J-9 — Une semaine pour tout préparer
Lorsque Lou avait exposé son plan à Margaux, son amie ne sut cacher sa surprise. Ce n'était pas dans ses habitudes que de se lancer dans des actions aussi publiques et frivoles.
— Attends, tu veux vraiment que je te fasse passer à l'antenne ? Ça m'étonne de toi, en général tu es plutôt… Euh… Enfin, tu vois quoi. Et puis ça ne se fait pas en claquant des doigts, tu sais. Il va me falloir au moins une semaine pour obtenir l'autorisation et, si c'est ok, je dois réorganiser les plannings et les créneaux de passage.
Lou était restée volontairement évasive sur les raisons qui la poussaient à agir ainsi. Elle ne pouvait décemment pas révéler à Margaux qu'elle avait autrefois travaillé pour une organisation secrète mondiale, qui plus est, l'avait remerciée en lui sucrant sa mémoire et ses souvenirs. Bien que cela ne fut que temporaire finalement. Le risque était trop grand. Son amie pourrait la dénoncer, ou même si elle en parlait simplement, cela risquerait de la mettre en danger face à cette puissante institution. Et qui plus est, cela pourrait attirer l'attention d'oiseaux de malheur.
— Je sais que ça peut paraître étrange vu comme ça, mais, s'il te plaît Margaux. J'ai besoin que tu fasses de ton mieux pour m'accorder ce créneau.
— Mais pourquoi ? Je t'avoue que je ne te comprends pas là…
— Je… Je t'expliquerai mais pour le moment, essaie juste de voir si c'est possible, d'accord ?
Ce fut dans un soupir résigné que Margaux finit par céder à la requête de Lou, consciente de l'intensité dans sa voix. Même si elle ne comprenait pas tous les enjeux, elle savait que son amie n'agirait pas ainsi sans une bonne raison. Elles finirent par trinquer, scellant l'accord entre elles.
La petite soirée improvisée se finissait en légèreté. De retour dans son petit appartement, Lou s'était mise à réfléchir intensément à la manière dont elle allait aborder son passage à la radio. Et si la fondation parvenait à la retrouver ? Ou pire encore, si des individus hostiles à cette organisation décidaient de s'en prendre à elle ? Enfin pire… c'était un grand mot, elle ne savait pas qui pouvait être le plus redoutable en ces circonstances. Mais elle ne pouvait écarter aucune hypothèse.
C'est alors que la décision s'imposa à elle avec une évidence limpide : Lou savait qu'elle ne pourrait plus retourner travailler à la banque comme si de rien n'était. Elle prit donc la résolution de demander un congé prolongé, pour se donner le temps de reprendre en main une vie qu'elle aurait choisie.
Ses pensées dérivèrent ensuite vers ses anciens collègues, ces employés de la Fondation, dotés de capacités hors normes, probablement enfermés comme de vulgaires SCP. Une vague de culpabilité et de tristesse l'envahissait. Ces mêmes sentiments qu'elle avait ressentis avant d'être amnésiée. Pourquoi avait-elle réussi à traverser la brume de l'oubli alors qu'eux étaient restés prisonniers ? Elle se stoppa net dans ses réflexions. Quelqu'un aurait-il pris le risque d'enfreindre les règles ?
Puis, ses souvenirs la ramenèrent vers un endroit plus serein. Un endroit où elle s'était sentie libre, épanouie, avant qu'elle ne prenne un virage sans possibilité de retour en arrière. Cette serre clandestine, cachée au cœur de la forêt, où elle avait mené ses propres recherches sur la flore anormale, loin des regards indiscrets.
Un tumulte d'émotions l'envahissait, entre appréhension, détermination et nostalgie. Mais elle était plus que jamais décidée à mener à bien sa mission, quoi qu'il puisse lui en coûter. Dans une semaine tout au plus, elle aurait l'opportunité de lancer son appel sur les ondes, et rien ne l'arrêterait. Elle se leva d'un bon et se mit à préparer un sac à la hâte.
J-8 — Retour aux sources
Après plusieurs heures de route, elle se trouvait là, au milieu d'une forêt qui peinait à se réveiller. Quelques rayons de lumière venaient lui caresser les joues, perçant timidement la canopée. Lou fixait d'un air songeur le lieu où sa vie avait réellement commencé. La verrière était presque encore intacte, bien que quelques carreaux fracturés étaient visibles ici et là. Les années ne l'avaient tout de même pas épargnée. Les lierres et diverses plantes forestières recouvraient presque toute la serre improvisée. Cela fait si longtemps qu'elle n'y a pas remis les pieds. Pourtant, c'est ici, dans ce modeste poste de recherche clandestin caché dans les bois, qu'a débuté son périple au sein de la Fondation SCP.
