peu trop abusé de leur patience ce matin pour se permettre de leur forcer la main. C'est pourquoi elle avait consenti à ignorer cet appel à la curiosité. Du moins pour ce soir. Du moins, jusqu'à ce que le dîner fût desservi : elle aurait alors toute la nuit pour se pencher sur cet étrange manuel. Et finir ses exercices aussi.
Mais pour l'instant, il fallait prendre son mal en patience, malgré l'insoutenable douleur que cela lui causait. Et le problème à lire et à relire jusqu'à ce qu'un miracle arrive. Son frère Sébastien passa à l'instant dans la cuisine, un sourire aux lèvres et hésitant à plaisanter sur sa condition, avant de vite repartir sous le regard noir de Camille. Sans un mot, il se dirigea aux toilettes sous l'escalier, son téléphone portable déjà à la main. Cette vision emplit Camille d'une rage sourde, venue s'ajouter à sa frustration latente : même pas le moindre coup de main de sa part, alors qu'elle était clairement en grande difficulté ! Que lui fallait-il de plus pour qu'il abandonnât sa saleté de téléphone ? Sa trogne hagarde et les cahiers éparpillés sur la table n'étaient-ils pas assez explicites ? Ces grands-frères et leur vue à si courte portée, il devait indéniablement y avoir une anomalie sous-jacente ! Mais le carnet s'avérait toujours inaccessible…
Quelle plaie !
Aucune inspiration sur l'instant, pas de plan pour s'en sortir, même pas de bricolage possible comme échappatoire.
Un aboiement vint couper court à ses pensées. Clair et bizarrement peu sonore, comme si l'animal derrière ne cherchait pas à déranger. D'abord un brin décontenancée, Camille reconnut l'importun dès la seconde occurrence de son cri. Elle sauta de sa chaise et se rua à la fenêtre, celle au-dessus de l'évier, pour découvrir un Gilles tout penaud. Assis, il attendait patiemment, relevant son museau à l'approche de la jeune fille. Elle était très contente de le revoir après tout ce temps, mais en même temps inquiète. Quelque chose n'allait pas, c'était évident. Que faisait donc le chien seul, aussi tard ? Et sans Archibald ?
Camille n'eut même pas le temps d'y réfléchir, ses parents débarquèrent dans la cuisine, eux aussi attirés par les aboiements. C'est aussi à ce moment que son frère sortit des toilettes, visiblement interrompu dans une partie de course sur son téléphone, mais tout aussi surpris des appels de Gilles, animal affectueux qu'il reconnaissait. La situation était critique pour chacun et le temps leur parut se figer : d'un côté Camille avait désobéi en quittant ses devoirs, de l'autre il y avait la présence de ce chien, de plus la question de la préparation du repas se posait, et que fichait donc encore le frangin ici, et quand Camille finirait-elle ses devoirs, et…
Un silence que Sébastien brisa net en mettant en action la plus étonnante des stratégies : il jeta brusquement son téléphone, qui s'écrasa sur le carrelage de la cuisine. L'appareil se brisa sur le coup, éparpillant ses composants. Ceux-ci se dispersèrent avec force de cliquetis, roulant sous les chaises. Le grand frère s'écria alors :
« Non ! Mon, mon portable ! »
Sa voix, tremblante et mal assurée, trahissait son manque d'aplomb face à cette situation tout particulièrement risquée pour lui. De ses yeux écarquillés, il fixait Camille, incrédule et immobile.
« Je, c'est, Lino m'avait passé le, le code pour ma session de travail. Il me le faut ! »
Sébastien supplia Camille du regard.
« Il me le faut pour ce soir ! »
Il fit un léger signe de la tête, appuyant ses mensonges. Un éclair de génie vint frapper la jeune fille, qui courut ramasser les débris ayant roulé sous la table de la cuisine.
« Le réparateur devrait encore être ouvert, j'y cours ! »
Toujours aussi stupéfaits de la scène, les parents restèrent immobiles, alors que Camille remplissait ses poches des vestiges téléphoniques, avant de sortir par la porte vitrée, qui claqua contre le mur à son passage.
« Je reviens vite ! »
Elle sourit tout de même à Sébastien, alors que le visage fraternel se décomposait maintenant qu'il réalisait la perte de son précieux appareil. Elle pensa fugacement que cela ferait beaucoup de grenades artisanales à transporter pour son compte lors des prochaines semaines.
Camille contourna le mur et retrouva Gilles, qui trépignait d'impatience.
« Bah alors mon grand, qu'est-ce qui t'arrive ? »
Le chien geignit, fixa la jeune fille et partit subitement. Saisissant la gravité de la situation, Camille le héla :
« Attends ! »
Elle bondit sur le tas de bois, s'accrocha à la gouttière et tendit la main. La fenêtre de sa chambre, encore ouverte, possédait un rebord particulièrement saillant, presque conçu pour que l'on s'y suspende. Elle s'y accrocha et, à la seule force de ses bras, parvint à se hisser suffisamment haut pour saisir son sac-à-dos. Elle lâcha prise et atterrit sans bruit sur la pelouse, avant de courir derrière Gilles.
« Allons-y ! »
Pas de chance hélas pour elle, son porte-monnaie ne se trouvait pas dans son sac.
Héloïse fixait la photo de classe, prise en début d'année. Bien rangée dans le tiroir adéquat de son bureau, celui du matériel scolaire et de son journal, elle la redécouvrait dès que sa panoplie de feutres lui faisait défaut. De plus en plus rarement hélas, vu que la fin de l'année approchait : les demandes spécifiques de matériel se faisaient de plus en plus rares.
Rêveuse, elle songeait à tous ces camarades de classe, passant son regard vide même si un brin nostalgique sur ces visages familiers, souriants et parfois grimaçants pour l'occasion. Ici Enzo, avec sa chemise bleue à carreaux que plus personne n'avait jamais revue après la photo, là Ilias et ses bleus infligés par "accident" par Camille à leurs cours de kung fu, ici Clément et son sourire toujours édenté, juste à côté leur maîtresse Mme Sartor avec son beau collier mais son sourire froid… Une sacrée classe, qui n'avait pas beaucoup évolué depuis le début de la primaire. Une sacrée classe, qui s'était un peu délitée avec ce confinement. Une sacrée classe, qui allait beaucoup évoluer dans les mois à venir.
Déjà les formulaires d'inscription au collège avaient été remplis par les parents. Les discussions dans les cours de récréation s'étaient comme aggravées, afin de savoir qui irait dans le même établissement. La plupart restaient ensembles, à leur plus grand soulagement mais sans réelle surprise. Il n'y avait que deux collèges dans un rayon de trente kilomètres, les exceptions connues à ce choix se comptaient sur les doigts de la main, et souvent pour de bonnes raisons. Héloïse avait été contente d'apprendre que Mathilde et elle resteraient ensemble pour l'année prochaine. Peut-être même dans la même classe ? Sans recourir à une quelconque "chance" extérieure, cette éventualité avait paru parfaitement logique aux yeux de la jeune fille : réunir deux élèves provenant d'une même école primaire était sans aucun doute une bonne idée, ne serait-ce que pour faciliter cette rude transition.
Mais les professeurs là-bas étaient-ils assez intelligents pour parvenir à ce choix ? Ou du moins du même niveau que M. Bouyran ? Héloïse avait hésité à leur écrire afin de s'en assurer. Mais elle s'était raisonnée au dernier moment : une maladresse de sa part et tout aurait été gâché jusqu'au lycée. Elle verrait bien sur place, avec Mathilde si possible.
Son regard rêveur se promena sur la photographie pour arriver sur son amie. Avec ses cheveux blonds et ses taches de rousseur, elle ressortait d'une étrange façon parmi les autres élèves. Était-ce son sourire paraissant bizarrement forcé ? Comme un peu crispé. Que lui était-il arrivé en ce début d'année scolaire ? Ou alors était-ce la proximité avec Clément ? Elle ne l'avait jamais trop apprécié. Personne d'autre des Jacobusiers non plus d'ailleurs : cet élève leur avait plusieurs fois tenu tête. Seul face à eux quatre, il avait bien sûr toujours perdu, mais non sans les avoir un peu ébranlés.
Au final, malgré leurs efforts ainsi que les recommandations de M. Bouyran, la plupart de ses camarades de classe étaient restés de simples connaissances. Des noms, des visages, des collègues d'exposés et de leçons, mais rien de plus. Héloïse n'avait pas collecté de souvenirs d'amitié marquants avec eux. Ils n'étaient que de passage dans sa vie : d'ici quelques semaines, elle les oublierait, et eux l'oublieraient. Sans leur souhaiter du mal, Héloïse ne leur souhaitait pas de bien non plus : quel intérêt puisque plus jamais elle n'aurait à leur parler ? Que tout le monde reste tranquille dans son coin.
Elle scruta la photographie plus en détails et s'arrêta sur des visages bien connus. Non, pas tout le monde. Il y avait des personnes qu'elle ferait tout pour garder auprès d'elle. Mathilde bien sûr, mais aussi Camille et Archibald. Héloïse leva les yeux au ciel. Pourquoi n'avait-elle pas immédiatement pensé à eux trois ? À ce moment charnière de sa vie où les amitiés risquaient de se perdre avec la distance ? Décidément, ce vilain Covid les avait tous un peu éloignés. Les déplacements et les contacts ayant été réduits au minimum, leurs réunions et aventures étaient devenues bien plus sporadiques et ponctuelles. Mais Héloïse était consciente que cette excuse, éculée dorénavant, n'était en réalité qu'un prétexte. Pourquoi ne pas avoir un peu forcé la main pour les rencontrer plus souvent, après tout ? Même si ses parents étaient stricts, ils n'avaient aucune raison pour l'empêcher de voir ses amis. Et puis la solitude n'était pas adaptée à son développement, elle l'avait lu dans un magazine.