C'est ici qu'elle s'était fait surprendre par cette organisation. Et c'est à partir de ce moment qu'elle avait rejoint une ribambelle de chercheurs, d'experts et d'agents hauts en couleur. Qui, avec les années, ont fini par faire partie de sa nouvelle famille.
Malgré la course du temps, la serre n'avait pas été détruite. Ni détériorée par quiconque d'ailleurs. Elle fut même étonnée de voir que l'endroit était complètement désert. Pas un garde, pas un agent. Rien. Juste le sifflement doux de la brise. Elle entra doucement, profitant du silence solennel. Ses doigts effleuraient machinalement la vieille radio posée sur l'établi poussiéreux. Un sourire amer étirait ses lèvres. Elle avait trafiqué la radio par le passé et était tombée sur une chaîne de radio atypique. Un certain Kwé animait sa chaîne, ça avait l'air d'être un sacré personnage. Elle avait même suivi un concours de musique qui avait fait fureur à l'époque. Que de souvenirs.
Avec un soupir, Lou rangeait précautionneusement l'appareil dans son sac. C'est par ce moyen qu'elle avait pensé à lancer son appel de… De quoi d'ailleurs ? De vengeance ? De secours ? Elle ne le savait pas vraiment. Mais elle était persuadée que c'était un des moyens les plus concrets pour entrer de nouveau en contact avec le monde anormal. Ou du moins, cela lui donnait un peu d'espoir. À vue de nez, c'était sa seule connexion possible à ce stade.
Elle ne put se permettre de perdre la radio ni même de l’abîmer. C'était une spécialiste de la flore, pas d'électronique. Et elle ne pouvait décemment pas demander à son amie Margaux ou à quelqu'un d'autre de lambda de le faire.
Ses yeux se posèrent sur les quelques documents éparpillés encore présents en ces lieux de souvenirs. Dossiers, carnets de notes, croquis… Elle fouilla la serre de fond en comble, récupérant un maximum de choses de sa vie passée. Et peut-être que cela pourrait lui resservir à l'avenir. Elle ne put étouffer un grognement de frustration. En plus de l'avoir remerciée comme une malpropre, la fondation lui avait créé une vie pourrie et vide de sens, supprimant de sa mémoire tout ce qui l'animait jadis.
Néanmoins, il lui restait à peu près une semaine pour peaufiner son plan. D'ici là, Margaux aura pris ses fonctions dans la radio indépendante pour laquelle elle travaillait. C'est par son biais qu'elle pourra diffuser son message, espérant du plus profond de son âme qu'il atteigne ses destinataires. Ou au moins quelques-uns. Rien qu'une personne. Elle priait silencieusement.
J-6 — Partition confidentielle
Les jours défilaient à toute allure, et Lou passait de longues heures à peaufiner son message, pesant chaque mot, chaque intonation. Il devait être concis et subtil, mais surtout assez explicite pour être compris par ceux à qui il était destiné. Ses anciens collègues et amis, ceux qui avaient comme elle réussi à recouvrer la mémoire. Car si elle l'avait pu, il y en avait forcément d'autres. Elle espérait également capter une attention particulière, celle de la radio RAVE.FM, ou du moins de l'un de ses animateurs. Si son message était assez clair pour qui sait chercher, elle pourrait alors sans doute entrer en contact avec eux.
Mais elle devait faire preuve de la plus grande prudence. Même si Aleph avait été démantelé, les reliquats de la Fondation et les autres groupes d'intérêt étaient toujours en lice. Elle savait pertinemment qu'elle était probablement sous surveillance, tout comme une bonne partie des remerciés. Il lui fallait donc être suffisamment rusée pour passer au travers des mailles tissées autour d'elle.
Elle faisait cliquer nerveusement son stylo sur la table. La vieille radio, aux grésillements parfois étranges, était posée à côté d'elle, comme pour lui insuffler l'inspiration. Lou s'attardait quelques secondes sur ces bribes de conversations captées, espérant y déceler un indice, un signe qui l'aiderait à formuler son appel. Elle soupirait. Caressant l'espoir d'une illumination.