Non, cette espèce d'isolement volontaire venait d'elle, bizarrement. Une force mystérieuse qui la démotivait dès qu'il était question de revoir ses amis. Une ombre mauvaise qui obscurcissait toutes les possibilités de réunion, n'en montrant que les désagréments. Une inattention travestie l'empêchant de penser à eux. Était-ce là la plus grande anormalité de l'Homme ? Cette constante opposition entre des désirs insatisfaits et la rancœur envers notre inaction ? Héloïse fixa à nouveau cette photographie, la main légèrement tremblante. Elle souhaitait tant revoir ses amis.
Héloïse plissa les yeux. Elle n'avait jamais remarqué que sur la photo, à demi caché par un arbre, M. Bouyran, leur maître préféré car un peu magicien sur les bords, semblait les surveiller. On reconnaissait ses cheveux bouclés et son grand sourire habituel, au milieu des branches du platane. Que faisait-il donc à cet endroit précis ? Pourquoi le photographe ne l'avait-il pas vu ? Pourquoi paraissait-il fixer au delà de l'objectif ?
« Héloïse ! »
La voix de sa mère retentit à travers la maison. Presque par réflexe, la jeune fille rangea rapidement le photographie dans le tiroir approprié. Elle se releva d'un bond, défroissa son t-shirt et attendit les directives suivantes.
« Il y a une amie qui veut te voir. »
Surprise, Héloïse resta immobile quelques secondes, sans répondre.
« Héloïse !
— Oui j'arrive ! »
Elle se précipita hors de sa chambre, vérifia que celle-ci était bien rangée, puis descendit l'escalier sans courir, mais aussi rapidement que possible.
Sa mère tenait la porte, dans l'ombre, le regard sévère et la jupe parfaitement plissée. En contraste total avec la personne qui se tenait dans la douce et chaude lumière de cette fin d'après-midi : les cheveux châtains en pagaille, des traces d'herbe sur le pantalon, les joues rouges d'avoir couru, mais surtout un discret sourire, trahissant sa joie de la retrouver.
« Camille ?
— J'ai, j'ai un problème avec ma session de travail, madame, mentit éhontément Camille qui de toute façon ne faisait pas ses devoirs sur l'ordinateur. Et je peux pas faire mes devoirs pour demain.
— Si tard ? questionna vaguement la mère.
— Oui, répondit-elle avec aplomb sans prêter attention à l'insinuation, j'ai besoin de l'aide d'Héloïse pour réparer ça. »
Levant les yeux au ciel et soupirant, la mère se prépara à répondre une cinglante recommandation, mais Héloïse profita de ce court silence pour prendre les devants, son cœur s'accélérant :
« Pas de problème, j'arrive. »
Stupéfaite de l'outrecuidance de sa fille, sa mère ne put qu'assister, muette, au rapide départ de celle-ci. Héloïse savait que cela ressemblait plus à une fuite qu'autre chose, mais pour une fois elle s'en fichait. Elle avait enfin saisi une occasion.
Elle eut le plaisir de retrouver Gilles dehors, qui sauta à son approche pour lui réclamer des caresses. Quoi que Camille eût à lui demander réellement, c'était grave.
Mathilde n'était pas chez elle.
En réalité, la jeune fille ne vivait pas vraiment chez ses parents. Pour sûr, elle y dormait, y mangeait et s'y faisait parfois punir, mais tout le reste, Mathilde essayait autant que possible de le faire en extérieur. Si elle voulait jouer, c'était dehors, dans la forêt ou au moins dans le jardin. Si elle souhaitait plutôt aller courir, jamais on ne l'aurait croisée dans la cour de sa maison, pourtant particulièrement grande. Même pour faire ses devoirs, elle préférait s'isoler dans un des prés entourant la ville, à l'ombre d'un pommier dont elle volait parfois les fruits. Elle croisait au final assez peu ses parents, le matin en partant et le soir en revenant, ne partageant que peu de choses avec eux. Et ne se figurant même pas en partager plus.
Sa saison abhorrée était donc l'hiver, lorsqu'elle était contrainte à rester enfermée dans cette maison un brin plus chaude que l'extérieur. Elle se pelotonnait alors dans sa chambre, patiente, fixant avec espoir la fenêtre, annonciatrice muette de lendemains cléments et d'échappées retrouvées. Non qu'elle n'aimât pas son foyer, Mathilde se sentait tout simplement mieux dehors, avec le vent sur le visage, l'horizon comme seule frontière et des cailloux sur lesquels trébucher.
Mais pour l'heure, c'était le début de l'été. Sa saison préférée : lorsque les parents normaux contraignaient justement leurs enfants à rester dehors, probablement pour être tranquilles à l'intérieur. Une aubaine pour Mathilde, qui n'avait alors plus à inventer mille et une excuse pour justifier son absence du domicile. Et avec la fin de l'école qui approchait, c'étaient de longues heures passées à crapahuter dans les alentours qui s'annonçaient. Seule ? Mathilde hésitait. Des jours avec et des jours sans. Jusqu'à peu, ça avait surtout été des jours sans compagnons de balade. Même Archibald, si fidèle à ces rendez-vous baguenauderiens, s'était lui aussi fait rare ces temps-ci. Mathilde s'était promise de lui rendre visite un de ces jours, mais faute d'y penser, le projet traînait depuis bientôt plusieurs semaines.
Pour une fois cependant, Mathilde ne courait pas. Oh bien sûr, elle était évidemment dehors, mais paisiblement assise au bord de la petite mare, tournant et retournant dans ses mains la curieuse petite pierre que le fé lui avait donnée. Celui-ci n'était pas là, d'ailleurs. Se cachait-il dans des profondeurs insoupçonnées ? Ou, fatigué, attendait-il lui aussi un peu plus de calme ? Qu'importe : Mathilde était là pour se détendre. Pas de conversations alambiquées ni d'éclaboussures involontaires : juste un silence apaisant.
Il lui fallait un peu de paix pour faire le point. Les mois précédents avaient été… curieux ? Bizarres sûrement. Un peu désagréables, elle ne pouvait nier. Mais rien qui mérite d'être noté dans son carnet : son père s'en était rendu compte lui aussi, pour au final lui conseiller de demander à sa mère. Qui lui avait alors expliqué que tout était parfaitement normal, en dépit des apparences. Mathilde aurait pu être un brin déçue de cette désillusion, mais elle avait eu fort à faire depuis, afin d'accompagner ce changement. Nullement insatisfaite, mais plutôt… anxieuse ? Anxieuse, mais enthousiaste. Comme pour l'entrée au collège qui se profilait à l'horizon : une nouvelle expérience inédite, avec son lot de surprises, bonnes comme mauvaises.
Mathilde n'en avait pas encore parlé à ses amis : c'était assez difficile à partager. Non, elle préférait y réfléchir seule, en tête-à-tête avec les nénuphars, rafraîchie par l'eau stagnante. Il commençait à se faire tard cependant, la forêt s'assombrissait de minute en minute. Il lui faudrait rentrer d'un instant à l'autre, mais elle tenait à faire durer ce moment le plus longtemps possible. Pur petit plaisir égoïste de sa part, qu'elle assumait pleinement : ces fugaces moments de calme lui étaient chers. Regardant sa montre, Mathilde sourit : il lui restait encore trois bonnes minutes, voire quatre si elle courait sur le chemin. Elle arrondit à cinq, ayant décidé de ne pas se ménager pour le retour.
Plus que deux minutes. Quelques bulles éclatèrent à la surface de la mare. Mathilde sourit : le fé était bien là. Caché, timide aujourd'hui ? Il lui fallait un peu plus de temps pour vérifier, elle courrait encore plus vite.
« Mathilde ?
— Tu vois, je t'avais dit ! »
Elle sursauta, brièvement inquiète, avant de reconnaître la voix de ses amies. Mathilde se releva en vitesse, mais faillit chuter lorsque Gilles sauta sur elle, la langue pendante. Le chien était un peu plus massif dorénavant, il s'avérait plus difficile de le porter dans ses bras ! Depuis combien de temps ne l'avait-elle pas vu ? Trop sûrement. Mathilde administra quelques vigoureuses caresses sur la fourrure dorée de ce compagnon canin, qui en réponse agita la queue frénétiquement. Le jeune fille rit. Une bonne surprise qui la rendait heureuse.
« Mathilde ! »
Elle ne les entendait pas : son rire joyeux et les aboiements joviaux de Gilles couvraient tout. Le guilleret instant supplantait toutes les questions qui auraient dû assaillir son esprit en temps normal. Seule comptait la grisante retrouvaille, ainsi que l'affection que démontrait le chien.
« Mathilde ! »
Elle releva la tête, le sourire aux lèvres.
« Vous êtes là ! »
Elle se releva d'un bond, suivie par Gilles, alors que ses deux amies peinaient à traverser les buissons.
« Et, et Archibald ? demanda-t-elle innocemment. »
Leur sombre regard suffit.