Après de longues heures de réflexion, elle se décida enfin à rédiger son message. Gribouillages. Il devait être à la fois assez clair pour être compris par qui le devrait et suffisamment crypté pour échapper à une éventuelle interception. Un subtil équilibre entre transparence et discrétion. Elle craqua une cigarette. Elle repassa encore et encore les différentes versions, affinant les tournures de phrases, nuançant le ton, faisant jouer les sous-entendus. Elle se fit couler un café. Elle essaya un discours simple et concis. Annotations. Puis un essai de performance oratoire. Ratures. Chaque mot, chaque intonation, était pesé avec le plus grand soin. Car c'était de la réussite de ce message que dépendait tout le reste de son plan.
Lorsqu'elle fut enfin satisfaite, elle relut une dernière fois son texte, comme pour s'en imprégner définitivement. Puis, d'un geste décidé, elle le rangea précieusement dans son sac, prête à l'emporter avec elle le jour J. Il ne lui restait plus qu'à se renseigner auprès de Margaux pour son passage. Elle envisagea tous les scénarios, mais fut bien décidée à ne rien lâcher.
J-3 — Négociations houleuses
La quiétude de l'appartement de Margaux était troublée par les allées et venues nerveuses de Lou. Depuis près d'une heure, les deux amies débattaient des moindres détails de l'allocution que Lou s'apprêtait à diffuser sous peu. La pendule émit un faible tic-tac, brisant le silence pesant qui s'était installé dans l'appartement. Margaux observait son amie avec un mélange d'inquiétude et de résignation. Leurs regards s'affrontaient de temps à autre, comme deux prédateurs jaugeant leur adversaire.
— Alors c'est donc ça, que tu veux faire ? Tu te fiches de moi, avoue. lance Margaux, un soupçon de déception perceptible dans sa voix. Une allocution cryptique destinée à je-ne-sais-quels anciens collègues ?
Lou déglutit péniblement, consciente qu'elle jouait là sa dernière carte.
— Margaux, s'il te plaît. Je n'insisterais pas si ce n'était pas important. Tu n'as qu'à dire à ton boss que je suis une chroniqueuse à mes heures perdues, ça passera comme une lettre à la poste. Quand on voit ce qu'il se fait ces derniers temps, ça devrait aller. rétorquait Lou, mimant un air blasé, les yeux roulants.
Un rictus amer étira les lèvres de Margaux.
— Ma chère Lou, je t'adore, tu le sais hein ? Mais là, tu es si… enfin ça ne te ressemble clairement pas quoi, qu'est-ce qui se passe réellement, pourquoi cette urgence soudaine ? Il faut que tu comprennes que je ne peux pas simplement te laisser user de mes contacts sans en connaître la VRAIE raison. répondit-elle en plissant les yeux, appuyant ses mots.
Un silence pesant s'installa. TIC-TAC. Lou sentit une boule se former dans sa gorge, alors qu'un frisson glacé lui parcourait l'échine. Et si Margaux refusait finalement de l'aider ? Après quelques secondes, qui parurent durer une éternité à ses yeux, son amie croisa lentement les bras, la jaugeant avec une froideur clinique. Le cœur de Lou fit un bond. Ce regard. Aussi étranger que familier. Elle aurait juré le reconnaître, mais cela dénotait étrangement avec le tempérament habituellement jovial de la jeune femme.
Margaux interrompit son introspection d'un claquement de langue.
— Très bien, Lou. Je vais t'accorder ce créneau à l'antenne et m'arranger pour que tu aies quelques minutes. Mais je te préviens : au moindre faux pas, je coupe tout. trancha-t-elle alors, le regard durci.
Lou hocha faiblement la tête, esquissant un sourire fébrile. C'était sa dernière chance. Peu importait les risques, elle devait tenter le tout pour le tout. Quitte même à trahir la confiance de Margaux, si nécessaire.
Alors que sa compère s'éclipsait pour passer les derniers coups de fil, Lou sentit une boule se former dans sa gorge. Et si personne ne répondait à son appel ? Et si Kwé refusait de l'écouter ? Ou pire encore, si la Fondation parvenait à l'intercepter ? Un frisson glacé lui parcourut l'échine.
Elle secoua vivement la tête, chassant ses doutes d'un geste vif. C'était sa seule chance de reprendre le contrôle de sa vie.
Jour J — Coïncidences
Margaux l'appela de bonne heure ce matin-là, d'un ton grave et tranchant qu'elle ne lui connaissait pas. Cela contrastait étrangement avec son enthousiasme habituel, mais pas le temps de se creuser la tête pour des broutilles, le grand jour était enfin venu. Elle se rendit rapidement sur place, emportant avec elle son texte précautionneusement rangé dans son sac.
— Chers auditeurs, bienvenue sur la fréquence des saltimbanques et venez vagabonder avec nous sur les ondes libres ! Ici, votre adorée Charlie à l’antenne, pour vous servir ! Aujourd'hui, nous accueillons une nouvelle voix qui vient partager ses réflexions avec nous. N'hésitez pas à nous donner vos avis sur les réseaux, et peut-être votre engouement la fera revenir ! Laissez-moi vous présenter celle que l'on surnomme la Diode, qui souhaite nous faire part de son unique perspective sur le monde qui nous entoure.
Je vous en prie, la parole est à vous. Nous vous écoutons !
Lou inspira profondément, s'installant confortablement sur le fauteuil de la salle de diffusion. Un léger sourire se dessinait sur son visage malgré elle. Cette accroche… quelle ironie. Elle repositionna nerveusement son casque et s'approcha enfin du micro, le cœur battant. Margaux l'observait de l'autre coté de la vitre, les traits tendus.
— Merci beaucoup Charlie ainsi qu'à toute l'équipe pour votre accueil chaleureux, et surtout à Margaux sans qui je n'aurais pas eu cette opportunité ! Sachez, chers amis, que c'est un grand plaisir pour moi de me joindre à vous en cette magnifique journée qui s'annonce.
Comme on en discutait tout à l'heure, mon rôle aujourd'hui est d'apporter un regard singulier et réfléchi sur des sujets qui nous concernent sensiblement tous et qui façonnent notre monde, en espérant captiver par mes mots les esprits curieux.
Pour cette première chronique, j'aimerais aborder une question qui me tient particulièrement à cœur : celle de la mémoire collective et de nos liens avec le passé. Car, en ces temps troublés, il me semble crucial de ne pas oublier d'où nous venons, ce qui fait de nous des individus uniques.
Vous voyez, je suis de ces vagabonds égarés qui cherchent désespérément à renouer avec les chemins du savoir ancestral. Jadis, ces routes étaient balisées, nous guidant vers des lieux de recueillement et de partage. Mais au fil des années, ces sentiers se sont peu à peu effacés de nos cartes mentales.
Pourtant, les échos du passé murmurent encore leurs secrets dans ces endroits oubliés. C'est là-bas, au point de convergence des chemins du savoir, que nous pouvons encore puiser la force de notre histoire commune. Mais encore faut-il savoir tendre l'oreille et percevoir ces vibrations du temps jadis.
Comme cette P'tiote qui attend patiemment au bout de son impasse, guettant le moindre signe d'un retour des siens, nous devons apprendre à écouter les voix du silence. Car seuls ceux qui ont su préserver leur mémoire des méandres du monde pourront répondre à l'appel de ces âmes errantes.
Mes amis, il est grand temps de lever le voile de l'oubli et de recouvrer ce qui nous anime en tant qu'êtres humains. Écoutons la parole ondulée du vagabond qui résonne à travers les ondes, car ses mots recèlent peut-être la clé de notre rédemption collective.
Ensemble, ravivons la flamme de notre conscience, avant que les ombres ne l'étouffent à jamais. C'est le défi auquel nous sommes tous conviés aujourd'hui. Alors prêtez l'oreille, et n'hésitez pas à me rejoindre sur ce chemin du souvenir. Peut-être arriverons-nous à nous transmettre les connaissances propres à chacun.
Un silence contemplatif s'installa dans le studio, avant que Charlie ne reprit la parole d'un ton léger.
— Merci beaucoup pour cette petite chronique aussi poétique qu'énigmatique. Vos mots résonnent comme un appel à la conscience et à la mémoire de chacun d'entre nous ! J'espère que ceux qui nous écoutent sauront en saisir toute la profondeur.
— Merci à vous !
— Mes chers auditeurs, si les questionnements et les introspections poétiques vous font vibrer, venez nous rejoindre, même jour, même heure la semaine prochaine pour une nouvelle chronique avec notre invitée spéciale ! D'ici là, restez à l'écoute !
Un grésillement, puis plus rien. Le message a été diffusé. À présent, il ne restait plus qu'à attendre une réponse.
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